arch/ive/ief (2000 - 2005)

L'Amérique latine: du terrorisme militaire au terrorisme de marché
by Pierre Beaudet Monday January 15, 2001 at 05:59 PM
pbaudet@alternatives.ca

Depuis le premier Sommet des Amériques à Miami en 1994, les États-Unis et le Canada cherchent à accélérer le processus d'intégration continentale : un marché libre et ouvert de l'Arctique jusqu'à la Terre de Feu. "

Avec son secteur industriel développé, le Brésil est une des cibles principales. Des multinationales comme Bombardier, par exemple, voudraient bien mettre la main sur le secteur aéronautique brésilien, notamment la firme Embraer. Le Canada fait donc pression sur le Brésil via l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) où le Brésil vient d'être condamné pour avoir subventionné Embraer. Selon Marco Aurelio Garcia, " c'est totalement injuste et injustifiable, quand on sait que Bombardier, depuis de très nombreuses années, reçoit énormément d'aide du gouvernement canadien. En fait on veut empêcher le Brésil de développer une niche dans ce secteur high-tech. On voudrait qu'on se contente de cultiver le maïs et la canne à sucre ".

Une restructuration aux dépens du Sud

Sous couvert de mondialisation, le processus en cours aboutit dans de nombreux pays latino-américains à une véritable désindustrialisation. Contrairement à une idée répandue dans les médias, les grandes firmes multinationales ne veulent pas seulement délocaliser les industries vers le Sud (pour profiter des bas salaires), mais restructurer l'économie de ces pays pour les mettre au service de celles du Nord.

Ainsi, au Mexique, dans les maquiladoras où sont assemblés des produits destinés au marché américain ou canadien, ce sont des filiales des multinationales qui opèrent et se trouvent finalement à s'exporter à elles-mêmes. Pendant ce temps, l'industrie mexicaine est laissée à l'abandon, d'où des pertes d'emplois par centaines de milliers. " Mais au-delà des fermetures d'usines, explique Renato Martins, un chercheur travaillant pour la CUT brésilienne, c'est le démantèlement d'une économie indépendante, la fin de l'espoir d'industrialiser et de technologiser le pays. " D'un côté, on licencie des ingénieurs et des travailleurs spécialisés dans l'industrie, et de l'autre, on embauche de jeunes femmes non qualifiées dans les maquiladoras.

La dollarisation au profit de qui ?

Devant ces pressions, plusieurs gouvernements d'Amérique latine ont décidé de capituler et de s'aligner derrière les politiques américaines. Certains pays vont plus loin encore, en abandonnant leurs monnaies nationales au profit du dollar américain. " Les seuls gagnants, à court terme, sont les détenteurs de comptes de banques en dollars ", note Marco Aurelio Garcia. Les perdants, la majorité de la population, sont les travailleurs et les industriels qui n'auront plus accès au crédit à moins qu'ils ne se transforment eux-mêmes en relais des multinationales.

C'est ce qu'un pays comme l'Argentine a vécu ces dernières années sous l'égide du gouvernement extrêmement corrompu de Carlos Menem, un des grands amis de Washington. Ce qui restait d'industrie nationale a été pratiquement démantelé. " Notre économie, raconte Carlos Girotti de la Centrale des travailleurs d'Argentine (CTA), est devenue un désert où les multinationales se contentent d'acheter à bas prix nos produits agricoles. L'Argentine démocratique qui voulait devenir un pôle de développement pour le continent, retourne là où elle était sous les militaires. Nous avons eu le terrorisme de la dictature militaire, affirme Girotti, nous avons maintenant le terrorisme du marché. "

Mobilisation transfrontalière

Un peu partout sur le continent, des résistances se lèvent contre cette nouvelle colonisation. Ces derniers mois, l'Argentine a été le terrain de très grosses luttes, dont une grève générale qui a pratiquement paralysé le pays en novembre. En avril, à Cochabamba, deuxième ville en importance en Bolivie, une véritable insurrection a bloqué un projet du gouvernement pour privatiser l'eau potable au profit d'une multinationale française. Au Brésil, le Parti des travailleurs a remporté une éclatante victoire aux élections municipales d'octobre, gagnant la majorité dans les principales villes du pays dont la mégapole de São Paulo. " Le vote est plus qu'un rejet des administrations de droite ultra corrompues, selon Marco Aurelio Garcia, mais aussi un non retentissant aux politiques néolibérales imposées nationalement par le président Fernando Henrique Cardoso, un autre grand ami de Washington et de la mondialisation. "

Là où le bât blesse c'est que toutes ces mobilisations se déploient sur des espaces nationaux, " alors que le vrai problème, explique Renato Martins, est continental, voire mondial. Tant que la coordination des résistances et des alternatives ne sera pas plus avancée, nous resterons démunis ".

Parlant intégration économique, il y a en Amérique latine une alternative à la domination américano-canadienne : c'est le MERCOSUR, un projet de mise en place d'un espace économique intégré pour le Brésil, l'Argentine et plusieurs autres pays du continent. Mais ce projet stagne et végète depuis plusieurs années, note Marco Aurelio Garcia : " Nos gouvernements font de belles déclarations sur le MERCOSUR, et pendant ce temps, ils négocient en catimini avec les États-Unis. C'est à qui sera le meilleur ami de Washington! "

C'est dans ce contexte que les mouvements populaires du continent voient avec appréhension le projet de création de la ZLÉA qui doit aboutir à Québec en avril prochain. Ce serait le coup de mort du MERCOSUR, affirme Renato Martins, ainsi que de toute tentative pour échapper à l'emprise américaine.

L'auteur est chercheur et directeur d'Alternatives.

