arch/ive/ief (2000 - 2005)

Patricia Rodriguez ou la jeunesse contre les mensonges de l'Otan
by David Pestieau Friday March 23, 2001 at 04:05 PM

Il y a cinq mois, Antonio, son fiancé, est décédé, atteint d'une leucémie foudroyante à son retour du Kosovo. Au fil de son séjour en Belgique, je vais la découvrir généreuse, pleine de révolte, très attentionnée pour les autres victimes de l'uranium appauvri. Aujourd'hui, elle veut devenir une activiste contre l'Otan. En trois mois, elle a fait éclater le scandale de l'uranium dans toute l'Espagne.

J’ai rencontré Patricia Rodriguez, de Séville, à la conférence européenne contre l’uranium appauvri, le 1er mars à l’ULB. Elle semble fragile et fatiguée. Il y a cinq mois, Antonio, son fiancé, est décédé, atteint d’une leucémie foudroyante à son retour du Kosovo. Au fil de son séjour en Belgique, je vais la découvrir généreuse, pleine de révolte, très attentionnée pour les autres victimes de l’uranium appauvri. Aujourd’hui, elle veut devenir une activiste contre l’Otan. En trois mois, elle a fait éclater le scandale de l’uranium dans toute l’Espagne.


- Antonio lorsqu’il était soldat dans les Balkans. Il voulait y aider la Croix-Rouge. Il y a vite vu quel était le véritable but de cette guerre. (Photo famille Rodriguez)
Comment avez-vous connu Antonio?

Patricia Rodriguez. Je l’ai connu à 16 ans à la Croix-Rouge. Nous étions tous les deux des bénévoles qui assurions le transport médical, la prévention dans les concerts. Nous faisions aussi des gardes de 12 heures le week-end pour intervenir lors d’accidents de la route. Nous menions aussi des campagnes humanitaires.

Pourquoi Antonio a-t-il voulu entrer dans l’armée?

Patricia Rodriguez. En fait, il n’aimait pas l’armée. Il voulait devenir un guardia civil (gendarme espagnol) car il les avait vus à l’œuvre lors des accidents de la route, il les trouvait très professionnels. Or, en Espagne, il est beaucoup plus facile d’entrer dans la guardia civil si l’on fait deux ans d’armée. Il y est donc entré en juin 1999. Il a été affecté à une unité de logistique à Saragosse, au nord de l’Espagne…

Et il s’est retrouvé au Kosovo au printemps 2000…

Patricia Rodriguez. Oui, il y était obligé. Il a été dans le cadre de la Force de maintien de la paix de la KFOR du 9 mars au 13 juin. Sa base se trouvait à Petrovec, en Macédoine. Avec son unité, il a fait plusieurs fois des convois dans l’ouest du Kosovo (Pec, Prizen). Un endroit où, comme je l’apprendrai bien plus tard, se trouve la plus forte concentration de débris de bombes à l’uranium appauvri.

Que pensait-t-il de sa mission?

Patricia Rodriguez. En fait, au début, il était content, il avait l’impression de donner un coup de main, d’aider les ONG comme MSF, la Croix-Rouge… Puis, après un certain temps, il s’est aperçu en discutant avec des soldats de France ou des États-Unis que le but de la guerre et de leur présence était tout autre. Ainsi, tous les soldats se trouvaient au même endroit. Les Espagnols, les Français installaient des camps de fortune, visiblement provisoires. Par contre, la base américaine était construite en dur, avec des restaurants, des chambres… C’était clair, les États-Unis étaient là pour des raisons stratégiques, pour construire une base avancée en direction de l’ancienne Union soviétique. Pour lui, il était évident que c’était là le but de la guerre. A la fin, il en avait marre de la hiérarchie, des ordres de l’armée.

A son retour, il est en bonne forme. Que lui arrive-t-il ensuite?

Patricia Rodriguez. Il avait 45 jours de congé. Tout allait bien et puis, fin septembre, il m’a dit qu’il se sentait fatigué. Il est retourné à Saragosse et lui, un grand sportif, n’arrivait plus à courir le matin. Le 11 octobre, il a eu de très fortes fièvres (jusqu’à 42°) et des maux de dos insupportables. Il avait une pneumonie bilatérale. Cinq jours plus tard, il était aux soins intensifs dans le coma et sous respiration artificielle. Le médecin m’a dit alors qu’il s’agissait d’une sorte de leucémie, qui affecte les défenses immunitaires. Le 31 octobre, il est décédé.

Quand avez-vous pensé que sa maladie avait quelque chose à voir avec l’uranium appauvri et ce qu’on appelle le syndrome des Balkans?

