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Après le Kosovo, la Macédoine
by Michel Collon Friday March 16, 2001 at 03:38 PM
Michel.collon@skynet.be

Sinistre répétition? Après que les séparatistes albanais de l'UCK aient aient tué onze civils serbes du Kosovo en jetant une bombe dans un autobus, voici qu'ils portent la guerre dans la Macédoine voisine. Et, à nouveau, des réfugiés sont précipités sur les routes. Va-t-on vers une nouvelle escalade dans les Balkans?


Après le Kosovo, la Macédoine
Que reste-t-il des explications de l'Otan ?

Sinistre répétition? Après que les séparatistes albanais de l'UCK aient attaqué les villages de la vallée de Presevo en Serbie, après qu'ils aient tué onze civils serbes du Kosovo en jetant une bombe dans un autobus, voici qu'ils portent la guerre dans la Macédoine voisine. Et, à nouveau, des réfugiés sont précipités sur les routes. Va-t-on vers une nouvelle escalade dans les Balkans?
En fait, ces événements permettent de mieux comprendre ce qui s'est passé en 1999. Dans cette situation complexe (parce que tout est fait pour désorienter l'opinion publique), Michel Collon répond avec clarté aux principales interrogations:

MICHEL COLLON
1. La Macédoine est-elle une région stratégique?
Oui, expliquions-nous dans notre livre Monopoly en citant le général Jackson, commandant des troupes de l'Otan: "Nous resterons certainement ici longtemps afin de garantir la sécurité des corridors énergétiques qui traversent la Macédoine." .
"Corridors énergétiques"? Nous avions présenté les cartes géographiques démontrant les projets de l'Europe (un réseau complet de pipe-lines et gazoducs la reliant, via les Balkans, aux énormes ressources pétrolières et gazières du Caucase ex-soviétique) et ceux des Etats-Unis (un pipe-line Bulgarie - Macédoine - Albanie - Adriatique qui assurerait aux multinationales pétrolières US le contrôle de cette même route du pétrole et du gaz). Projets rivaux en fait. Voilà pourquoi toutes les grandes puissances cherchent depuis dix ans à contrôler la Yougoslavie. La route du pétrole et du gaz passe par là. Nous soulignions aussi que, dès 1992, c'est en Macédoine - pourtant très éloignée des zones de conflits - et nulle part ailleurs que Washington avait envoyé un bataillon.
Soyons francs: même à gauche, certains trouvaient exagéré de suspecter Washington de desseins aussi noirs… que le pétrole. Mais tout récemment, le très respectable quotidien britannique Guardian a confirmé: "Un projet appelé ‘Trans-Balkan Pipeline’ n'a guère été signalé dans la presse européenne ou américaine. Cette ligne partira du port de Burgas (Mer Noire) pour joindre l'Adriatique à Vlore, en passant par la Bulgarie, la Macédoine et l'Albanie. Pour l'Occident, ce sera probablement la principale route vers le pétrole et le gaz actuellement extraits d'Asie centrale. 750.000 barils par jour. Un projet nécessaire, selon l'Agence US du Commerce et du Développement, car "il fournira une source consistante de brut aux raffineries américaines, attribuera un rôle-clé aux compagnies US pour développer ce corridor vital est-ouest et fera progresser dans la région les volontés de privatisation du gouvernement US." Clair, non?
En outre, le secrétaire US à l'Energie, Bill Richardson, a déclaré en 1998, donc avant la guerre: "Il s'agit de la sécurité énergétique de l'Amérique." Quand les Etats-Unis parlent de "sécurité énergétique", il faut savoir que cela veut dire: préserver la domination mondiale et les superprofits de leurs multinationales pétrolières. Et Richardson poursuit: "Nous voudrions voir ces pays nouvellement indépendants s'appuyer sur les intérêts commerciaux et politiques de l'Ouest plutôt que de regarder dans une autre direction. Nous avons effectué un important investissement politique dans la région de la Caspienne et il est très important pour nous qu'aussi bien le tracé du pipeline que la politique soient corrects."
Et le Guardian ajoute ceci, essentiel: "Le 9 décembre 98 (avant la guerre - ndlr), le président de l'Albanie a assisté à une réunion à ce sujet à Sofia: “A mon avis personnel, aucune solution demeurant au sein des frontières serbes n'apportera une paix durable.” Le message pouvait difficilement être plus clair: si vous voulez l'accord des Albanais pour le pipeline Trans-Balkan, vous devez enlever le Kosovo aux Serbes."

