Les parrains de la PSNCB by trad art De Coninck (De Morgen) Tuesday March 06, 2001 at 04:46 PM |
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Ce dont les journaux francophones ne parlent pas : la main-mise du PS sur la SNCB
Traduction de l’article de Douglas De Coninck intitulé De peetvaders van de NMPS paru dans De Morgen le 20 janvier 2001
Les parrains de la PSNCB
« Si André Cools était encore en vie, il ne manquerait pas de jeter un regard approbateur sur la manière dont le président du PS Elio Di Rupo lutte dans le dossier SNCB pour conserver pouvoir, milliards et contrats », écrit Douglas De Coninck.
« C’est odieux et vulgaire. Comment ose-t-elle ? Isabelle Durant souhaite apparemment un retour à l’époque des nominations politiques » a fulminé le président du PS Elio Di Rupo ce matin-là sur les antennes de la RTBF. L’incident, qui date déjà d’il y a quelques semaines, annonçait vraisemblablement une mini-crise gouvernementale au sujet de la Société Nationale des Chemins de Fer belges (SNCB). Dans la presse francophone, on pouvait lire que la ministre Ecolo des transports voyait bien à terme son collègue de parti Jacky Morael à la présidence du nouveau conseil d’administration de la SNCB. Non, rétorque Di Rupo, les nominations politiques, c’est terminé. Ou encore, comme le déclarait le vice-premier ministre Vande Lanotte pour le magazine flamand Humo : « Ecolo et le PRL qui plaident en faveur d’une plus grande politisation à la SNCB, n’est-ce pas extraordinaire ? »
Qui dirige la SNCB ?
Au cours des dix prochaines années, la coalition gouvernementale souhaite investir 500 milliards de francs dans le rail. Du nouveau matériel roulant, un équivalent bruxellois du RER parisien qui permettrait de réduire les embouteillages comme dans la capitale française, un doublement du nombre de passagers,… la liste n’en finit pas. Enfin quelques accents écolos un peu visibles. Jusqu’à ce que, la semaine dernière, le premier ministre Guy Verhofstadt confisque le plan de restructuration à madame Durant pour le confier au groupe de travail dirigé par son propre chef de cabinet. Une solution qui aura permis de mettre un terme aux chamailleries qui commençaient à atteindre un point d’ébullition entre Durant et Di Rupo. Il a parfois fallu avoir recours au sous-titrage. Et pas uniquement parce que nous autres, Flamands, ne maîtrisons pas tous la langue de Voltaire. Le conflit opposant les socialistes et les écolos ne concernait pas plus les emplois que la privatisation éventuelle : c’est au sujet du pouvoir, et plus précisément des sièges au conseil d’administration de la SNCB qu’on a échangé des mots.
La connaissance du Belge moyen dans le domaine de la gestion d’une société nationale de transport ferroviaire ne va guère plus loin que le nom de son chef, Etienne Schouppe. Outre l’administrateur délégué (Schouppe), la direction comprend cinq sièges. Chacun de ces cinq directeurs est chargé d’un département, mais pour comprendre comment ce système fonctionne, il faut saisir l’importante notion des couleurs politiques. Les cinq élus sont Marcel Verslype (PS), Vincent Bourlart (PS), Antoine Martens (CVP), Léo Pardon (SP) et Jean-Marie Raviart (PSC). Il s’agit de nominations politiques pur sang, contre lesquelles des luttes acharnées ont vu le jour il y a quelques années, et qui sont, soit dit en passant, toujours pratiquées.
Le contrôle des décisions de Schouppe et compères est effectué, comme dans toute entreprise du reste, par un conseil d’administration comptant douze membres. Ils rendent compte aux actionnaires parmi lesquels, dans le cas de la SNCB, l’Etat belge. Or, là où le bât blesse dans l’organigramme de la SNCB, c’est que les membres de la direction sont également ceux du conseil d’administration, ce qui revient à dire qu’ils s’autocontrôlent.
En Belgique, on ne peut pas dire qu’on manque d’experts en matière de transports, économistes, urbanistes, associations de consommateurs ou autres professionnels susceptibles de contribuer, au nom de la population, à l’administration de la SNCB. La composition du conseil d’administration de la SNCB reflète traditionnellement le rapport politique dominant. Cette logique signifierait donc qu’après chaque scrutin électoral, les membres du conseil devraient tous être remplacés. Ce qui, dans la pratique, n’est pas le cas. Neuf des dix-huit mandatés sont juridiquement liés à leur fonction jusqu’en octobre 2004. Cette procédure, selon l’ex-ministre des transports Guy Coëme, devait permettre de faire de la SNCB une entreprise performante, puisqu’on lui assurerait ainsi une autonomie maximale. Voilà qui se reflète peu dans la manière dont le gouvernement précédent avait composé le conseil d’administration. La loyauté de chaque administrateur à son parti politique est soigneusement soupesée au préalable. Les sièges sont répartis comme suit : six pour le CVP, six pour le PS, trois pour le PSC, deux pour le SP et un pour la VLD : le PRL et les écologistes n’existaient manifestement pas encore.
