arch/ive/ief (2000 - 2005)

Avancées-le dernier numéro: Dossier sur la Palestine
by (posted by Fred) Tuesday January 30, 2001 at 04:58 PM

La revue mensuelle "Avancées" a cessé de paraître. Son numéro de janvier, bien que prêt, n'est pas sorti dans les librairies. C'est pourquoi Indymedia, à la demande d'"Avancées", a décidé de publier l'entièreté de ce numéro ultime sur internet. Voici le dossier sur la Palestine (3 articles).

Dossier Palestine

Palestine: Faire Justice

Mais de quoi a peur Israël ?

Le 8 octobre dernier, Madeleine Albright, invitée de l’émission télévisée Meet The Press, sur NBC, s’inquiétait du fait que les Palestiniens qui lancent des pierres placent Israël en état de siège. Ce faisant, la secrétaire d’Etat américaine soulevait une redoutable énigme: comment les gamins dépenaillés, les policiers sous-équipés et les fanatiques du Hamas pouvaient-ils bien faire le siège de l’Etat hébreu depuis le fond des territoires occupés où ils sont parqués ?

A moins de considérer, en violation flagrante des résolutions de l’ONU, que Netzarim et Naplouse appartiennent aux Israéliens... Il est à craindre que Madeleine Albright ne s’excuse pas pour l’obscénité de cette remarque. Transformer un peuple qui vit depuis plus de trente ans sous la botte de Tsahal (l’armée israélienne) en assaillants de la quatrième armée du monde, relève d’un de ces tours de passe-passe dont elle use pour masquer l’échec de la diplomatie américaine sur ce dossier.

Là où l’affaire se corse, c’est quand ces propos atterrissent dans la bouche d’intellectuels. Ainsi de Bernard Henri-Lévy qui, dans Marianne du 16 octobre affirme sans ambages que l’on est aujourd’hui à un moment particulièrement critique de l’histoire de l’Etat juif. Ainsi d’André Chouraqui qui estime sans fard dans Le Point du 20 octobre que l’on grignote Israël en attendant de le détruire. Ainsi d’Ari Shavit, éditorialiste du quotidien Ha’Aretz, qui écrit qu’aucun peuple au monde n’est aussi menacé que le nôtre.

Catastrophisme infondé ? BHL dénonce la radicalité extrême de la nouvelle Intifada et s’indigne de ce que le Fatah appelle à la guerre populaire contre l’Etat sioniste. Chouraqui explique qu’aux yeux des islamistes, toute terre d’Islam doit le rester à jamais. Shavit, enfin, rappelle que c’est nous et nous seuls qui sommes dos à la mer. Ces arguments sont recevables en tant que tels, tant il est vrai que l’Etat hébreu a, plus qu’aucun autre, le droit de vivre en paix. Mais comment songer un instant que ce souci de sécurité puisse justifier ou excuser l’humiliation imposée au peuple palestinien depuis trente-trois ans ?Un seul chiffre la résume. Un chiffre brut de réalité qui coupe court au relativisme de saison qui veut renvoyer les deux camps dos à dos : 22%. 22%, c’est la part de la Palestine mandataire (c’est-à-dire confiée en mandat au Royaume-Uni dans l’entre-deux guerres) dont Arafat a accepté de se contenter alors que le plan de partage de l’ONU voté le 29 novembre 1947 en offrait 45% à son peuple.

Quand il fait cette concession magistrale, le 13 décembre 1988 devant l’Assemblée générale de l’ONU, le leader palestinien veut croire qu’Israël se conformera en retour à la résolution 242 qui l’oblige à se retirer de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, occupés depuis la guerre des Six Jours. C’est sur ces deux territoires qu’il espère bâtir son futur Etat. Pour appuyer sa démarche historique, Arafat réaffirme à la face du monde son abandon du terrorisme. Et puis il ajoute en coulisses : Now the strip-tease is over. L’m naked (Maintenant, le strip-tease est fini. Je suis à poil).

