arch/ive/ief (2000 - 2005)

Affaire Ibrahim Bah: Lettres de parlementaires au gouvt et au procureur du roi
by Corine Barella Friday June 08, 2001 at 02:33 PM

LETTRES DEPUTES ECOLO-PS-PSC AU GVT ET AU PROCUREUR DU ROI DEJEMEPPE

Bruxelles, le 5 juin 2001


Monsieur Guy VERHOFSTADT, Premier ministre
Monsieur Louis MICHEL,
Vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères
Madame Isabelle DURANT,
Vice-première ministre et Ministre de la Mobilité
Monsieur Antoine DUQUESNE,
Ministre de l’Intérieur
Monsieur Marc VERWILGHEN,
Ministre de la Justice

Conc. : Application de la déclaration gouvernementale sur les réfugiés de guerre - Respect de la Convention de Genève et de la loi - Violence policière - Cas de Monsieur Ibrahim BAH.

Madame, Messieurs les Ministres,

A la fin de la législature 1995-99, suite notamment à la mort atroce de Semira ADAMU, le précédent gouvernement avait décidé de ne plus expulser de demandeurs d’asile sierra-léonais et de limiter la durée maximale de
détention en centre fermé à 5 mois.

Dans le même esprit, croyons-nous, l’actuel gouvernement a inscrit le paragraphe suivant dans sa Déclaration de politique générale adoptée à la Chambre le 16 juillet 1999 : « Le gouvernement mettra en œuvre intégralement la Convention de Genève. En outre, il élaborera un statut
cohérent pour les personnes déplacées en raison d’une situation de guerre.
Ce statut aura un caractère temporaire et renouvelable (…) »

Par ailleurs, un arrêté royal pris à l’initiative de Madame la ministre de la Mobilité réglemente strictement l’usage de la contrainte par les policiers en charge des expulsions et interdit formellement le recours à la technique dite « du coussin ».

Pourtant, il nous revient que plusieurs expulsions de ressortissants de pays en guerre (sierra-léonais surtout), dont la nationalité n’était pas contestée, ont été exécutées depuis juin 1999, parfois très violemment.

Tout récemment, selon le témoignage de Monsieur Ibrahim BAH (20 ans) - actuellement incarcéré en très mauvais état physique et psychique, à la prison de Saint-Gilles -, des tentatives d’expulsion ont eu lieu dans des conditions de violence extrême dont plusieurs d’entre nous et un médecin ont pu observer les traces impressionnantes sur le corps du détenu (cfr. les deux rapports médicaux établis par le Docteur BAKIOUI, en annexe : les examens et traitements prescrits ne semblent pas avoir tous été réalisés).

D’après le témoignage de Monsieur Ibrahim BAH, les techniques du coussin et du baillon (foulard enfoncé dans la bouche) lui ont été appliquées, associées à des coups totalement disproportionnés par rapport au degré de
violence requis pour exercer la contrainte et à des invectives à caractère raciste et xénophobe.

Enfin, depuis le 1er juin, la détention de Monsieur BAH est devenue illégale puisqu’il est incarcéré en centres fermés et en prison depuis le 31 décembre 2000.

Par la présente, nous souhaitons réattirer votre attention sur l’urgence
- d’exécuter le paragraphe de la déclaration gouvernementale qui prévoit l’instauration d’un statut cohérent pour les réfugiés de guerre;

- de libérer les ressortissants sierra-léonais encore détenus en prison ou centre fermé (c’est un non-sens de les expulser vers des pays plus pauvres que le nôtre, souvent saturés de réfugiés et parfois menacés de déstabilisation);

- et de diligenter une enquête sérieuse et indépendante pour faire la lumière sur les faits rapportés par Monsieur BAH, en particulier sur l’usage de baillons, coussins ou tout autre moyen bloquant les voies respiratoires
(gants matelassés), dans son cas comme dans d’autres. Nous souhaitons évidemment qu’au cas où nos craintes sont confirmées par cette enquête, les sanctions qui s’imposent soient prises à l’encontre des coupables.

Veuillez recevoir, Madame, Messieurs les Ministres, nos salutations les meilleures.

Dominique BRAECKMAN
Denis GRIMBERGHS
Jean CORNIL
Alain DAEMS
Georges DALLEMAGNE
Vincent DECROLY
Josy DUBIE
Zoé GENOT
Fouad LAHSSAINI
Karine LALIEUX
Michel LEMAIRE
Yvan MAYEUR
Géraldine PELZER
Mahfoudh ROMDHANI
Fatiha SAÏDI
Meryem KACAR
Anne-Françoise THEUNISSEN

Annexes

Annexe 1

Principaux éléments du témoignage de M. BAH, recueilli par des parlementaires et des associations.

