Jeter le capitalisme mondialisé dans le sac-poubelle (gratuit) de l'histoire by Nadine Rosa-Rosso Thursday May 03, 2001 at 12:56 AM |
Imaginez que le monde soit un village de cent personnes. J?ai une bonne nouvelle de ce village: il produit aujourd?hui dix fois plus qu?il y a cinquante ans. Malheureusement, les autres nouvelles sont mauvaises.
Discours de Nadine Rosa-Rosso, secrétaire
générale du PTB
Jeter le capitalisme mondialisé dans le sac-poubelle (gratuit)
de l’histoire
Imaginez que le monde soit un village de cent personnes. J’ai une bonne
nouvelle de ce village: il produit aujourd’hui dix fois plus qu’il
y a cinquante ans. Malheureusement, les autres nouvelles sont mauvaises.
Sur ces cent habitants, 50 ont faim et 25 n’ont pas d’eau potable.
20 adultes ne savent ni lire ni écrire et quatre-vingts sont mal logés.
Il y a quarante ans, les vingt personnes plus riches du village disposaient
de trente fois plus de revenus que les vingt plus pauvres. Mais aujourd’hui,
ils sont septante-quatre fois plus riches! La moitié des actifs du village
gagne moins d’un dollar par jour. Et aujourd’hui, dans ce village,
6 personnes possèdent cinquante-neuf pourcent de la richesse totale.
Et devinez quoi: ces six personnes sont toutes originaires des Etats Unis.1
Est-ce ce village dont vous rêvez pour vos enfants?
La dette totale du tiers monde est passée de 2.700 milliards de FB
en 1970 à 114.000 milliards en 1999. Rien que les dix dernières
années, elle a augmenté de 79%2. 120 millions d’habitants
du tiers monde n’ont pas eu d’autre choix que l’émigration
pour tenter de survivre, soit 75 millions de plus qu’en 19653.
Aimeriez-vous travailler toute votre vie, seulement pour rembourser une dette?
Le chômage et le sous-emploi de masse sont restés une composante
essentielle du système capitaliste, même en période de croissance
économique. L’emploi est détruit dans le monde. Près
d’un tiers des actifs du monde, qui sont environ trois milliards, sont
«au chômage ou sous employés, soit qu’ils recherchent
davantage de travail soit que leurs revenus sont inférieurs à
ce qu’il faudrait pour mettre leurs familles à l’abri de
la pauvreté».4
Pouvez-vous accepter que vos enfants ne trouvent pas de travail décent?
Il y a encore toujours deux milliards d’actifs dans ce monde. Mais pour
eux non plus, la situation ne s’est guère améliorée.
D’abord, l’exploitation des travailleurs a augmenté et
les salaires réels ont baissé. C’est le tout aussi officiel
rapport du Bureau International du Travail qui l’affirme en 1999: «En
pourcentage du Produit Intérieur Brut, les salaires ont diminué
presque partout dans le monde.»5
Aux Etats-Unis, les 40% les plus pauvres ont vu leurs revenus diminuer depuis
1977, y compris durant les années 90. Les revenus réels du cinquième
le plus pauvre de la population a carrément chuté de 10%6! Et
pourtant, en 15 ans, le profit moyen par emploi réalisé par les
200 plus grandes multinationales a plus que triplé7.
Connaissez-vous un seul simple travailleur dans le monde dont le salaire a
été multiplié par 3,3 depuis 1985?
Et à l’est, où le capitalisme devait apporter bonheur,
paix et prospérité, on ne peut souvent même plus parler
de salaires… «Le salaire minimum est tombé en deçà
du minimum vital dans la plupart des pays de l’Est et en particulier dans
les pays de la Communauté d’Etats indépendants (CEI) où
les salaires demeurent fréquemment impayés.»8 La pauvreté
s’installe de manière durable…
Ensuite, non seulement ceux qui ont encore un boulot gagnent moins, mais l’intensification
et la productivité de leur travail atteignent un sommet jamais égalé
dans l’histoire. Le stress est devenu la maladie du 21ème siècle.
