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Gaz lacrymogène, ou gaz toxique ?
by posted by protesta Wednesday June 06, 2001 at 03:52 PM
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Depuis six mois, pour les enfants du village d'Al-Khader, près de Bethlehem, la cour de récréation de leur école primaire est un champ de bataille : les élèves n'ont plus de leçons à partir de midi.

Ils se rassemblent alors en
groupes afin de jeter des pierres contre les soldats israéliens stationnés
au sommet des collines qui entourent leurs maisons. Cette confrontation
était restée relativement bon-enfant, jusqu'au mois dernier, où des soldats
israéliens ont tiré des grenades lacrymogènes qui ont atterri dans la cour
de récréation. Une bombonne métallique a fini à seulement quelques dizaines
de centimètres de Sliman Salah, 13 ans, qui fut immédiatement enveloppé d'un
nuage de gaz que des témoins ont qualifié d'inhabituel : il s'agissait d'un
gaz jaunâtre. En une minute, Salah tombait, sans connaissance.
Lorsqu'il arriva à l'hôpital privé Yamamah, son corps était en proie à des
crises de convulsions et de spasmes, sa respiration était irrégulière et ses
pupilles très contractées. Après l'avoir examiné, le médecin français qui
avait admis Salah à l'hôpital était perplexe. Ce médecin, Annie Dudin, une
pédiatre qui travaille en Cisjordanie depuis une quinzaine d'années, avait
déjà soigné des dizaines de victimes d'inhalation de gaz lacrymogènes,
beaucoup d'entre elles entre les années 1987 et 1993, au cours de la
première intifada, mais elle n'avait jamais rencontré des symptômes tels que
ceux de Salah, avant d'avoir examiné ce jeune garçon
"Normalement", les victimes récupèrent, après quelques minutes passées loin
des gaz lacrymogènes. Dans les atteintes plus sévères, le masque à oxygène
et des injections de solution de glucose peuvent s'avérer nécessaires pour
calmer les quintes de toux et étancher des larmoiements incontrôlables
autrement. Mais aucun traitement ne parvenait à soulager Salah. Ses
convulsions persistèrent jusqu'à ce qu'on lui administre de fortes doses
d'antispasmodiques, et il n'a repris conscience que très progressivement.
"Je n'avais jamais rien vu de tel auparavant", a déclaré le Dr. Dudin. "Je
me serais attendu à cette sorte de symptômes dans le cas d'un empoisonnement
aigu. Mais dans ce cas, pour pouvoir les traiter correctement, il aurait
fallu que je sache à quelles substances toxiques Salah pouvait avoir été
exposé". Plus tard, dans la même journée, Salah a été transféré à l'hôpital
Hussein, dans la localité proche de Beït Jala, où il a été remis aux bons
soins d'un neurologue, le Dr. Nabir Musleh. Des tests auxquels le garçon a
été soumis ont établi qu'il avait été victime d'une intoxication, mais les
médecins, une fois encore, ne savaient pas réellement comment le soigner le
plus efficacement possible. Ils ont seulement pu recommander à Salah de
prendre régulièrement des douches, afin d'éliminer toutes traces éventuelles
de produits chimiques au niveau cutané.
Salah fut autorisé à sortir de l'hôpital, mais vingt-quatre heures après, il
fut saisi d'une nouvelle crise de convulsions et dut être réadmis à
l'hôpital Husseïn de Beït Jala. Ce n'est que cinq jours après son exposition
au gaz que Salah vit disparaître les symptômes les plus préoccupants dont il
souffrait. Mais son père dit que Salah a toujours mal à l'estomac, continue
à avoir des vomissements, souffre de vertige et de problèmes respiratoires.
Salah n'est qu'un exemple parmi une véritable "épidémie" de cas semblables,
dans la région de Bethléhem, au cours du mois écoulé. Une autre victime des
gaz lacrymogènes est arrivée inconsciente et en proie à des convulsions, à
l'hôpital Yamama, et l'hôpital Husseïn a fait état d'une augmentation
anormale de cas de patients incurables, depuis qu'un premier cas de ce type
y ait été admis, fin février.
Peter Qumri, directeur de cet hôpital, a déclaré : "Jusqu'à il y a quelques
semaines, il était assez facile de soulager les victimes de gaz
lacrymogènes. Il nous suffisait parfois de les mettre sous oxygène durant
une dizaine de minutes, et nous pouvions les laisser repartir. Maintenant,
on nous les amène convulsifs, ils ne tiennent plus debout, parfois même ils
sont inconscients, avec des détresses respiratoires sévères. Quelque chose a
changé, c'est sûr."
Les nouveaux cas enregistrés à Bethlehem font suite à un précédent, constaté
dans la bande de Gaza, au mois de février, lorsqu'une foule importante a été
exposée aux gaz lacrymogènes, près du camp de réfugiés de Khan Younis. Les
victimes, des hommes adultes, avaient été admis à l'hôpital Nasser,
souffrant de crises dont les médecins ne parvenaient pas à venir à bout. Les
patients les moins atteints ont eu des vomissements pendant plusieurs jours
après leur exposition à ces gaz.
En raison du bouclage extrêmement rigoureux de Gaza, tous les cas n'ont pas
pu être répertoriés alors. Mais des médecins palestiniens exerçant
localement ont fait part de leur préoccupation qu'Israël ait pu utiliser
pour la première fois un gaz lacrymogène nouveau, ou le gaz lacrymogène
habituel, mais sous une forme plus concentrée, voire un cocktail de
plusieurs gaz.
Les Forces israéliennes de défense ont indiqué n'utiliser que les gaz
lacrymogènes standard (CS), bien qu'elles admettent qu'au cours
d'affrontements, elles ont pu aussi utiliser des fumigènes afin de protéger
leurs hommes. Mais elles ont avancé l'idée que les symptômes dont se sont
plaintes les personnes affectées seraient causés par l'"anxiété". Cette
conclusion a été rejetée par les médecins, dont l'un des rares médecins
occidentaux exerçant dans la bande de Gaza. Hélène Brisco, de Médecins Sans
Frontières, affirme que les patients qu'elle a traités à Khan Younis étaient
bien des cas cliniques et que, dans les cas les plus graves, certains
souffraient de paralysies musculaires préoccupantes.
Les constatations des Drs Brisco et Dudin ont été corroborées par une
enquête du Ministère Palestinien de la Santé, qui a prélevé des échantillons
d'air, au cours des affrontements de Khan Younis, ainsi que des échantillons
sanguins sur certains patients. Ses premières analyses suggèrent qu'Israël a
utilisé un "cocktail" de gaz, à des concentrations beaucoup plus fortes que
par le passé.
Le Dr Dudin n'a absolument pas été convaincue par les explications données
par Israël. "L'état de mon patient, Sliman, n'était absolument pas celui
d'un patient souffrant d'angoisse. Il m'est très difficile de dire à quoi il
avait été exposé. Sans connaître les substances chimiques en cause, je ne
pouvais pas mettre en oeuvre les tests vérificatifs nécessaires, mais ses
symptômes "collaient" avec ceux qui accompagnent généralement l'exposition à
un poison violent. Ceci me fait craindre qu'Israël utilise désormais des gaz
qui ne répondraient plus aux normes habituelles de "sécurité".
Al-Ahram Weekly (5 avril 2001). Traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier.