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POurquoi nous n'animerons pas de forum le 15 février à Montpellier
by X.Noulhianne JPJoseph RCastellani Thursday February 15, 2001 at 12:11 AM
Joseph@wanadoo.fr

Pourquoi nous n'animerons pas le forum sur les transnationales, le 15 février à Montpellier.

Individus, plus qu'organisations, travaillant ensemble pour informer et contrer le pouvoir des sociétés transnationales, nous nous impliquons depuis cinq ans dans des publications diverses et le soutien à des actions directes. A ce titre, nous avons accepté d'animer un forum sur "le pouvoir économique et politique des transnationales" à Millau le 30 juin.

Nous avons d'abord accepté d'en animer un autre à Montpellier, parce qu'elle nous semble être caractéristique de la ville déstructurée, vidée de ses espaces publics puis remodelée au profit des grandes entreprises (les multiplexes, les technopoles et le projet Odysséum n'étant que les parties les plus visibles de ce processus), parce qu'à Montpellier, plus qu'ailleurs, l'allégeance politique a conduit à la ghettoïsation sociale et économique et à un pillage des ressources au profit de ces sociétés. Ressources financières d'abord (Dell computer qui vend un quart des PC dans le monde et dont le PDG, avec 17 milliards de dollars, est la sixième fortune des Etats Unis, a reçu 22 millions de francs pour son installation), mais surtout savoirs scientifiques, éducation, culture. "Montpellier la surdouée" vend ses charmes aujourd'hui et nous voulions alerter sur cet aspect méconnu de l'impact du pouvoir industriel sur les sociétés.

Si ce pouvoir industriel est si menaçant, les forums (une tribune triée, un public convoqué) sont-ils un lieu de résistance voire même de conscience ?

Depuis que nous les expérimentons, nous sommes de plus en plus frappés par l'incapacité de ces formes supposées de partage d'information à déboucher sur des projets, encore moins sur des actions. Nous nous inquiétons de voir la très grande majorité du public de ces forums, venir et revenir, sans jamais s'impliquer. Comme si assister à un forum était un acte suffisant de résistance. Ainsi, personne ne nous a contacté depuis Millau pour une action ou un projet. Or, il a toujours été clair pour nous que l'information et le débat public sont des moyens de mobilisation et non pas une fin.

Sciemment ou inconsciemment, parce qu'il est profondément hiérarchique, le projet d"éducation populaire", tel qu'il est annoncé par ATTAC notamment, est paralysant pour le mouvement social. Il cadre et étouffe le désir d'appropriation de ceux qui rejoignent ce mouvement en leur imposant une pensée issue d'en haut, légitimée par un "conseil scientifique", par des "fondateurs". Il dépossède, plus qu'il favorise. Qui prend la décision d'annuler un groupe de travail sur les transnationales ? Qui décide de publier chez Lagardère ? Qui décide de vendre des produits Danone ? De garantir que les pubs Vittel ne seront pas arrachées à Millau ? De mobiliser ou de ne pas mobiliser pour Davos ?..

Précisément, quand la pensée et les modes de décision sont ainsi confisqués, la mobilisation est mort-née, le sentiment d'impuissance s'accroît. Au profit de qui ? Le sacrifice des moyens qui tend à légitimer toutes les pratiques au nom d'une supposée efficacité et de l'urgence ne peut que reproduire et renforcer les ressorts de domination que nous voulons dénoncer.

Loin des flashs, au contraire, d'autres groupes, oeuvrent aujourd'hui à la contestation du pouvoir industriel. Ils réfléchissent et agissent avant de se poser la question de leur structure et de leurs communiqués de presse. Leurs modes de vie sont en cohérence avec leurs objectifs. Un seul contact avec ces groupes nous a occasionné de nombreuses demandes qui ont déjà débouché sur des actions vraies et se poursuivent sur de vrais projets.


C'est donc parce que nous souhaitons faire avancer la lutte contre le pouvoir industriel que nous avons décidé de ne pas participer à un forum qui par sa forme, son mode de mobilisation et ses objectifs nous paraît démobilisateur.

Pourquoi nous être décidés si tard ?

Parce que les échos que nous avons reçus de Porto Alegre nous ont permis de mieux réaliser cela. Que moins de place soit accordée au Mouvement des Sans Terre qu'à Jean Pierre Chevènement ou François Huwart nous montre bien que la forme même de ces forums permet la récupération et que l'organisation même d'ATTAC favorise les pires compromissions (c'est, semble-t-il sur la demande de députés et sous la menace de leur démission du groupe ATTAC, que le ministre français du commerce extérieur, qui aurait pu être à Davos, s'est retrouvé à la tribune à Porto Alegre). Il faut vraiment que le message sur la compromission des institutions internationales avec les milieux d'affaire (et notamment l'ONU à travers le Global compact) ait été étouffé pour qu'un communiqué sorte de Porto Alegre appelant la création d'un parlement mondial pour gérer la taxe Tobin avec l'ONU ! Nous ne pouvons cautionner cela, surtout lorsqu'autant de mépris est montré vis à vis de ceux qui se sont fait arrêter à Prague ou ont manifesté à Davos, discréditant durablement ces forums.

Pour nous, si un autre monde est possible, ce ne sera pas avec Chevènement et pas avec les mêmes méthodes de contrôle et de domination.

Millau, Nice et Montpellier ont décidément peu à voir avec Genève, Londres, Seattle, Davos, Melbourne ou Prague dans ce qu'ils portent de promesse et de reconquête. Reste qu'au-delà de ces journées, nous sommes tous loin d'effacer les traces de la domination industrielle qui a modelé l'organisation même de nos sociétés, réduit nos choix et pénétré nos vies, et qui cherche à s'imposer comme référent à nos collectifs. Travailler à reconnaître ces méthodes même de domination et couper leurs racines dans nos propres vies et nos propres pratiques est notre seule issue. Les erreurs que nous ferons dans ce sens là sont constructives de cet "autre monde" et nous ne devons pas avoir peur de nous y attaquer avec détermination.


Xavier NOULHIANNE (xavier.noulhianne@free.fr)
Jean Philippe JOSEPH (Joseph@wanadoo.fr)
Régis CASTELLANI (regis.interactive@wanadoo.fr)