Un travailleur sur dix souffre de dépression, d’anxiété
ou de surmenage, et risque de ce fait l’hospitalisation et le chômage.
En Grande-Bretagne, près de 3 salariés sur 10 connaissent chaque
année des problèmes de santé mentale. Les troubles mentaux
sont en train de devenir le premier motif de versement des pensions d’invalidité.9
Notez d’ailleurs que les assurances-hospitalisation ne couvrent pas la
psychiatrie. Pas fous, les assureurs…
Trouvez-vous normal, vous, que le travail rende anormal?
Pour consoler l’humanité de tant d’injustices et de misères,
les multinationales de la communication ont ajouté un mot nouveau au
dictionnaire de la souffrance: la «mondialisation».
Ce mot magique a mis en branle les cellules grises d’une multitude de
penseurs bien intentionnés. Enfin, le vingtième siècle
s’était débarrassé de la terrible définition
de Lénine: l’impérialisme, stade suprême du capitalisme.
Car il y a encore toujours aujourd’hui des gens très malins qui
croient qu’en rebaptisant les choses, on en change la nature.
Ici en Belgique, le nouveau débat sur la mondialisation ne touche encore
que de petits cercles. Mais les travailleurs et les jeunes devraient s’y
intéresser davantage. Car ceux qui dirigent ce débat sont toujours
prisonniers de la pensée unique. Il s’agit pour eux de démontrer
que le problème n’est pas la société bourgeoise dans
ses fondements, et en fin de compte, qu’il n’est point de salut
hors du capitalisme.
Les dizaines de milliers de jeunes et de syndicalistes qui affrontent les
forces de l’ordre, de Seattle à Nice, de Prague à Bruxelles,
méritent mieux que cela.
Les 10.000 étudiants québecquois en grève contre l’emprisonnement
de 253 étudiants et syndicalistes en lutte contre l’ordre mondial
à la sauce US, et salués par Fidel Castro, méritent mieux
que cela.
Le soulèvement populaire de masse de janvier 2001 en Equateur contre
les injonctions du FMI et la dollarisation du pays mérite mieux que cela.
Les manifestants infatigables en Grèce contre l’Otan méritent
mieux que cela.
Les grévistes de la faim dans les prisons turques et leurs cinquante
martyrs, leur lutte courageuse contre cet Etat-pion de l’Otan mérite
mieux que cela.
Et les extraordinaires grévistes de Corée du Sud en lutte contre
les effets de la mondialisation et pour la réunification de leur pays,
eux aussi, ils méritent mieux que cela!
Ils méritent que nous démontrions inlassablement qu’il
n’est point de salut sous le capitalisme et que l’humanité
a besoin du socialisme.
Le courant d’idées élaboré par les nouveaux penseurs
de la mondialisation peut se résumer ainsi: «La mondialisation
libérale est un choix politique. On peut en faire un autre, celui d’une
mondialisation régulée».10
Cette thèse centrale comprend quelques contre-vérités
essentielles qu’il revient à nous, communistes du monde entier,
de réfuter une à une.
Première contre-vérité:
pour contrer le pouvoir des multinationales,
il faut en revenir à une concurrence bien réglée
Le professeur Ricardo Petrella avec qui un dirigeant de notre parti, Jo Cottenier,
débat régulièrement, déclare qu’il «n’adopte
pas une position contre la concurrence en soi. Il prend position contre les
excès de l’idéologie de la compétitivité en
insistant sur le fait qu’il existe d’autres voies pour organiser
la vie économique, politique et sociale»11.
La libre concurrence a été le moteur du développement
du capitalisme naissant. Mais depuis plus d’un siècle, la libre
concurrence a donné naissance à la formation de monopoles mondiaux.
A la fin du dix-neuvième siècle, Rockefeller, créateur
de la Standard Oil, n’est même pas un producteur: il se contente
de contrôler l’approvisionnement de l’or noir par voies ferrées.
Déjà à ce moment, celui qui met la main sur les matières
premières et les nouvelles formes de communications, en ce temps-là
les chemins de fer, se donne les moyens d’imposer sa loi à ses
concurrents. Rockefeller ne s’arrête pas en si bon chemin, il crée
des banques, dont l’une deviendra, après maintes fusions, la Chase
Manhattan.
