Globalisation : Les enjeux de Doha by Raoul Marc JENNAR (posted by protesta) Friday July 06, 2001 at 05:31 AM |
L'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) va réunir, du 9 au 13 novembre, sa quatrième conférence ministérielle à Doha, la capitale du Qatar, un émirat du Golfe Persique.
Mêmes orientations néo-libérales, mêmes pratiques oligarchiques
On observe que le scénario qui a conduit à la précédente conférence, celle
de Seattle, est en train de se répéter : même demande de l'Union européenne
en faveur d'un nouveau cycle de négociation sur les matières les plus
nombreuses pour une libéralisation la plus poussée, même approche plus
ambigüe des Etats-Unis, favorables à un « nouveau round », mais réticents à
s'engager sur une liste trop précise de matières nouvelles à soumettre à l'
autorité de l'OMC, même alignement du Japon, de l'Australie, du Canada et de
la Nouvelle-Zélande, mêmes réticences si ce n'est opposition des pays en
développement.
N'ayant tiré aucune leçon de son échec retentissant à Seattle, l'OMC a
pratiqué les mêmes méthodes peu démocratiques et peu transparentes. Sans que
les 142 pays membres lui en aient donné le mandat, l'OMC et son directeur
général Mike Moore, se sont lancés dans une campagne frénétique en faveur du
nouveau round voulu par les pays riches. La technique de la « green room » a
continué : les pays industrialisés et quelques pays otages se réunissent
dans le bureau vert de M. Moore où les consultations et les décisions
importantes sont prises et ensuite présentées aux autres pays comme à
prendre ou à laisser.
Des pressions considérables sont exercées, en particulier par l'Union
européenne et ses Etats membres, sur les pays en développement pour qu'ils
acceptent le principe d'un nouveau round. Les diplomates des pays
industrialisés en poste auprès de l'OMC ont même considéré que, leurs
collègues des pays en développement étant devenus de trop bon experts de l'
OMC, il fallait, pour infléchir leur gouvernement, s'adresser directement
aux ministres dans les pays eux-mêmes. Il a été convenu de lancer « une
offensive vers les capitales» des pays du Sud. Les ministres européens ont
même adopté une résolution dans ce sens. Colonialisme pas mort !
L'Europe, à la pointe de la globalisation
Les partis politiques européens endorment souvent les opinions publiques en
laissant croire que l'Europe en construction développe un modèle original,
plus humaniste, plus solidaire, plus soucieux des diversités et de l'intérêt
général que le modèle américain. C'est une des plus formidables
mystifications par laquelle on impose aux citoyens européens une évolution
qu'ils rejetteraient si on leur donnait la possibilité de s'exprimer et de
choisir. Ce que les quinze gouvernements donnent comme mandat à la
Commission européenne, c'est de construire un partenariat transatlantique
Europe-USA dont la principale conséquence sera, au fil de négociations
successives, d'étendre au continent européen le modèle ultra-libéral et
individualiste d'un pays où l'égoïsme et la loi du plus fort sont érigés en
système.
De Jospin à Berlusconi, de Schroeder à Aznar, de Blair à Verhofstadt, les
quinze gouvernements européens, tous d'accord entre eux et tous appuyés par
une majorité de parlementaires, ont donné à la Commission européenne un
double mandat qui n'est pas équivoque. Un mandat européen de démantèlement
progressif des instruments de redistribution de la richesse produite au nom
de critères monétaristes. Et, au nom du libre-échange, un mandat
international d'extension de la compétence de l'OMC à des matières qui n'ont
plus, avec le commerce, qu'un rapport lointain quand il n'est pas
inexistant, qui vont progressivement placer des secteurs entiers de la vie
quotidienne - par exemple : l'alimentation, la santé, l'environnement, l'
éducation - sous la loi d'airain de l'argent et qui vont brimer sinon
supprimer la capacité des institutions publiques, au Nord comme au Sud, à
protéger et promouvoir l'intérêt général.
Des attentes contradictoires
Sur les 142 pays membres de l'OMC, plus de 100 partagent un même constat :
les accords gérés par l'OMC (le GATT 94, les accords multilatéraux sur le
commerce des marchandises dont l'accord agricole et l'accord sur les
textiles, l'accord sur les droits de propriété intellectuelle, celui sur le
commerce des services) et les accords relatifs à l'OMC elle-même (accord
créant l'OMC, accord sur le règlement des différends, acord sur l'examen des
politiques commerciales) sont déséquilibrés et favorables aux pays
industrialisés. Plus de cent pays conviennent également que ces accords sont
appliqués de telle sorte que ce sont les pays industrialisés qui en tirent
les avantages les plus grands.
