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Le rap ou la révolte?
by elbalkano Saturday March 24, 2001 at 04:25 PM
elbalkano@yahoo.fr

Les maisons de disques via les médias nous ont souvent présenté le rap comme étant une musique engagée. Vous aviez des doutes quant à l'authenticité de sa révolte ? Hé ! bien, détrompez-vous. Le message que véhicule le rap est pire que ce que vous aviez imaginé. Le rap est incontestablement un diffuseur de plus du néolibéralisme, et « le jeune révolté en Nike » son porte-voix le plus zélé.

LE RAP OU LA REVOLTE ?
Essai de Louis Genton aux éditions Place d’armes.

« Les valeurs que le rap met en forme, le désir de réussir, de devenir quelque chose dans ce monde, son langage approximatif qui annule toute communication, tout l’apparente plutôt à une matraque, mieux : un bâton de circulation par lequel est dévoyée, vers des impasses, une révolte plus essentielle, plus authentique, plus profonde, – un instrument conçu pour les jeunes des banlieues et des quartiers pauvres, et qui pervertit toute pratique radicale en lui adjoignant, avant même qu’elle puisse trouver son propre langage et déboucher sur une contestation plus globale, un discours des plus absurdes et des plus intégrateurs. En ce sens, le rappeur est, avec le policier, l’un des meilleurs soutiens des aliénations qui construisent et maintiennent cette société. »

Les maisons de disques via les médias nous ont souvent présenté le rap comme étant une musique engagée. Vous aviez des doutes quant à l’authenticité de sa révolte ? Hé ! bien, détrompez-vous. Le message que véhicule le rap est pire que ce que vous aviez imaginé. Le rap est incontestablement un diffuseur de plus du néolibéralisme, et « le jeune révolté en Nike » son porte-voix le plus zélé.

Survêtement de sport immaculé, casquette à virgule, baskets dernier cri, pit-bull rutilant, voici venu le «jeune révolté en Nike », le dernier support élaboré par et pour l’exploitation marchande. On le reconnaît aisément pour ce qu’il est tant il met de scrupules à fixer son look et son comportement sur les modes d’être élaborés par le néolibéralisme ; matérialisme existentiel, autonomie de l’individu, si nécessaire par l’agressivité, voir par la violence sachant que les « exclus » n’en ont pas le monopole exclusif. C’est un prototype et il cristallise à merveille l’émancipation individuelle moderne dont la propagande-publicité nous fait l’éloge chaque jour en prenant soin dés qu’il le peut, de mettre en pratique cette existence fraîchement achetée, avec les seuls moyens qu’il lui reste quand il a échoué sur le marché de l’emploi; frime et/ou agressivité.

« Cette ramboïsation de l’histoire est la représentation, à peine symbolisée, du rapport concurrentiel et du libéralisme le plus sauvage, que ne limite plus aucune réglementation de l’individualisme. »

Pour s’en sortir, le rappeur et le «jeune révolté en Nike » n’imaginent pas de meilleurs moyens que d’y rentrer et c’est avec discipline qu’ils obéissent aux instructions données par le néolibéralisme le plus brutal. Tout objet est bon pour faire valoir leur essentialité marchande, y compris les femmes, considérées comme simple faire-valoir de la dernière BM ou d’une montre de luxe. A travers ces modes de vie, le néolibéralisme révèle sa spécificité propre qui se trouve être en fait son point le plus faible ; établir sa légitimité sur l’exhibition d’une «réussite sociale » par l’écrasante majorité, dans ce qu’elle a de plus vulgaire –gloire, pouvoir, argent, dissipant ainsi l’idée même d’une révolte radicale chez les premiers sacrifiés de l’économie ; étudiants, ouvriers et fils d’ouvriers, immigrés et fils d’immigrés etc.

Le vol et/ou le pillage ne font plus du «jeune en Nike », le révolté que l’on attendait au détour de cette pratique. Car celui-ci veille définitivement à prouver son attachement au modèle marchand : plutôt que de donner lieu au potlatch (au don et au partage), les biens ainsi acquis réassortiront les étals des marchés parallèles où «la valeur marchande y gagne par son origine frauduleuse. »
La radicalité du vol se manifeste sous 2 conditions : avec la destruction consciente de cette valeur marchande et si la théorie, reconnue comme intelligence de la pratique humaine est vécue par les pilleurs. « La radicalité est dans cette unité de la théorie et de la pratique – pas dans des actions pratiques menées dans l’aveuglement comptable qui ne valent plus que pour elles-mêmes, se décomposant alors, par leur répétition insensée, en une valorisation de leurs différents éléments : violence, affrontement, héros pilleur etc. »

