arch/ive/ief (2000 - 2005)

mouvements sociaux et diversité de tactiques
by Karim Al Mahjnun Sunday June 24, 2001 at 09:53 PM
karimalmahjnun@hotmail.com

Dans les débats internes aux mouvements sociaux d'occident la dénonciation de la "violence" et des radicaux a souvent, mais pas exclusivement, pour origine des tenants de la réforme des institutions et des pouvoirs dominants (capitalisme, technocratie etc.). Ces dénonciations de la «violence» ont généralement 3 points d'appui

Précisons que l’auteur de ces lignes refuse de se positionner comme «violent» ou «non-violent».

Dans les débats internes aux mouvements sociaux d’occident la dénonciation de la "violence" et des radicaux a souvent, mais pas exclusivement, pour origine des tenants de la réforme des institutions et des pouvoirs dominants (capitalisme, technocratie etc.).
Ces dénonciations de la «violence» ont généralement 3 points d’appui:

· Une dénonciation morale ou politico-moralisatrice. Les dénonciations morales peuvent-être grossières (sauvageons, tyranneaux, chienlit etc.) ou plus sérieuses : les « actes violents engendrent plus de violence»,
il ne faut pas répondre à un système d’oppression par des actes ou paroles «violentes» et tout l’éventail des visions du militantisme «pacifiste». La critique politico-morale des «violents» place en premier plan la critique du «radicalisme» des individus et mouvances se réclamant du refus de capitalisme et de ses différents modes de gestion.
Les radicaux y sont assimilés aux figures repoussantes ou dérisoires du passé et des débris idéologiques (ainsi dans le cas français le traumatisme du marxisme et du PCF motive fortement et plus ou moins consciemment l’éventail de ces discours «post-modernistes de gauche»).
Ainsi ces tentatives d’atteinte « violentes » à l’ordre établi trahiraient chez leurs auteurEs une attente d’un grand-soir etc.

Et/ou
· Une base pratique (au nom de l’efficacité) : Alors que la critique morale-moralisatrice est largement contestable (et de plus en plus contestée), des arguments invoquant l’efficience «du mouvement social»
(efficacité, consensus, unité, être sérieux, être audible, passer le message, toucher la population etc.) tendent à justifier un rejet des «violents»/radicaux. Ainsi ceux-ci par leurs actes nuiraient à l’entreprise de mobilisation des populations occidentales contre la soi-disant mondialisation. Les présuppositions ici sont:
o qu’il faut créer un mouvement de masse,
o que certaines personnes ou groupes détiennent les clés, les savoirs (la science révolutionnaire cher Marx) pour cela,
o qu’une telle entreprise passe par les grands médias capitalistes privés ou d’état qui doivent être des relais pour l’argumentaire et les discours du mouvement (généralement de ses leaders…).

Et/ou
· Une théorie du complot (les «violents» et autres «casseurs» ou «anarchistes» seraient des agents doubles de la police agissant afin de ternir l’image médiatique du mouvement). Certainement l’argument le plus
ridicule et le plus abject à la fois. Il ressemble à ce que certains amis libertaires appelaient le «négationnisme rouge» (en faisant référence aux tentatives des pouvoirs et groupes marxistes de nier l’existence des libertaires et plus largement de tout discours difficile à associer directement à l’image de l’ennemi capitaliste) : lorsqu’une
critique sort de la vision binaire et fantasmée du réel, une arme facile s’offre aux logiques autoritaires : nier la critique, en faire une non-critique par rejet absolu.
Le danger pour les mouvements sociaux et pour la résistance occidentale au capitalisme ne me semble pas venir du non-débat « violence-non violence » et encore moins des sauvageons. Les déclarations des leaders à la Susan George devraient être l’occasion de remettre sur la table le non-respect de la diversité et plus profondément l’existence même de hiérarchie au sein de mouvements se réclamant d’un autre futur…

Chercher à rejoindre la population par les médias de masse, n’est ce pas le comble de l’irréalisme? Jusqu’où abaisser le niveau de critique et de confrontation avec le système pour exulter de joie en obtenant une
entrevue de 10 minutes (ou 1’20) avec un porte-parole sur une chaîne de télé de Vivendi, de l’état belge ou de General Electric? C’est donc cela la voie de l’alternative pour laquelle il importe que l’opposant occidental fasse preuve de politiquement correct ? Est ce encore de la «réforme radicale» ? L’énergie et la bonne volonté des militantEs de base d’ATTAC ainsi que des autres groupes impliqués aura donc pour finalité de donner aux «animateurs» plus de poids dans les opérations de lobbying ?

