arch/ive/ief (2000 - 2005)

Le Plan Colombie: Stratégie pour livrer une guerre du style Kosovo
by Carlos Fazio (La Jornada) Sunday February 11, 2001 at 01:04 PM
fredolev@hotmail.com

Le Plan Colombie, stratégie pour livrer une guerre aérienne du style Kosovo. Les Etats-Unis créent un réseau de bases militaires pour leur hégémonie militaire... (Republication)

Le Plan Colombie
*Stratégie pour livrer une guerre aérienne du style Kosovo.
*Les Etats-Unis créent un réseau de bases militaires pour leur hégémonie militaire...
par Carlos Fazio, La Jornada, 30 août 2000.

Les Etats-Unis sont en train de faire les dernières retouches pour livrer, en Colombie, une guerre aérienne dans le style du Kosovo. Un réseau de bases militaires est en train de se tisser dans des pays voisins, à une distance prudente du théâtre des opérations. Les principales sont celles de Manta (Equateur), Aruba et Curazao. Comme complément logistique, le Pentagone a fait de la base aérienne de Tres Esquinas, dans le Caquetá, au sud de la Colombie, un centre inexpugnable. Le réseau de bases est une des composantes essentielles du Plan Colombie, stratégie de guerre ouverte cachée sous des projets de développement économique et social. Le plan, conçu comme une phase de plus dans la dite "guerre à la coca" de Washington, sera lancé ce mercredi [30 août 2000] par le président Bill Clinton à Cartagena de Indias.

La présence de Clinton dans "un des pays les plus dangereux du monde" a été considérée conmme une preuve notable de courage de l'occupant de la Maison Blanche, similaire à celle d'un commandant en chef sur le champ de bataille. L'audace calculée du président Clinton, en pleine campagne électorale et avec le candidat démocrate, Albert Gore, en bas dans les sondages, est un message clair pour les étatsunisiens que leur président est "dur" avec le narcotrafic. Parce que, comme l'a dit une fois Tip O'Neil, légendaire leader démocrate au Capitole, "Toute politique est tournée vers l'intérieur" [littéralement].

Les Etats-Unis contribueront pour 1.574 millions de dollars à l'exacerbation de la guerre en Colombie. Décrit comme une partie de la stratégie antinarcotique, le programme est appelé à "prendre le contrôle du sud de la Colombie", zone de culture de coca. Cette région est contrôlée par la guérilla des FARC. Ce que le plan de Bill Clinton ne peut donc occulter, c'est qu'il s'agit d'une guerre de contreinsurrection. Ces derniers jours, différents fonctionnaires civiles et militaires étatsunisiens ont justifié l'intervention: le combat contre la narcoguerilla. Le destin des fonds, aussi, met en évidence le caractère de la guerre. Les ressources seront utilisées pour entraîner et équiper 3 bataillons d'élites de l'armée colombienne, en les dotant de 30 hélicoptères Black Hawk et de 30 Huey, et pour pourvoir de l'assistance dans des activités de renseignement. En réalité, le Pentagone est en train d'adopter une vision stratégique du style "salvadorien" dans les années 80. Selon cette conception, une intervention directe des Etats-Unis serait évitée et une assistance échellonée, sous forme d'équipements, d'entraînements et de technologies de renseignement, favorisée. Mais l'arrivée, ce mois-ci, de 88 assesseurs militaires étasunisiens à la base de l'armée colombienne de Larandia, dans le Caquetá, est le signal d'une ingérence chaque fois plus croissante des forces spéciales du Pentagone dans ce pays.


Sécurité hémisphérique

Le Plan Colombie fait partie d'un projet militaire global du département de la défense des Etats-Unis. Le projet s'inscrit dans une série de redéfinitions stratégiques en matière de sécurité que développe Washington au plan hémisphérique après la chute du mur de Berlin. Avec l'excuse de la "guerre à la coca", Washington est en train de redéfinir le rôle des armées latinoaméricaines dans un schéma de subordination sous l'aile du Pentagone.

La nouvelle stratégie fut afinée en novembre dernier durant la XXIIIème Conférence des Armées Américaines (CEA), célébrée à la Paz, en Bolivie, à laquelle assistèrent des représentants des forces armées des 17 pays membres et 6 observateurs qui sont sous l'influence du Pentagone. Y furent accordées les tactiques et stratégies qui substituent la "menace externe" et la "subversion communiste", propres à la guerre froide, par les consignes renouvelées de combattre le terrorisme, le narcotraffic, la migration illégale et la défense de l'environnement.