Le drame est que douze ans après, le président palestinien n’a pas trouvé de quoi se vêtir. L’Autorité palestinienne n’exerce un contrôle réel que sur 70% de la bande de Gaza, 13,1% de la Cisjordanie et 0% de Jérusalem-Est. Soit seulement 20% des territoires que l’ONU lui a promis. Et moins de 10% de la Palestine mandataire.Au jeu du donnant-donnant, («la paix contre la terre») qui est le moteur du processus de paix engagé depuis les accords d’Oslo de 1993, Israël a régulièrement triché. A coups de reports incessants, de blocus à intermittence et d’incitations fiscales à l’implantation de colonies, Tel Aviv a vidé tous les accords de leur substance. Un exemple : depuis 1995, plus de 30.000 colons se sont installés en Cisjordanie et à Gaza. Certes, les négociateurs palestiniens n’ont pas toujours été à la hauteur de l’enjeu. Mais aujourd’hui le résultat est sans appel : Israël est conforté dans son existence alors que son homologue palestinien est toujours dans les limbes.

De ce fait, gloser sur la radicalité extrême des émeutes, sans citer ces quelques chiffres relève au mieux de l’ignorance et au pire de la désinformation. La restitution au compte-gouttes de miettes de terre mouchetées de colonies au mépris de tout droit international, nourrit en flux tendus la «radicalité» des manifestants. Chacun devrait pouvoir le comprendre.

Dans Le Monde du 11 octobre, le rabbin Josy Eisenberg surenchérit pourtant : En dépit de la puissance de son armée, l’existence d’Israël reste fragile face à l’hostilité non seulement du monde arabe, mais aussi de centaines de millions de musulmans du monde entier qui ont manifesté ces jours derniers leur soutien à la cause palestinienne. Outre le fait qu’elle réduit tout sympathisant d’Arafat à un adversaire primaire d’Israël, cette thèse repose sur une analyse à courte vue de la donne géopolitique régionale. Aucun voisin de Tel Aviv ne veut rouvrir le chapitre des conflits israélo-arabes. L’Egypte et la Jordanie ont troqué la paix contre des dollars américains et ne sont pas prêts d’y renoncer. La Syrie est empêtrée dans une crise économique sans précédent. Quant au Liban, débarrassé de dix-huit ans d’occupation, il se gardera bien de chatouiller Tsahal. Agiter le chiffon rouge du panarabisme ou de la solidarité musulmane procède d’ailleurs d’une naïveté historique confondante. Les Etats arabes n’ont jamais fait la guerre à Israël au nom de la Palestine, mais toujours sur le dos de celle-ci.

Les dangers dont se prévalent les supporters de Barak sont donc de l’ordre du fantasme. Ils flattent dangereusement le courant régressif israélien qui, à défaut de savoir penser les défis du «post-sionisme», se réfugie dans la crispation identitaire. De même que les colons rejouent à chaque nouvelle implantation l’épopée des pionniers, Barak mime les périls fondateurs du sionisme pour ressouder sa majorité. La vérité est pourtant que l’Etat hébreu n’est pas en danger de guerre, mais en danger de paix (1).

La majorité de ses citoyens le savent : s’il ne veut pas célébrer son centenaire dans un camp retranché, s’il veut s’adapter à un environnement géopolitique objectivement défavorable, Israël doit tendre la main aux Palestiniens et, ce faisant, nouer des relations économiques solides avec son voisinage arabe.

Bien sûr, cela implique de renoncer à la mentalité d’assiégé, à la fable du petit Etat vertueux et courageux, aux roulements de tambour qui dispensent opportunément de panser les autres plaies du pays : les déchirures entre juifs orthodoxes et laïcs, l’incompréhension entre colons et citadins, le décalage économique et culturel entre ashkénazes et séfarades et les bouleversements induits par l’arrivée massive des juifs russes qui ne parlent pas un mot d’hébreu.