Le 10 avril 2001, attaché des pieds à la tête selon la méthode dite du «saucisson », Ibrahim BAH a été tabassé à plusieurs reprises dans la camionnette qui l’emmenait vers l’avion, par les policiers fédéraux chargés de l’expulser. Il affirme être en mesure de les reconnaître.

Il a été frappé au visage, aux côtes. On lui a dit « que la Belgique, c’était pour les Belges, pas pour les Africains » et « qu’il partirait mort ou vif ».

Dans l’avion même, les policiers ont fait pression sur tout son corps et sa carotide… Ils ont appuyé de toutes leurs forces sur la cage thoracique d’Ibrahim BAH à l’aide de leurs jambes et d’un coussin.

Sur le trajet qui le ramenait de l’avion, il a de nouveau été battu. Il a été ensuite incarcéré à la prison de Saint-Gilles le 10 avril.

Le 24 mai 2001 au matin, Ibrahim BAH a subi une cinquième tentative d’expulsion. Une visite de parlementaire à la prison de Saint-Gilles a permis d’obtenir un témoignage immédiat, qui confirme la manière dont Ibrahim BAH a été traité à l’aéroport.

Dés son départ de la prison de Saint-Gilles jusqu’à son retour dans cette même prison, Ibrahim BAH n’a cessé d’être battu, insulté. Il a passé le trajet qui le menait vers l’aéroport attaché, plaqué sur le plancher de la
camionnette, roué de coups et insulté.

Lors de son arrivée dans les cellules d’isolement de l’aéroport, il a été doublement attaché et les policiers s’en sont pris à lui. Il a de nouveau été battu dans la camionnette blanche qui l’emmenait vers l’avion (coups aux
côtes, aux jambes). Ibrahim BAH était maintenu au sol, attaché selon la méthode dite « du saucisson ». Les policiers riaient pendant qu’ils frappaient Ibrahim.

Dans l’avion, les violences ont redoublé d’intensité : une escouade de policiers l’ont entouré et couvert d’insultes et de menaces («tu vas partir mort ou vif...», «La Belgique aux Belges, l’Afrique aux Africains» ), de coups et de pressions sur tout le corps, notamment sur les parties génitales qui ont saigné. Un coussin a de nouveau été utilisé par les policiers qui appuyaient de toutes leurs forces à l’aide de cet objet sur le thorax d’Ibrahim BAH. Un foulard en coton a été introduit de force dans sa bouche
pour le faire taire et le faire partir...

Lors du trajet retour vers les locaux de la police au sein de l’aéroport, Ibrahim BAH a de nouveau été tabassé par des policiers.

Lorsqu’il a réclamé de l’eau, il lui a été répondu «qu’on allait lui donner son urine à boire» ! Après une nouvelle heure passée dans les cachots de l’aéroport, il a été ramené à la prison de Saint-Gilles.

Annexe 2
Rapports médicaux du Dr BAKIOUI
Attestation du 2 mai 2001:

"Les symptômes décrits sont des douleurs à la nuque, aux clavicules surtout à droite, des douleurs aux chevilles, des jambes et au niveau des bras surtout droit.

Les lésions observées sont des lésions cicatricielles au niveau des faces antérieures des poignets droit et gauche.

Des lésions cicatricielles multiples au niveau des deux genoux.

Sur le bras droit, une double lésion linéaire (+/- 1 cm d'espace) de plusieurs centimètres de longueur +/- 7 cm, au dessus du coude droit, tout à fait compatible avec des séquelles de liens serrés.

L'examen montre une contracture musculaire des muscles de la nuque, une augmentation des douleurs à la palpation de la nuque, des clavicules surtout droite, du bras droit, des chevilles et de la face antérieure de la jambe gauche.

Les symptômes décrits et les lésions observées sont compatibles avec des coups reçus par une personne entravée avec des liens serrés."

Attestation du 25 mai 2001 :

"Lors de son essai de rapatriement hier, le 24 mai à Zaventem, il aurait reçu de multiples coups. Les symptômes sont des douleurs importantes au niveau de la nuque, du dos, des parties costales bilatérales. Une douleur
importante au niveau de la mâchoire supérieure droite (fossette), cette douleur est très sensible à la palpation et présente un léger oedème. J'ai demandé qu'une radiographie soit pratiquée dès que possible. L'infirmier et
moi sommes convenus qu'elle aurait lieu lundi.

