Immobiles aujourd'hui, bientôt le poing levé by Matin Tuesday August 14, 2001 at 03:13 PM |
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Pas de demi-mesure. Ce n'est que par un soulèvement radical que l'on pourra mettre un terme à la violence capitaliste
Moi j'oublie de bouger, un peu; et nul ne m'octroiera son pardon pour cela. Je regarde les choses, les gens, ils se meuvent sur les écrans, les images affluent; forcément, j'oublie de bouger. Combien sommes-nous, piteux, immobiles, qui nous contentons d'enfoncer les touches de la télécommande, du clavier, du magnéto? Au moins, suppose-t-on, nous prenons acte de ce qui se produit sur les terres du monde. Pas toujours. Pas tout le monde. Ils sont des milliers, des millions, à n'entendre que par bribes insignifiantes les rumeurs qui secouent les hommes. Ceux-là sont les plus dangereux peut-être, mais ils ont l'âme en paix, inconscients de ce qu'il faut prendre conscience de quelque chose. Comment les incriminer? Les souffrances individuelles constituent assez de peine... Les autres (nous) semblent (semblons) davantage en tort. Nous savons que des clameurs retentissent, nous en percevons l'orientation, nous mesurons le danger qu'elles font crisser - mais il est difficile, auguste ciel, d'en faire quelque chose d'immédiat...
Les hommes inagissent, les hommes s'éloignent. Comment s'inquiéteraient-ils encore? ils ne sont plus concernés directement, les liens de la communauté effrités, éclatés: c'est le fait de l'Injonction économique, capitaliste, toute-puissante, qui rationnellement divise les humains pour les inciter, avec plus d'efficacité, à consommer davantage; nul n'ignore cela; nul n'ignore que la force politique est rendue muette par les lois mercantiles (on critique les régimes islamistes, totalitaires; doit-on se réjouir des "démocraties" occidentales, qui, inefficaces, font simplement le jeu de la dictature économique? le pouvoir politique n'existe plus, soumis à la nécessité marchande). Mais puisque les contours de la société ont acquis ce format corrompu, comment condamner celui qui renonce à lutter? lutter seul?! à quoi bon... Il mesure assez bien, l'homme révolté, que sa révolte isolément brandie ne portera pas de fruit. Comment redessiner les liens rompus, pervertis? C'est là qu'il faut agir, avant de reprocher l'immobilisme des masses. C'est le fonctionnement global; c'est l'impérialisme; d'accord, c'est la mondialisation qui sont en cause, qui ont annulé les connexions interpersonnelles. L'on dénonce, par conséquent. Bien. Une nouvelle cohésion semble émerger de la dénonciation... cela ne suffit pas! Une nouvelle cohésion doit être mise en place, durable (et qui ne soit pas seulement le fruit d'un mouvement ponctuel, fiévreux - certes nécessaire, mais voué à la fugacité). Cette fois, il faut construire du neuf, il faut proposer des bases nouvelles qui pourront concrètement, "réalistement" permettre d'amender le fonctionnement général des interactions humaines. Nous autres, conscients et immobiles, ignorons par où commencer ce travail. Cela ne justifie pas l'inaction; cela l'explique. Qui saura trouver le langage - plus que convaincant ou charismatique: constructeur! - qui redessinera les liens humains, en tenant compte véritablement des apories de l'esprit de commerce?
Réclamer l'abolition de la dette du Tiers-Monde, c'est bien. En vérité, c'est à peine un minimum. Car cela ne nous sauve pas (cela ne les sauve pas!) de l'inexorable Loi capitaliste. Des hommes arrogants ont visité les pays qui n'obéissaient pas aux mêmes lois économiques que les leurs; ils ont voulu imposer à ces régions (préservées, jusque là!) ces lois déshumanisantes, décollectivisantes - parce que cela rencontrait leur propre aspiration au profit qui découle, sans cesse accrue, de la logique capitaliste. Ils y ont trouvé leur compte; ils ont accablé des peuples non demandeurs de dettes effarantes; une farce énorme! personne n'a réagi avec assez de virulence à ce moment. Aujourd'hui, ces pays ploient l'échine: asservis à des principes qui ont ruiné leur culture économique, ils n'ont plus d'aute choix que de quémander l'amoindrissement de leur dette. L'action des Nord-Occidentaux dans ce sens est nécessaire, mais vicieuse: ce sont les mêmes hommes "industrialisés", "capitalisés", qui devraient tour à tour gangrener et assainir des communautés extérieures?! L'immobilisme se défend ici: ce n'est plus à nous d'agir - ou seulement pour des revendications ponctuelles - qui, certes, en valent toujours la peine! mais l'action déterminante dans ce domaine devra, à notre sens, émaner de ceux que l'on a opprimés monstrueusement. De quelles armes disposent-ils? Ils sont faibles là où nous sommes forts: ce n'est pas par la concurrence économique qu'ils retrouveront la face. Leur action sera physique, soulèvement, renversement. Le Tiers-Monde (et avec lui tous ceux qui veulent fléchir le pouvoir de l'argent) devra se battre. Pour fonder autre chose, qui respecte l'humain. Quelque chose d'INTEGRALEMENT bouleversé. Qui récuse toutes les atteintes aux liens communautaires.
Nous autres, immobiles aujourd'hui, espérons prendre les armes lors d'un combat total. Les bras sont nombreux qui attendent la contestation radicale, celle qui refusera toutes les concessions au jeu capitaliste. Demander l'annulation de la dette du Tiers-Monde, c'est encore agréer la possibilité d'une dette, c'est encore entériner un mode de fonctionnement pervers; le changement viendra si l'on cesse de demander, si l'on s'empare!... d'un système neuf, qui dénie toute hiérarchisation entre humains, communautés, peuples; qui dénie toute opportunité, pour l'une des instances en présence, d'accéder au pouvoir, toujours source d'abus et d'indignité.
Moi, j'oublie de bouger en ce moment; mais je suis, nous sommes aux aguets; nous attendons l'heure.