Excepté deux des mandatés CVP, tous les membres du conseil sont des hommes politiques d’arrière-plan, dont l’agenda est bien rempli (2). Ils se réunissent le vendredi soir à la SNCB. Les dossiers sur lesquels ils sont amenés à voter leur sont parfois remis le jour même. Mais personne ne rouspète : les réunions, qui ont lieu en principe une fois par mois, se déroulent autour d’un repas où les échanges vont bon train. Et c’est bien connu : le cuisinier attitré de la direction de la SNCB de la rue de France est le meilleur de toute la fonction publique.
La participation au conseil d’administration est en outre assortie d’un salaire plutôt intéressant : un administrateur perçoit ainsi quelque cinq cent mille francs par an pour remplir sa fonction. Le président, le coryphée PS Michel Damart, consacre quelques heures d’attention par semaine à la SNCB, qui lui rapportent malgré tout 2,2 millions de nos francs par an. (3)
La maîtresse participe aussi à la gestion
Mi-1999, M. Schouppe a été soupçonné de faux en écriture par le juge d’instruction Jean-Claude Leys dans le cadre d’une transaction d’un montant d’un milliard pour le leasing de trains au géant de la distribution de meubles Ikea. Dans la plupart des entreprises, et surtout dans une entreprise publique, une telle accusation suffit amplement à être exclu - même temporairement - du conseil d’administration. Malgré déboulonner Schouppe n’est possible sur papier qu’à condition de réunir une majorité des deux tiers du conseil d’administration. Or celui-ci s’est rallié tout entier derrière Schouppe. Une grande famille ? Cela en a tout l’air. Il faut dire que tous les membres du conseil ont des intérêts dans l’une ou l’autre filiale mises en place par Schouppe au fil des ans. Sept des dix-huit membres du conseil d’administration occupent également des mandats d’administrateur auprès de la S.A. Interferry-Boats, la piste qui a permis de mettre en évidence la fraude dont il est question dans le dossier Leys …
Si l’on examine d’un peu plus près les structures de gestion des quelque cent cinquante ‘entreprises connexes’ nationales et internationales de la SNCB, on a vite l’impression que le conseil d’administration constitue un petit club d’investisseurs où l’on passe son temps à distribuer mandats et jetons de présence. Les syndicats officiels du rail, la CGSP et le CVCC, qui furent un temps les parasites de la direction de la SNCB, ne s’en portent pas plus mal. Ils y occupent chacun un siège et prennent joyeusement part à cette Roue de la Fortune (leur siège au sein du conseil leur rapporte le double d’un membre ordinaire).
Depuis la conclusion en 1997 d’un accord entre Schouppe et les deux syndicats prévoyant une dépense annuelle de 250 millions de francs à titre de ‘primes syndicales’, ils ne sont plus partis en grève contre lui – ce qu’ils avaient l’habitude de faire tous les quinze jours avant la signature de cette convention – mais ils se contentent de menacer d’entreprendre des actions syndicales dès qu’un membre du gouvernement met en doute la pertinence de leur position.
Le contrôle public des innombrables filiales de la SNCB n’existe pratiquement pas. Ce sont tout bonnement des sociétés anonymes, des alliances entre la SNCB et des partenaires du secteur privé désignés comme bon leur semble. Il s’agit de bureaux d’ingénieurs (TUC Rail), de développeurs de projets (Eurostation, Euro Liège TGV), de sociétés portuaires (Interferry-Boats), de transporteurs, d’agences de publicité (Publifer) et de bien d’autres encore. La plupart des administrateurs ont l’une ou l’autre participation, voire des mandats, dans de telles filiales. Schouppe lui-même en a dix. Et pour la petite anecdote : la maîtresse d’un des gros calibres de la direction de la SNCB participe à la direction de quelques filiales.
Le PS, qui la semaine dernière tirait la sonnette d’alarme quant à une éventuelle division et privatisation de la SNCB, participe très activement à ces opérations et compte des hommes de paille dans chacune de ces filiales. On ne sait pas exactement combien de milliards ont été versés par la SNCB aux filiales ces dernières années. La ministre Durant aimerait beaucoup prendre connaissance dudit montant. La réalité de la SNCB, ‘autonome’ et machiste, veut que la maîtresse du patron en sache davantage que la ministre.