Il est certes très difficile pour un Etat grandi sous les drapeaux de s’inventer un creuset hors Tsahal et de se trouver d’autres mots d’ordre que l’union sacrée (2). Mais c’est une nécessité vitale : les Palestiniens jouissent d’un capital de croissance trois à quatre fois plus élevé que la population juive. Dans dix ans, les Arabes seront majoritaires en Palestine mandataire. Si à cette date, un Etat palestinien viable n’a pas vu le jour, les successeurs de Barak et Netanyahou devront faire face à une alternative dramatique : soit bâillonner les voix palestiniennes et de ce fait assumer l’extinction de la démocratie dans un régime d’apartheid; soit garantir la libre expression des Palestiniens et dans ce cas avaliser la dilution de l’Etat juif dans une nation mixte. Deux éventualités qui sonneront le glas d’Israël tel que l’ont voulu ses fondateurs, c’est-à-dire «un Etat juif et démocratique». C’est donc une évidence : rendre justice aux Palestiniens, c’est rendre service aux Israéliens.

Benjamin BARTHE, Journaliste à L’Humanité, Paris

  1. Cette thèse a été développée en premier par Marc Hillel, en 1968 dans son ouvrage Israël en danger de paix.
  2. Voir à ce sujet, Dominique Vidal et Joseph Algazy, «Israël, la mosaïque se défait», Le Monde diplomatique, mai 1999.

 

Les Palestiniens ont été trop patients

Michel Warchawski est président du centre d’information alternatif à Jérusalem. Face à la nouvelle situation, il plaide pour revoir le cadre des accords d’Oslo et mettre fin au tête-à-tête israélo-palestinien sous le parrainage partial des Etats-Unis. Entretien.

L’Intifada de ces dernières semaines sonne-t-elle le glas des accords d’Oslo ?

Un des effets du processus enclenché par la déclaration de principes d’Oslo a été de créer deux réalités. La population israélienne vivait une situation où, à ses yeux, le conflit était dépassé, même s’il fallait encore négocier certains aspects, et profitait des fruits de la paix, que ce soit la sécurité, les investissements économiques ou l’amélioration de la situation internationale d’Israël. Parallèlement, les Palestiniens, eux, continuaient à subir l’occupation avec, sous certains aspects, une aggravation, comme l’accélération de la construction de colonies, la fin de la liberté de mouvement par le bouclage. Ils attendaient tout de même que dans le cadre de négociations sur le statut définitif cette situation s’achève.Or ils ont vécu, à l’instar de la direction palestinienne elle-même, les positions israéliennes vis-à-vis des négociations de Camp David comme une fin de non-recevoir face à leurs exigences minimales. L’Intifada est l’expression de la prise en considération de cette fin de non-recevoir signifiée par le gouvernement israélien.

Des analyses comme la vôtre peuvent-elles encore s’exprimer en Israël ?

On peut s’exprimer en Israël où existe véritablement une large liberté d’expression. Ce qui s’est passé, avec les premiers heurts consécutifs à la provocation d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées, c’est un réalignement de la grande majorité des forces libérales, progressistes, de paix, sur la ligne gouvernementale, faisant front et accusant les Palestiniens d’être ingrats face à la «générosité extrême» d’Ehoud Barak à Camp David.

Vous dénoncez la chaleur du consensus national dans laquelle se sont retrouvées les forces progressistes israéliennes dès la première pierre de l’intifada. Qu’entendez-vous par là ?

C’est un sujet qu’il faut sans doute élaborer davantage, mais on peut observer que la société israélienne est très familiale, tribale. La notion de dissidence, d’opposition, ainsi que l’absence d’un consensus, est toujours vécue comme une anomalie et comme une situation provisoire à laquelle il faut mettre fin. Chaque crise donne l’occasion à ceux qui se sentent en rupture face à d’autres dans la société de recréer cet esprit familial, ce consensus, l’union sacrée. C’est un syndrome connu. On l’a vu au début de la guerre du Liban et au début de l’Intifada. Il faut que le prix payé par la politique gouvernementale monte pour que, à nouveau, le bon sens s’exprime et que des voix dissidentes qui ne soient pas marginales puissent s’exprimer.