2. L'offensive de l'UCK est-elle une surprise?
Les Etats-Unis se sont donc acoquinés avec le diable. Car de nombreux rapports diplomatiques US en attestaient: l'UCK séparatiste assassinait non seulement des policiers et des civils serbes, mais aussi des Albanais mariés avec des Serbes ou simplement acceptant de vivre dans l'Etat yougoslave. Et l'envoyé spécial de Washington dans les Balkans, Robert Gelbard, avait lui-même affirmé à trois reprises devant la presse internationale, au début 98: "Je vous dis que ces gens de l'UCK sont des terroristes". Mais trois mois plus tard, ces terroristes étaient miraculeusement transformés en “combattants de la liberté” et l'Otan allait bientôt devenir leur force aérienne.
Aujourd'hui, les Etats-Unis feignent la surprise face à "la violence extrémiste" qui attaque la Macédoine. Belle hypocrisie! Dès juin 98, l'UCK diffusait parmi ses sympathisants européens une carte de la “Grande Albanie”. Dans notre livre Monopoly (p. 69), nous reproduisions cette carte et la commentions: "Outre le Kosovo qui fait partie de la Serbie, cette Grande Albanie enlèverait de larges territoires à la Macédoine, au Monténégro et à la Grèce. Des guerres sont donc inévitables si l'UCK peut réaliser ses plans."
Cette Grande Albanie implique non seulement l'expansionnisme, mais aussi le nettoyage ethnique. Aujourd'hui, sous les yeux et avec l'accord tacite de l'Otan, 350.000 non-Albanais ont déjà été expulsés du Kosovo: Serbes, mais aussi Roms (tziganes), Gorani, Turcs, etc… Le Kosovo est presque “pur”. Une surprise? Pas vraiment, puisque, le 12 juillet 1982 déjà, le New York Times interviewait un responsable yougoslave du Kosovo, d'origine albanaise: "Les nationalistes albanais ont un programme en deux points: d'abord établir une république albanaise ethniquement pure, et ensuite la fusion avec l'Albanie pour former une Grande Albanie." D'ailleurs, lors de l'insurrection anti-yougoslave de 1981, les nationalistes albanais avaient déjà établi une collaboration étroite entre leurs unités de Macédoine, de Serbie et du Monténégro.
Tout ceci n'a pas empêché l'influent sénateur US Joseph Lieberman de déclarer en avril 99: "Les Etats-Unis et l'Armée de Libération du Kosovo défendent les mêmes valeurs humaines, les mêmes principes. Se battre pour l'UCK, c'est se battre pour les droits de l'homme et les valeurs américaines." Bref, USA-UCK, même combat. D'ailleurs, quiconque voyage au Kosovo peut voir un peu partout, par exemple au-dessus des stations d'essence, les drapeaux albanais et US étroitement associés.

3. La version de l'Otan tient-elle encore debout?
Que nous disait l'Otan pour justifier ses bombardements meurtriers? 1. Que sa guerre était humanitaire. Faux: c'était pour le pétrole et pour briser une économie résistant aux multinationales occidentales et au FMI. 2. Qu'elle avait tout tenté pour chercher une solution négociée. Faux également: on sait maintenant qu'il n'y a jamais eu de négociation à Rambouillet, seulement une comédie pour justifier une guerre déjà décidée. 3. Que c'était une guerre propre. Faux encore: 2000 civils yougoslaves tués, d'innombrables usines et infrastructures détruites, plus l'usage d'armes interdites et criminelles: bombes à fragmentation, munitions à uranium…
Le général Ronald Mangum vient d'écrire dans le très officiel journal de l'Army War College que "les bombardements à haute altitude ont causé peu de pertes aux militaires serbes. C'est seulement après que l'Otan ait commencé à attaquer délibérément des cibles civiles que les Serbes ont demandé la paix".
A présent, le reste de la version officielle s'effondre aussi. On nous avait dit: "Les problèmes du Kosovo proviennent de Milosevic." Cela ne va guère mieux avec Kostunica et un gouvernement soumis à l'Ouest! D'ailleurs, le Time avoue: "Selon l'administration Clinton, l'Otan se portait au secours des Albanais sans défense et de leurs braves champions, l'Armée de Libération du Kosovo (UCK). Devinez quoi? Maintenant, l'Otan déclare que les nationalistes albanais armés de l'UCK sont le principal problème de sécurité de la région et songe à faire revenir cette même armée yougoslave pour aider l'Otan! (…) Une fois que la Yougoslavie a élu un président avec qui l'Ouest peut faire des affaires (“do business”), la perspective d'un soutien de l'Otan à l'indépendance du Kosovo a disparu."
Bref, on peut raconter blanc un jour et noir le lendemain pourvu que cela serve le “business”. Qui aura encore le culot, la prochaine fois, de venir nous parler de guerre humanitaire?
On nous disait qu'il fallait intervenir pour arrêter un génocide serbe et établir un Kosovo multiethnique. Mais le général allemand Heinz Loquai a démontré que le prétendu document “Plan Fer-à-cheval” présenté par le ministre allemand Scharping était un faux, que le génocide était un médiamensonge et il vient de qualifier la guerre d' “injustifiée”, accusant l'Otan d'avoir provoqué deux catastrophes humanitaires: un exode massif des Albanais, puis un autre des Serbes. Et le général Michaël Rose, qui commandait les forces ONU en Bosnie, reproche à l'Otan "d'avoir introduit une culture de violence".
Enfin, pour tenter d'excuser l'actuel nettoyage ethnique au Kosovo, les supporters de l'Otan et de l'UCK ont prétendu qu'il s'agissait de "vengeances pour ce que les Serbes avaient fait". Et maintenant, en Macédoine, où il ne s'est rien passé, sous quel prétexte justifier l'agression de l'UCK? Il est temps de reconnaître la seule explication possible: l'UCK vise à établir un Etat ethniquement pur et ne peut réaliser ce programme que par l'escalade de la haine et par le terrorisme.

