arch/ive/ief (2000 - 2005)

Inquiétude au CGRA: toile de fond
by Olivier Taymans Saturday December 30, 2000 at 03:03 PM
alterecho@brutele.be

La politique d'asile est en passe d'être considérablement durcie. L'architecte de la réforme est Pascal Smet, le 'Monsieur réfugiés' du gouvernement. Représentant d'une "ligne dure", son projet inquiète les fonctionnaires qui refusent que le problème des réfugiés soit abordé dans une simple optique chiffrée, sans égards pour la personne humaine et les droits de l'homme.

QUI EST PASCAL SMET ?
« Pascal Smet, le chef de cabinet adjoint du ministre de l’Intérieur Antoine Duquesne (PRL), sera le nouveau Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA). Après la réforme de la procédure d’asile, il devrait se retrouver à la tête de l’Administration fédérale de l’asile (AFA), qui doit remplacer le CGRA.
Avant d’être détaché au cabinet Duquesne, Pascal Smet était déjà l’adjoint de l’actuel Commissaire, Luc De Smet. La relation entre ces deux hauts fonctionnaires n’a jamais vraiment été au beau fixe. Luc De Smet sera ‘repêché’ en tant que conseiller à la politique migratoire au cabinet du ministre des Affaires étrangères Louis Michel. Officiellement, aucune raison n’a été donnée pour la mise à l’écart de De Smet. Officieusement, dans les coulisses de la rue de la Loi, on reproche au Commissaire un « sérieux problème de maîtrise ». Duquesne en veut à De Smet de ne pas parvenir à digérer le retard en matière de demandes d’asile dans son service. De plus, les critiques acerbes et publiques de Luc De Smet concernant la prochaine réforme de l’asile n’ont sans doute rien arrangé à l’affaire.
Pascal Smet est considéré comme l’homme fort de la politique de l’asile au cabinet Duquesne, pour ne pas dire au sein du gouvernement tout entier. Smet est marqué SP. Il a été conseiller de Johan Vande Lanotte (SP) lorsque ce dernier fut ministre de l’Intérieur dans le gouvernement précédent, et il a également été président de la section jeunes du SP. Dans le débat sur l’asile, Pascal Smet représente la ligne dure. Il est généralement considéré comme l’un des architectes de la prochaine réforme de la procédure d’asile. A partir du 1er janvier, il pourra contribuer à la mettre en œuvre. »
(d’après De Morgen, samedi 23 septembre)

