Retour chez ceux qui l'ont violée by Le Soir/Martine VandeMeuleBroeck Saturday April 21, 2001 at 07:47 PM |
La Belgique s'apprête à rapatrier plus de 2.000 Albanais entrés illégalement
Retour chez ceux qui l'ont violée
La Belgique s'apprête à rapatrier plus de 2.000 Albanais entrés illégalement
sur le territoire. Le ministre de l'Intérieur, Antoine Duquesne, a signé un
accord en ce sens, mardi, avec son homologue albanais, accord qui implique
aussi la lutte contre le trafic de femmes dans lequel les mafias albanaises
sont particulièrement impliquées (" Le Soir " de mercredi).
Linda Tufa, 27 ans, n'appartenait à aucun réseau de prostitution. Elle
pensait pouvoir refaire sa vie en Belgique mais a surtout connu le centre
fermé de Vottem avant d'être renvoyée en Albanie au cours du week-end
pascal.
La jeune femme, musulmane, avait dû affronter sa famille en allant vivre
avec un chrétien. Un choix qui lui a coûté cher : outre la rupture avec son
père, la relation a tourné à l'échec. Linda a voulu quitter son compagnon
qui l'a " punie " de son audace en l'enfermant dans une pièce où pendant
toute une journée, des hommes l'ont violée. Elle s'est réfugiée chez une
famille albanaise avant de venir, par ses propres moyens, en Belgique où
elle ne connaissait personne. Après plusieurs mois de clandestinité, Linda
tente une demande d'asile. Elle lui sera refusée.
Linda a été prise en charge par le collectif des Femmes en Noir contre les
expulsions et les centres fermés. Les femmes qui en font partie ont été
touchées par la fragilité de Linda et scandalisées par le peu de soutien
qu'elle a reçu. A aucun moment, malgré ses multiples demandes, Linda n'a
reçu la visite d'un psychologue pendant son enfermement à Vottem alors que
le règlement d'ordre intérieur des centres fermés prévoit cette aide.
Des femmes parlementaires sont venues à sa rescousse. Marie-Thérèse Coenen
(Ecolo) et Anne-Marie Lizin (PS) ont écrit à Duquesne et à l'Office des
étrangers pour qu'ils prennent en considération l'aspect humanitaire de ce
dossier. Lizin, qui connaît bien la société albanaise et le poids du
patriarcat qui y règne, a rappelé qu'en Albanie, la vie de Linda serait en
danger. Rejetée par son père, son compagnon usera de la vendetta pour sauver
son honneur.
En novembre, le comité d'Avis pour l'émancipation sociale de la Chambre
jugeait que la procédure d'asile actuelle ne prenait pas assez en
considération les persécutions et mauvais traitements spécifiques qui
affectent les femmes. Malgré les déclarations de Pascal Smet au Sénat
assurant que le Commissariat général aux réfugiés était très attentif à la
dimension " droits de la femme " d'une demande d'asile, le CGRA n'a même pas
convoqué Linda, déboutée en première instance par l'Office des étrangers. Le
collectif des Femmes en Noir est amer : A la veille du procès des tueurs de
Sémira, nous constatons que la violence spécifique que subissent les femmes
dans certains pays n'est pas prise en compte pour l'octroi du statut de
réfugiée.
M. Vdm.
Le Soir du samedi 21 avril 2001
© Rossel et Cie SA, Le Soir en ligne, Bruxelles, 2001