4. Washington joue-t-elle double jeu?
Les Etats-Unis feignent de s'indigner des violences actuelles de l'UCK. Mais on doit faire remarquer plusieurs choses… 1. Ils n'ont pas levé le petit doigt lorsque l'UCK est sortie du Kosovo pour attaquer la région de Presevo en Serbie centrale. Pire: l'infiltration s'est produite à partir de la zone… US d'occupation du Kosovo. 2. Washington et l'Otan prétendent aujourd'hui "essayer d'arrêter le flux des armes et des combattants vers la Serbie du Sud et vers la Macédoine" .
Mais quiconque se rend au Kosovo peut observer des barrages et contrôles de la KFOR tous les cinq kilomètres. Seulement, cette même KFOR travaille avec des interprètes et autres personnels issus de… l'UCK. Qu'elle a d'ailleurs transformée en très officiel “Corps de Protection du Kosovo”. Bref, qui ne cherche pas les armes de l'UCK, ne les trouvera pas.
D'ailleurs, le major Jim Marshall, porte-parole de la KFOR US, a déclaré le 6 mars: "Nous avons identifié entre 75 et 150 rebelles à Tanusevci (Macédoine), nous les avons vu entrer et sortir du Kosovo, et se débarrasser de leurs équipements et de leurs armes avant de passer la frontière." Petite question stupide: qu'est-ce qui vous empêchait de les arrêter? 45.000 soldats Otan occupent le Kosovo et ne peuvent arrêter 150 terroristes?
Ne peuvent pas ou ne veulent pas? Le 11 mars, dans l'Observer britannique, plusieurs hauts gradés européens de la KFOR et aussi plusieurs responsables macédoniens accusaient expressément la CIA d'avoir encouragé l'UCK à déclencher son offensive de l'été 2001 dans le sud de la Serbie "en vue de saper le président yougoslave de l'époque Slobodan Milosevic". Aujourd'hui, qui pourrait garantir que ces “encouragements” ont cessé?

5. L'UCK déclenchera-t-elle une nouvelle guerre?
Que va-t-il arriver? Les combats actuels autour de Tanusevce pourraient bien n'être que le prélude à des affrontements plus importants. Par exemple, pour prendre le contrôle de Tetovo, à cinq kilomètres de la frontière du Kosovo.
En tout cas, une chose est claire: l'UCK qui a perdu les élections de l'an dernier - parce que la grande majorité des Kosovars albanais ne veulent pas vivre en guerre permanente - cette UCK ne peut regagner du terrain que par la violence. Y compris en Macédoine où elle prétend défendre les droits de la minorité albanaise, mais on oublie souvent de rappeler que, depuis des années, chaque gouvernement de ce pays repose sur une coalition avec des partis albanais. Prendre du pouvoir, et donc augmenter l'espace de ses trafics mafieux, nécessite la guerre.
La tactique de l'UCK est donc limpide: entraîner une escalade en provoquant l'armée macédonienne et l'armée yougoslave. En espérant que celles-ci s'en prendront à des civils albanais comme l'avaient fait certaines forces serbes durant les premiers jours des bombardements de l'Otan. Ce qui permettrait d'atteindre deux objectifs: 1. Internationaliser le conflit (nous y reviendrons). 2. Enrôler de nouvelles recrues dans une jeunesse albanaise fanatisée par le nationalisme. En dépit du développement de nombreux petits trafics plus ou moins légaux, la communauté albanaise de Macédoine compte un taux de chômage de 60%, il y a là un potentiel pour recruter.
Pour obtenir l'escalade, l'UCK reprendra sans doute une méthode qui a déjà servi. Comme l'expliquait un observateur français de l'OSCE présent au Kosovo en 1998: "Au sein de l'OSCE, tout le monde savait que l'Otan, en particulier les Etats-Unis, ne souhaitaient pas que notre mission (de pacification) réussisse. Les massacres ont été encouragés pour justifier une intervention militaire. Un jour, un message nous est parvenu. On nous indiquait que des combattants albanais avaient été entraînés par des instructeurs américains. On leur expliquait qu'il était plus stratégique de tuer des policiers serbes pour provoquer des représailles importantes contre la communauté yougoslave."
Comme en Bosnie et au Kosovo, il peut s'écouler un certain temps avant que cette tactique débouche sur des affrontements plus importants. Une étape importante serait franchie en provoquant l'équivalent d'un massacre “à la Racak”. En janvier 99, dans ce village du Kosovo qu'elle avait fortifié, l'UCK avait provoqué, et perdu, un combat entre deux armées. Mais elle fit croire que les victimes étaient des civils massacrés de sang-froid par l'armée yougoslave. Avec l'aide de la CIA, on fit avaler ce médiamensonge dans les médias internationaux et cela permit de conditionner l'opinion publique occidentale pour lui faire accepter une guerre décidée depuis longtemps par les Etats-Unis. Chaque guerre d'aujourd'hui est précédée d'un grand médiamensonge de ce genre, images choc à l'appui.