L’OFFICE DES ETRANGERS, MODELE D’EFFICACITE ?
Le malaise révélé par la lettre ouverte du personnel du CGRA remonte à l’arrivée de Pascal Smet au CGRA en tant que commissaire adjoint. Même si Smet est perçu comme un jeune loup opportuniste et dévoré d’ambition, il ne s’agit pas là d’une question purement personnelle. Son étoile ne monte au firmament politique que parce qu’il sent d’où vient le vent et qu’il n’hésite pas à agir en conséquence. Bref, si ce n’était pas Smet, ça pourrait parfaitement être un autre.
Toujours est-il que c’est depuis l’arrivée de Pascal Smet que la tonalité de la politique d’asile a changé. Représentant de la mouvance « dure » au sein du CGRA, il a lancé une campagne de dénigrement contre son supérieur, Luc De Smet, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides. Détaché ensuite auprès du cabinet du ministre de l’Intérieur pour les questions d’asile, il n’a jamais pris la peine de rectifier les faux chiffres de « productivité » communiqués à la Chambre par le ministre Duquesne, chiffres falsifiés en faveur de l’Office des Etrangers et au détriment du CGRA. Ces chiffres délibérément faussés sont toujours les chiffres officiels pour les parlementaires.
Ce qu’il faut voir en toile de fond du mécontentement du personnel du CGRA, c’est une « rivalité » entre ce dernier et l’Office des Etrangers (OE). Bien plus que d’une rivalité pour un quelconque pouvoir, il s’agit de l’affrontement entre deux conceptions du droit d’asile et de l’accueil des réfugiés. L’Office des Etrangers est la première instance qui accueille les candidats réfugiés et qui juge, dans un délai bref, de la recevabilité de la demande d’asile. Si la demande est jugée recevable, le dossier est transmis au CGRA qui doit alors statuer sur le fond. En cas d’irrecevabilité ) l’OE, le CGRA statue en appel. Les méthodes de travail et les critères de qualité qui prévalent au sein de ces deux instances ne sont pas du même niveau. L’Office travaille plus vite, les décisions y sont prises par des fonctionnaires de base et simplement contresignées par des fonctionnaires de niveau 1 (universitaires), ce qui tend à déresponsabiliser les premiers. Au CGRA, par contre, chaque dossier est entièrement géré par le fonctionnaire de niveau 1 qui en a la responsabilité, et la décision est contresignée par le Commissaire. De plus, le CGRA est contrôlé par le Conseil d’Etat, qui lui demande de justifier ses motivations en cas de recours d’un candidat réfugié. En deux mots, on peut dire que l’Office des Etrangers fait un travail plus sommaire et plus expéditif que le CGRA. Contrairement au CGRA, il est placé directement sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, dont il applique les consignes. C’est sans doute la raison pour laquelle Pascal Smet a favorisé, dans son projet de réforme, les méthodes de l’Office des Etrangers. Pourtant, lorsque la réforme avait été annoncée, le monde politique affirmait que les futures instances, et notamment l’AFA (Administration fédérale de l’Asile), prolongeraient les méthodes et la qualité de travail du CGRA. Au fur et à mesure de l’évolution du projet, c’est cependant le contraire qui s’est produit.
LE MINISTRE SE DEPLACE…
Pour « faire passer » la réforme, Antoine Duquesne a rendu visite, le même jour, aux deux administrations qui accueillent les candidats réfugiés. Au CGRA, il a d’abord rassuré le personnel sur le fait que la réforme n’entraînerait pas de pertes d’emploi. Cependant, les questions qui lui furent posées reflétaient des préoccupations tout autres, qui concernaient principalement les garanties de qualité du travail. Ayant du mal à répondre à ces questions, Duquesne a préféré ridiculiser ceux qui les posaient en les faisant passer pour des « sentimentaux » auxquels il manquerait un certain sens des réalités. Par contre, le même jour, à l’Office des Etrangers, il a tenu un discours lénifiant et a tressé des lauriers à son personnel.
Cette mise en rivalité de deux administrations et de deux conceptions du travail n’est évidemment pas innocente. Devant l’augmentation de l’afflux de candidats réfugiés, et avec le Vlaams Blok sur les talons, le monde politique entend favoriser une approche « dure » et expéditive de l’« accueil » des candidats réfugiés. Cette approche dure passe dès lors par des méthodes et des critères qui sont beaucoup plus proches de ceux de l’OE que de ceux du CGRA.
D’une manière générale, les conditions de travail au CGRA sont devenues de plus en plus difficiles ces dernières années. Même si le premier Commissaire, Marc Bossuyt, était perçu comme représentant la « ligne dure », il a toujours fait preuve d’ouverture et de respect pour les décisions et la liberté individuelle de son personnel. Son successeur, Luc De Smet, a pour sa part subi beaucoup plus de pressions dans son travail, et le monde politique lui a laissé moins de latitude. Avec l’arrivée de Pascal Smet à la tête du CGRA, c’est l’intrusion directe du politique dans l’administration de l’asile, du loup dans la bergerie. « Smet est un politicard qui ne s’intéresse pas à la réalité du problème, » estime un haut fonctionnaire du CGRA. « Il n’a pas voyagé, il n’est jamais allé sur le terrain et il ne connaît pas les origines du problème des réfugiés. »
…ET ACCUSE RECEPTION
Face à la sourde oreille des membres du cabinet de l’Intérieur devant ses préoccupations, le personnel du CGRA a décidé de réagir par une lettre ouverte aux instances concernées. La seule réponse du ministre de l’Intérieur fut la nomination de Pascal Smet comme nouveau Commissaire. D’où une bonne dose d’amertume au CGRA. « De plus, le timing est vraiment machiavélique, » estime ce fonctionnaire du CGRA. « Juste avant les fêtes, on fait passer n’importe quoi dans l’indifférence générale. Ensuite, tout ira très vite, la réforme passera devant le Conseil d’Etat en janvier, puis au parlement. La majorité des parlementaires sont peu conscients des enjeux, des procédures et du fonctionnements de instances de l’accueil des réfugiés. Tout ira très vite, à cause du caractère délicat et très politique de cette réforme, à cause du spectre du Vlaams Blok. »