Aujourd’hui, la Chase Manhattan est la cinquième banque mondiale,
disposant de 1.140 milliards de FB. Au cours du même siècle, et
après nombre de concentrations et de fusions, la compagnie pétrolière
de Monsieur Rockefeller est devenue Exxon-Mobil, la première multinationale
pétrolière du monde. Son chiffre d’affaires, près
de 7.400 milliards de FB, équivaut à près de quatre fois
et demi le Produit Intérieur Brut du Maroc.
Il y a aussi l’histoire d’un petit apprenti dans un magasin de
machines à Détroit, qui construit sa première voiture en
1892. Henry Ford, ce ‘pionnier social’ introduit la journée
des huit heures dans ses entreprises et le partage des bénéfices.
Cette orientation sociale ne l’empêche nullement de commencer la
production de masse de véhicules pour l’armée dès
la première guerre mondiale. En 1920, Ford doit partager le marché
américain avec 80 entreprises automobiles. Ford vend aussi beaucoup de
véhicules aux nazis. Au sortir de la seconde guerre mondiale, ils ne
sont déjà plus qu’une dizaine. A la fin du vingtième
siècle, il y a trois gagnants sur le podium: General Motors, Ford et
Chrysler.
Mais, aux USA, il n’y a plus aucune autre entreprise automobile dans
la grande course. Ford dispose aujourd’hui d’un chiffre d’affaires
de 6.441 milliards de FB, Chrysler 6.889 milliards et General Motors 7.202 milliards.
A elles seules, ces trois sociétés totalisent 20.533 milliards
de FB, presque deux fois le Produit Intérieur Brut de notre pays. Il
y a 155 pays dans le monde dont le PIB n’atteint pas le chiffre d’affaires
de la seule General Motors .
La morale de l’histoire, si on peut appeler cela une morale, c’est
que la libre concurrence produit le monopole. La ‘libre’ concurrence
du vingtième siècle a accouché de la dictature de deux
cents multinationales. La libre concurrence et le libre marché se sont
définitivement transformés en leur contraire: une concurrence
et un marché qui n’ont absolument rien de libre, qui sont entièrement
soumis au pouvoir de deux cents géants. Combattre la dictature des multinationales
sans combattre en même temps la libre concurrence et le libre marché
capitalistes qui leur donnent naissance, c’est se condamner soi-même
à la passivité et au désespoir.
Tout retour en arrière est impossible. La concentration prodigieuse
de tous les moyens essentiels de production et des capitaux ne permet qu’une
seule solution réaliste: que les travailleurs s’en emparent et
les gèrent dans l’intérêt de tous.
Deuxième contre-vérité:
les Etats ont perdu tout pouvoir sur l’économie
Il est de bon ton aujourd’hui aussi de se lamenter sur la perte de pouvoir
des Etats face à ces puissances économiques et financières.
Selon Ignacio Ramonet, le rédacteur en chef du Monde diplomatique, «les
Etats n’ont plus le pouvoir de s’opposer aux marchés…
Ainsi la réalité du nouveau pouvoir mondial échappe largement
aux Etats.»12
Depuis un siècle, la création des monopoles, naissant de la
fusion des entreprises industrielles avec les banques, a produit un phénomène
tout aussi définitif: la fusion du personnel politique avec celui des
monopoles. Cette fusion peut se réaliser de différentes manières,
mais toujours très efficaces.
D’abord, il y a les dirigeants d’entreprise qui deviennent membres
de gouvernement ou haut fonctionnaire d’Etat. Ainsi, l’actuel commissaire
européen au marché intérieur, le hollandais Frits Bolkenstein,
a travaillé durant quinze ans pour Shell.
Ensuite, il y a ceux qui font le chemin dans l’autre sens: le personnel
politique qui devient patron. Notre ancien Premier ministre de 1987 à
1999, Jean-Luc Dehaene, social-chrétien, s’est recyclé comme
administrateur de Lernhout et Hauspie, mais aussi d’Union minière.
