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Avancées-le dernier n°: Reportage sur le Népal
by (posted by fred) Monday February 05, 2001 at 01:49 PM
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La revue mensuelle "Avancées" a cessé de paraître. Son numéro de janvier, bien que prêt, n'est pas sorti dans les librairies. C'est pourquoi Indymedia, à la demande d'"Avancées", a décidé de publier l'entièreté de ce numéro ultime sur internet. Voici un reportage: "Népal: Au féminin présent"

Reportage

Népal : Au féminin présent

Dhulikhel : dans les rues étroites de cette bourgade aux maisons de brique qu’ornent des chambranles sculptés, des fillettes jouent à la marelle parmi les chèvres et leurs chevreaux tandis que près du temple, les garçons s’affrontent aux billes sur les larges dalles grasses. Plus tard, à la nuit tombée, par un jeu d’ombre et de pinceau de lumière apparaissent les masques venus d’un très lointain passé : procession d’une fête animiste à laquelle une foule compacte se mêle avec un plaisir évident.

Des silhouettes auréolées par la flamme de lampe à huile se dessinent aux encadrements des fenêtres; dans les boutiques exiguës, d’obscurs marchands s’affairent, l’œil oblique sur la procession qui progresse au son des cloches et du tambour et que des flambeaux portés par quelques bras vigoureux disputent aux ténèbres. Sur un talus de pierres plates formant l’angle d’une ruelle, le sang d’un coq souille la paille pour un drame sacrificiel. Les rires, les voix, la musique, les fumées, les odeurs, les corps, tout participe à la profondeur sourde de cette nuit singulière.

Si sensible que l’on puisse être à un tel charme, une approche curieuse et circonspecte de ce pays permet d’en souligner toutes les nuances et la complexité. Comme soulever toutes les interrogations réclame un temps et un espace considérables, le regard se focalise ici sur la réalité féminine des Népalaises.

Tant fréquenté par les touristes qui confrontent les autochtones à une diversité de cultures, on imagine volontiers le Népal tendre aujourd’hui vers un avenir d’où toute forme de discrimination contre les femmes sera éliminée. Or, nous le savons pour en être les témoins dans nos propres contrées, il ne suffit pas qu’un gouvernement se mobilise en référence à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme pour que la population s’engage vivement sur le sentier de l’égalité des sexes...

Dans ce pays où vivent 21 millions d’habitants, nombreuses sont les femmes considérées comme des personnes de second rang, surtout en milieu rural. Depuis leur enfance, elles sont asservies, confinées aux travaux domestiques et déconsidérées, contrairement à leurs frères. Elles ne peuvent refuser le mariage à un homme ni refuser de vivre sous le toit de leur belle-famille. Elles n’ont pas le droit d’acquérir un bien mobilier sans être mariées ou sans avoir atteint l’âge de 35 ans. Entièrement soumises aux caprices de leur mari, père, frères et fils, elles sont corvéables à merci, comme le sont également tous les enfants des familles pauvres.

Que les hommes s’accommodent de ce déséquilibre ne surprend guère. Mais que trop de femmes acceptent et entretiennent encore cette mentalité injustifiable suscite l’étonnement. Puisé à la source de l’analphabétisme, ce comportement social distille une situation coutumière : la mère refuse à sa fille toute échappatoire parce qu’il est impensable de remettre en question ce qui a été inculqué. Les filles doivent travailler – aux champs et à la maison – peu importe qu’elles aillent à l’école puisqu’elles sont destinées au mariage et (sous-entendu) de préférence à un bon parti. Mais dans les faits, qui, de rang plus élevé, désirerait épouser une jeune fille analphabète, sinon un jeune homme de même niveau ?

Dans un contexte économique difficile s’inscrivent les carences qui en découlent : sous-alimentation récurrente, avitaminose (A), pauvreté, infrastructures insuffisantes, sous-qualification. A moins de faire preuve d’hypocrisie, on ne peut dès lors s’étonner que des enfants soient les victimes de travaux forcés pour rembourser les dettes parentales, que les jeunes filles fassent l’objet d’un intense trafic destiné aux bordels indiens, que l’alcoolisme réponde à une marginalisation sociale et que les femmes soient battues par l’un et l’autre membre masculin de la famille.