6. Que cherchent réellement les Etats-Unis?
Mais refaire le coup de Racak nécessiterait une complicité des Etats-Unis pour entraîner les médias occidentaux. Si cela se produisait, ce serait à coup sûr le signe que la superpuissance US serait entrée dans la préparation d'une nouvelle intervention.
A cette hypothèse, on peut opposer deux objections: D'abord, les Etats-Unis qualifient aujourd'hui l'UCK de "forces extrémistes" et condamnent leur action, du moins en paroles. Réponse: début 98 aussi, ils qualifiaient l'UCK de "terroriste", comme nous l'avons vu, mais cela ne les empêcha pas de la soutenir à fond quelques mois plus tard. S'il y a un principe à retenir dans l'action des Etats-Unis depuis dix ans, c'est… qu'il n'y a pas de principe!
Ensuite, on pourrait demander pourquoi les Etats-Unis interviendraient alors qu'ils semblent contrôler la région et qu'ils y ont installé leurs bases militaires? Evidemment, on ne connaît pas encore tous les aspects de leur tactique actuelle. Il se peut qu'en coulisses, ils poussent l'UCK à relancer la tension pour aider les troupes US à occuper toute la région. Dès les premiers incidents dans la vallée de Presevo, Washington avait généreusement “offert” de stationner des troupes US en Serbie même. Or, il faut rappeler qu'aux prétendues “négociations” de Rambouillet avant la guerre, leur ministre Madeleine Albright avait exigé que l'Otan puisse occuper militairement toute la Yougoslavie.
Il se peut aussi que le nouveau gouvernement Bush n'ait pas encore décidé quelle était la meilleure tactique pour asseoir les intérêts US dans les Balkans, qu'il préfère continuer un certain temps à jouer sur les deux tableaux et que la tactique de l'UCK soit précisément de lui forcer la main ou de le faire agir plus vite.
Dans les deux cas, une chose est sûre: les Etats-Unis ne sont pas là pour favoriser la paix ni protéger aucun des peuples des Balkans. Ils sont là pour régner. Et régner se fait en divisant, c'est bien connu, et pour diviser, rien de tel qu'une guerre, ou en tout cas une guerre dite "de basse intensité". Un Etat "ni guerre, ni paix" avec des affrontements de temps en temps. N'est-ce pas la meilleure manière de justifier l'installation de bases militaires US dans les Balkans?
Certes, le candidat George Bush avait annoncé qu'il souhaitait retirer les troupes US du Kosovo. Mais le président George Bush a rapidement oublié ces promesses électorales. Rappelons qu'en 1995, le candidat Bill Clinton avait promis que les troupes US quitteraient la Bosnie avant la Noël. Immédiatement après, le commandant des troupes de l'ONU en Bosnie, le général Mac Kenzie, répondait à une commission parlementaire: "Si j'étais vous, je commencerais la formation de vos petits-enfants comme gardiens de la paix en Bosnie."
Qu'elle veuille forcer un peu la main à Bush, ou qu'elle agisse en collusion avec lui, en tout cas, l'objectif de l'UCK est clairement d'internationaliser à nouveau le conflit. Comme le firent les Musulmans d'Izetbegovic en Bosnie à partie de 1992 et l'UCK elle-même au Kosovo en 1998.
En attaquant quasi en même temps la Macédoine et le sud de la Serbie, en dénonçant en termes racistes toute "présence slave" sur leurs territoires, les stratèges de l'UCK visent à provoquer une réaction de la Macédoine et de la Yougoslavie, mais aussi de la Grèce, proche des Serbes. Et, par ricochet, une riposte de leurs alliés à eux: l'Albanie et la Turquie. Bref, une internationalisation du conflit, qui amènerait Washington à choisir entre ses alliés et, espère l'UCK, à choisir définitivement le camp albanais.

7. Washington pourra-t-elle continuer à jouer sur deux tableaux?
Pour comprendre la situation des Etats-Unis, il importe de comprendre qu'ils jouent systématiquement sur plusieurs tableaux en même temps. Appuyer et manipuler discrètement deux adversaires - et même les entraîner militairement - ne les gêne nullement. Ainsi, lisons-nous, le 3 mars, dans le Daily Telegraph britannique: "La firme privée de sécurité la plus appréciée du gouvernement US a entraîné les deux camps du dernier conflit ethnique des Balkans. Il y a deux ans seulement, les rebelles kosovars albanais étaient pris en mains par la société “Military Professional Resources”, basée en Virginie.. Laquelle compte parmi ses tâches récentes, l'entraînement de l'armée macédonienne qui tire à présent sur la guérilla albanaise."
Il ne faut pas sous-estimer le rôle dans le dispositif militaire US de ces firmes et milices privées, dirigées par d'anciens généraux très haut placés. En Bosnie déjà, elles avaient entraîné et dirigé les milices musulmanes du président Izetbegovic avant que les Etats-Unis puissent intervenir ouvertement. Et en Croatie, elles avaient aidé le président Tudjman à mener la sanglante épuration de la Krajina serbe d'août 95 . L'histoire se répète.

