Politique d'Asile: De la propagande à la RTBF by Fred Monday January 29, 2001 at 05:43 PM |
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Le 20, 21 et 22 janvier dernier, le Journal Télévisé de la RTBF diffusait des reportages sur le Kazaksthan, pays d'Asie centrale au centre de l'actualité en Belgique, ces dernières semaines, du fait de la déportation par le gouvernement belge d'une trentaine de ressortissants kazakhs candidats à l'asile.
La chaîne publique avait dépêché, pour réaliser ces reportages, un envoyé spécial : Philippe Lamair, journaliste que l’on a plus souvent eu l’occasion de voir en Afrique. Avant que ce journaliste ne parte pour l’Asie centrale, on savait déjà que ce monsieur préparait un reportage sur la question, parce qu’on avait eu l’occasion de le voir durant le séminaire « Droits de l"Homme au Kazakhstan : un autre regard » organisé dans les enceintes de la Maison des parlementaires, quelques jours après la déportation par Airbus de la trentaine de ressortissants du Kazakhstan. Ce séminaire visait à fournir aux journalistes un point de vue différent de celui diffusé par le gouvernement sur la situation politique du Kazakhstan et sur ses minorités. Malheureusement, bien peu de journalistes étaient présents. Mais Philippe Lamair, lui était là, du moins avant qu’il ne quitte la conférence de presse en plein milieu… Quelques jours plus tard, les téléspectateurs de la RTBF ont donc eu l’occasion de voir trois reportages qu’il a réalisés au Kazaksthan. Reportages qui, évidemment, m’ont fait hurler, ce pourquoi j’ai décidé d’écrire un article les concernant, d’autant plus que je me suis vu fournir des informations que j’estime intéressantes concernant la réalisation de cette enquête et sur les personnes apparaissant dans celle-ci. Je remercie à ce sujet Véronique Goffe, co-auteurE du
J’ai retranscrit les trois reportages, et je commenterai ce qui en vaut vraiment la peine, à mon avis, même si d’autres choses pourraient être dites.
(Rem: Tous les commentaires du reportage sont en italique)
Il y a quelques jours, un Airbus militaire belge ramenait au Kazakhstan une trentaine de candidats réfugiés politiques déboutés dans leur demande d'asile.
Au Kazakhstan, il existe de nombreuses filières qui contre monnaie sonnante et trébuchante proposent de faire passer en Europe, et surtout en Belgique, les candidats à l'émigration clandestine. Enquête à Almaty.
Remarquez tout de suite que le premier reportage commence par ce que le gouvernement répète sans arrêt pour justifier sa politique. C’est le fameux problème des filières. Filières qui existent, c’est claire, et qui proposent l’aller simple pour la Belgique, notamment, au prix de 2.000 US dollars.
Il faut parler de ce problème, mais ne lui a-t-on pas déjà accordé une place suffisante par rapport à ce qu’il représente? Pourquoi le journaliste n’irait-il pas outre-Atlantique pour voir aussi que les filières (pas toutes criminelles) font passer aux gens les frontières du Mexique et des Etats-Unis. Il pourrait alors montrer, simplement, que la fermeture des frontières provoque le même résultat partout: le développement d’entreprises de passeurs, de trafiquants d’êtres humains. Cela aussi c’est la nouvelle économie, et elle est réelle…
Dix ans après l'indépendance du Kazakhstan, la ville d'Almaty reste marquée par l'héritage communiste. De l'époque soviétique, elle a gardé ses larges avenues, ses bâtiments surdimentionnés et sous la neige, on devine la grisaille.
Description urbanistique pour replacer la problématique dans le décor.
Mais le potentiel économique du pays est énorme. Gaz, pétrole, minerais, un pactole qui a déjà attiré les boutiques de luxe.
Et les entreprises étrangères sûrement.
Elles trouvent ici une clientèle de nouveaux riches. Ces produits inaccessibles pour la majorité de la population véhiculent aussi une image déformée de l'Occident. Et nourrissent chez certains le rêve et l'évasion. Mais pour quelques milliers de dollars, des agences de voyages organisent la ruée vers l'Ouest.
Ruée vers l’Ouest fait penser à ruée vers l’or. Le journaliste pourrait dire, tant qu’il y est, invasion…
Souvent cachées au fond d'une cour, ces officines recrutent par petites annonces, les candidats à l'émigration.
Ici, devant la caméra, on nie. On n'organise pas de voyage vers la Belgique. On nous montre des papiers. L'agence a changé de propriétaire. Faux, cette dame a juste repris les parts de son ancienne associée.
Autre agence, autre technique, la caméra cachée. L'interprète est seule. Elle se fait passer pour une candidate à l'émigration.
