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Sept jours à Gênes
by Gérald Hanotiaux Tuesday July 31, 2001 at 07:00 PM

Avant de commencer, je m'interroge sur l'opportunité d'écrire un témoignage de plus, il en existe des centaines. Et par rapport à tout ce que j'ai pu lire depuis le 22 juillet, que ce soient les récits de manifestants ou les articles de presse, une impression s'est invariablement imposée : si je n'avais pas été présent sur place, ces mots ne me rendraient pas compte du climat dans cette ville. Car il s'agit avant tout de climat et d'impressions sensitives.

Sept jours à Gênes

Avant de commencer, je m’interroge sur l’opportunité d’écrire un témoignage de plus, il en existe des centaines. Et par rapport à tout ce que j’ai pu lire depuis le 22 juillet, que ce soient les récits de manifestants ou les articles de presse, une impression s’est invariablement imposée : si je n’avais pas été présent sur place, ces mots ne me rendraient pas compte du climat dans cette ville. Car il s’agit avant tout de climat et d’impressions sensitives.

Les faits sont à présent connus de tous ceux qui se sont intéressé au sommet du G8. Une manifestation concernant les questions d’immigration qui se déroule dans le calme le jeudi 19. Un cortège de désobéissance civile non violente chargé par les carabiniers le vendredi 20. Les affrontements qui ont suivi cette charge ont fait un mort et de nombreux blessés. Des affrontements encore plus nombreux et plus violents le samedi 21 en marge de la grande manifestation des syndicats. A cette dernière et suite au choc des événements de la veille, il y avait plus de monde que prévu et les syndicats, préalablement organisateurs, s’étaient officiellement retirés suite à l’assassinat de Carlo Giuliani. Et en guise de cerise sur ce gâteau putréfié, dans la nuit du 21 au 22, une charge d’un commando de carabiniers dans le centre média du Genoa Social Forum (GSF), la coordination d’associations organisatrice du contre-sommet. Cette dernière action faisant des! dizaines de blessés.

Dès le début, nous avons jugé le scénario bien ficelé. Et plutôt voyant. On ne pourra bien entendu jamais en avoir les preuves mais… On est arrivé le lundi 16, dès le lendemain matin on entrait dans le vif du sujet : la nouvelle circulait dans le stade Carlini, où nous dormions, qu’un carabinier était à l’hôpital après avoir ouvert une lettre piégée envoyée dans un commissariat. Le soir, lors d’un trajet en auto-stop on demande au chauffeur son avis sur la lettre piégée, sa réponse fut courte et précise : « stratégie des services secrets ». Les journées du mardi et du mercredi furent ponctuées d’alertes à la bombe. J’étais présent à l’une d’entre-elle, près du stade Carlini comme par hasard. Une autre eu lieu au centre de convergence du GSF, tiens donc… Il est incontestable qu’il s’agissait de spectacle, relayé ensuite par les chaînes de télévision de Berlusconi… La bombe présumée aurait été déposée d! ans un container de recyclage de papier, un camion de pompier soulève ce dernier, la trappe est ouverte par dessous et le contenu s’écroule sur la rue. Un chien entraîné va ensuite fouiller les papiers à la recherche de l’engin. Tout cela avec un cordon de sécurité d’à peine quelques mètres, vous imaginez bien que si cette alerte avait été sérieuse, les autorités n’auraient pas laissé les Gênois observer la scène de si près. D’ailleurs, comme le chauffeur de la voiture cité plus haut, ceux-ci ne semblaient pas dupes. Certains riaient en voyant la scène. Et les mots « stratégie de la tension » étaient sur pas mal de lèvres, aussi bien des manifestants que des habitants. Et le spectacle télévisé a continué par après : un attentat contre des journalistes, une agence de travail intérimaire saccagée à Milan, lecture d’un communiqué d’un mystérieux « Front Révolutionnaire »…

Jusqu’au mercredi, quand on se baladait dans la ville, elle fonctionnait plus ou moins normalement et un car de police plein se trouvait à côté de chaque banque. Deux jours plus tard il a été possible de les saccager toutes…

C’est à partir du jeudi que Gênes est assez rapidement devenue une ville morte. Peu de commerces ouverts, certains clouaient des planches de bois sur leurs vitrines, peu de personnes dans les rues… Lors de la manifestation de l’après-midi, les carabiniers ont exhibé des mitrailleuses sur les toits des fourgons aux coins des rues, une espèce de mise en garde : « voyez, nous sommes armés ».

Je ne reviendrai pas en détail sur la violence des forces dites de l’ordre du vendredi et du samedi. Comme je le disais plus haut, comment décrire par des mots ce qu’on ressent quand un journaliste de la RAI, les larmes aux yeux, nous apprend qu’un commando de carabiniers vient d’attaquer et de massacrer des gens non armés et sans défense ? Voici ses mots : « c’est grave ce qui est en train de se passer, très grave. Ne sortez pas d’ici, il y a des flaques de sang là-bas, restez dans la gare… » Les carabiniers sont arrivés sur les lieux directement avec des ambulances. Pendant l’opération un hélicoptère était positionné à hauteur des immeubles et balayait les façades avec son phare. Comment expliquer ce qu’on ressent lorsqu’en pleine nuit un hélicoptère vous survole et vous suit, caméra pointée, huit ou dix mètres au dessus de votre tête ? En sortant de la gare pour rejoindre le centre média, à quatre heures du ma! tin, on mesurait chaque pas, quand on apercevait une patrouille en barrage dans une rue, on savait au plus profond de nous-mêmes et par tous nos membres qu’ils pouvaient décider de s’avancer vers nous et qu’ils étaient prêts à tout. Une personne de notre groupe manquait, tout pouvait lui être arrivé… Le matin une infirmière qui avait passé la nuit à soigner les victimes du massacre est venue en pleurant apporter une liste des personnes blessées. Elle a expliqué que les carabiniers attendaient devant la chambre et emmenait tout le monde dans les casernes. Des innocents, faut-il le rappeler ?