Espérer rejoindre la population passive et créer un mouvement de masse en passant par les médias de nos maîtres me semble totalement absurde et extrêmement nuisible; bien plus que la "violence" (pavés? autodéfense
stricte? occupation de rues ou de locaux? attaques à la propriété privée ? grafs? ).

Sortir les gens des multiples conditionnements, de la passivité et du consumérisme, favoriser l’éclosion d’état de conscience différents, c’est possible et, à mon sens, incontournable. CertainEs choisissent pour cela d’autres voies que la course aliénée à la bonne image. Des mouvements sociaux cherchant à construire des réseaux-espaces dans les quartiers, les régions et les enjeux collectifs, fonctionnant sans hiérarchie et repoussant le plus possible les encadrements réducteurs (sociaux, sexuels, culturels-nationalistes etc.) : n’est ce pas plus sérieux ?

Les simplifications, le moralisme (qu’il soit insurrectionnel ou pacifiste), l’autoritarisme, la quête du pouvoir et de la reconnaissance institutionnelle, la science révolutionnaire (ou réformiste) et les réflexes binaires : est ce que ce n’est pas une arme terrible contre les mouvements sociaux ?
La police a t’elle besoin d’inventer la chienlit pour briser l’opposition lorsque certains sociaux-parlementaristes ont déjà le discours d’un futur ministre de l’intérieur d’une future gauche réaliste aux commandes ?
Doit on comprendre le pacifisme de ces derniers comme anti-militarisme ou comme pacification sociale généralisée… Comme lutte contre toutes formes de dominations ou comme lutte pour la domestication des conflits sociaux…

Karim Al Mahjnun, sauvageon.

Autre sujet néanmoins proche : voici un court extrait de transcript d’une entrevue avec wajdi Mouawad (théatre); ainsi que le professeur Mascotto (UQAM) co-auteur d’un ‘Manifeste pour l’humanité’. Le tout était diffusé sur la radio CKUT 90.3 le lundi 18 juin 2001 pour une durée d’environ une heure. Dans cet extrait Wajdi Mouawad est invité à réagir sur l’expression ‘pays monstrueusement en paix’ qu’il a utilisé a plusieurs reprises.

« J’ai eu pour réflexe de prendre ces deux idées là pour acquis comme étant une seule et même chose, que paix et liberté vont ensemble […] lorsque je regarde ce qui se passe au liban, je me rends compte que mon
pays d’origine est peut-être plus libre même s’il y a la présence syrienne sur son territoire, même s’il vient de sortir d’une guerre civile de 17 ans, il est plus libre parce que les habitants de ce pays sont habités par une lutte, par un combat; c’est pas la paix mais la liberté est là. Et c’est là où est venue cette idée de la paix monstrueuse, je me suis dit, au fond on nous accule dans une situation où on nous donne l’impression qu’on peut tout dire et cette liberté de parole devient finalement une espèce de prison absolument hallucinante parce que tu peux bien dire tout ce que tu veux on s’en tape, on en a rien à cirer. Et de là émerge une vie que j’appelle une vie ronflotante, où tout le monde ronfle dans le quotidien, un quotidien ensommeillé qui donne l’impression d’être la paix, qui dit ‘c’est ça la paix’. ‘La paix c’est grandir, c’est un moment donné trouver un travail pour faire de l’argent et prendre sa retraite à un moment donné’ et tout le monde suit ce modèle là et il n’y a que ça comme vie et c’est la meilleure vie au
monde. Cette conviction que c’est la meilleure vie qui puisse exister pour tous et ceux qui ne vivent pas comme ça dans les pays éloignés sont des barbares. Et cette paix là m’est devenue carrément monstrueuse parce
qu’elle est dévorante, elle veut s’imposer, on veut conquérir le monde par la paix […]

Question : ce que vous me dites ça me fait penser à un personnage d’une de vos pièces qui s’appelle Simone et qui joue du violon dans un pays, dans un village et les villageois veulent retrouver la paix de l’esprit et elle, en rejouant son violon, elle fait rejouer les promesses de liberté du passé et justement les habitants veulent brûler son violon. Est ce un peu cela la paix monstrueuse?

W-M : Oui c’est ça parce que avec son violon, au fond Simone dit ‘on n’a pas le droit à l’oubli’, il faut se rappeler cette insulte profonde qu’on nous a fait. Et les villageois disent ‘on achète la paix’, au fond c’est ça qu’ils disent ‘on achète la paix arrête de jouer’. Et elle se révolte contre ça et c’est le caractère même de ce type de personnage de se révolter contre la tentative collective de vouloir acheter la paix à tout prix, même au prix de l’oubli des morts, au prix de ceux qui ont été vraiment massacrés, qui ont été tués de façon ignoble ou qui ont été humiliés […]

“No war beetween nations, no peace beetween classes”