Profession : faire pression by David Leloup Wednesday June 20, 2001 at 10:18 PM |
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Voici un article paru dans le mensuel Imagine sur le travail plus que courant de lobbyistes professionnels dans les différentes instances de pouvoir comme les commissions européennes. (résumé et envoi : Arnaud)
(article paru dans
Imagine, juin 2001) 15.000 lobbyistes en place à Bruxelles Profession : faire
pression Dans la capitale de
l’Europe, les lobbies ont pignon sur rue. Leur existence est officialisée au
Parlement européen, tout comme ils possèdent leur annuaire officiel à la
Commission. Mais qui sont-ils exactement, en quoi consiste leur travail et quel
est leur véritable pouvoir ? Environ
15.000. C’est le nombre estimé de lobbyistes arpentant les couloirs de la
Commission, du Conseil et du Parlement européens. Basés à Bruxelles, ils se
répartissent au sein de quelque 3.000 organisations recensées, dont 1.000
fédérations professionnelles et associations diverses, 600 délégations à
caractère régional, 200 entreprises et 500 cabinets d'avocats ou de conseil. La
"veille institutionnelle" est la tâche première de tout lobbyiste. “ Le
but est d’apprendre aussi tôt que possible ce que la Commission envisage de
faire avant que ça ne prenne la forme d’une proposition ”, explique
Michel Clamen, expert européen et auteur d’un ouvrage sur le lobbying (1).
Cette vigilance permet de réagir en temps utile, en informant les décideurs de
la position que l’on défend sur la question en cours de débat. La
difficulté, c’est que les pères des Traités ont volontairement fait en sorte
que les décideurs ne soient pas clairement identifiés. Par crainte qu’un pays,
une institution ou un individu ne domine, les organisateurs du système ont
voulu que tout soit collégial, que chaque institution contrôle les autres.
Revers de la médaille : l’administration européenne est complexe et il est
quasi impossible d’en suivre les développements politiques sans de solides
connaissances ou les compétences d’un expert. Cet imbroglio constitue dès lors
un véritable paradis pour les "pros" du lobbying : cabinets de
conseil, consultants européens et autres agences de relations publiques. Contrairement
aux syndicats et aux fédérations européennes d’organisations citoyennes, les
multinationales ont les moyens d'embaucher ces "mercenaires" du
lobbying pour représenter leurs intérêts à Bruxelles. “ Les grosses
firmes engagent des boîtes de consultants où 20 personnes travaillent sur un
seul dossier. Nous, on a quatre experts qui planchent chacun sur 20
dossiers ! ”, résume Caroline Hayat, porte-parole du Bureau
européen des unions de consommateurs (BEUC). Avec
des honoraires qui grimpent facilement jusqu’à 2.000 euros la journée, les
cabinets de conseil font des affaires florissantes en aidant leurs clients à
établir des contacts importants. Connaissant parfaitement les rouages du
système, ils identifient les acteurs-clés aux différents niveaux du processus
décisionnel. Ces bureaux monnayent également leur expérience dans la mise en
forme des dossiers. Et ça paie. “ Si vous remettez cinq lignes bien
écrites au fonctionnaire rédacteur d’une directive, il ne faut pas être surpris
s’il est heureux d’avoir le travail tout fait ”, lance Michel Clamen. “ C’est
en tout cas valable pour de petites choses, comme la profondeur des dessins de
pneus ou la taille des concombres. ” Pratiquement toutes d’origine anglo-saxonne, les
grandes agences de relations publiques proposent également d’autres services.
Par exemple, Burson-Marsteller a concocté en 1997 pour le lobby
biotechnologique EuropaBio une stratégie de communication destinée à apaiser
les inquiétudes d’une opinion publique rétive à l’égard des OGM. L’agence
Edelman, de son côté, améliore l’image ternie des multinationales. Elle affirme
par ailleurs avoir ses entrées auprès du très privé “ Comité de l’article
133 ”, où les Etats membres élaborent les politiques commerciales (2). La fin justifie les moyens Là
où le bât blesse, c’est que ces agences se font rémunérer avec des formules
d’intéressement au résultat, fort en vogue aux USA. “ C’est très
"pousse-au-crime" ”, déplore Clamen. “ Il est
tentant pour un client de payer le double s’il s’agit pour lui d’obtenir dans
une directive le nombre de phrases le dédouanant de telle ou telle contrainte.
