arch/ive/ief (2000 - 2005)

20.000 personnes dans les rues pour le 1er jour de la Marche Zapatiste
by Fred Sunday February 25, 2001 at 07:11 PM
fredolev@hotmail.com

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Photos: IMC Chiapas, AP, Reuters

San Cristobal de Las Casas, Etat du Chiapas, dans le Sud-Est du Mexique, nous sommes le 1er janvier 1994, il est encore tôt. Une animation anormale perturbe l'habituelle et relative tranquillité du Zócalo de l'ancienne ville coloniale.
Un groupe important d'hommes et de femmes mal armés, mais armés tout de même, sont en train de forcer l'entrée des bâtiments de la municipalité.
Les Mexicains n'ont même pas eu le temps de savourer leur nouveau droit de libre-échanger avec les puissants voisins du Nord
qu'un vulgaire groupe d'indigènes déclarent la guerre à leur Etat, à la 13ème économie du monde.
Même les toursites ne se sentent pas à l'aise. Ce groupe leur fait un peu peur. D'habitude, le Zócalo est un lieu agréable où l'on peut flâner, loger, se restaurer, changer ses travellers' cheque, lire son journal, se faire cirer les chaussures et prendre en photo le visage exotique et sale de petites gamines indiennes
en échange de quelques pesos.
Mais, aujourd'hui, les indiens, ils n'ont pas ce regard suppliant comme quand ils essaient de vendre un bracelet, un tissu ou un sourire... Non, aujourd'hui, ils ont un regard déterminé. C'est peut-être un trait de cette fameuse "dignité rebelle" dont parlent souvent les Zapatistes.
Mais cela les touristes, ils s'en foutent, ce qu'ils aiment, c'est, à 50, rentrer dans une église comme un éléphant dans un magasin de porcelaine et perturber une cérémonie religieuse indigène pour observer avec un air condescendant ces "indios" si primaires.
D'ailleurs, ils ne veulent pas savoir ce qui se passe, aujourd'hui sur le Zócalo...

"Ils vont nous laisser partir", demanda l'un (touriste)

Il avait été notifié aux touristes qu'ils pourraient retourner à leurs logements le 2 janvier.

"Pourquoi veulent-ils s'en aller?", répondit avec ironie l'homme au passe-montagne. "Ils profitent de la ville."

Quelques-uns lui demandaient en criant s'ils pouvaient aller en voiture à Cancún. Tous voulaient parler en même temps. Un guide qui voyageait avec un groupe de touristes dit qu'il devait les emmener aux ruines [mayas] de Palenque. Qu'ils ne pouvaient attendre plus longtemps.

Marcos perdit alors patience, mais pas son sens de l'humour. "Le chemin de Palenque est fermé",dit-il. "Nous prenons Ocosingo."
"Désolé pour les ennuis, mais ceci est une révolution."(1)

Eh oui, une révolution!
Bien sûr, pas au sens marxiste-léniniste du terme, mais tout de même...
Ce ne sont finalement que des "indios" et, depuis ce 1er janvier 1994, les gouvernements mexicains successifs ont montré comment il traitaient les "indios" qui se révoltent. Mensonges, harcèlements, disparitions, massacres, racisme, tromperies, viols n'ont pas eu raison de ces "agités du bocal" qui ont décidé de se soulever pour revendiquer leur droit à la vie.

Et en ce 24 février 2001, ils ont démontré qu'ils étaient encore au rendez-vous. A 20.000, ils ont défilé dans les rues de San Cristobal de las Casas. Ce n'était pas l'armée zapatiste cette fois-ci, mais les bases de l'EZLN, des civils, des "indios" venant de communautés de toute la région indigène du Chiapas. Certains ont même marché plusieurs jours pour venir soutenir les 24 membres de la Commandancia Zapatista dans leur périple devant les mèner à la Ciudad de Mexico le 11 mars pour exiger l'application et la transformation en loi des Accords de San Andrés Larrainzar (2).

Dans la matinée de ce 24 février, les 24 délégués zapatistes sont partis dans une ambiance festive des Communautés de La Garrucha, Oventic, Moisés Gandhi et de La Realidad. C'est d'ailleurs dans cette dernière que le Subcommandante Marcos a remis symboliquement ses armes et ses balles.
Avec des centaines de gens, ils se sont alors mis en route pour participer à la Marcha de la Dignidad Indígena, la Marcha de el Color de la Tierra.
Lors de cette marche parfois silencieuse, parfois moins et que les coletos (les blancs) regardaient de leur terrasse, les Zapatistes se sont mélangés à ce qu'ils appellent la société civile nationale et internationale.
Et des étrangers, il y en avaient. Et les plus visibles étaient les 150 Italiens du groupe Ya Basta (los monos blancos) qui assuraient le service d'ordre de cette première démonstration de force des Zapatistes.
Parmi les Italiens, il y avait notamment deux députés de Rifondazione Communista ainsi que des militants qui avaient été interdits à vie de séjour sur le territoire mexicain.

Vers 22 heures, les délégués zapatistes ont prononcé un discours assez virulent contre le nouveau président qui prétend vouloir la paix et la dignité des indigènes tout en emprisonnant ceux qui se battent pour que cette dignité soit effective.
D'ailleurs, concernant les prisonniers zapatistes, une vingtaine ont été libérés ce 24 février tandis que 50 autres ont commencé une grève de la faim.

Normalement, aujourd'hui, dimanche 25 février, la délégation passera brièvement par Tutxla Gutierrez, capitale de l'Etat du Chiapas et où ont été massivement distribués, sans que l'on en connaisse la provenance, des pamphlets anti-zapatistes traitant les rebelles de "mafieux", qualifiant le président Vicente Fox de "gauchiste" et faisant l'éloge de l'armée fédérale.

A Tutxla Gutierrez, les Zapatistes seront rejoints par la guatémaltèque et prix nobel de la paix (1992) pour son combat pour les droits des peuples indigènes, Rigoberta Menchu. Ils poursuivront ensuite leur route vers l'Etat de Oaxaca.

(1) Extrait du livre de M.V.Montalban, "Marcos, el señor de los espejos", 2000.
(2) Voir, entre autres, "Pourquoi La Marche zapatiste?"

Pour plus d'informations (en espagnol):
Sitio oficial de la salida del E.Z.L.N. a la Ciudad de México
ou Indymedia-Chiapas