Dans le meilleur des cas, les émeutes des «quartiers » – quand elles ne sont ni manipulées pour couvrir un deal, ni agencées en guise de représailles – ont pour détonateur une cause sociale ; pour répondre par exemple aux contrôles incessants et humiliants des flics. Mais elles n’aboutissent jamais à une perspective collective de libération. Elles sont la «25ème image » narrative d’un monde qui survit de ses éternelles représentations, le reflet d’un constat qui confine au misérabilisme cathodique sans en dégager d’alternative. Mieux, les émeutiers se referment sur eux-mêmes ou sur leur quartier (interdiction de toute pénétration étrangère) coupant net à toute universalité de la révolte, sa seule justification. Les médias s’en emparent et transmettent le message délayé dans une insignifiante symbolique. Ils en font ainsi un spectacle de plus. Entre la dernière des acrobaties sexuelles du roi et la naissance d’un éléphant-nain au zoo d’Anvers, toute communication se voit alors dégradée en représentation dans la confusion généralisée des actualités où rien n’est plus clairement identifiable excepté la soumission de tous.

Le «jeune révolté en Nike » n’est pas l’intermédiaire historique d’une charge inattendue contre le monde de la marchandise. Il est un écœurant concentré de toutes les tares dont est affligée la dernière génération. « Pour la première fois dans son histoire, le capitalisme dispose enfin d’une génération qui lui appartient en propre, qu’il s’est construit lui-même dans la défaite et le recul des assauts révolutionnaires des années 70’. » Elevée devant un ordinateur où les seules sensations vécues sont cybernétiquement configurées et alors qu’elle grandit dans un monde débarrassé de tout savoir destiné à mettre en pratique la critique (et ce ailleurs que dans les salons de thé), les pratiques élémentaires d’autonomie et les possibilités de les ramener dans le présent ont été dissoutes.
Tandis que la dernière génération vacille sur la surface lisse de la civilisation marchande, on persiste à lui ôter toutes les possibilités de s’approprier les révoltes du passé et donc sa propre histoire pour se projeter dans l’avenir. La génération nouvelle à «tout à inventer, en même temps qu’elle ait été fabriquée pour ne rien pouvoir inventer, charmée et fascinée par l’abondance putassière des vitrines. » Pour lui faire avaler la pilule, il s’agit donc de présenter l’Histoire sur le seul modèle qu’elle ait correctement intégrée, celui qui trône à la conception publicitaire : décomposée en une suite d’images chocs sans qu’il soit possible de saisir le fil qui a conduit les faits, sans qu’il soit possible d’en révéler la texture. L’Histoire décriée par l’école, les médias et les écrivains d’humeur : un patchwork éclectique de faits plus ou moins authentiques détaché du cours des événements sociaux qui n’a plus aucun lien vivant avec notre condition actuelle et dans lequel l’on est sommé de se draper si l’on veut éviter de passer pour un révisionniste auprès des manufacturiers de la pensée.

Une critique de cette société ne peut s’empêcher d’épingler ses avatars musicaux sous prétexte qu’ils sont étroitement liés à l’expression de jeunes issus de l’immigration. « Supprimez le racisme, et le capitalisme aura enfin visage humain ! » scandent les antifascistes primaires et les Louis Michel. C’est sans compter sur l’absence d’intérêt que porte le capitalisme au niveau des différences ethniques. Alors que le racisme rejette le sujet différent, le capitalisme lui se nourrit de la destruction du sujet qu’il a uniformisé. « Peu importe le porteur de la marchandise pourvu qu’il ait renoncé à tout ce qui n’est pas la marchandise, à tout ce qui aurait pu faire de lui un homme. »

Si vous vous sentez baisé par ce monde, il faudra commencer par démonter les mécanismes et contradictions qui le soutiennent. C’est dans cette optique qu’il s’agit de dévoiler la pseudo-contestation du rap et de lire par exemple l’essai de Louis Genton « Le rap ou la révolte ? » à partir duquel s’est élaboré ce texte.

« Les révoltes quotidiennes dans les banlieues, si elles sont des signes avant-coureurs, annoncent peut-être plus la victoire d’une nouvelle phase du capitalisme, que celle de la subversion ; elles obligent à repenser matériellement l’aliénation et l’idéologie, dialectiquement, hors de toute idée de nature humaine, et dans un processus qui ignore tout retour en arrière. »

Pour contacter l’auteur de l’essai :
Louis Genton, BP 242, 75866 Paris cedex 18
Placedarmes1@hotmail.com