S’il accepte, l’agence peut alors être tentée de consacrer une partie de ses
honoraires virtuels à de la corruption. ” Sans
aller nécessairement jusque là, certains lobbyistes n’hésitent cependant pas à
utiliser des méthodes franchement sujettes à caution. La manipulation en est
une. Ainsi, lors du vote de la directive relative au brevetage du vivant en
1998, les lobbyistes de l’industrie biotechnologique ont instrumentalisé des
associations de personnes atteintes de maladies génétiques rares, ayant bien
senti que cette cause influencerait plus sûrement les eurodéputés que celle de
l’industrie. “ A Strasbourg, des malades en chaises roulantes portant
des t-shirts "Patents for life" [NDLR : "des brevets
pour la vie"] ont joué sur la corde sensible des parlementaires juste
avant le vote ”, se souvient Michel Somville, qui a suivi à l’époque
le dossier pour Ecolo. Le lobby biotechnologique avait convaincu ces
groupements de malades que sans brevets, on ne pourrait développer les remèdes
spécifiques à leurs maux... Dans
la boîte à outils du lobbyiste, existent également : l’organisation de
faux groupes d’activistes, des campagnes médiatiques de désinformation à grande
échelle, la création de sites web "d’information" pour déstabiliser
un adversaire, la diffusion de rumeurs par e-mail, etc. Son
pouvoir étant plus limité que celui de la Commission, le Parlement est
néanmoins la cible d'environ 3.000 lobbyistes. Soit cinq par eurodéputé.
Lettres, fax, courriels, coups de fil et rencontres sont autant de moyens
utilisés pour informer les élus des positions des uns et des autres. Certains
parlementaires considèrent les lobbies comme des informateurs précieux,
d'autres comme des harceleurs impénitents : la pression est
particulièrement forte juste avant les votes sur les matières où il y
codécision avec le Conseil des ministres. Quant
aux cadeaux, ils sont interdits. Et le règlement contraint les parlementaires
européens à déclarer “ les soutiens financiers, en personnel ou en
matériel, venant s’ajouter aux moyens fournis par le Parlement ”. Mais
“ il règne une certaine hypocrisie ”, estime Michel Clamen.
“ Tout le monde sait qu’il doit y avoir quand même certaines facilités
pour certains élus à financer des campagnes électorales, certaines facilités de
secrétariat et d’assistance dans la vie quotidienne ou certains "voyages
d’étude", qui sont à la limite de la corruption ”. Au
niveau de la Commission, le lobbying le plus porteur à long terme est sans
aucun doute d’ordre idéologique. La Table ronde des industriels européens (ERT)
et l’Union des confédérations de l'industrie et des employeurs d'Europe (UNICE)
excellent en la matière. Leur action se déroule en amont de la prise de
décision. Elle consiste à fournir aux responsables politiques des informations
ou des angles de vues qu'ils n'avaient pas auparavant. Objectif : agir
directement sur l’agenda européen. Fondée en 1983, l’ERT regroupe 47 dirigeants de
multinationales européennes “ dont l’importance est notable à l’échelle
mondiale ” (3). On adhère au club uniquement par cooptation et en son
nom propre, plutôt qu’au nom de sa compagnie. Afin d’améliorer la compétitivité
internationale de l’industrie européenne, ce groupe de pression entend stimuler
le processus d’unification en poussant dans le sens de la déréglementation et
de la libéralisation. Et pour atteindre ses objectifs, l’ERT bénéficie d’un
accès privilégié à la Commission. Ainsi ses membres sont-ils fréquemment
représentés dans les groupes de travail de la Commission, tel que le Groupe
consultatif de compétitivité (CAG). Et l’influence est réelle. Pour Philippe
Busquin, “ il est clair que la vision de la Commission dans toute une
série de domaines est très orientée vers la libéralisation des marchés. Je le