Dans ces casernes, certains ont dû crier « Viva el duce ». Il n’y a même plus besoin d’un coup d’Etat fasciste, ils sont au pouvoir. Et où sont passés tous ceux qui ont feint de se scandaliser de l’arrivée du FPÖ au pouvoir en Autriche ? Ils ne se manifesteront pas car cette politique est celle de l’Union Européenne.

Au lendemain de cette attaque, vous aurez remarqué qu’aucun média traditionnel, ou presque, n’a évoqué, ne fût-ce que mentionné Indymedia. Vous imaginez : il aurait pu venir à l’idée des lecteurs d’aller voir leur travail et auraient pu se rendre compte de certaines vérités non-dites dans leurs pages. Et dans un deuxième temps, ils auraient pu essayer de savoir pourquoi…

Aucun média pour réagir directement au sujet d’une attaque frontale envers la liberté d’expression dont ils se gargarisent et se revendiquent à longueur de numéro. Des journalistes au travail ont été attaqués en pleine nuit, frappés, matraqués, du matériel a été détruit. Aux dernières nouvelles dont je dispose, l’un d’eux est dans le coma suite au tabassage. Nous informera-t-on de son état de santé ? Nous a-t-on tenu au courant de la santé des personnes blessées à Göteborg lors du précédent sommet de l’Union Européenne ? Selon les informations qui circulaient dans la ville de Gênes et selon différents témoignages, il y aurait plusieurs morts à déplorer lors de ce sommet du G8. Que devient la jeune fille de 17 ans qui a pris de plein fouet une autopompe lancée à toute vitesse dans la foule ? Des journalistes qui possédaient certaines de ces images étaient fouillés à la sortie de la ville et les cassettes leur ont été saisies.

A présent, une étape est franchie. La démonstration qui a été faite par un des corps de police de l’Union est la suivante : à présent nous tirons sur les manifestants et nous tuons. De plus, ça passera, ça ne soulèvera que des réactions éphémères et ça rentrera dans la normalité. A la fin du sommet Berlusconi a déclaré : « tout s’est bien passé ». Après la fin du sommet, des perquisitions et des arrestations ont eu lieu dans tous les milieux contestataires d’Italie. Des bombes ont explosé un peu partout dans le pays… Il y a le risque maintenant que les autorités reprennent leur bon vieux scénario et tentent de pousser les groupes en révolte vers ce qu’elles appellent le terrorisme, qui représenterait une terreur concurrente à la leur. Combien des bombes de ces derniers quinze jours étaient posées par les services secrets italiens ? Toutes ? J’espère que les opposants de 2001 sauront dans le futur éviter de foncer droit dans ce mur. Qu&#! 8217;ils n’oublient pas qu’une fois dans la clandestinité, n’importe qui peut faire n’importe quoi en ton nom.

Plutôt que de pouvoir réfuter les arguments des contestataires, ils tentent et tenteront par tous les moyens de discréditer les manifestants. Ils ne pourraient argumenter face aux informations des contre-sommets… Qui trouve crédible Klaus Schwab, créateur et directeur du World Economic Forum de Davos, lorsqu’il dit que les manifestants empêchent le G8 de travailler à aider les pays pauvres ? De combien de millions de dollars dépassait l’organisation du sommet (voyages, repas fastueux, amusements, construction de la forteresse, etc…) en rapport avec ce qu’ils ont accordé aux pays les plus pauvres ?

Alors, concrètement, pour nous la prochaine étape sera à Bruxelles en décembre. Je ne vois aucune raison objective pour que la police de Verhofstad - Duquesne soit différente de celle des Berlusconi - Scajola. Les ministres belges ont déjà annoncé la tolérance-zéro et la fermeture de la ville et même du pays. Ils continuent donc à prendre en otage la population pour leurs fastueuses rencontres. Ils ont annoncés des arrestations préventives. Mais de quel droit ? Qui cela concernera-t-il ? Les gens fichés par la police italienne ? Toutes les personnes massacrées dans l’école ont été ensuite emmenées et ont à présent un dossier en Italie. Des personnes allongées dans leur sac de couchage et dont le crâne a été ouvert à coups de matraque, fichés comme opposants.
A cette occasion, messieurs-dames du gouvernement belge, vous ferez une fois de plus la démonstration que, fondamentalement, les éléments de base de l’ordre social n’a pas changé depuis le Moyen-âge. Vous montrerez une forteresse où les puissants se rencontrent, assiégée par le peuple tentant de passer le pont-levis. C’est cela que vous démontrerez et rien d’autre, la démocratie made in E.U.

Gérald Hanotiaux