Pensez-vous que les Palestiniens ont fait trop de concessions ?

Ils ont été extrêmement patients. Pendant sept ans, ils ont respecté un cessez-le-feu et la trêve qu’implique la déclaration d’Oslo alors qu’ils ont été confrontés à une agression permanente dont la colonisation est l’expression achevée. Le nombre de colons a doublé dans les territoires occupés ces dix dernières années, essentiellement après les accords d’Oslo. L’occupation militaire et, surtout, l’occupation de l’espace est beaucoup plus importante qu’avant, même si, dans des zones limitées, les Palestiniens ont la possibilité aujourd’hui de vivre sans présence militaire directe.Face à la façon malhonnête dont les différents gouvernements israéliens ont mené les négociations, révisant toujours à la baisse les engagements signés et les promesses faites aux Palestiniens, ce que l’on voit dans le passage d’Oslo à Wye puis de Wye à Camp David, on est surpris de constater que la population palestinienne dans son immense majorité attendait et laissait faire non pas avec plaisir mais en espérant que tout cela faisait partie d’une situation provisoire à laquelle les négociations sur le statut définitif mettraient fin.

Alors que tout le monde disait qu’à Camp David un haut responsable israélien évoquait pour la première fois la possibilité de discuter du statut de Jérusalem, vous parlez, vous, d’attitude criminelle d’Ehoud Barak. Pourquoi ?

Je pense qu’il y a eu, autour de Camp David, un immense travail d’intoxication. Personne ne sait ce à quoi le gouvernement israélien s’est engagé. Ce que nous savons par les négociateurs palestiniens, c’est que les négociateurs israéliens se sont engagés à... rien. Ils n’ont fait qu’écouter mais l’idée a été lancée d’un retrait de plus de 90% des territoires occupés, du démantèlement de quelques colonies, et même d’une souveraineté palestinienne sur une partie de Jérusalem qui n’a rien à voir, d’ailleurs, avec la Jérusalem historique.Ce qui a été d’une irresponsabilité criminelle, et pas seulement envers les Palestiniens mais aussi des futures générations israéliennes, c’est d’avoir soulevé la possibilité d’une souveraineté ou d’une co-souveraineté juive sur l’esplanade des Mosquées, ce qu’a fait Barak et que n’a même pas osé Netanyahou. Les mosquées se trouvent, depuis 1967, sous contrôle palestinien et il était évident pour les Palestiniens, et pour tout le monde d’ailleurs, qu’on irait de l’avant et non pas en arrière et que, en l’occurrence, il fallait élargir cette souveraineté et non pas la remettre en question. Remettre sur la table des négociations l’éventualité d’une souveraineté israélienne sur la vieille ville de Jérusalem, et plus particulièrement sur l’esplanade des Mosquées, est une provocation colossale, à l’égard non seulement des Palestiniens et du monde arabe mais également du monde musulman tout entier. Jérusalem est importante pour les juifs et les chrétiens mais elle l’est encore plus pour les musulmans. C’est le sens des manifestations de solidarité et de protestation, voire des glissements antisémites, que l’on a vu dans certaines villes d’Europe et des Etats-Unis.

Pourquoi le conflit du Proche-Orient est-il réduit ces derniers temps à une dimension religieuse ?

La direction palestinienne, Yasser Arafat en particulier, a tout fait pour empêcher qu’il soit présenté comme un conflit religieux. Je crois que le peuple d’Israël devra un jour mettre Yasser Arafat au panthéon de ceux qui ont essayé d’œuvrer pour le bien, le futur et la sécurité des juifs d’Israël parce qu’il a, justement, tout fait pour maintenir le conflit dans le cadre qui est le sien, c’est-à-dire celui d’une occupation coloniale. En faire un conflit religieux, c’est l’élargir au monde musulman tout entier et c’est aussi en dénaturer le sens et empêcher, ce faisant, toute possibilité de solution car sur Dieu, il n’y a pas de compromis.

