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Les dinosaures ont la vie dure
by Ataulfo Riera Wednesday January 03, 2001 at 03:05 PM
plantin@skynet.be

Ce texte se veut être une contribution au débat souhaité par l'auteur ou les auteurs du texte intitulé "De Seattle à Gêne, les antimondialistes s'essoufleront" etc. paru dans les "dernière nouvelles" (pour comprendre ce qui suit, il faut donc le lire avant of course).


Si le texte "De Seattle à Gêne..." est effectivement, comme le remarque un "commentaire", en grande partie du réchauffé, sa remise en ligne me permet au moins, cette fois-ci, d'apporter quelques commentaires que j'avais envie d'émettre suite à la première lecture.

Tout d'abord ; pas mal de bonnes questions et de bons raisonnements dans ce texte. L'idée d'agir ici et là-bas, dans le quotidien et le long terme, c'est effectivement la voie pour ne pas rester cornaqués soit dans des luttes locales soit dans un strict internationalisme radical et romantique qui chercherait ailleurs, dans les diverses mobilisations internationales, ce qu'il ne peut trouver chez lui.

Au début des années '80, le mouvement écologiste prônait de «penser globalement et d'agir localement ». Nous devons, aujourd'hui où l'internationalisation du capital est plus forte que jamais, agir et penser globalement et localement car les deux dimensions sont dialectiquement étroitement imbriquées.

Lorsque l'on analyse un peu l'évènement «mondial » Seattle, on se rend compte ainsi qu'il n'est pas apparu spontannément, à partir de rien. Comme le montre en images une vidéo d'Indymédia sur Seattle, ce sont des luttes ou des mobilisations « nationales » de masse telles que l'insurrection zapatiste de janvier 1994, les grèves de décembre 1995 en France ou en Corée en 1997 qui ont « préparé » le terrain. Et à leur tour, et j'en suis persuadé, les luttes de type Seattle influencent et influenceront grandement les luttes « nationales » ou « locales ».

Ensuite, l'appel à constituer des groupes d'affinités (quoique la comparaison avec les « conseils » ouvriers de l'époque ne me paraît pas très juste) qui agissent et qui réfléchissent va également dans le bon sens. Nous ne devons pas nous limiter à un (hyper)activisme qui se substituerait à une nécessaire élaboration théorique qui devrait aborder, à mon avis, des sujets tels que «quels sont les fondements, mécanismes et modes de domination du capitalisme aujourd'hui », « quels types de stratégies pour l'abattre », etc.

Enfin, discuter et mettre sur la table nos idées - divergentes et convergentes - pour tracer la voie à un « programme commun » est également nécessaire car on ne peux rester longtemps dans une position « contre » (le mondialisation capitaliste, les injustices, etc. ) mais l'on doit passer à l'étape des propositions concrètes qui (proposent) démontrent qu'un autre monde est possible.

Bon, fini pour les fleurs. Le refrain sur les « ismes » (trotskysme, maoïsme, marxisme et tutti quanti) qui se seraient « autorisés leur propre déroutes » ( ? ? ?) comme « modèles théoriques» «dépassés», ça me fait franchement rigoler. Les auteurs de ce texte croient-ils vraiment faire du neuf en exprimant cela ?

Etant moi-même un « dinosaure » de la famille trotskyste, branche POS, je peux dire que ce genre de discours n'est pas nouveau. Depuis que le marxisme est apparu il n'a cessé d'être proclamé « mort » ou « dépassé ». Achaque fois que le capitalisme connaissait une mutation de forme significative, des intellectuels et des penseurs se croyant très malins l'on décrété mort et enterré. Cette mode a, depuis l'effrondrement des régimes soi-disants communistes de l'est, connu un beau succès. Et chez pas mal de ces croque-mort du marxisme ou de tous les « ismes », ce qui se cache derrière leur beaux enterrements officiels, c'est la volonté pure et simple de noyer l'utopie (dans le bon sens du terme) de démontrer que notre monde capitaliste est indépassable, indétrônable. Bref, de tuer la révolution et l'idée même de révolution.

Bien entendu, ce n'est pas l'idée de l'auteur ou des auteurs du texte, mais avant d'hurler avec les loups (de papier) qui dominent les salons cultivés et intello à Paris ou ailleurs, il faudrait répondre à quelques simples questions :
- le capitalisme n'est-il donc plus fondé sur l'appropriation privée des moyens de production par une classe minoritaire ?
- la société capitaliste n'est-elle donc plus divisée en classes sociales dont l'antagonisme repose fondamentalement sur ce qui précède ?
- la lutte de classe est morte, elle aussi ?
- des notions telles que l'alination par le travail, la réification (ou marchandisation comme l'on dirait aujourd'hui) des êtres humains, l'impérialisme, etc sont t'elles dépassées ?
- l'Etat n'est-il plus, fondamentalement, qu'une « bande d'hommes armés » qui défendent l'ordre caoitaliste établi ?
- ....