Ils seraient déjà plus de 4000 Kazakhs a être arrivés en Belgique par ces filières. Ils ont obtenus des visas Schengen auprès des ambassades d'Allemagne, d'Italie ou de France. Leur histoire fait la Une d'un quotidien local. Des récits recueillis à Bruxelles par un journaliste kazakh.
Ces gens, ils ont trouvé du travail en Belgique?
"La plupart travaillent dans la construction, la rénovation d'appartement, les garages, dans le commerce du poisson dans les villes portuaires ou dans les ménages comme baby sitter par exemple. Mais le plus important c'est que ce type de boulot même en noir, ils ne pourraient pas le trouver ici comme en Belgique."
Ces clandestins ne veulent pas rentrer au Kazakhstan. Un pays qu'ils décrivent comme un enfer. Alors info ou intox.
"Il faut être objectif et puis il faut voir que le Kazakhstan ce n'est pas un pays où des minorités ethniques sont persécutées. Ce n'est pas un pays en guerre, ce n'est pas un pays en conflit. C'est un pays en transition qui a des difficultés pour démarrer bien mais c'est quand même un pays avec un potentiel même un potentiel de développement relatif de démocratie."
Pourtant, dix ans après l'effondrement du monde communiste, les populations de l'ancienne URSS continue de rêver à la société de consommation même au fin fond de l'Asie Centrale.
A la réponse de Serguey Tournik sur le fait que les Kazakhs travaillent en Belgique, le journaliste ne semble pas dérangé par le fait que des patrons emploient au noir, souvent en les exploitant, des "clandestins". La presse, toujours prompte à dénoncer les violences ou les actes illégaux, ne semblent guère se soucier de cette situation.
Philippe Lamair affirme ensuite que les réfugiés kazakhs décrivent le Kazakhstan comme un "enfer". Estimant avoir bien suivi l’affaire, je n’ai jamais entendu parler d’"enfer". Simplement, de nombreuses personnes, issues des minorités principalement, se plaignent d’être persécutées. Cela suffit pour se voir octroyé le statut de réfugié si l’on respecte l’esprit de la Convention de Genève.
Pour trancher la question du caractère "infernal" de la vie au Kazakhstan ("info ou intox?"), le journaliste ne donne la parole qu’à une seule personne: le chef de mission de
l’Organisation Internationale pour les Migrations qui nous affirme que le Kazakhstan a "un potentiel de développement relatif de démocratie". C’est assez flou mais cela semble suffire à l’envoyé spécial de la chaîne publique.Notons qu’au Kazakhstan, d’après l’OSCE, les élections sont très loins de correspondre à des standards démocratiques internationaux (dernières en date: 1999). La majorité des élus sont très liés au pouvoir présidentiel, quel que soit l'ethnie dont ils sont issus.
Concernant ce potentiel de "développement relatif de démocratie", le tout est de savoir comment ce potentiel pourrait s’épanouir là où la corruption, le clientélisme et la Constitution (soumission du judiciaire à l’exécutif) hypothèquent grandement ce que l’on appelle ici l’Etat de droit. Surtout que la situation ne s’est pas améliorée ces derniers temps.
Il est important aussi de rappeler que l’O.I.M. n’est pas une organisation non gouvernementale mais intergouvernementale. Que si des agences mafieuses organisent l’émigration, l’O.I.M. est une agence, légale elle, qui s’occupe du voyage retour. Dans un rapport de la Commission de l’intérieur du Sénat, l’année dernière, il est couramment fait référence à cette organisation pour humaniser les expulsions et accompagner humainement et financièrement les personnes déportées. Cette organisation ne provient pas de la société civile, elle n’est pas un groupe de pression pour une autre politique, elle vise juste à donner un côté plus "digne" à la politique européenne de déportation.
Depuis quelques mois, des milliers de Kazakhs débarquent en Belgique avec l'espoir de décrocher un statut de réfugiés. Parmi eux, des Ouighours. Ils se disent persécutés par le gouvernement du Kazakhstan comme les Ouighours de Chine par celui de Pékin. Qu'en est-il vraiment?
Les Ouighours se disent persécutés mais QU’EN EST-IL VRAIMENT? Le journaliste va le démontrer comme 2+2=4.
Il suffit de se promener au grand marché d'Almaty pour se rendre compte de la diversité ethnique du Kazakhstan. Ingouches, Tatars, Tchéchènes, Russes, Allemands, plus de 136 groupes nationalités différentes vivent dans cette région d'Asie. Les invasions, la guerre, le commerce, les déportations ont brassés ces peuples aujourd'hui réunis dans une même patrie.
Beau Couplet sur la multiculturalité.
Parmi eux, des Ouïghours dont la diaspora s’étend sur plusieurs pays. Ici au Kazakhstan sont-ils persécutés comme leurs frères qui leur sont en Chine.