Réseau d'action et de communication pour le développement international / Action and Communication Network for International Development

L'article
by Pierre Beaudet Tuesday January 16, 2001 at 02:20 PM
pbaudet@alternatives.ca

Ce projet, explique Marco Aurelio Garcia, responsable des relations internationales du Parti des travailleurs (PT) du Brésil, consolidera l'emprise des multinationales américaines sur notre continent. "

Avec son secteur industriel développé, le Brésil est une des cibles principales. Des multinationales comme Bombardier, par exemple, voudraient bien mettre la main sur le secteur aéronautique brésilien, notamment la firme Embraer. Le Canada fait donc pression sur le Brésil via l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) où le Brésil vient d'être condamné pour avoir subventionné Embraer. Selon Marco Aurelio Garcia, " c'est totalement injuste et injustifiable, quand on sait que Bombardier, depuis de très nombreuses années, reçoit énormément d'aide du gouvernement canadien. En fait on veut empêcher le Brésil de développer une niche dans ce secteur high-tech. On voudrait qu'on se contente de cultiver le maïs et la canne à sucre ".

Une restructuration aux dépens du Sud

Sous couvert de mondialisation, le processus en cours aboutit dans de nombreux pays latino-américains à une véritable désindustrialisation. Contrairement à une idée répandue dans les médias, les grandes firmes multinationales ne veulent pas seulement délocaliser les industries vers le Sud (pour profiter des bas salaires), mais restructurer l'économie de ces pays pour les mettre au service de celles du Nord.

Ainsi, au Mexique, dans les maquiladoras où sont assemblés des produits destinés au marché américain ou canadien, ce sont des filiales des multinationales qui opèrent et se trouvent finalement à s'exporter à elles-mêmes. Pendant ce temps, l'industrie mexicaine est laissée à l'abandon, d'où des pertes d'emplois par centaines de milliers. " Mais au-delà des fermetures d'usines, explique Renato Martins, un chercheur travaillant pour la CUT brésilienne, c'est le démantèlement d'une économie indépendante, la fin de l'espoir d'industrialiser et de technologiser le pays. " D'un côté, on licencie des ingénieurs et des travailleurs spécialisés dans l'industrie, et de l'autre, on embauche de jeunes femmes non qualifiées dans les maquiladoras.

La dollarisation au profit de qui ?

Devant ces pressions, plusieurs gouvernements d'Amérique latine ont décidé de capituler et de s'aligner derrière les politiques américaines. Certains pays vont plus loin encore, en abandonnant leurs monnaies nationales au profit du dollar américain. " Les seuls gagnants, à court terme, sont les détenteurs de comptes de banques en dollars ", note Marco Aurelio Garcia. Les perdants, la majorité de la population, sont les travailleurs et les industriels qui n'auront plus accès au crédit à moins qu'ils ne se transforment eux-mêmes en relais des multinationales.

C'est ce qu'un pays comme l'Argentine a vécu ces dernières années sous l'égide du gouvernement extrêmement corrompu de Carlos Menem, un des grands amis de Washington. Ce qui restait d'industrie nationale a été pratiquement démantelé. " Notre économie, raconte Carlos Girotti de la Centrale des travailleurs d'Argentine (CTA), est devenue un désert où les multinationales se contentent d'acheter à bas prix nos produits agricoles. L'Argentine démocratique qui voulait devenir un pôle de développement pour le continent, retourne là où elle était sous les militaires. Nous avons eu le terrorisme de la dictature militaire, affirme Girotti, nous avons maintenant le terrorisme du marché. "

Mobilisation transfrontalière

Un peu partout sur le continent, des résistances se lèvent contre cette nouvelle colonisation. Ces derniers mois, l'Argentine a été le terrain de très grosses luttes, dont une grève générale qui a pratiquement paralysé le pays en novembre. En avril, à Cochabamba, deuxième ville en importance en Bolivie, une véritable insurrection a bloqué un projet du gouvernement pour privatiser l'eau potable au profit d'une multinationale française. Au Brésil, le Parti des travailleurs a remporté une éclatante victoire aux élections municipales d'octobre, gagnant la majorité dans les principales villes du pays dont la mégapole de São Paulo. " Le vote est plus qu'un rejet des administrations de droite ultra corrompues, selon Marco Aurelio Garcia, mais aussi un non retentissant aux politiques néolibérales imposées nationalement par le président Fernando Henrique Cardoso, un autre grand ami de Washington et de la mondialisation. "

Là où le bât blesse c'est que toutes ces mobilisations se déploient sur des espaces nationaux, " alors que le vrai problème, explique Renato Martins, est continental, voire mondial. Tant que la coordination des résistances et des alternatives ne sera pas plus avancée, nous resterons démunis ".

Parlant intégration économique, il y a en Amérique latine une alternative à la domination américano-canadienne : c'est le MERCOSUR, un projet de mise en place d'un espace économique intégré pour le Brésil, l'Argentine et plusieurs autres pays du continent. Mais ce projet stagne et végète depuis plusieurs années, note Marco Aurelio Garcia : " Nos gouvernements font de belles déclarations sur le MERCOSUR, et pendant ce temps, ils négocient en catimini avec les États-Unis. C'est à qui sera le meilleur ami de Washington! "

C'est dans ce contexte que les mouvements populaires du continent voient avec appréhension le projet de création de la ZLÉA qui doit aboutir à Québec en avril prochain. Ce serait le coup de mort du MERCOSUR, affirme Renato Martins, ainsi que de toute tentative pour échapper à l'emprise américaine.

L'auteur est chercheur et directeur d'Alternatives.

Réseau d'action et de communication pour le développement international / Action and Communication Network for International Development