Patricia Rodriguez. Le lendemain du jour où Antonio est entré aux soins intensifs, j’ai été voir l’hématologiste pour lui demander s’il existait un lien entre la maladie et le séjour d’Antonio au Kosovo. Il m’a dit que ce n’était pas possible car une émission radioactive ne peut provoquer une leucémie que si elle est massive et que si l’exposition est très longue. J’ai appris plus tard que l’uranium appauvri est surtout dangereux car des particules dans l’air peuvent être respirées et entrer dans la profondeur des poumons.
J’ai donc au début écarté cette hypothèse, je ne me souviens plus des semaines qui ont suivi la mort d’Antonio, tellement la tristesse m’avait envahie.
Et puis, en décembre, j’ai vu les nouvelles à la TV sur des soldats italiens qui, après une mission dans les Balkans, avait développé le même type de leucémie qu’Antonio. Comme lui, ils étaient jeunes et sportifs. C’était la première fois que j’entendais le mot «uranium appauvri». J’ai téléphoné directement à l’unité d’Antonio pour avoir des nouvelles de ses amis. J’ai appris qu’une partenaire d’Antonio qui avait été au Kosovo avait développé une autre sorte de leucémie (Hodkin’s Linfoma) dès le mois d’août. Aujourd’hui, elle a subi des séances de chimiothérapie et va mieux.

Or, à peu près au même moment, alors que le scandale éclate un peu partout en Europe, le ministre de la Défense Federico Trillo déclare qu’il n’y a aucun cas de militaire espagnol malade à cause de sa présence dans les Balkans…

Patricia Rodriguez. Oui, j’étais furieuse. J’ai téléphoné à tous les médias pour qu’ils viennent écouter mon témoignage. J’ai fait un appel pour que tous les gens qui étaient dans le même cas contactent le bureau de défense des soldats (sorte de syndicat). Ils ont eu des milliers d’appels. Finalement, après une étude sérieuse, ils ont pu déterminer cinquante cas présentant les symptômes du «mal des Balkans» dont cinq déjà étaient morts.
Puis, le ministre a affirmé que mon ami n’avait jamais été au Kosovo! Alors que j’avais des photos, des lettres pour le prouver… Il a aussi affirmé qu’il n’était jamais passé dans une zone à risques. Faux, évidemment! Dans le même temps, il ajoutait qu’il n’y avait aucun lien entre les maladies et l’uranium appauvri. Mon téléphone a, semble-t-il, été mis sur écoute ainsi que celui du Comité de solidarité avec la cause arabe (CSCA), avait lequel j’étais entré en contact.

Vous qui n’avez jamais été ‘militante’, vous m’avez dit que vous vouliez devenir une activiste, pourquoi?

Patricia Rodriguez. J’ai découvert que tout était mensonge dans cette affaire. Des gens qui ne connaissaient pas Antonio (un colonel, un capitaine, des médecins de l’armée) sont venus le voir quand il était aux soins intensifs. Après, je me suis rendu compte qu’ils devaient, eux, déjà savoir ce qui se passait.
J’ai eu tout de suite du soutien de mes amis étudiants, l’un a contacté des médecins renommés, l’autre les médias, un autre encore les partis politiques. Et je suis venue ici pour apprendre comment construire une association des victimes de l’uranium appauvri comme il en existe en France.
Je pense à tous les soldats malades aujourd’hui de l’uranium appauvri mais aussi à la population civile du Kosovo, de l’Irak… C’est triste qu’on n’ait pas réalisé ça avant. Pour moi, le Kosovo m’apparaissait à la TV comme un film d’action. Maintenant, je sais que derrière la guerre pour les «droits de l’homme», il y a des intérêts économiques.

En Espagne, le gouvernement est aux mains du Parti Populaire, dont les origines sont franquistes (de Franco, dictateur fasciste qui a gouverné l’Espagne de 1939 à 1975). On comprend qu’il ne vous ait pas soutenue. Mais avez-vous eu du soutien du PS, dans l’opposition?

Patricia Rodriguez. Le PSOE (PS espagnol), c’est de la merde. Ils sont corrompus jusqu’à la moelle. Ils ne m’ont pas aidé car leur Solana est dirigeant de leur parti. Ce monsieur a été le chef de l’Otan et maintenant de la force armée européenne (PESC). Malgré nos demandes, c’était le silence radio à leur congrès. Seul le Parti Communiste et la Gauche Unie (Izquierda Unida) nous ont aidés.

Ici, en Belgique, le mouvement étudiant communiste affirme: «Pas d’argent pour la guerre, plus pour l’enseignement», qu’en pensez-vous?

Patricia Rodriguez (après un petit temps de réflexion). Oui, c’est très juste. Le système veut des gens stupides et incultes. Il veut plus de répression: un beau monde en vérité qu’ils nous préparent! En Espagne, le niveau de l’enseignement diminue faute de moyens, les jeunes apprennent à 16 ans ce que j’apprenais il y a quelques années à 14 ans. Aujourd’hui, aucun jeune ne sait qui est Marx ou Lénine. Ils veulent supprimer la philosophie à l’école. Ils veulent retirer aux jeunes les moyens de réfléchir. Moi-même, j’ai été dans un collège tenu par l’Opus Dei (branche élitiste de l’Eglise, proche de l’extrême droite) mais heureusement, chez moi il y avait des livres de Marx qui traînaient à la maison.