Qu’y a-t-il lieu de faire maintenant ?

Il y a une chose assez positive dans les événements de ces dernières semaines, c’est la clarification à l’égard de l’opinion publique israélienne et internationale de ce qu’attendent les Palestiniens. On a pu vivre dans l’illusion, surtout en Israël, que toutes ces négociations étaient un marchandage quantitatif. On parlait de 20%, de tant de réfugiés. Et tout était monnaie d’échange dans ce grand marchandage. Les Palestiniens réaffirment d’une façon dramatique et sans aucune équivoque qu’ils ne demandent que la réalisation du droit sur la base des résolutions 242, 338 et 465 de l’ONU. Toutes ces résolutions définissent ce qu’Israël doit faire, non pas comme un compromis qui reflète un rapport de forces, mais comme une exigence du droit international.Je crois qu’Oslo comme cadre de marchandage est profondément remis en question. L’opinion publique israélienne le comprendra assez vite. Le soulèvement palestinien – car il s’agit d’un véritable soulèvement – remet en question le cadre d’Oslo dans le sens de ses participants. Le tête-à-tête israélo-palestinien avec l’arbitrage pas du tout neutre des Etats-Unis a fait long feu. Il y a une exigence des Palestiniens qui doit être reprise par la communauté internationale, par les Etats mais avant tout par les acteurs de la société civile, pour que les négociations se déroulent dans un cadre international de l’ONU avec une présence beaucoup plus active de l’Europe et une participation arabe qui briserait le huis-clos israélo-palestinien éminemment en défaveur des Palestiniens.

Quel rôle doit jouer l’Europe ?

L’Europe est directement interpellée par les Palestiniens. Il ne s’agit pas d’une intervention similaire à celle des Etats-Unis. Lorsqu’il y a un rapport inégal dans des négociations, le rôle de la communauté internationale – et l’Europe peut jouer ce rôle, les Américains ne l’ayant pas et ne pouvant pas le jouer – est de rééquilibrer et soutenir la revendication du faible lorsque celle-ci s’appuie sur le droit.

Propos recueillis par Arezki METREF pour Politis, Paris

 

Palestine:
Témoignage depuis le camp de Dheisheh

A nos amis de partout

Vendredi 8 décembre 2000. Ces trois derniers jours, la vie devient de plus en plus misérable dans le camp de réfugiés de Dheisheh. Deux martyrs viennent d’être tués en trois jours par l’armée israélienne, bien que le camp soit éloigné de quelques kilomètres des postes de contrôle israéliens. Le nombre de martyrs a augmenté et quatre jeunes de Dheisheh ont été tués depuis le commencement de la nouvelle Intifada. Mostafa Fararjah, 22 ans, tué à Beit Jalla, Abdullah Amarnah, 24 ans, tué à l’entrée de Bethleem, Abdulkader Abu Laban, 21 ans, tué dans le village Al-khader, et Toddy Moataz Tailakh, 16 ans, tué également à l’entrée de Bethleem.

Les mères se rendent dans les maisons des martyrs, chaque mère est inquiète pour ses propres enfants. Il y a deux jours, la mère de Moataz rendait visite à la mère d’Abdulkader pour essayer d’aider sa famille, la soutenir et l’encourager. Aujourd’hui, la mère d’Abdulkader rendait visite à la mère de Moataz pour l’encourager également. Dans la maison de Moataz, les quatre mères pleurent ensemble, essayant de se présenter leurs condoléances malgré leurs larmes.

Des dizaines de mères sont en train de pleurer, et la maman de Mostafa dit que nous n’avons pas fini de pleurer, que nous devons garder nos larmes pour le futur, parce que la Palestine est assoiffée et a besoin de plus de sang et de larmes. Chaque mère se sent déprimée et triste, chacune d’entre elles s’attend à devenir la prochaine mère d’un martyr.