J'ai constaté des plaies au niveau de la face interne de la lèvre inférieure droite et de la face interne de la joue droite en regard des canines et des prémolaires droites, ces lésions sont compatibles avec des coups importants donnés au niveau de la bouche, surtout côté droit.

J'ai constaté les lésions compatibles avec des traces de liens maintenus serrés pendant plusieurs heures au-dessus des deux coudes. M.Bah m'a confirmé que ces liens sont restés attachés pendant cinq heures, ce qui permet d'expliquer les importantes douleurs et les paresthésies au niveau des deux bras (effet garrot).

J'ai constaté la présence de multiples traces de sang sur son slip (partie interne, contre la peau), je n'ai pas constaté de plaies ouvertes au niveau génital, le sang provient du pénis. J'ai interrogé le patient qui m'a
expliqué avoir reçu un coup de genou dans la région génitale. J'ai demandé qu'un urologue puisse examiner ce patient, accord a été pris à ce sujet avec la prison.

J'ai demandé que des anti-douleurs soient donnés au patient pour atténuer ses multiples douleurs. J'ai prescrit du paracétamol, 4 comprimés par jour.
J'ai insisté pour qu'un traitement soit instauré pour ses troubles du sommeil, j'avais déjà demandé à mon confrère de la prison de bien vouloir s'en charger.

Le patient m'a semblé très abattu psychologiquement.

Conclusions : l'ensemble des symptômes et lésions constatés sont compatibles avec de multiples coups reçus partout par une personne entravée qui ne peut se protéger contre ceux-ci".

Bruxelles, le 5 juin 2001

Monsieur Benoît DEJEMEPPE
Procureur du Roi
Palais de Justice
1000 Bruxelles

Conc. : Violences policières graves perpétrées à l’encontre de Monsieur Ibrahim BAH lors de tentatives pour l’expulser.

Monsieur le Procureur du Roi,

Plusieurs visites parlementaires et les deux rapports médicaux ci-joints nous conduisent à vous écrire au sujet des circonstances des tentatives d’expulsion dont Monsieur BAH, Ibrahim (20 ans) a été l’objet, les 10 avril et 24 mai derniers. Les faits sont survenus entre la prison de Saint-Gilles et l’aéroport de Zaventem, ainsi que sur le terrain de cet aéroport, dans les locaux du Détachement de sécurité, à bord de la camionnette effectuant la navette entre ces locaux et l’avion, puis dans l’avion lui-même.

Au vu de la tragédie qui a abouti à la mort de Semira ADAMU le 22 septembre 1998 et de certains dérapages très sérieux lors d’expulsions ultérieures, nous nous permettons de répercuter vers vous, à titre préventif cette fois,
les éléments principaux du récit assez effrayant que Monsieur BAH nous a fait de ces deux tentatives d’expulsion.

Nous estimons que devraient faire l’objet de vérifications approfondies, les informations très inquiétantes relatives entre autres

- à l’utilisation d’un coussin et/ou d’un baillon (foulard enfoncé dans la bouche) par les policiers ;

- et à des invectives racistes et xénophobes que certains policiers auraient proférées à l’encontre de Monsieur BAH (cfr. annexe).

Et ce à la lumière, notamment, de la loi sur la fonction de police, de l’arrêté ministériel du 11 avril 2000 réglementant les conditions de transport à bord des aéronefs civils des passagers présentant des risques particuliers sur le plan de la sûreté, et de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie.

A toutes fins utiles, nous communiquons, sur base de l’article 16 de la loi du 18 juillet 1991 relative au contrôle des services de police et de renseignements, copie de la présente à Monsieur André VANDOREN, Président du
Comité de contrôle des services de police.

Veuillez recevoir, Monsieur le Procureur du Roi, nos salutations les meilleures.


Dominique BRAECKMAN
Denis GRIMBERGHS
Jean CORNIL
Alain DAEMS
Georges DALLEMAGNE
Vincent DECROLY
Josy DUBIE
Zoé GENOT
Fouad LAHSSAINI
Karine LALIEUX
Michel LEMAIRE
Yvan MAYEUR
Géraldine PELZER
Mahfoudh ROMDHANI
Fatiha SAÏDI
Meryem KACAR
Anne-Françoise THEUNISSEN