Face à ces problèmes, des énergies se mobilisent pour donner corps à des organisations locales d’aides scolaires, médicales, sanitaires ou à des associations coopératives (ces groupements sont partiellement soutenus par le gouvernement, l’Unicef et des organismes internationaux de coopération). La forme revêtue par ces groupes peut être simple ou élaborée : à Ratne Chour, village du district de Myagdi, par héritage une femme est devenue propriétaire de plusieurs champs – s’étalant sur un large plateau – où ses trois fils, accompagnés de leur père, de leurs femmes respectives et de leurs enfants, cultivent des céréales. L’un des fils, Ram Bahadur Mahat, est actuellement sous les drapeaux mais prête main forte lors des permissions. Un autre est professeur de népalais et le troisième, Tapta Bahadur, est agriculteur comme son père. Dans le corps de ferme, chaque famille dispose d’une habitation entretenue en commun. Les charges et les bénéfices dégagés de cette exploitation sont réparties entre les uns et les autres.

A Nirmal Pokhari, une coopérative créée il y a environ deux ans, aujourd’hui dirigée par Mme Lilana et présidée par M. Krisna, collecte l’épargne des villageois afin d’obtenir des emprunts à la banque. Chaque membre de la coopérative (24 hommes et 12 femmes) économise 20 rupees (1) par mois. Les prêts de 2.000 à 3.000 rupees sont remboursables entre trois et six mois grâce aux bénéfices générés par l’acquisition de semences, d’outils ou de buffles (un buffle se vend entre 10.000 et 12.000 rupees). La capacité et le volume d’épargne de ces villageois instaurent une confiance avec le banquier, qui accorde plus volontiers un crédit puisque assuré du remboursement – ce qu’un individu isolé ne parviendrait pas à obtenir. Grâce à l’ouverture d’esprit de son mari qui la soutient dans son projet et n’hésite pas à s’occuper des tâches ménagères, Rekna, l’initiatrice de cette coopérative, y est très active et met tout en œuvre pour la développer dans le but d’obtenir des prêts plus importants à distribuer.

Depuis de nombreuses années, Hari Baktar (aujourd’hui âgé de 56 ans) s’est énormément investi pour améliorer les conditions de vie de ses concitoyens. Cet homme efficace est mû par la volonté de donner aux femmes et aux hommes la possibilité de démontrer ce qu’ils peuvent effectivement réaliser et être. Parmi ses activités, il met ses connaissances au service de la Laxmi Saving & Loan Cooperative (2). Fondée en 1996 à Chaukot par Mme Tirtha Pradhan, actuelle présidente, et lui-même, cette coopérative de femmes a elle aussi pour but l’épargne collective pour l’obtention de prêts bancaires. Lors d’assemblées, les femmes décident de la destination (individuelle ou groupée) et de l’utilisation (financement d’une activité ou d’une acquisition procurant un revenu) de leur argent. Ici, tous les mois, plus de 300 femmes (leur nombre augmente chaque semaine) épargnent entre 30 et 50 rupees. A l’aspect financier s’ajoute l’entraide, qui permet à ces femmes d’être de moins en moins dépendantes de leur mari et de prendre position dans un cadre social, économique et politique.

Parvenir à ce niveau signifie avoir surmonté des obstacles de taille : instaurer une confiance réciproque (déposer de l’argent, oui, mais qui en profite, pourquoi elle d’abord plutôt que moi ?), se responsabiliser, oser modifier la relation homme-femme grâce entre autres au dialogue (crainte des hommes de perdre leur emprise et leur «image»), imposer son point de vue, obtenir des réformes sociales (manifestation contre les jeux d’argent, l’alcoolisme, ou en faveur du bien-être, de la reconnaissance et du rôle de la femme) pour n’en citer que les grandes lignes.

Renforcées dans leurs convictions, elles parviennent à s’exprimer plus librement et à convaincre leurs partenaires du bien-fondé de leur action. D’où un début d’écoute masculine du discours féminin, qui s’ouvre sur le respect, la confiance et la prise de conscience d’une extraordinaire opportunité pour l’ensemble de la communauté. Ceci se concrétise par le changement de comportement du conjoint, des hommes de l’entourage et de la municipalité qui acceptent et aident ces femmes dans leur démarche.C’est aussi au cours des réunions qu’elles exposent les droits à la contraception, échangent leurs idées avec les plus jeunes et débattent de l’égalité entre les sexes. Certaines acquièrent ici les rudiments d’alphabétisation que leurs dispensent les lettrées. Dans ce domaine, les femmes se montrent davantage sensibles et conscientes de l’importance de la scolarité que la gent masculine, même si elles n’en perçoivent pas encore toute la résonance dans leur vie. Apprendre à lire, écrire et compter motive énormément Kanchi et Thuli, respectivement âgées de 34 et 42 ans : elles comprennent pouvoir ainsi obtenir leur indépendance économique.