La Colombie est le scénario pilote d'application de la stratégie qui comporte une seconde phase avec la participation des forces armées de toute la région andine. Avec cet objectif, la propagande de Washington est venue exagérer une éventuelle expansion du conflit colombien au-delà des frontières, comme partie d'un projet qui cherche à préparer les pays voisins à une intervention politique et militaire postérieure en Colombie. Cette vision "multilatérale" ou "multinationale" s'appuie sur le discours antidrogues pour être accepté et cherche à éviter que l'intervention des Etats-Unis en Colombie reste isolée sur le plan politique.

Les actions de contrôle militaire incluses dans la Plan Colombie font partie d'une structure régionale de sécurité contrôlée par le Commandement Sud de l'armée des Etats-Unis, avec la participation d'autres agences étatsunisienes et renforcées par les dénominées Forward Operating Locations (FOL) pour le contrôle aérien.

Les sites qui comportent des FOL établissent un contrôle de l'espace aérien de toute la région andine, avec la base de Manta (Equateur) et, dans les Caraïbes, les bases situées sur les îles hollandaises de Aruba et Curazao. Parallèlement à cela, il y a un processus de négociation en cours d'une autre base située dans le Liberia au Costa Rica. Le placement des FOL se verrait accru par les bases militaires nord-américaines installées à Roosevelt Roads (Puerto Rico), Bahía de Guantánema (Cuba) et à Soto Cano (Honduras).
Le plan inclue l'intallation d'un troisième radar au Venezuela, dans la localité de San Fernando de Atabapo, 700 km au sud de Caracas, à la frontière avec la Colombie. Le radar s'ajouterait à ceux déjà en fonction dans la péninsule de Paraguaná, au nord, et sur l'île de Margarita. Autre point-clé de la stratégie, c'est la base militaire que les Etats-Unis montèrent à Iquitos, dans l'Amazonie péruvienne, près du Río Nahay, où fut déplacé de l'équipement que le Pentagone avait installé dans la Base Howard, au Panama.
Le projet qui, dans sa première phase, inclue un siège militaire de la Colombie, fut accéléré après l'échec des négociations du Pentagone avec Panama, [le Pentagone] qui cherchait à reconvertir [et à déguiser] les anciennes bases militaires situées dans la zone du Canal [de Panama] en un Centre Multinational Anti-Drogues.

A la fin de l'année passée, suite à l'accomplissement des Accords Carter-Torrigos de 1977, le siège du Commandement Sud de l'armée des Etats-Unis fut transféré à Miami, en Floride. La fermeture de la Base Howard, le 1er mai 1999, avait diminué fortement les opérations de récolte d'informations du Pentagone.

Depuis lors, opéraient les avions de reconnaissance Awacs et d'autres aéronefs d'espionnage comme les Havilland RC-7, qui quotidiennement survolent la région et fournissent des informations d'intelligence aux militaires étatsunisiens. Les bases de Manta, Aruba, Curazao et Liberia viendraient se substituer à la Base Howard.
Un rapport confidentiel sur la cession aux Etats-Unis pour 10 ans de la base de Manta indique que l'Equateur fut sélectionné pour sa "localisation stratégique et pour la sécurité qu'il offre". Actuellement, les principales fonctions de la base située dans la port de Manta, sur le Pacifique équatorien, seraient le soutien logistique, de renseignement et de vigilance du territoire.

Mais dans le cas où le Pentagone déclencherait une guerre dans le style du Kosovo contre la Colombie, la base, qui déjà compte quelques 200 marines, aurait une importance militaire et stratégique et jouerait un rôle directe dans le conflit. Selon des sources extraofficielles, Washington a programmé d'investir quelques 80 millions de dollars dans l'arrangement de la piste de la base de Manta.

Les FOL, installées dans les aéroports internationaux de Hato (Curazao) et Reina Beatrix (Aruba), accompliront la même fonction, selon la convention souscrite en avril de l'année passée entre la Reine de Hollande et Washington. Il y aura dans les deux bases une présence constante de 300 militaires étatsunisiens de manière rotative, ainsi que 5 avions F-16 ou F-15, 3 aéronefs de reconnaissance et un maximum de 8 avions additionnels, avec, entre autres, un Awacs et son chargement de combustible et des avions de patrouillage maritime.

Selon des rapports de l'intelligence, le Pentagone a écarté [la possibilité d'] une intervention terrestre dans les provinces de Caquetá, Putumayo et dans l'Amazonie colombienne, parce que cela coûterait trop de vies humaines aux forces alliées conquérantes. C'est pour cela que des analystes militaires considèrent qu'on prépare le terrain pour une guerre "aérienne".

Selon les sources, l'issue prévue par les stratèges de Washington, pour laquelle travaille le gouvernement colombien, serait une guerre "aérienne" depuis les bases nord-américaines situées dans les pays voisins et depuis la mer, où les avions et les missiles auraient une rôle important, comme au Kosovo. Comme partie de la stratégie, il se serait déjà organisé un exode massif de population des zones visées vers l'Equateur avec, comme but, d'isoler les FARC et permettre que ses troupes soient détectées et annéanties avec une technologie de guerre similaire à celle utilisée en Yougoslavie.

