arch/ive/ief (2000 - 2005)

Quand les journalistes refusent de dire la vérité sur Israël
by Robert FISK Wednesday April 25, 2001 at 05:33 PM

‘La peur d'être stigmatisés comme " antisémites " nous entraîne vers de terribles conséquences au Moyen-Orient'

Que se serait-il passé si nous avions appuyé le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud contre la majorité de la population noire ? Que se serait-il passé si nous avions qualifié élogieusement les blancs dominants Sud-Africains de " guerriers de la ligne dure " plutôt que de racistes ? Que se serait-il passé si nous avions décrit la mort de 56 manifestants noirs à Shapeville comme une " mesure de sécurité énergique " prise par la police Sud-Africaine ? Ou dit que les enfants noirs tués par la police étaient " sacrifiés " par leurs parents ? Que se serait-il passé si nous avions appelé les " terroristes " de l’ANC à " contrôler leurs partisans ? "

Pourtant, c’est pratiquement ainsi que chaque jour nous couvrons la guerre Israélo-Palestinienne. Peu importe combien de jeunes sont tués par les Israéliens, peu importe le nombre de meurtres - de chaque coté - et peu importe la sanglante réputation du Premier Ministre Israélien, nous couvrons ce terrible conflit comme si nous étions du coté de l’Afrique du Sud blanche contre les noirs. Non, Israël n’est pas l’Afrique du Sud ( bien qu’elle ait chaleureusement appuyé le régime d’apartheid ) et non, les Palestiniens ne sont pas les noirs des bidonvilles. Mais il n’y a guère de différence entre Gaza et les taudis noirs de Johannesburg ; et il n’y pas beaucoup de différence entre la tactique de l’armée Israélienne dans les territoires occupés et celle de la police Sud-Africaine.

Le régime de l’apartheid possédait ses brigades de la mort comme Israël aujourd’hui. Encore qu’elles n’utilisaient pas des hélicoptères avec des mitrailleuses et des missiles. Rarement depuis la Seconde Guerre Mondiale un peuple n’a été aussi calomnié que les Palestiniens. Et rarement un peuple n’a aussi été fréquemment excusé et amadoué que les Israéliens. Les ambassades Israéliennes se sont transformées en maisons d’édition mondiales qui répètent qu’il n’est pas gentil de qualifier le Premier Ministre Israélien d’ " impitoyable ". Et les reporters tombent dans le piège. Sharon, nous dit-on, devrait évoluer vers le pragmatisme, un autre de Gaulle ; en vérité il ressemble plus aux généraux putschistes d’Algérie. Qui, eux aussi, torturaient et massacraient leurs adversaires Arabes.

Il a fallu un journaliste Israélien - Nehemia Strasler, du journal Haaretz- pour montrer que la carrière de Sharon signifiait tout autre chose que la paix. Il a voté contre le traité de paix avec l’Egypte en 1979. Il a voté contre le retrait du sud Liban en 1985. Il s’est opposé à la participation d’Israël à la conférence de paix de Madrid en 1991. Il s’est opposé au vote du plénum de la Knesset sur les accords d’Oslo en 1993. Il s’est abstenu lors du vote pour la paix avec la Jordanie en 1994. Il a condamné la manière dont Israël s’est retiré du Liban en 2000. Il fait construire des colonies sur les terres Arabes occupées - en violant complètement les lois internationales - plus rapidement que son prédécesseur.

On veut nous faire croire encore que c’est le corrompu et hanté par la maladie de Parkinson, Yasser Arafat, qui est à blâmer pour la guerre. Celui-ci ne " contrôlerait " pas son peuple. Il est châtré par George Bush alors que son peuple est réduit au rang d’animal par la domination Israélienne. Rafael Eytan, l’ancien chef d’Etat-Major, avait l’habitude de parler des Palestiniens comme des " cafards dans un pot de verre ". Menachem Begin les appelait les " bêtes à deux pattes ". Rabbi Ovdia Yousef, le leader spirituel du parti Shas les qualifie de " serpents ". En août, l’an dernier, Ehud Barak les a qualifiés de " crocodiles ". Le mois dernier, le ministre du tourisme Israélien, Rehavem Zeevi, a qualifié Arafat de " scorpion ". Même le régime Sud-Africain n’a jamais affublé les noirs de noms aussi injurieux. Et l’on peut parier sur le journaliste ou le diplomate qui le fera remarquer.

Plus tôt cette année, le Centre Simon Wiesenthal de Paris a accusé le Président suédois de l’Union Européenne d’ " encourager la violence anti-juive ". Parce qu’il avait condamné " l’élimination par Israël des terroristes ", le centre a écrit une lettre au Premier Ministre suédois pour " rappeler l’argument des alliés pendant la Seconde Guerre Mondiale selon lequel bombarder les voies ferrées menant à Auschwitz aurait encouragé l’anti-Sémitisme parmi les Allemands ". La Suède menait " une attaque unilatérale contre l’Etat des survivants de l’Holocauste ". Le crime de la présidence Suédoise ? Elle avait osé dire que " la pratique des éliminations constitue un obstacle à la paix et peut engendrer de nouvelles violences ". Elle n’avait même pas fait allusion aux brigades de la mort.

En février Newsweek a propagé une manipulation virtuelle à sa une en montrant sous le titre " La terreur devient globale - Exclusif : Le Réseau International de Ben Laden " - une photo effrayante d’un homme ( tête et épaules ), la figure couverte d’un keffieh, brandissant un fusil dans sa main droite. Le lecteur était supposé penser qu’il s’agissait d’un membre du " réseau terroriste global " d’Osama Ben Laden. Mais j’ai retrouvé le photographe finnois qui avait pris la photo. Il l’avait faite lors d’un enterrement dans le Secteur Ouest. L’homme était un membre de la milice Palestinienne Tanzim - et n’avait rien à voir avec Ben Laden. Mais la couverture du journal sous-entendait que le peuple Palestinien tout entier était complice avec l’homme supposé responsable des attentats à la bombe contre les ambassades américaines en Afrique.

Comme l’écrit le courageux écrivain américain Charley Reese dans sa chronique, les Israéliens " ont crée leur propre ennemi irréductible ". Ils ont tellement écrasé, désespéré, humilié les Palestiniens qu’ils n’ont plus rien à perdre. Nous, aussi, avons participé à cela. Notre manque de cran, notre refus de dire la vérité, notre peur d’être stigmatisé comme " anti-Sémites " - le plus odieux des labels pour tout journaliste - signifie que nous avons aidé à et permis de terribles choses au Moyen-Orient. Peut-être devrions-nous lever les yeux de ces coupures de journaux de l’ère de l’apartheid quand les hommes n’étaient pas sans honneur.



Robert FISK 17 avril 2001