Ayant joué sur plusieurs tableaux, les Etats-Unis peuvent se retrouver momentanément coincés. D'un côté, ils continuent d'utiliser l'UCK pour obtenir davantage de concessions en Serbie: la privatisation totale et l'élimination du principal parti d'opposition, le SPS (en envoyant son président Milosevic à leur tribunal de La Haye). Mais, de l'autre côté, s'ils laissent l'UCK aller trop loin, ils se mettront à dos des alliés précieux: 1. Le gouvernement macédonien. 2. La Grèce (également menacée par les revendications de l'UCK). 3. Le président yougoslave Kostunica.
Le gouvernement macédonien ne présente guère d'autonomie et on dit que Washington pourrait lui imposer ce qu'elle veut, y compris un Etat confédéré, prélude à une scission. En outre, les dirigeants macédoniens sont très affaiblis par divers scandales révélant leurs compromissions avec les Etats-Unis. L'opposition de gauche se réclame d'une orientation plus indépendante, mais son principal candidat a été écarté par la terreur aux dernières élections. La Macédoine, un allié trop faible et instable aux yeux de Washington?
Par contre, les dirigeants grecs sont des pions importants dans la stratégie Otan de Washington. Mais le peuple grec reste violemment anti-Otan, l'influence du parti communiste est importante et tout récemment un tiers des soldats grecs ont réclamé et obtenu leur retrait du Kosovo pour échapper aux dangers de l'uranium.
Enfin, en jouant trop ouvertement la carte UCK, les Etats-Unis mettraient en grand danger le président Kostunica, élu sur une image de marque ambiguë - anti-Otan mais pro-Ouest - et qui ne peut présenter à son opinion aucun bilan positif sur le Kosovo, au contraire.
Lui permettre de faire revenir des troupes yougoslaves pour surveiller la frontière constitue peut-être une petite concession pour redorer le blason de Kostunica et jouer un peu au balancier entre deux “amis” des Etats-Unis. Mais la raison peut être aussi, tout simplement, d'éviter que des soldats US soient en première ligne et risquent de revenir aux Etats-Unis en “body bags” (sacs plastiques mortuaires), ce qui est toujours gênant vis-à-vis de l'opinion aux USA. Et, plus machiavéliquement encore, cela relancerait les affrontements serbo-albanais.

Et si Washington lâchait l'UCK et renversait ses alliances? Alors, il se pourrait que son “allié ” - mais aussi rival - allemand se mette de nouveau à soutenir clandestinement l'UCK comme elle l'avait fait début 98 . Ce qui explique aussi que l'UCK ait intérêt à pousser plus loin ses provocations. La rivalité entre grandes puissances occidentales est donc un autre facteur qui augmente les risques de guerre. De nombreux politiciens européens avaient déjà accusé les Etats-Unis "d'être coupables d'avoir prolongé inutilement la guerre en Bosnie" afin d'évincer le concurrent allemand qui avait acquis là de trop bonnes positions à leurs yeux.
Renverser ses alliances? On a déjà tout vu, dans ce style, de la part des Etats-Unis, par exemple entre Iran, Irak et Syrie. Mais leur but est de s'assurer dans les Balkans un Etat “porte-avions” comme Israël au Moyen-Orient. Pour ce faire, le choix n° 1 reste un Etat fantoche albanais qui devrait tout à Washington. Seulement, les puissances européennes refusent une modification des frontières dans les Balkans. Celle-ci provoquerait de nouvelles guerres et déstabiliserait les projets de "corridors" décrits plus haut.
Une chose est sûre: l'intervention de l'Otan, pour des intérêts cachés, n'a pas amené et n'amènera pas la paix.

