arch/ive/ief (2000 - 2005)

Gênes : Fragments d¹une narration chorale
by bulletin de Wu Ming Tuesday July 31, 2001 at 09:53 PM

Traduction d¹un autre texte de Giap, bulletin de Wu Ming

Traduction d¹un autre texte de Giap, bulletin de Wu Ming

Fragments d¹une narration chorale

« Mon ami Mingo et moi étions en tête du cortège de la désobéissance civile, vendredi 20 juillet 2001. Mon ami Mingo et moi, de concert avec d¹autres camarades, nous poussions les boucliers collectifs, montés sur roues, qui devaient servir à protéger la tête du cortège de la charge des forces de l¹ordre. Mon ami Mingo et moi nous transpirions et nous peinions le long des très longues rues, le Corso Europa, qui devient la via Tolemaide, sous le soleil et sous les cuirasses de plastique et de mousse plastique. Nous n¹avions pas d¹objets contondants, encore moins l¹intention de faire du mal à qui que ce soit.

Avec tous les tute bianche, nous avions souscrit à la " Déclaration de paix à la ville de Gênes ", où nous avions fait savoir à tous que nous n¹endommagerions pas la ville ni n¹attaquerions les personnes (agents de la sécurité publique compris). Devant nous, au-delà des boucliers de plexiglas, il y avait le groupe de contact, composé de parlementaires, d¹avocats, porte-parole des centres sociaux et don Vitaliano della Sala. Nous avancions pacifiquement, sans rien abîmer, avec l¹intention d¹arriver le plus près possiblede la zone rouge, de résister le plus possible à la charge des forces de l¹ordre et puis de nous retirer en bon ordre (autant que possible).

Mais quand nous étions encore à au moins un demi-kilomètre à la limite de la zone rouge, arrivés à un croisement, le groupe de contact a été subi un lancer de lacrymogènes depuis une rue latérale, d¹où un peloton de carabiniers avait pris position dans l¹attente de notre passage. Il n¹y a pas eu d¹ultimatum, d¹invitation à s¹arrêter. Après les premières lacrymogènes, les carabiniers ont surgi devant le cortège et ont chargé.

Mon ami Mingo et moi nous n¹avons pas eu le temps de nous rendre compte de rien : une seconde avant, nous poussions les boucliers, une seconde après nous nous sommes retrouvés à pousser sur ces mêmes boucliers pour nous protéger des coups de pied, des coups de matraque et des lacrymogènes tirées à hauteur d¹homme.

Nous avons tenu. Mais de dessous les boucliers, les carabiniers nous ont fait rouler entre les pieds des lacrymogènes à gaz urticant, contre lesquels les masques antigaz que nous nous portions n¹ont pas pu grand chose. J¹ignore ce qu¹était cette substance verte. Elle brûlait la peau et les muqueuses, mais surtout, elle coupait littéralement le souffle, nous empêchant de respirer. Moi, j¹ai dû lâcher prise et courir en arrière, enveloppé d¹un épais brouillard, en proie aux vomissements et aux convulsions.

Mon ami Mingo n¹a pas eu autant de " chance ". Le bouclier sur son flanc est tombé et la tête du cortège s¹est ouverte : les carabiniers ont fondu sur lui, le frappant à coups de matraques, lui brisant la cloison nasale et l¹entraînant avec eux. Dans la camionnette, ils l¹ont frappé chacun son tour, en le menaçant de mort et en définissant ce sympathique turn-over comme leur " petit jeu ". Ils n¹ont même pas pris la peine de relever son identité et de l¹arrêter : après l¹avoir convenablement tabassé, ils l¹ont abandonné aux urgences. Plus tard, tandis que le cortège reculait et revenait sur ses pas, vers le stade Carlini d¹où il était parti, les carabiniers ont continué à attaquer les derniers rangs avec des lacrymogènes urticants, avec les autopompes et les blindés, au risque d¹écraser quelqu¹un. Des milliers de personnes qui se retiraient pacifiquement ont été attaquées sur un kilomètre et demi, jusqu¹à quelques centaines de mètres du stade, tandis que les gens se piétinaient entre eux, en proie à la panique. Par chance, nous avons disposé les boucliers collectifs sur le dernier rang et nous avons réussi à protéger la retraite sans que la terreur ne disperse le cortège en mille ruisseaux. Ce fut grâce à nous, si ce cortège ne s¹est pas transformé en sauve-qui-peut général indistinct et fou, au risque que tout finisse en riot et en guerilla urbaine.

Mais qui sommes-nous, mon ami Mingo et moi ? Qui sommes-nous, nous deux dangereux " factieux " et " criminels " qui méritaient l¹attaque féroce, sur le front et dans le dos, l¹intoxication et les coups de la part des gardiens de l¹ordre ?

Je suis fils d¹un ouvrier et d¹une enseignante. J¹ai vingt-huit ans. Je suis licencié en philosophie. Sans antécédents judiciaires. Mon métier est d¹écrire, je suis romancier. Plus d¹autres petits boulots alimentaires. Je vis dans un très modeste appartement à Bologne. Mon ami Mingo a mon âge, il est DJ dans quelques boîtes bolonaises et dans une radio indépendante de la même ville. Il est assez connu et apprécié de tous pour son humour. Qui croyaient-ils attaquer, les jeunes en uniformes qui ont été lancés contre nous ? Qu¹est-ce qu¹on leur avait raconté sur notre compte pour déchaîner tant de férocité ? Et surtout : qu¹avons-nous fait de mal pour mériter tout cela, à part vouloir manifester contre l¹injustice planétaire infligée par les pays riches aux pays pauvres ? »