Personne n’affirmé, parmi leurs défenseurs, que la situation était comparable.
"Au niveau du gouvernement, pas de représentant Ouïghour. Mais au niveau simple, c'est-à-dire au niveau plus bas, les Ouighours sont libres."
Il y a tout au plus, selon Véronique Goffe, un député ouïghour au Parlement kazakh.
Notons aussi que ce Mr Khamraev connaît bien la Belgique, il y a séjourné plusieurs mois, à l’U.C.L.
Un point de vue partagé par d'autres. Comme le président de cette association ouïghour, proche du pouvoir.
"Si des Ouïghours parlent de discrimination au Kazakhstan, je veux des exemples concrets. Savoir qui et comment ces personnes ont été discriminées."
Il paraît évident que des Ouighours vont aller se plaindre chez lui de l’oppression des autorités alors que ce monsieur est proche du pouvoir.
En majorité musulmans, les Ouighours de nationalité kazakh seraient près de 250.000. Ils résident surtout dans les environs Almaty. De tous les états indépendants issus de l'ancienne Union Soviétique, le Kazakhstan est la seule république qui accorde à sa minorité Ouighours une grande liberté culturelle, religieuse et également éducative.
Premièrement, au point de vue religieux, les Ouïghours sont musulmans COMME LES KAZAKHS. La liberté religieuse ne pose donc pas de problème.
Les activités des associations, même culturelles, sont fortement restreintes (mais pas systématiquement interdites!). Un exemple: un arrêt de la Cour suprême confirme un règlement administratif qui autorise les forces de police à assister à toute réunion d’organisation non-gouvernementale sans avoir à fournir d’explication. Pour les Ouïghours, les réunions d’associations enregistrées légalement sont régulièrement interdites par la police, sans justification. Et le fait qu’en Ouzbekistan, par exemple, il n’y ait pas de possibilité de créer une association ouïghoure ne justifie en aucun cas cet état de fait au Kazakhstan.
Ce directeur d'école n'est pas peu fier de nous présenter des manuels scolaires en ouighour. Ils sont plusieurs centaines d'élèves à suivre ici les cours dans leurs langue maternelle. Les enseignants sont payés par l'Etat mais c'est la collectivité qui s'est mobilisée pour la construction de l'école primaire et secondaire. Il existe aussi des journaux et des émissions en langue ouighour mais moins qu'à l'époque soviétique. Car en bordure de la Chine et du monde islamiste, les autorités kazakhes, victimes de la géopolitique veillent à ce que le conflit des Ouighours chinois avec Pékin ne fasse tâche d'huile.
Il y a 15 écoles ouïghours au Kazakhstan. 15 écoles pour 250.000 Ouïghours…
"Notre organisation publique Association des Ouighours du Kazakhstan souffre de règlement strict et nos activités sont limitées et nous sommes persécutées pour elles."
Aucun Ouïghour n’est emprisonné pour ses idées.
Ce n’est en fait pas le motif invoqué. Les arrestations arbitraires sont monnaie courante et il y est très diificile de valoir ses droits. Et cela est d’autant plus vrai pour les minorités ethnique qui sont dépassées par un jeu géopolitique qui les dépasse (kazhakization, influence de la Chine).
Faut-il dès lors accorder le statut de réfugiés?
Oui, selon la Convention de Genève. Non selon l’Etat belge.
"Les Ouighours du Kazakhstan ne peuvent être considérés comme des réfugiés. C'est ma position ferme et claire. Il est vrai qu'il y a beaucoup de problèmes de discriminations, mais il n'y a pas de discrimination dans les lois."
Que fait-on de l’examen individuel des demandes d’asile? Ce type de déclaration revient à dire qu’il existe officieusement une liste de pays sûrs.
L’intervention de ce monsieur du bureau international des Droits de l’Homme est assez surprenante. Il insiste sur l’absence de problème au Kazakhstan sur un ton singulièrement différent de celui que l’on retrouve sur le site internet de son association (http://republic.kz/english/new_en_6_7_00_1.htm)
Dans les faits, la kazakhization est une réalité déjà pointée par l’OSCE en 1994. La discrimination basée sur la connaissance de la langue kazakhe existe dans les textes de loi… L’Etat est censé garantir la jouissance des droits à tous ces citoyens.
"Il n'y a pas un seul cas d'un citoyen du Kazakhstan qui aurait été expulsé en Chine."
Exact et personne ne prétend le contraire. Tout au plus, peut-on dire que, lors de leurs contacts avec les échelons inférieurs des autorités, les Ouïghours du Kazahstan se voient souvent menacés d’être expulsés vers la Chine, alors qu’aucune politique de ce type n’a jamais été mise en oeuvre par le pouvoir. Ceci peut expliquer la crainte répandue au sein de la minorité ouïghour d’être expulsée vers la Chine.
