arch/ive/ief (2000 - 2005)

Une solution urgente au bannisement: Lettre ouverte au ministre
by Rahma GUENFOUDI Friday June 08, 2001 at 04:24 PM

Le collectif de résistance aux centres fermés et aux expulsions appelle à manifester ce dimanche à 14h devant le palais de justice de BXL en soutien à Driss Genfoudi et son exil forcé (voir ci)dessous).

Monsieur le Ministre,
L¹an dernier, vous annonciez que les étrangers sans-papiers qui vivent depuis longtemps en Belgique, qui y ont fixé l¹essentiel de leurs attaches seraient régularisées selon une procédure juste et équitable. Après avoir rejeté sa demande de régularisation, votre administration s¹apprête à
expulser par la force mon frère Driss GUENFOUDI qui vit en Belgique, comme toute notre famille, depuis 1972.
A cette époque, mon frère avait 5 ans. Nous rejoignions notre père qui travaillait depuis quelques années dans les mines du Borinage.
Comme ses cinq soeurs et son frère, Driss a suivi toute sa scolarité dans ce pays, et n¹est retourné au Maroc qu¹à trois reprises, en vacances. Eduqué en français, il ne sait ni lire ni écrire l¹arabe.
Mon frère a eu une jeunesse difficile, qui l¹a conduit à commettre des actes répréhensibles. Il a été condamné, lourdement. Après son jugement, votre administration lui a retiré son droit de séjour. Il est devenu illégal.
Il a achevé de purger sa peine depuis avril dernier. L¹entièreté de sa peine : à cause de sa situation administrative, et alors qu¹il remplissait toutes
les conditions habituelles de libération conditionnelle, il a été privé de l¹accès à cette procédure.
Durant sa détention, Driss a régulièrement suivi, et avec succès, des cours de formation continue pour préparer son retour à la vie active (dessin technique, électricité, gestion, informatique). Il a également suivi une
psychothérapie et a maintenu, puis renforcé les liens qui l¹unissent aux membres de sa famille ­ tous Belges.
Monsieur le Ministre, la seule société que connaisse mon frère, la langue dans laquelle il communique, la culture dont il est imprégné, l¹espace qui est le sien sont les mêmes que les miens, que les vôtres. L¹expulser revient
à l¹exiler par la force. C¹est un retour à une punition que nos sociétés
démocratiques ont abolie depuis des siècles, le bannissement.
Protéger l¹ordre public, telle est la raison impérieuse par laquelle on veut justifier qu'une personne soit privée ­ pour dix ans et plus ­ de la terre qui l¹a vu grandir. Absurde ! Mon frère a tout entre les mains pour réussir
sa réinsertion, tout sauf un titre de séjour. Expulsé, il reviendra forcément auprès des siens, seuls à pouvoir le soutenir et l'aider. Comment va-t-il organiser sa vie, alors que quoi qu¹il fasse, il est condamné à rester dans la plus grande clandestinité ?
Comment les autorités de ce pays peuvent-elles de manière crédible prôner l¹intégration des jeunes issus de l¹immigration et les menacer de perdre le droit le plus élémentaire de vivre dans leur pays ? Comment transmettre à
nos enfants qu¹il faut obéir et faire confiance à un Etat démocratique, alors que celui-ci, au terme d¹une condamnation identique, libère certains de ses citoyens et en exile d¹autres ?
Mon frère, comme plusieurs centaines d¹autres personnes assujetties à un bannissement, a commis des fautes. Ils ont été jugés, ils ont payé leur dette à la société. La régularisation que vous avez défendue leur permet de
se faire entendre, de faire valoir leurs attaches en Belgique et d¹obtenir le droit de reconstruire leur vie. En rejetant leur demande, vous répétez aveuglément les errements d¹une administration peu au fait de la réalité des
familles immigrées en Belgique.
La mesure de bannissement, appliquée à des personnes venues toutes jeunes ou même nées en Belgique, enlève tout espoir à ceux qui en sont frappés : après la prison, c'est l¹expulsion, l¹interdiction de séjour, l¹impossibilité de
trouver ses marques dans un pays inconnu, le retour clandestin, la peur permanente. La loi de régularisation peut réparer cet arbitraire. Comme l¹a souligné le Conseil d¹Etat notamment, la Commission de régularisation doit
apprécier la consistance des attaches familiales et sociales après avoir entendu le demandeur.
Pour mon frère, la loi n¹a pas été respectée. En effet sa demande de régularisation a été rejetée sans qu¹il ait pu être entendu, uniquement sur base de ses anciennes condamnations. Sur le point d¹être mis dans un avion
comme un animal »(selon l'expression d'un des policiers venus le chercher la semaine dernière), il est désespéré devant cette alternative impossible : soit se voir assigné à résidence dans un pays qui lui est étranger et où il
vivra inévitablement une souffrance inqualifiable, soit revenir clandestinement, comme le font tant d'autres bannis, dépérir en Belgique dans une non-existence clandestine.
Monsieur le Ministre, vous avez les moyens de stopper cette procédure d¹expulsion absurde, révoltante et dangereuse pour tous. Ma famille et moi-même vous le demandons avec la plus grande insistance. Et au-delà du cas particulier de mon frère, nous vous demandons d'envisager que des mesures législatives soient prises en vue de la suppression de ces
doubles peines qui sont autant d'injustices et de marques de mépris envers les familles issues de l'immigration.
Je vous remercie de l'attention que vous voudrez bien consacrer à cette demande vitale faite dans la plus grande urgence, et vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de ma haute considération

Rahma GUENFOUDI, citoyenne belge

Cette lettre ouverte et la revendication qu¹elle porte sont soutenues par :
les familles groupées au sein du Collectif pour l'abolition du bannissement
la Ligue des Droits de l'Homme
le Mouvement contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Xénophobie
La Ligue des Familles