Selon le général Charles Wilheim, chef du Commandement Sud, cette technologie fut appliquée en juillet 1999 durant l'offensive des FARC sur Bogotá [la capitale colombienne]. Le militaire nord-américain, opérant comme virtuel commandant en chef de l'armée colombienne, a dit que, durant l'offensive de la guerilla, les forces des Etats-unis et de la Colombie avaient été en "communication constante". Une manière indirecte [de dire et] d'accepter que l'avance des FARC fut arrêtée par la force aérienne colombienne, et dirigée par des officiers de l'intelligence nord-américaine.

La chute du moderne avion d'espionnage Havilland RC-7, à Putumayo, le 23 juillet 1999, quand était interceptée les communications des FARC, révéla l'engagement directe du Pentagone dans le conflit interne colombien. L'accident coûta la vie à 5 militaires des Etats-Unis et à 2 Colombiens. Les Nord-Américains étaient membres de la brigade d'intelligence militaire 204, dont la base est Fort Bliss, à El Paso, au Texas. Le fait [divers] permet d'approfondir le caractère de l'intervention et les activités d'"espionnage massif".

Moyennant des équipements électroniques et infrarouges de technologie de pointe, les Havilland RC-7, qui furent également utilisés au Kosovo, détectent les images des guerilleros dans la forêt et facilitent ainsi leur annéantissement. L'avion espion a besoin du soutien d'un aéronef EP-3 de reconnaissance qui permet de localiser l'arène d'émission des signals radios des FARC. Quand disparut le RC-7 à Putumayo, un EP-3 se trouvait à la base aérienne équatorienne de Coca, près du lieu de l'accident.

Dans tous les cas, les bases militaires des Etats-Unis ont été négociées avec les pays hôtes dans le cadre de la dite "guerre contre les drogues". Mais le vrai rôle de contreinsurrection qu'elles jouent s'est dévoilé peu à peu. Le piège de la contreinsurrection se complète en territoire colombien avec la base de Tres esquinas, dans le Caquetá, et réaménagée par les Etats-Unis comme une forteresse inexugnable.

La majeure parte des 1.300 millions de dollars d'aide étatsuniènes sera destinée à cette base. La guarnison de 1.500 hectares, sur le côté gauche du Río Orteguaza, dans lequel conflue le Río Caquetá, est garantie par l'épaisse forêt, des rivières et des marais, et supporte 7 mois de pluies ininterrompues par an. L'intérieur [de la base] sera le siège de la plus grande force d'élite du pays: 8.000 hommes de la force de "tarea conjunta" et du récemment créé "Bataillon antinarcotique", soutenu par d'autres forces et la police nationale.

La base comprend une piste d'atterrissage de 2060 mètres de longueur, autour de laquelle s'est construit des hangars, des sièges administratifs, des logements, des casinos et des centres d'entraînements pour officiers et soldats. Elle possède, en plus, des équipements de renseignements et de technologie de pointe en communication pour recevoir des images satellites et intercepter des signals radios dans les départements de Caquetá, Putumayo et Amazonas. Les équipements sont maniés de manière conjointe par des militaires colombiens et des assesseurs étatsuniens. Elle contrôle aussi les stations de radars de Tres esquinas, Marandúa, Araracuara et Mecana. Selon un reportage du quotidien El Tiempo, dans la base, il y a en moyenne 15 aéronefs, des hélicoptères Bell 212 et Hughes 500 aux avions Caraván et Gavilán, qui réalisent des vols de sécurité jours et nuits.

Selon le "Tsar" de l'antidrogue de la Maison Blanche, le général Barry Mc Caffrey, "le long débat sur la distinction entre les FARC, l'ELN, les paramilitaires et le problème des drogues est stupide". Cependant, le cocktail a tous les ingrédients pour transformer la Colombie en un nouveau Vietnam.

Par conséquent, le feu vert de Clinton, qui lancera la machine de guerre dans une nouvelle phase, peut mener non seulement à une régionalisation du conflit, mais aussi à un embourbement bélliqueux dans la zone andine avec des conséquences insuspectées. Sans écarter que l'isolement inexpugnable de Tres esquinas pourrait être le Dien Bien Phu colombien.
L'isolement de cette base francaise, au fin fond de la forêt indochinoise, fut sa perdition. Les Nord-Vietnamiens la prirent en 1953, et ce fut le commencement de la fin pour les envahisseurs étrangers.

(traduction: Fred, San Cristobal De Las Casas, le 11 septembre 2000)