Lettre ouverte CGRA: quelques commentaires by Olivier Taymans Saturday December 30, 2000 at 02:55 PM |
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La lettre ouverte du personnel du CGRA est formulée dans des termes plutôt diplomatiques (fonction publique oblige) qui peuvent nécessiter quelques explications pour une meilleure compréhension. Voici, point par point, quelques éclaircissements sur les thèmes abordés dans cette lettre.
1. Ce qui choque notamment le personnel du CGRA dans le projet de réforme, c’est l’amalgame entre le droit d’asile et l’immigration. Cet amalgame est entretenu depuis longtemps dans l’opinion publique, notamment par la presse, qui rivalise d’émotion lorsqu’il s’agit de cas individuels tragiques (en particulier celui de Sémira Adamu), mais qui est incapable de faire la distinction entre asile et immigration et qui n’a jamais lancé de véritable débat sur la question.
En ce qui concerne l’obligation (contenue dans l’avant-projet de loi) pour le candidat réfugié, de fournir l’itinéraire précis qu’il a emprunté pour arriver en Belgique, elle est perverse à plusieurs points de vue. D’une part, elle réduit fortement la possibilité, y compris pour les « vrais » réfugiés, d’accéder à l’asile. Comment fournir un itinéraire précis lorsqu’on s’est introduit clandestinement dans un camion ou la cale d’un bateau dont on ignorait la destination et qu’on a voyagé en terrain inconnu sans jamais voir la route ou le paysage ? D’autre part, cette obligation répond à un souci de combattre les filières de trafic d’être humains. A la base, ce souci est louable puisqu’il entend mettre fin à l’exploitation éhontée de personnes sans ressources par des trafiquants qui sont au mieux peu scrupuleux, et au pire de vrais criminels. Pourtant, cette préoccupation cache un objectif moins avouable : puisque la forteresse Europe empêche aux réfugiés d’entrer chez nous autrement que clandestinement, le fait de combattre les filières permettrait d’endiguer l’afflux de candidats réfugiés. C’est un peu la même hypocrisie que dans le débat sur le cannabis, mais en sens inverse. Si l’on tolère la consommation de cannabis sans légaliser sa production et sa distribution, on se retrouve comme aux Pays-Bas dans une situation hypocrite, puisqu’on est obligé de fermer les yeux sur une activité illégale rapidement récupérée par la mafia. Pour ce qui est des réfugiés, l’hypocrisie est inverse puisqu’on fait semblant d’être prêt à les accueillir alors qu’on met tout en œuvre pour leur supprimer le seul moyen d’accès à l’asile.
2. Dans les nouvelles instances, l’indépendance dont bénéficiait le CGRA par rapport à son ministre de tutelle est mise à mal, puisque le ministre « EN PRINCIPE, n’intervient pas dans des dossiers individuels ». Toute la question est de savoir de quelle latitude ledit ministre bénéficiera grâce à ce « en principe » plus que flou. Pascal Smet, l’auteur de la réforme, n’a jamais caché qu’il ne voyait pas l’utilité de ce principe d’indépendance, qui ne devrait donc plus peser bien lourd à l’avenir. Au fil des discussions du ‘kern’ (principaux ministres du gouvernement) sur la réforme, cette notion s’est d’ailleurs étiolée, au profit du pouvoir d’intervention du ministre. Pourtant, comme le souligne le personnel du CGRA dans sa lettre ouverte, il est inconcevable de laisser des motifs politiques ou diplomatiques interférer avec des conditions objectives pour l’obtention de l’asile, conditions qui doivent être les mêmes pour tout le monde. A ce sujet, on se souvient notamment de l’affaire Fehriye Erdal.
L’allusion au « brain drain » (fuite des cerveaux) doit sans doute être comprise comme une menace de démissions massives dans le cas où la mouture définitive de la réforme ne retiendrait pas le principe d’indépendance et de non-ingérence politique.
Quant à la dernière phrase de ce point 2, elle fait référence à une extension de fait de la compétence du tribunal administratif dans le traitement des dossiers. Si la qualité du travail en amont est diminuée par la réforme, le tribunal aura à connaître d’un nombre croissant de recours, ce qui augmente l’inégalité face à la procédure. Devant le tribunal, les candidats qui ont les moyens de faire appel à un avocat compétent et chevronné auront plus de chances de faire valoir leurs droits. De plus, là où le CGRA pouvait décider de mettre des dossiers en suspens en attendant des évolutions imminentes dans les pays d’origine, le tribunal est tenu de rendre des décisions rapides, ce qui est rarement un gage de sérénité. Enfin, on connaît la surcharge et le manque de moyens qui handicapent le monde judiciaire. Cette nouvelle évolution dans les procédures d’asile ne sera pas de nature à alléger le problème.
3. Les délais préconisés par l’avant-projet de loi sur la procédure d’asile sont fort brefs, pour ne pas dire irréalistes. Le tout est de savoir s’ils seront indicatifs ou impératifs. A ce sujet, les signaux en provenance du monde politique sont contradictoires. Dans leurs déclarations respectives, les voix de Guy Verhofstadt et Antoine Duquesne sont discordantes : pour le premier, les délais prévus seraient impératifs, tandis que le second estiment plutôt qu’ils seront de nature indicative et qu’il y aura dans la pratique une certaines flexibilité. Bref, même le gouvernement ne sait pas, ou alors il ne veut pas dire ce qui en est exactement.
Dans l’hypothèse où ces délais seraient maintenus et rendus impératifs, les moyens à mettre en œuvre devraient être considérablement accrus. Or, en l’état actuel des choses, on ne sait pas du tout ce qui est prévu dans ce domaine.
Le passage sur la multiplication et la délocalisation des instances chargées de l’asile fait référence au projet d’installer « un bureau d’inscription dans une dizaine d’endroits dans les communes frontalières situées aux principaux axes d’entrées (24h/24) ». Le projet prévoit également l’installation de trois « bureaux d’asile » : un en Flandre, un en Wallonie et un à Bruxelles, qui seront gérés par le ministère de l’Intérieur.
4. La disparition du projet de création d’un statut B dans la mouture finale de l’avant-projet de loi illustre bien le glissement qui s’opère, entre accord politique initial et projet de loi final, vers une politique plus restrictive en matière d’asile. Après un effet d’annonce censé rassurer les segments de l’opinion publique qui sont sensibles au sujet, certains volets jugés trop « généreux » passent à la trappe en catimini.
Pourtant, certains de nos pays voisins, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, ont inclus dans leur législation un tel statut B. Ce statut permet de fournir une protection à des personnes qui ne répondent pas aux conditions de protection de la Convention de Genève, mais qui à l’évidence doivent bénéficier d’une protection particulière pour motifs humanitaires. Cette protection peut parfaitement être temporaire, par exemple en attendant la résolution d’un conflit dans le pays d’origine. Un tel statut permettrait notamment de faire face à des flux massifs de populations déplacées en cas de conflit.