8. Se demandent-ils vraiment s'ils "ont créé un monstre"?
C'est à nouveau dans le très respectable Guardian britannique qu'on a pu lire, ce 12 mars, une étonnante question: "Avons-nous créé un monstre?"
Leur envoyé spécial à Pristina rapporte: "L'Occident est ébahi. Les cauchemars des Balkans étaient supposés terminés avec la chute de Milosevic. Mais voici que les militants nationalistes albanais provoquent des querelles ethniques en vue de leur conquête d'un Grand Kosovo. Les victimes libérées sont devenus les méchants. A Washington et Londres, et dans les bureaux de l'Otan et de l'ONU à Pristina, une question domine: avons-nous créé un monstre?"
L'envoyé du Guardian a mené une enquête assez vaste auprès des personnels de l'ONU et de la KFOR et conclut: "L'échec de la KFOR à désarmer l'UCK, protéger la minorité serbe et construire une société multi-ethnique a créé un climat dans lequel prospèrent les extrémistes. Pendant près d'un an, elle a ignoré les intellectuels qui demandaient avec insistance qu'on s'en prenne aux membres de l'UCK qui se sont emparés de propriétés et ont mis sur pied des réseaux criminels. “A présent, admet un officier en poste au Kosovo, il est trop tard, les modérés ont gagné les élections, mais ceux qui trafiquent et dirigent le racket détiennent le véritable pouvoir”".
Désastreux bilan, et on comprend que l'ex-gouverneur du Kosovo, Bernard Kouchner, se soit depêché de quitter le navire avant que soient démenties ses déclarations télévisuelles autosatisfaites.
Car ce que rapporte le Guardian est exact. J'étais personnellement au Kosovo en décembre dernier pour y réaliser un film documentaire "Les damnés du Kosovo" (sortie en mai prochain). J'y ai découvert un enfer pour les Serbes, mais aussi pour toutes les minorités non albanaises. La plupart ont été chassées du Kosovo: purification ethnique. Ceux qui restent, vivent dans la terreur. Parler sa langue en public fait courir un risque mortel. De même qu'emprunter des routes nationales en zone non serbe. Mais la terreur frappe aussi bon nombre d'Albanais. Des maffieux UCK tuent des Albanais aussi. Pour s'emparer de maisons, d'entreprises ou de femmes. Et plusieurs de mes interlocuteurs albanais prédisaient une guerre civile - entre Albanais - d'ici deux ou trois ans.
Bien vite, le Guardian évoque la théorie de "l'erreur": "l'Occident" aurait "fondamentalement mal compris la menace du nationalisme albanais". De quel “Occident” parle-t-on ici? Si c'est le public, en effet, il a mal compris car on lui a soigneusement caché la réalité. Quand certains analystes à contre courant expliquaient que le programme de l'UCK était le nettoyage ethnique, ils étaient pratiquement bannis des médias, voire diabolisés à leur tour.
Mais si on parle des chefs de cet “Occident” - la Maison Blanche, Tony Blair, Solana et Robertson, la CIA - bien sûr qu'ils étaient au courant depuis longtemps puisque leurs propres rapports traitaient l'UCK de "terroristes".
Au Kosovo, nous avons aussi constaté qu'il faut distinguer entre un certain nombre de coopérants et militaires occidentaux honnêtes, et leurs responsables au plus haut niveau. Les premiers sont allés au Kosovo avec des préjugés dont on leur avait bourré le crâne, mais avec bonne volonté. Et, sur le terrain, ils ont découvert une réalité bien différente et quand on pouvait les interroger en privé, ils le disaient. Les seconds ont été envoyés au Kosovo pour cacher cette réalité, pour cacher les objectifs secrets des Etats-Unis et de leurs alliés, et pour mentir.
Manifestement, c'est dans la première catégorie qu'il faut ranger Eric Torch, un coopérant de l'ONU cité par le Guardian: "Les Albanais font remonter leurs origines aux Illyriens qui contrôlaient le territoire au 11ème siècle avant Jésus-Christ. Les écoles clandestines sous le régime Milosevic ont inculqué la haine ethnique pour des générations."
Oui, vous avez bien lu: "sous Milosevic". Ceci confirme ce qu'avaient dit les analystes à contre-courant: ces écoles albanaises parallèles, par le parti de Rugova et financées par les Etats-Unis, répandaient des conceptions racistes anti-serbes. Il était faux de dire que la responsabilité du conflit reposait entièrement sur la partie serbe. Poussés par les Etats-Unis, les dirigeants kosovars albanais refusaient de négocier sérieusement, ils ne voulaient que l'indépendance et diffusaient la haine pour y arriver.

