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Pourquoi la marche zapatiste?
by Fred Saturday February 24, 2001 at 08:17 PM
fredolev@hotmail.com

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Pourquoi la marche zapatiste?

Le 1er décembre 2000, Vincente Fox Quesada devenait le nouveau président des Etats-Unis mexicains. Cette prise de possession du plus haut poste de la république était un événement historique. Car, depuis la révolution, un seul et unique parti (PRI) avait occupé cette fonction.

Lors de son discours d'investiture, le nouveau mandataire lança un vibrant "Jamais plus un Mexique sans vous". Mr Fox voulait ainsi montrer qu'il allait "s'occuper prioritairement" de la question indigène. Car, en effet, la phrase "Jamais plus un Mexique sans nous" était le slogan adopté par le Congrès National Indigène, en 1996. Le nouveau président était-il en train d'inventer une sorte de nouveau populisme gouvernemental, comme le pense Adelfio Regino Montes (1) ? En tout cas, depuis le début, les indigènes et la brûlante question chiapanèque sont au centre de son discours-marketing.

Dès le premier décembre, le nouveau gouvernement voulut faire preuve de sa bonne foi et annonça qu'il enverrait au Congrès de l'Union le document élaboré par la première Commission de Concorde et de Pacification (COCOPA) afin de convertir en réformes constitutionnelles et légales les Accords de San Andrès Larrainzar (voir ci-dessous). Ce même jour, le président ordonna un très relatif retrait des troupes militaires des "zones" zapatistes.

Face à ces gestes de bonne volonté, l'Ejército Zapatista de Liberación Nacional (EZLN) rompit un long silence de plus de 5 mois et organisa, le lendemain, une conférence de presse à La Realidad. Par la voix du Subcommandante Marcos, l'armée indigène exposa ses conditions pour une éventuelle reprise du dialogue de paix. Ces conditions sont au nombre de trois:

- L'accomplissement et la transformation en loi des Accords de San Andrès Larrainzar;
- Le retrait et la fermeture de 7 positions militaires au Chiapas;
- La libération de tous les Zapatistes prisonniers au Chiapas ou dans d'autres Etats.

A ces conditions, le Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène, organe de direction de l'armée zapatiste, ajouta son intention d'envoyer une délégation de la Comandancia Zapatista à la capitale fédérale en février de cette année.
Nous sommes aujourd'hui le 24 février, jour du début de la fameuse marche zapatiste vers la Ciudad de Mexico. Qu'en est-il exactement de ces conditions pour la reprise des négociations et qu'en est-il de cette marche historique?

Les 3 conditions

(1) La dite "loi COCOPA"

Cette loi fut élaborée en 1996 par les législateurs de la Commission de Concorde et de Pacification (COCOPA). Ces législateurs appartenaient tous aux 4 partis politiques principaux du Mexique, à savoir le PRI, le PAN, le PRD et le PT. Cette proposition de loi, ce n'est donc pas les Zapatistes qui l'ont rédigée, mais des élus mexicains.
Elle reprend la plus grande partie des accords de San Andrès Larrainzar, signés par le gouvernement PRIiste et l'E.Z.L.N. en février 1996.
La dite "loi COCOPA" est soutenue par les représentants des organisations indigènes de toutes les ethnies du Mexique regroupées au sein du Congrès National Indigène. Elle a été, ces quatre dernières années, âprement discutée et analysée, partout à travers le pays, dans de nombreuses communautés indigènes.
En fait, à travers cette loi, les indigènes, et pas seulement les Zapatistes, demandent que soit respecté leur droit à être différent, à avoir leur propre culture, leur propre histoire, leur propre langue, leur propre forme d'organisation sociale,…

Pour ce qui est de l'actualité politique, Mr Vincente Fox Quesada a bien envoyé, le 5 décembre 2000, cette proposition de loi au Sénat de la République, mettant en pratique ce qu'il avait promis durant sa campagne électorale.
Si réforme constitutionnelle il y a, elle bénéficiera aux 56 peuples indiens que comptent le Mexique, c'est-à-dire à environ 15 millions d'indigènes (10 millions selon le gouvernement).
Mais, au Sénat fédéral, il y a trois propositions de loi sur le même thème. Celle que soutient l'Armée Zapatiste de Libération Nationale, celle de l'ancien président Zedillo (2) et celle du Parti de l'Action Nationale, organisation politique de droite d'où provient Mr Fox.

(2) Démilitarisation du Chiapas

Sur les 7 retraits de campements militaires qu'exigent l'EZLN pour reprendre le processus de paix, seul 4 ont été effectivement démantelés.
Il y a 259 campements militaires au Chiapas. Les Zapatistes ne demandent pas la démilitarisation de l'Etat, mais seulement que 7 campements soient levés définitivement. Ce nombre de 7 bases est purement symbolique mais montrerait, s'ils étaient fermés, que le gouvernement fédéral est prêt à abandonner la voie des armes et de la violence.