Depuis deux ans, à l'OMC, ces pays n'ont cessé de demander, comme ils l'
avaient déjà fait avant Seattle, une évaluation du contenu et de l'
application de ces accords. Ils se sont heurtés au refus catégorique des
pays industrialisés. Leur demande pour un autre fonctionnement de l'OMC, où
les rapports de force cèderait la place aux rapports de droit, n'a pas
davantage été prise en considération.
Au contraire, les pays industrialisés, avec l'insistance toute particulière
des pays européens, ont demandé que de nouvelles matières entrent dans les
attributions de l'OMC afin que celle-ci, seule institution internationale à
disposer d'un instrument contraignant (l'organe de règlements des
différends), puisse faire disparaître toutes les protections que chaque
pays, dans ces domaines, a mis en place afin de sauvegarder ses intérêts
légitimes. Permettre aux investisseurs et en particulier aux sociétés
transnationales de se comporter partout comme bon leur semble, mettre les
entreprises nationales en concurrence avec les firmes transnationales,
imposer aux pays du Sud des contraintes en matière d'environnement alors que
les gros pollueurs sont au Nord, telles sont quelques-unes des intentions de
l'Union européenne; dont le colonialisme historique a trouvé de nouveaux
instruments pour se perpétuer. C'est cela le nouveau round .
Vers un second Seattle ?
Face aux exigences des pays industrialisés, les pays en développement
fournissent plusieurs réponses. Certains disent qu'ils sont prêts à accepter
un nouveau round à condition que celui-ci intègre la renégociation des
accords existants et une révision de leur mode d'application et pourvu qu'
elle exclue des questions utilisées par les pays industrialisés à des fins
protectionnistes (clauses sociales et environnementales). D'autres demandent
que cette renégociation et cette révision précèdent un nouveau round. D'
autres enfin, et c'est le cas des 49 pays qualifiés de "moins avancés",
considèrent qu'ils ne sont pas prêts à supporter l'impact de l'élargissement
des attributions de l'OMC et s'opposent à tout nouveau round.
Les pays industrialisés, qui craignent de plus en plus un nouvel échec, ont
modulé les formes de leurs exigences et de leurs refus, tout en les
maintenant entiers. Ils parlent désormais d'une possible « flexibilité »
dans l'application des accords existants afin d'éviter qu'on les modifie.
Ils promettent de prendre en considération certaines attentes des pays en
développement, mais exclusivement dans le cadre d'un nouveau round. En fait,
ils veulent obtenir de nouvelles avancées néo-libérales en échange de ce qu'
ils avaient, sur le papier et partiellement, concédé aux pays en
développement en 1994, à l'issue de l'Uruguay Round. Les pays du Sud sont
ainsi priés de payer une deuxième fois ce qui leur a été promis et jamais
tenu. Ils seraient bien irréfléchis de tomber dans ce piège. Des documents
de la Commission européenne indiquent clairement qu'une fois servis, les
pays industrialisés oublieront ce qu'ils feignent d'accepter aujourd'hui
pour avoir leur nouveau round.
Comme avant Seattle, près de 1.500 ONG et associations diverses - dont Oxfam
Solidarité - soutiennent le point de vue des pays les plus pauvres. Un
appel de Genève » a été lancé sous le titre « Notre monde n'est pas à
vendre. L'OMC doit se soumettre ou disparaître. Non à un nouveau round ».
Face à cette opposition massive, les néo-libéraux se livrent à une intense
désinformation. L'absence de nouveau round signifierait, selon eux, la fin
du commerce mondial, l'incapacité à lutter contre la récession qui menace,
une pauvreté accrue pour les pays pauvres, l'impossibilité de rencontrer
leurs besoins. L'échec de Seattle n'a pas mis fin à l'OMC et aux accords qu'
elle gère. Il n'a pas aggravé une pauvreté que 50 ans de libre-échange
grandissant n'ont pas éradiquée. Il n'a pas débouché sur une prise en
considération des attentes du Sud. Par contre, un nouvel échec pourrait
enfin amener les pays industrialisés à moins d'arrogance et à un début de
respect pour les peuples qui ne veulent plus être exploités.
Raoul Marc JENNAR
Chercheur auprès d'Oxfam Solidarité et de l'URFIG
Tél. 00 32 478 913 812
site Web : http://www.urfig.org