L’ancien commissaire à la concurrence, Karel Van Miert, socialiste,
est devenu administrateur de Philips, d’Agfa-Gevaert et de Swissair.
Troisièmement, il y a ceux qui font l’aller-retour. Peter Sutherland
d’abord commissaire européen dans les années quatre-vingt,
puis président d’une banque irlandaise, devient le directeur général
du Gatt, puis le premier de l’Organisation Mondiale du Commerce. A son
départ, il entre à BP-Amoco pour en devenir le président.
Quatrièmement, il y a les lobbies patronaux qui ont leurs entrées
dans toutes les administrations fondamentales de l’Etat et des institutions
internationales. Prenez le Transatlantic Business Dialog (une initiative commune
des grands patrons américains et européens), la Table Ronde européenne,
les homologues japonais du Keindaren et du Nikkeiren, ou la Chambre de Commerce
international. Toutes ces associations patronales déterminent dans une
très large mesure les décisions de leurs gouvernements respectifs.
Si l’on en juge par les endroits où tout ce beau monde a l’habitude
de se rencontrer, comme les hôtels cinq étoiles de Davos, la soumission
des hommes politiques aux désirs des patrons semble une opération
particulièrement consentante, si ce n’est carrément amoureuse.
Cinquièmement, il y a le complexe militaro-industriel où fusionnent
gouvernement, monopoles et armée.
Cette fusion totale entre le personnel des entreprises et celui des gouvernements
impérialistes se traduit dans une politique concrète qui correspond
totalement aux intérêts des multinationales. Il ne s’agit
nullement d’impuissance, mais de collaboration active et bien rémunérée.
Prenez les privatisations. Le gouvernement français de la «gauche
plurielle» a privatisé pour 450 milliards de FB. C’est plus
que durant cinq ans de gouvernement dit de droite13.
Mais prenez aussi la réduction des budgets publics, l’introduction
des nombreux types d’emplois précaires, la prolifération
des prisons et leur transfert au privé, la transformation des pensions
publiques en caisses privées, la liquéfaction de la Sécu…
Toutes ces mesures ont été élaborées par les bureaux
d’études patronaux et acceptées sans gémissements
par tous les partis politiques au pouvoir à tour de rôle.
Malgré cette réalité accablante, il est encore des pourfendeurs
de mondialisation qui placent tous leurs espoirs dans les dirigeants de la plus
grande nation impérialiste au monde, celle qui depuis Reagan inspire
toutes les classes politiques européennes, toutes tendances confondues.
En 1986, en pleine époque reaganienne, une économiste britannique,
Susan Strange, aujourd’hui connue pour sa lutte contre la mondialisation,
écrivait: «Les solutions récemment proposées mènent
à la conclusion que les réformes doivent démarrer par un
changement d’esprit à Washington.»14
Cette «strange» Susan ferait bien de lire attentivement la presse
américaine: treize ans plus tard, dans le New York Times Review du 28
mars 1999, Thomas L. Friedman, chroniqueur des affaires étrangères,
écrit: «La main invisible du marché ne s’épanouira
jamais sans un poing invisible. McDonald’s ne peut s’épanouir
sans McDonnell Douglas, concepteur du F-14. Et le poing invisible qui protège
les technologies de Silicon Valley partout dans le monde s’appelle l’armée
des Etats-Unis, ses forces aérienne, terrestre et navale.»
Car le pouvoir des Etats ne réside pas seulement dans la prise de décisions
économiques essentielles. Le noyau de leur puissance réside dans
leurs forces armées. La guerre économique qu’ils se mènent
peut se transformer, si besoin en est, en guerre tout court. D’ici là,
l’arsenal militaire dont ils disposent est une menace claire permanente
pour leurs concurrents.
En conclusion, les Etats des nations impérialistes n’ont nullement
perdu leur pouvoir sur l’économie. Ils ont simplement renforcé
leur fonction essentielle d’organe de domination des riches sur les pauvres.
Et ce dont nous avons besoin, nous, c’est d’un Etat des travailleurs,
assez puissant pour reprendre aux exploiteurs les richesses que nous avons créées!