C’est l’Intifada des mères.

Onze mille personnes vivent dans le camp des réfugiés de Dheisheh. Plus ou moins 55 % d’entre eux ont moins de 18 ans. La plupart des enfants, à proximité des maisons des martyrs, ont les yeux chargés de colère, leurs visages sont tristes, une tristesse qui y prend toute la place, leurs sourires semblent avoir disparu depuis longtemps. La plupart d’entre eux ont une fronde dans leur poche ou la pendent à leur cou. La fronde devient l’arme et la compagne de chacun et partout. Certains enfants gardent leur fronde dans leur cartable entre les livres et les stylos. J’ai filmé beaucoup d’enfants pendant les affrontements. Quand ils vont à l’école avec leurs cartables et rejoignent les lieux de ces affrontements, ils ouvrent leurs cartables, prennent leur fronde et commencent à lancer des pierres. La fronde est devenue comme un stylo ou un livre.

Dans certaines rues de Dheisheh, vous pouvez trouver des enfants jouant à des jeux simulant l’Intifada. Ils se répartissent en deux groupes, l’un représentant l’armée israélienne et l’autre représentant les Palestiniens. Ces deux derniers mois, nous avons eu quatre blessés conduits à l’hôpital suite à ce genre de jeux, car les enfants qui tiennent le rôle de l’armée israélienne ont des comportements très violents, imitant réellement les soldats israéliens. Dans d’autres rues, vous pouvez voir des enfants jouant au jeu du ‘  poste de contrôle ’. Parfois, ils arrêtent réellement les voitures. Une fois, j’ai dû arrêter mon véhicule et un des enfants m’a demandé ma carte d’identité et il m’a dit ‘ saa ’, un mot hébreu qui signifie ‘ vas-y ’. J’ai souri et j’ai demandé au garçon pourquoi il faisait cela. Il m’a répondu ‘ ne pose pas de questions ’.

C’est l’Intifada des enfants.

Lorsque Abdulkader a été tué, nous avons dû faire face à un nouveau problème dans le camp de Dheisheh, où nous voulions l’enterrer, parce que le cimetière des martyrs de Beit Sahour est complet. Nous avons alors décidé d’ouvrir un nouveau cimetière près du camp. Une personne a fait un don pour le cimetière. En quelques heures, les jeunes de Dheisheh ont construit une tombe pour Abdulkader, et il fut enterré là. Aujourd’hui, lorsque Moataz a été tué, ses amis ont été au cimetière et ont commencé à creuser une nouvelle tombe alors qu’ils étaient en train de pleurer. Ils étaient entourés par de nombreux enfants qui les regardaient. Les amis de Moataz ont refusé d’être interviewés. J’ai alors interrogé un des enfants. Il est âgé de onze ans. Je lui ai demandé ce qu’il faisait là. Il me répondit que Moataz était son voisin et qu’il était très proche de lui. Je lui ai alors demandé s’il n’avait pas peur, dans ce cimetière. Il m’a répondu : ‘ Non, je suis assez fort. J’ai été à de nombreux enterrements à Bethleem. Aujourd’hui, j’ai été à l’hôpital pour voir Moataz, mais ils ont refusé que je le voie ’. Je lui ai demandé ce qu’il voulait faire plus tard. Il m’a répondu : ‘ Je ne pense pas qu’il y ait un futur pour moi, mais mon rêve est de devenir professeur d’auto-école. Je ne sais pas si j’aurai la chance de le devenir un jour ou non ’. Il me laissa alors pour aller aider les personnes en train de creuser. Deux martyrs ont été enterrés en deux jours. Nous ne savons pas combien d’autres finiront dans ce cimetière.

C’est le cimetière de l’Intifada.

Ziad Abbas

Responsable du centre culturel Ibdaa, dans le camp de réfugiés de Dheisheh.

Traduit de l’anglais par Nathalie Preudhomme