ressens et je pense qu’il faut des éléments régulateurs. ” Mais
"notre" Commissaire belge à la Recherche se veut rassurant :
“ J’ai cependant le sentiment que la discussion avec la société civile est
relativement forte à la Commission, par rapport à ce qui se fait parfois dans
des Etats membres. ” Europe civile, fédère-toi mieux Autre lobby industriel puissant, l’UNICE dispose,
contrairement à l’ERT, du statut de “ partenaire social ” officiel de
la Commission, au même titre, par exemple, que la Confédération européenne des
syndicats. L’UNICE, qui se présente comme “ la voix des milieux
d'affaires européens ” (4), rassemble 38 organisations patronales
réparties dans 31 pays. Avec ses 60 groupes de travail appuyés par 1.500
experts, le lobby du patronat se donne pour principale mission d’“ influencer
le processus décisionnel au niveau européen ”. Il soumet ainsi chaque
année une centaine de mémorandums et de prises de positions à la Commission. Mais il va plus loin. En juin 2000, l'UNICE
organisait son premier “ Sommet européen des affaires ”. Etaient
invités : Morris Tabaksblat (président de l’ERT), Mike Moore (président de
l'OMC), les plus importants responsables de l'OCDE, la fine fleur du monde
industriel et… onze Commissaires européens, dont le président Prodi. Ces
derniers ont ainsi pu participer à une douzaine d'ateliers, tels que “ Le
commerce électronique, l'innovation et les nouveaux marchés ”,
“ Biotechnologies : construire l'acceptation des consommateurs ”
ou encore “ Accroître la flexibilité du marché du travail ”. Philippe
Busquin, qui était présent, minimise l’événement : “ C’était tout
à fait circonstanciel. Comme c’était à Bruxelles, le président de l’UNICE avait
demandé à un certain nombre de Commissaires de participer. Mais ça ne veut pas
dire qu’il y a une corrélation si forte que ça entre les deux. ”
N’empêche, il n’y a jamais eu à ce jour une rencontre équivalente entre autant
de Commissaires et les représentants européens de la société civile ou du monde
syndical. “ Personnellement, je ne demanderais pas mieux que d’être
invité davantage [par des lobbies citoyens d’intérêt général] ”, précise
le Commissaire. “ Mais il faut bien reconnaître que leur organisation
n’est pas aussi structurée, ou en tout cas ne se manifeste pas avec la même
force que celle des lobbies industriels. ” Et c’est là tout l’enjeu
pour la société civile européenne en devenir : se fédérer au plus haut
niveau afin de faire entendre clairement sa voix. Pour éviter que les lobbies
industriels n’agissent en lieu et place de la base citoyenne dont la Commission
est dépourvue. Notes : (1)
“ Le lobbying et ses secrets ”, Michel Clamen, Dunod, 2000. (2)
“ Europe Inc. – Liaisons dangereuses entre institutions et
milieux d’affaires européens ”, Observatoire de l’Europe Industrielle,
Agone, 2000. (3)
www.ert.be (4)
www.unice.org “ Les pollueurs engagent
des lobbyistes, pas Greenpeace ” Ancien expert à la Commission
et ex-collaborateur d’un ministre français au Conseil, Michel Clamen enseigne aujourd’hui les ficelles du lobbying et
les arcanes de l’Europe en 3ème cycle, notamment à l’Institut
catholique et à l’Université Léonard de Vinci à Paris. Les débouchés ? On
les trouve principalement dans les agences anglo-saxonnes de relations
publiques. Pas chez les ONG : “ dans l’écologie, le gisement
d’emploi pour les lobbyistes est beaucoup plus grand chez les pollueurs que
chez Greenpeace ”. Quant aux étudiants tentés par l’intérêt général,
attention : “ un stage chez Greenpeace ou Amnesty peut vous suivre
dans votre carrière. Vous êtes marqué. J’en suis désolé, c’est la
réalité du monde du travail ”. En savoir plus : Une abondante bibliographie
sur le lobbying est disponible sur www.lobbying-europe.com Lobbying à deux
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