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La sociologie est un sport de combat : commentaire
by bendyglu Monday April 30, 2001 at 12:54 PM
bendyglu@freegates.be

sortie en france du dernier film de Pierre Carles : un portrait de Pierre Bourdieu

Refusé par les chaines de télévision française, notamment Arte, le film de
Pierre Carles a été cependant présenté au festival du cinéma du réel du
centre Georges Pompidou, déclenchant une mini émeute : programmé dans une
petite salle, le film a en effet attiré deux fois "trop" de spectateurs.
Reprogrammé un dimanche dans la grande salle à 11H30, la séance a commencé
avec 1h00 de retard, l'ouverture des guichets à 11H00 ne laissant pas le
temps matériel de remplir la salle.

Selon un spectateur, sans doute disciple de Derrida, si on en croit la
qualité de ses jeux de mots ("God'art nique Bourre-Dieu", allusion à une
scène du film où Pierre Bourdieu reçoit un pli fort énigmatique de Jean-Luc
Godart), le film est encore plus mauvais que "Pas vu, pas pris". Angle
d'attaque : Pierre Crales s'est contenté de suivre Pierre Bourdieu pendant
trois ans et n'a pas donné la parole à ses contradicteurs. On pourrait
rebondir sur cette critique on constatant que paradoxalement ce film n'est
pas très "bourdieusien", dans la mesure où la trajectoire de Pierre Bourdieu
n'est pas resituée dans le champ, ou les différents champs dans lesquels il
intervient. Ce qui est déjà très différent de la fausse objectivité qui
consisterait à relayer des attaques qui ne pourront avoir échappé à
personne, sans que les médias aient par contre jamais fait le moindre effort
pour "rendre compte" des activités de Pierre Bourdieu qui restent largement
inconnues du grand public. En cela le film de Pierre Carles comble un vide
béant : pourquoi un chercheur français mondialement connu et reconnu, et
d'abord par ses pairs, est-il aussi peu connu dans son propre pays, lors
même que des "intellectuels" médiatiques (qui font le jeu des médias),
inconnus ou discrédités scientifiquement, au moins à l'étranger, bénéficient
de l'omniprésence de leurs opinions faites pour et par les médias ? Poser la
question, c'est déjà y répondre, et le refus par Arte du premier portrait
télévisuel de Pierre Bourdieu, qu'on s'arrachera sans doute à l'étranger,
renforce la conviction que le champ des médias exerce bien une censure
structurale sur la diffusion des idées et impose sa propre hiérarchie
intellectuelle, à l'opposé des hiérarchies établies dans le champ
intellectuel par la reconnaissance de la valeur des travaux soumis à la
critique du monde scientifique ( outre que les réussites scientifiques ne
semblent pas avoir la même valeur que les victoires sportives : recevant la
médaille Huxley à Londres, équivalent du Nobel d'anthropologie, Bourdieu n'a
pas été gratifié d'une seule ligne dans le Monde qui titrait en une avec
photo sur une victoire française au Super G de Val d'Isère...).

On peut bien sûr toujours trouver le principe du portrait complaisant, mais
celui-ci, dans le contexte évoqué, permet au moins de faire connaître le
Bourdieu que tout ceux qui l'approchent dans ses activités professionnelles
connaissent, et de rétablir au passage une image un peu plus juste d'un
homme qu'un hebdomadaire avait affublé du titre "d'intellectuel le plus
puissant de France", photo menaçante et dominatrice à l'appui.

Mais surtout, c'est l'occasion d'entendre Pierre Bourdieu s'exprimer
longuement, devant des publics très différents, Pierre Carles ayant fait le
choix très efficace de ne pas l'interroger directement : on l'entend donc
répondre à des journalistes, s'exprimer dans des conférences comme il en a
l'habitude, à l'issue desquelles il discute souvent avec des inconnus venus
lui confier des souffrances liées à la difficulté de mener leurs recherches
dans le monde académique ou dans le monde tout court, et encore dans des
réunions de travail. Ce qui permet d'entendre les longs développements
nécessaires et totalement incompatibles avec les impératifs de la télévision
tels qu'analysés dans "Sur la télévision".

Le point d'orgue est sans doute la très longue confrontation avec les jeunes
du Val Fourré, dont personne ne sort indemne : on n'a jamais montré comme ça
à la télévision ce que la télévision appelle "la banlieue". Grâce à la
lucidité des programmateurs, il faudra donc, pour le moment, aller au cinéma
pour le voir...

dossier de presse et liste des salles :
http://www.homme-moderne.org/images/films/pcarles/socio/index.html