(3) Prisonniers zapatistes

La question de la centaine de prisonniers n'a pas, non plus, été résolue. 25, seulement, ont été libérés à ce jour. La Jornada de ce samedi 24 février annonce que 25 autres seront libérés aujourd'hui. C'est toujours cela de pris diront les éternels optimistes, mais c'est insuffisant.
En plus, le nouveau président de la république n'a pas fait grand chose pour cela. C'est le nouveau gouverneur chiapanèque - du PAN également - qui a pris l'initiative de rendre légitimement leur liberté à ces prisonniers politiques.
Mr Fox pourrait faire pression sur les gouverneurs des Etats du Tabasco et du Querétaro (3) où sont aussi détenus des militants de la cause zapatiste.

La Marcha al D.F.

La Marche zapatiste commence donc aujourd'hui, 24 février 2001. Elle partira officiellement de San Cristobal de Las Casas au Chiapas et arrivera à la capitale le 11 mars après avoir traversé 12 états.
La délégation zapatiste sera composée de 24 membres de la Comandancia Zapatista, dont le célèbre Subcommandante Marcos.
Cette délégation se rend à la ville de Mexico sur sa propre initiative avec pour objectif de discuter avec le Congrès de l'Union (le parlement), la société civile et les peuples indigènes de la fameuse proposition de loi "COCOPA".
La mobilisation de la société civile est organisée à travers le Centro de Información Zapatista (CIZ). Ce centre reçoit les propositions de la dite socété civile pour l'EZLN qui répondra et informera également à travers le CIZ.
Le voyage sera financé par la société civile, encore elle.
Il aura normalement lieu en bus.
La délégation zapatiste effectuera le même trajet que celui d'Emiliano Zapata au début du siècle durant la révolution mexicaine. Espérons qu'elle ne connaissent pas le même sort que cet illustre personnage historique

En vertu de la "loi pour le dialogue, la réconciliation et la paix digne au Chiapas", les délégués de l'EZLN seront protégés contre une éventuelle arrestation. Ils voyageront désarmés - c'est normal, ils accomplissent cette marche historique pour débattre et soutenir la proposition de loi pour les droits et la culture indigènes.
Ce qui a provoqué beaucoup de faux débats au sein du cirque politique mexicain, c'est le fait que les délégués zapatistes garderont leur passemontagne durant leur voyage. Explication de Marcos: "le passemontagne est un symbole du zapatisme. Le passemontagne signifie que le gouvernement ne regardait pas les indigènes quand ils se montraient, et, maintenant qu'ils ont couvert leur visage, ils les voient."

Durant tout le parcours, les délégués de l'armée indigène seront accompagnés de milliers de sympathisants de l'inévitable société civile. Et c'est bien ce qu'ils recherchent, c'est-à-dire le dialogue avec la société mexicaine. Partout, durant leur marche, ils rencontreront des communautés indigènes, des travailleurs, des paysans, des organisations.
Des activités seront organisées tout le long de leurs parcours.
Des actions de soutien auront lieu partout à travers le pays et à travers la planète. La délégation zapatiste participera aussi aux travaux du Congrès National Indigène, à Nurío, dans l'Etat du Michoacán.

Pour ne pas induire en erreur ceux qui croient que la paix sera signée à la fin de cette marche, Marcos a encore reprécisé, il y a deux jours, les positions de l'EZLN: Cette marche a pour but de soutenir la proposition de loi. Elle n'implique en aucun cas un retour à la table des négociations puisque les trois conditions ne sont pas encore remplies. D'ailleurs, l'EZLN n'a encore eu aucun contact direct avec des membres du gouvernement ou avec Luis H. Alvarez, commissaire gouvernemental de la COCOPA.

Que les vaya bien!

 

(1) Adelfo Regino Montes "Nunca más un mexico sin nosostros?", La Jornada, Diciembre de 2000.

(2) Ce Jeudi 22 février, la firme de transport étasunienne Union Pacific Corp a informé qu'Ernesto Zedillo, ex-président mexicain, était nommé dans son Conseil d'administration. Cette immense entreprise possède aujourd'hui 26% des chemins de fers mexicains grâce aux privatisations opérées par l'administration du président… Zedillo!!! Rappelons aussi que ce criminel notoire - les communautés indiennes du Chiapas en savent quelques chose - a été nommé, le 15 décembre dernier, par Kofi Annan, président d'une commission onusienne recommandant des mécanismes pour financer le développement des pays pauvres…

(3) Notons que la situation est mal partie pour ce qui est du cas du Querétaro. Son gouverneur a assuré qu'il ne libèreraoit pas les 2 Zapatistes croupissant dans les geôles de son Etat. Il a en plus demandé la peine de mort pour les Zapatistes.