9. Quel rôle jouera la rivalité USA - UE?
On ne peut comprendre l'attitude des Etats-Unis en cette affaire sans la replacer dans le contexte de leur stratégie mondiale. Un des hommes clés de la nouvelle administration Bush s'appelle Wolfowitz. Dans notre Poker menteur, nous avions commenté son rapport choc de mars 92: "Le statut de superpuissance unique des Etats-Unis doit être perpétué par un comportement constructif et une force militaire suffisante pour dissuader n'importe quelle nation ou groupe de nations de défier la suprématie des Etats-Unis. Nous devons agir en vue d'empêcher l'émergence d'un système de sécurité exclusivement européen qui pourrait déstabiliser l'Otan."
Le budget militaire US a commencé à exploser sous Clinton et cela continuera sous Bush. Trois rivaux potentiels à plus ou moins long terme sont aujourd'hui les cibles potentielles de cette stratégie périlleuse: l'Union Européenne, la Russie, la Chine. Cette dernière a vu son ambassade bombardée à titre d'avertissement. Elle est considérée par la CIA comme risquant de dépasser, à l'horizon 2015 - 2030, la puissance des Etats-Unis.
Quant à la Russie, le nouveau ministre US des Affaires étrangères, Colin Powell, a déclaré que les objections de Moscou n'empêcheraient pas l'extension de l'Otan vers l'Est ni la militarisation de l'espace par le bouclier dit “anti-missiles” (NMD). Sa collègue Condoleezza Rice a déclaré "croire sincèrement que la Russie est une menace pour l'Ouest" . Quant au ministre de l'Armée, Rumsfeld, il a attaqué la Russie pour sa "prolifération active de missiles à des pays comme l'Iran, la Corée ou l'Inde". Ambiance!
Quant à l'Europe, Rumsfeld a mis en garde contre "toute force d'intervention européenne autonome qui perturberait la relation transatlantique", lors de la conférence de Munich sur la Sécurité globale, début février. Réponse du ministre allemand Joskha Fisher: la nouvelle administration Bush entend relancer une nouvelle course aux armements. Son collègue Scharping a exprimé de la sympathie pour les vues russes sur le NMD. L'Allemagne a, comme la France, condamné les bombardements US sur l'Irak. Ambiance aussi!
En outre, l' ambition des USA de dicter leurs volontés au monde entier, est actuellement freinée par plusieurs foyers de résistance qu'ils ne parviennent pas à éliminer… L'Irak résiste toujours, de même que les Palestiniens. L'intervention US en Colombie pourrait se transformer en nouveau Vietnam. La guérilla communiste au Népal inquiète les experts américains. Dont certains pensent qu'il est temps de "trouver une solution" dans les Balkans et de se consacrer à d'autres opérations.
Tout cela sur fond de rivalités commerciales croissantes et de crise menaçante qui ne fera qu'aggraver les tensions USA - Europe. La partie de poker menteur que ces grandes puissances ont engagée dans les Balkans depuis dix ans, chacune cherchant à s'attribuer la grosse part du gâteau, cette partie continuera à faire des ravages au détriment des peuples de la région. Quand les éléphants se battent, c'est l'herbe qui est écrasée.
Et après les cadeaux que les Etats-Unis ont dispensés pour récompenser le terrorisme de l'UCK, on peut s'attendre à ce que cet exemple soit contagieux auprès de certaines fractions des communautés albanaises de Macédoine et de Monténégro ou auprès d'autres mouvements sécessionnistes dans le monde. On recourra aux provocations et au terrorisme pour chercher à se présenter en “victimes”.
La méfiance entre Europe et Etats-Unis à propos du Kosovo a monté d'un cran quand le candidat Bush a menacé de retirer les troupes US des Balkans, laissant les Européens seuls dans ce qu'il faut bien appeler un merdier. Depuis lors, de nombreux officiels européens critiquent - en privé - le soutien des Etats-Unis aux terroristes de l'UCK. Un expert de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI) vient de déclarer: "Le processus de Dayton est mort. Tout le système doit être renégocié. Mais personne ne veut ouvrir la boîte de Pandore en risquant d'empoisonner la situation sur place. Si les Albanais du Kosovo recevaient leur Etat, cela entraînerait un jeu de domino: Monténégro, Serbes de Bosnie, Croates de Bosnie renouvelant leurs revendications d'indépendance. Pendant un certain temps, il a semblé que les Américains étaient préparés à considérer un changement de frontières. Je pense que c'est impossible maintenant et s'ils le faisaient, l'Europe s'y opposerait."
Sur quoi cela va-t-il déboucher? En fait, Bush dispose de quatre options: 1. Retirer ses troupes. Cela aurait fameusement embarrassé les Européens. Ce n'est actuellement plus possible, surtout avec le scandale de l'uranium. 2. Renverser ses alliances et soutenir la Serbie de Kostunica. Mais les troupes US pourraient devenir la cible de l'UCK. Et rien ne dit que la Serbie sera un partenaire fiable à long terme. L'esprit de résistance populaire demeure. 3. Soutenir les deux camps en pratiquant la stratégie de la tension. 4. Maintenir le soutien à l'UCK
pour créer un Israël albanais tout en cachant son jeu le plus longtemps possible.
Aucune des options n'est morale, on a vu que ce critère n'intervenait jamais. Mais pour réaliser leurs objectifs stratégiques à terme, les Etats-Unis peuvent très bien recourir à des tactiques changeantes et contradictoires.
Pour l'instant, une combinaison des options 3 et 4 nous semble la plus vraisemblable. Mais peut-être les Etats-Unis n'ont-ils pas encore décidé et attendent-ils de voir la plus favorable selon les réactions de leurs “amis”?
En tout cas, les tactiques étant changeantes, certains médias dociles risquent de devoir accomplir des prouesses de contorsionnistes pour expliquer au bon peuple que les bons ne sont plus, et que les méchants ont changé de camp. Espérons que ces pirouettes provoqueront une réflexion en profondeur. Si on ne saisit pas les intérêts économiques en présence, et en premier lieu, ceux des multinationales en quête de marchés, de main d'œuvre et de matières premières à bon marché, il est impossible de comprendre toutes ces guerres.