Aujourd’hui, au Népal, il est estimé que 3 millions d’enfants n’ont jamais vu l’intérieur d’une classe. Et pour cause : ils travaillent dans l’agriculture (un million sont laboureurs), dans la construction, comme porteurs le long des pistes de montagnes des régions éloignées, comme domestiques, cuisiniers dans les maisons de thé, contrôleurs des tickets dans les bus, tisserands dans les usines, ou survivent dans les rues – quand ils ne sont pas vendus pour la prostitution (3).

Dans une perspective d’éradication du phénomène et avec des partenaires locaux et internationaux, le gouvernement a élaboré une politique de développement de programmes d’éducation. En parallèle aux écoles publiques, des organisations locales regroupent les enfants des villages pour leur donner l’instruction de base qui permet d’accéder aux classes élémentaires. Ces cours se donnent soit dans une grange, soit dans un grenier et parfois dans un local plus approprié. Sur une période de 2 ans ces élèves suivent des cessions de 2 heures par jour pendant 10 mois : issus de familles pauvres, ils doivent aider aux champs ou à la maison le reste du temps. Si les parents peuvent subvenir aux frais de scolarité (60% de garçons pour 40% de filles), l’enfant fréquente l’école communale où, souvent, seuls sept instituteurs se partagent la charge des 300 élèves.

Ils sont moins de la moitié à poursuivre leurs études au-delà du primaire mais le taux de réussite est supérieur chez les filles. Si un mariage ne vient pas entraver un avenir plus prometteur que celui des tâches ménagères, si les études secondaires sont couronnées de succès et si les parents en ont encore les moyens, alors une jeune fille peut se rendre à Katmandu pour s’inscrire à l’université. En fonction de ses aptitudes et de son choix, elle s’oriente vers l’une des disciplines dispensées par exemple au Padma Kanya Multiple Campus de la Tribhuvan University (fondée il y a 49 ans par Mme Angur Baba Joshi et qui réunit aujourd’hui 6.000 étudiantes). Accueillie par la rectrice, Mme Yomari, elle y rencontre quelques-uns des 400 professeurs, et avec beaucoup de chance, trouve à partager une chambre dans l’enceinte du campus.

Suivant l’orientation choisie, elle obtient son diplôme après 7 ans d’études et rejoint une firme, un commerce, exerce une fonction dans l’Administration publique ou dans une ONG. Dans une société encore fortement machiste, il est difficile pour une femme de se lancer dans une carrière d’entrepreneur. Excepté quelques rares cas, comme l’exemple d’une parlementaire actuelle, les femmes n’occupent pas de postes clés dans les domaines politique ou économique du pays. Elle peut également rentrer dans son village pour enseigner, développer un programme de santé, ou diriger un centre de planning familial ou social.

Dans ce Népal aux ressources humaines et matérielles indiscutables, freiné par la corruption et l’instabilité politique (six gouvernements en cinq ans), un nombre grandissant de citoyens se mobilisent pour améliorer le paysage économique et social. Bien que l’Etat participe à cette construction, il lui faut d’abord et avant tout trouver une assise, se doter d’institutions crédibles et oser des réformes radicales dans les domaines pour lesquels il est mandaté, avec la volonté de s’engager sur la voie d’un développement efficace et durable. Il lui revient de soutenir toutes les initiatives qui tendent à améliorer les conditions de la vie de sa population.

Dans ce sens, l’une des priorités est d’abolir des mœurs ségrégationnistes et rendre à la femme à la fois son identité et sa juste place dans la communauté. Les efforts entrepris par des milliers de Népalaises, au travers d’associations, de groupements coopératifs ou fédéraux, l’engagement et la participation d’hommes à leur action, permettent de tendre vers cet équilibre si nécessaire, non seulement à la vie économique, sociale et culturelle mais aussi, et peut-être bien par dessus tout, à la vie que l’homme et la femme ont à vivre ensemble sur cette planète.

Texte :

José GRAIN

1. 1 rupee = environ 1 FB.

2. Laxmi : déesse de la propriété.

3. Entre 100.000 et 200.000 femmes et jeunes filles népalaises (environ 5.000 par an).

Information complémentaire : A l’échelon national, le portefeuille total d’emprunt s’élève à 115 millions de rupees et le montant global d’épargne à 34 millions de rupees (chiffres communiqués par l’Unicef).

Concerne article Nepal au fémin présent
by Patrick Genaine Saturday April 21, 2001 at 09:23 PM
pgenaine@bluewin.ch Switzerland

J'ai lu l'intéressant article de José Grain à propos des femmes au Népal.

Je cherche un contact avec la Thribuvan Université de Kathmandu ou de Dhulikhel, dans le secteur des sciences sociales, de l'éducation ou de la psychologie.

Auriez -vous un contact à me proposer pour entrer en discussion avec un étudiant ou un professeur de cette université?

Avec mes remerciements et mes cordiales salutations