La réponse à tout cela est non et à ces questions un penseur tel que Marx et d'autres après lui s'en revendiquant de près ou de loin ont apporté, en leurs temps, des réponses qui restent fondamentalement pertinentes parce que si le mode de production capitaliste et les modes de domination de la bourgeoisie se sont modifiés, ils sont, dans leurs racines, restés les mêmes qu'au siècle passé.

Nous sommes toujours dans une société capitaliste et l'apport théorique de ceux et celles qui ont réfléchi en allant au fond des choses, à la structure fondamentale des mécanismes de ce système ainsi qu'aux moyens de l'abattre reste d'actualité.

Bien sûr, il faut remettre à jour, bien sûr il faut dépoussiérer, actualiser, rénover et innover. Et c'est justement là la richesse du marxisme qui à mon sens est avant tout une méthode d'analyse pour la praxis révolutionnaire. Si nous, les «dinosaures» en « ismes » avont bien des choses à apprendre (et à changer dans nos pratiques militantes et organisationnelles également, ça il faut également l'admettre dans la dite extrême gauche « classique »), ceux et celles qui s'engagent aujourd'hui contre la mondialisation capitaliste peuvent apprendre également avec fruit des idées et pratiques pas si dépassées que ça et parfois même d'une incroyable modernité qu'ont donné le marxisme, les révolutions et les différents mouvements révolutionnaires du passé.

Loin d'être un suicide, échafauder des alternatives de société à partir de ces théories me paraît au contraire incontournable (tout en précisant que Marx n'a jamais échaffaudé, clé en main, une alternative de société de A à Z puisque selon lui ce sont les hommes et les femmes qui auront à entamer la construction de cette alternative qui définirons eux-même et démocratiquement ses modalités).

Quant au fait que des militants tels que moi ou d'autres soient ce qu'ils sont parce qu' « en mal d'autorité », là je pouffe. D'abord qu'est-ce que l'autorité ? S'il s'agit de son sens despotique, rien à voir. Les ordres d'en haut, l'obéissance aveugle, le fanatisme, très peu pour moi et si je combat ces phénomènes dans la société capitaliste, ce n'est certainement pas pour les accepter dans une organisation militante, quelle qu'elle soit. Mais se dire contre l'autorité en général et dans l'absolu est une bien belle bêtise. Compris dans son sens littéral, être autoritaire signifie imposer (peu importe la façon) sa volonté à autrui. Or, empêcher la tenue de Millenium round de l'OMC à Seattle, par exemple, n'est-ce pas là être autoritaire ? Vis-à-vis de la bourgeoisie, de son Etat, de ses forces de polices et militaires et des maîtres économiques de ce monde, je revendique parfaitement le fait d'être autoritaire !

Un mot encore. L'auteur ou les auteurs du texte semblent accorder une importance trop grande à la question de la surconsommation. Non qu'elle soit secondaire, mais de là a en faire la cause de tous les maux, c'est se tromper de cible, n'agir que sur les conséquences et prouver justement que les « ismes » ne sont pas si dépassés que ça puisqu'ils ont parfaitement mis en lumière les racines profondes qui provoquent les inégalités, les injustices ou les désastres écologiques (la propriété privée des moyens de production, le salariat, l'Etat bourgeois, la marchandise capitaliste comme valeur d'échange et non d'usage, etc.) .

Une question pour terminer, que veut dire exactement « les mouvements cooptables » dans lequel on met dans le même paquet des organisations aussi différentes de Greenpeace, Oxfam, le PTB, POS etc. ? ? ?

Fin janvier, ce sera Davos qui, d'après ce que l'on en sait, devrait être mieux préparé mais sans doute avec moins de monde qu'à Nice. Au même moment se tiendra à Porto Alegre le Forum social mondial dont il ne faut pas sous-estimer l'importance. Ensuite, Gêne sera effectivement un nouveau rendez-vous. Mais entretemps, nous aurons quelques mois pour réellement entamer le débat, la réflexion, ici en Belgique, sur l'avenir, la stratégie et l'organisation du mouvement contre la mondialisation capitaliste néolibérale.

Ataulfo Riera (et ce n'est pas un pseudo)