10. Kostunica piégé?
Le président Kostunica a été élu en défendant une orientation ambigue: d'un côté, il dénonce la guerre de l'Otan, l'occupation du Kosovo et l'agressivité des Etats-Unis; de l'autre côté, il promet la réconciliation avec ce même Occident et le redressement économique grâce à son aide.
Jusqu'à présent, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'a pas été récompensé en ce qui concerne le Kosovo. Le 6 mars, il déclarait: "Les représentants de la communauté internationale au Kosovo ont fait faillite, car ils n'ont pas apporté la stabilité et la paix, et la crise s'est étendue à la Macédoine. La Kfor (l'Otan, ndlr) s'occupe de sa propre sécurité, pas de la sécurité de ceux pour qui elle est là."
Kostunica a également accusé la KFOR de "stimuler et non réfréner les tendances à une Grande Albanie. La KFOR abandonne la protection des frontières et invite notre armée à se trouver dans la ligne de tir." Par ailleurs, il a exprimé le souhait que "la politique de la nouvelle administration US soit caractérisée par un haut degré de non interférence dans les problèmes des autres Etats."
Le paradoxe, c'est que, deux jours après avoir si lucidement mis en garde contre l'Otan et l'ingérence des Etats-Unis, le même Kostunica ajoutait "ne pas exclure que la Yougoslavie devienne un partenaire de l'Otan". Une Otan qui est pourtant la manifestation la plus évidente de l'esprit d'ingérence de ces mêmes Etats-Unis!
Dans la même déclaration, le président yougoslave se disait déçu: "Quand je suis arrivé en place, je ne m'attendais pas à ce que la situation du pays soit si difficile; c'est décourageant." Citant la sécurité et les problèmes constitutionnels mais aussi les 40% de chômage et les 800.000 réfugiés. Déclaration surprenante puisque les 800.000 réfugiés (chassés de Croatie, de Bosnie et du Kosovo) vivent en Serbie depuis des années. Quant aux sans emploi, a-t-il mené sa campagne électorale en ignorant que l'embargo occidental et l'état de l'économie avaient de telles conséquences? Et en ne lisant pas le programme des économistes de sa propre coalition électorale qui prévoyait des privatisations et licenciements massifs?
Comment interpréter alors ces déclarations contradictoires? En fait, comme prévu, la situation matérielle de la population serbe s'est encore dégradée avec l'arrivée du gouvernement Djindjic. Si les salaires des professeurs d'université ont été doublés, ceux des salariés n'ont été relevés que de 25% à 50%, et c'est complètement insuffisant pour faire face aux énormes hausses de prix… Le mètre cube de gaz est passé de trois à douze dinars, le kilo de saucisse de 150 à 300 dinars, la facture d'électricité d'une ménage a grimpé de 150 ou 200 dinars par mois à… 500 dinars! La société d'électricité de Belgrade indique d'ailleurs que cent trente mille foyers de cette ville ont envers elle une dette très importante: plus de trente mille dinars! Et l'essence augmente aussi, d'autant que le nouveau gouvernement a pris en mains le contrôle de tout le secteur pétrolier afin d'éliminer le marché noir d'essence (moins cher).
Comme prévu, l'état de grâce n'a pas duré. Si le président Kostunica n'est pas considéré comme personnellement responsable de tout ceci, par contre, le taux de mécontentement envers le nouveau gouvernement de Zoran Djindjic a déjà grimpé à 60%: "Il ne fait rien pour le peuple. Même pendant la guerre, nous avions toujours eu de l'électricité, mais avec la “grande démocratie”, les coupures durent quatre heures le jour, trois heures la nuit.", dit-on partout. Et beaucoup jugent des élections inévitables d'ici douze à dix-huit mois. La coalition hétéroclite de 18 partis ne devrait alors pas tarder à exploser. C'est pourquoi il faut écarter Milosevic et éliminer le risque d'un retour du parti socialiste, même si celui-ci n'a pas encore remonté dans les sondages.
Quelle évolution prévoir à l'intérieur de la Yougoslavie? Les professeurs non universitaires sont en grève prolongée. De nombreuses grèves éclatent aussi dans l'industrie, brisées seulement par des menaces de licenciements collectifs. Cela n'a pas empêché le nouveau syndicat de gauche “Solidarité” d'obtenir à l'usine automobile Zastava une augmentation supplémentaire de 25%. Par contre, le syndicat minoritaire de tendance gouvernementale avait refusé de se joindre à la grève. “Solidarité” annonce la publication d'un journal mensuel et les prochains mois devraient le voir augmenter son influence.
Kostunica a-t-il été piégé par l'Ouest? S'attendait-il à recevoir davantage de soutien dans la question du Kosovo et sur le plan économique? Jusqu'ici, il n'a récolté que des aumônes et les Etats-Unis font dépendre la suite des crédits de l'extradition de Milosevic. Ce que Kostunica ne pourrait faire sous peine de se déjuger et de commettre un suicide politique. Du coup, les Etats-Unis financent une nouvelle campagne d'Otpor pour criminaliser Milosevic. Les Etats-Unis qui, depuis cinquante ans, ont soutenu, financé et armé toutes les dictatures d'extrême droite et militaires dans le monde, ces Etats-Unis qui ont protégé les crimes de Pinochet, Mobutu, Franco, Salazar, des colonels grecs et des généraux fascistes turcs, ces Etats-Unis prétendent juger un seul ex-chef d'Etat, justement celui qui leur a résisté? L'Oscar de l'hypocrisie.

11. Perspectives
Dans un monde marqué par une crise économique en préparation, par une augmentation des guerres et une hausse effrayante des budgets militaires, il est important de tirer pleinement les leçons du Kosovo et de la situation actuelle…
1. Il n'y a pas de guerre “humanitaire”, seulement des guerres économiques et stratégiques. 2. Les Etats-Unis et l'Otan ne cherchent pas à résoudre les problèmes, mais à dominer le monde. Donc, ils créent ou excitent les problèmes quand ça leur est utile. 3. L'intervention militaire contre la Yougoslavie et pour l'UCK a tout aggravé. 4. Ce n'est pas par “erreur” que Washington a soutenu l'UCK, mais en connaissance de cause.
Il est urgent de renforcer ou de recréer un puissant mouvement pour la paix, à la base. La seule voie pour y arriver c'est de travailler patiemment à rétablir le dialogue entre les peuples, qui sont tous victimes de cette stratégie “Diviser pour régner”.
Et pour cela, débattre du bilan de cette guerre et des véritables stratégies des grandes puissances, est la condition de base. La lutte pour la paix commence par une analyse lucide.