Une dette de 300 milliards
Il n’y a pas si longtemps, M. Schouppe clamait non sans une certaine fierté qu’il était parvenu à ramener la dette de la SNCB à 90 milliards. Aujourd’hui, il annonce qu’entre-temps ce montant est passé à 147 milliards et que selon les prévisions, il lui faudra 300 milliards d’ici 2005. Allant complètement à l’encontre des décisions d’Isabelle Durant, la direction annonce à présent son intention de couper dans le budget d’investissement prévu dans le réseau de transport national. Et puis il y a le TGV, le train à grande vitesse, lequel engloutirait 50 milliards, voire 200 milliards et plus. On est donc loin des 90 milliards dont on parlait au départ. Madame Durant craint dès lors que l’allocation supplémentaire annuelle de 50 milliards octroyée à l’actuelle direction soit comprise dans ce budget consacré au TGV, sans qu’aucun contrôle ne soit effectué quant à sa destination. La ministre des transports a déjà réussi à faire comprendre à l’ensemble du gouvernement que le cumul d’un poste de direction et d’un siège au conseil d’administration est dépassé. Ce constat évident aurait dû lui permettre de mettre en place un contrat de gestion et un conseil d‘administration neufs. Une autre question, de pure logique politique, se posait également. Le PSC, presque réduit en Belgique francophone à un phénomène marginal, possède trois mandats à la SNCB, alors qu’ Ecolo, pourtant vainqueur des élections haut la main, n’en détient aucun. Mais madame Durant ne peut pas grand chose, sinon dénoncer le caractère déloyal de cette situation, puisque le mandat des membres de la direction et du conseil d’administration est toujours en cours. Mis à part la menace d’un revolver, on voit mal ce qui pourrait les en déloger.
Et ces méthodes de se poursuivre. Ce qui est contraire à la loi peut se pratiquer en Belgique, grâce à un ordre de marche donné par le quartier général d’un parti wallon. En novembre 1999, un des administrateurs PS, le bourgmestre de la Louvière Michel Debauque, cédait sans broncher son poste à Jean-Claude Fontinoy, un collaborateur du ministre des finances Didier Reynders. Un PS sortant, un PRL entrant. En guise d’excuse, on avança que le fait que le PRL ne dispose d’aucun siège n’était « pas très correct ».
Jean-Claude Fontinoy n’était pourtant pas le plus mauvais du groupe : c’était pour ainsi dire la seule personne au courant des affaires de la SNCB auprès de qui madame Durant a pu récolter ces dix-huit derniers mois des informations sur le fonctionnement du mastodonte et sur la façon dont elle pourrait tenter d’en tirer quelque chose. Les rapports entre le cabinet de la ministre et la direction de la SNCB pourraient bien servir de pâture au mouvement anti-peste. Toutes les propositions émises par madame Durant ces dix-huit derniers mois se sont heurtées à la direction de la SNCB, qui était d’avis qu’il fallait faire exactement le contraire et pleinement soutenue dans son attitude par le conseil d’administration,
« Niet », a déclaré Elio Di Rupo la semaine passée : « Je suis convaincu que tant au sein du conseil d’administration qu’à la direction, ce sont des personnes compétentes qui siègent. » M. Di Rupo omet peut-être quelques détails : l’actuel numéro deux de la SNCB, le directeur général Marcel Verslype, était en fait son ancien chef de cabinet, lorsqu’il était lui-même ministre des transports. Ceci expliquant cela, M. Verslype s’est retrouvé catapulté à la tête de la SNCB. Aux yeux des socialistes wallons, il fallait alors « étancher » la soif de pouvoir de Schouppe et du CVP.
On trouve à Liège une belle illustration de ce à quoi l’obsession du PS pour le béton, l’acier, les milliards et les contrats a mené : la filiale SNCB Euro Liège TGV (ELT) a obtenu la commande d’une nouvelle gare ferroviaire pour le train à grande vitesse. A l’exemple de sa société mère, celle-ci s’est composé un conseil d’administration purement politique fort de quinze membres. Sept d’entre eux affichent une obédience socialiste on ne peut plus claire. Le poste d’administrateur délégué d’ELT revient au socialiste (PS) Vincent Bourlard, celui de vice-président à l’homme qui, Paul Vanden Boeynants n’étant plus, remporte le titre de politicien le plus controversé du pays, Guy Mathot. En 1997 il avait été accusé par sa camarade de parti Anne-Marie Lizin d’ « agissements mafieux ». Mais on pourra dire que c’était il y a des lustres. Le PS chahute quiconque ose s’en prendre à des postes occupés par un Guy Mathot ou par celui qui fut le chef de cabinet d’André Cools, également administrateur d’ELT.
Au départ, la nouvelle gare liégeoise devait coûter aux alentours de 3 milliards de francs. Depuis trois ans, les travaux sont en cours et l’on parle à présent de 7 milliards, une somme astronomique. Ceux qui souhaitent connaître les raisons de cette modification sont priés de s’adresser aux conseils d’administration d’ELT et de la SNCB. Ce qui explique pourquoi personne ne sait rien.
(1) Les neuf autres mandats se poursuivent jusqu’au 13 octobre 2001.
(2) Il s’agit de Herwig Bamelis de la S.A. Picanol et d’Erwin Jacobs de la Confédération des entreprises de la Construction.
(3) Les membres de la direction n’ont pas plus de raisons de se plaindre. Schouppe gagne ainsi 14 millions de francs par an, ses adjoints Verslype et Martens 7,6 millions chacun et les présidents-directeurs Pardon, Raviart et Bourlart 6,2 millions chacun. Ces chiffres datant de 1997, ils ont entre-temps été indexés à plusieurs reprises.