Par ailleurs, Amnesty International a dénoncé le rapatriement forcé d’Ouïghours "chinois" qui s’est soldé par des persécutions majeures.
Ainsi le Kazakhstan décrit par certains est bien différent de l'enfer décrié par d'autres.
Le manque de nuance dans cette conclusion nous ramène à une analyse du type "tous fraudeurs" par opposition aux partisans du "tous martyres".
Lundi 22 janvier: Les réfugiés du Kazakhstan
Face à l'afflux de candidats réfugiés politiques, originaires du Kazakhstan, le gouvernement belge a lancé à Almaty un programme d'informations. Il parle des risques d'expulsion encourus par ceux qui viendraient clandestinement en Belgique.
Leonid Vinichenko faisait partie de la trentaine de Kazakhs renvoyés en Airbus par le gouvernement belge à Almaty. Pour partir en Europe, il a vendu son appartement. Il se rend aux affaires étrangères pour porter plainte contre sa compagne resté en Belgique. Elle lui aurait volé de l'argent. Pour être reconnu réfugié, Leonid a raconté qu'il était persécuté pour son appartenance ethnique. Il est russe. Sa demande a été rejetée.
"Avant la situation économique était bonne. C'était il y a longtemps. La Perestroika a tout ruiné."
Depuis qu'il est rentré a-t-il eu des ennuis avec les autorités?
"Non. Les gens rentrent ici et maintenant ils s'occupent de leurs problèmes. Ils doivent se prendre en charge. Personne n'est là pour les aider dans cette situation."
Leonid a perdu beaucoup dans l'aventure mais le fonctionnaire ne peut qu'enregistrer ses doléances.
"Selon la loi fondamentale du Kazakhstan, la Constitution permet à chaque citoyen le droit de vivre dans le pays de son choix et il a aussi le droit de revenir quand il le désire au Kazakhstan."
Pour éviter que les gens ne se fassent gruger et surtout arrêter le flot de clandestins, la Belgique avec le soutien de OIM, l'organisation internationale pour les migrations a lancé une campagne de presse dans les journaux locaux pour décourager les candidats au voyage.
"On a proposé au gouvernement belge de faire une campagne d'informations pour informer les gens ici qu'il n'y a pas de migrations légales en Belgique et qu'il y a des risques de déportations. Des risques que ces gens ne seront pas reconnus comme réfugiés en Belgique. Nous, on leur propose de choisir des pays qui ont une immigration légale comme le Canada, les Etats-Unis, l'Australie. Malheureusement, l'Europe n'a encore une politique d'immigration. Elle a seulement une politique figée."
Une ligne téléphonique a même été ouverte mais chaque jour des Kazakhs continuent d'acheter des aller simple avec l'espoir de faire fortune en Europe de l'ouest. Alors que pour les trafiquants d'êtres humains, la filière qui mène vers la Belgique semble être complètement grillée, ils proposent déjà aux candidats à l'exil d'autres destinations comme la Scandinavie ou l'Irlande.
Conclusion
Par le ton et le contenu, ces reportages ressemblent fort à de la propagande du ministère de l’intérieur. Il y avait déjà eu les articles d’Alain Lallemand dans "La Soir" et un reportage de VTM du même acabit que celui de l’envoyé spécial de la RTBF. A croire vraiment que les médias font partie intégrante de la campagne du gouvernement contre les réfugiés.
Ainsi, le schéma de ces reportages est très semblable au parcours réalisé par l’officier de l’immigration du ministère de l’intérieur, Mme Katarina Smits.
: mise en évidence des filières; démonstration qu’il n’y a pas trop de problèmes au Kazakhstan au moyen d’interviews avec quasi les mêmes intervenants, et en ne reprenant que les témoignages allant dans le même sens.
Véronique Goffe m’a notamment communiqué ceci: "Nous avions proposé à des Ouïghours d’Almaty [ancienne capitale] de prendre contact avec les journalistes de la RTBF, qui nous affirmaient avoir des difficultés à rencontrer des membres de la communauté ouïghoure. Lorsque ceux-ci sont arrivés à l’hôtel où les journalistes séjournaient, celui-ci était investi par la presse et des officiels kazakhs, et par Katarina Smits. Ces Ouïghours sont évidemment partis dans demander leur reste."
Des contacts fiables ont été communiqués à Mr Lamair. Le seul résultat, c’est cette phrase (voir ci-dessus) du porte-parole de "l’Association des Ouïghours du Kazakhstan".
Alors la RTBF répercute-t-elle la voix de son maître? Dans ce cas-ci, cela ne fait pas de doute. N’est-ce pas?