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Politique d'asile: Lettre ouverte du CGRA
by Olivier Taymans Saturday December 30, 2000 at 02:49 PM
alterecho@brutele.be

La politique d'asile va bientôt être réformée en Belgique. Un avant-projet de loi a été approuvé par le conseil des ministres et s'apprête à suivre le reste du parcours législatif. Dans une lettre ouverte, le personnel du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) expose des objections de principe à cette réforme, qui ne semblent pas être entendues par les instances dirigeantes. Voici le texte de cette lettre ouverte.

LETTRE OUVERTE AUX MEMBRES DU GOUVERNEMENT FEDERAL

En qualité d’agents du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA), dans le cadre des discussions menées actuellement au sujet du projet de loi sur la réforme de la procédure et des instances d’asile et dans la lignée du projet de directive européenne du 21 septembre 2000, nous prenons l’initiative de vous faire part de notre inquétude et de nos préoccupations concernant certaines propositions reprises dans la note du Conseil des Ministres du 10/11/2000, et ce dans le souci de préserver les droits du candidat réfugié. Ces réflexions son suscitées par notre travail et son le fruit d’un très large consensus entre les sections géographiques et le personnel administratif du CGRA. S’il est vrai que cette note contient des avancées positives en matière d’asile, d’autres points, par contre, nous posent de réels problèmes. A titre d’exemples, relevons les thèmes suivants :

1. L’avant-projet de loi actuel fait un amalgame entre le droit d’asile et l’immigration. En effet, d’une part, il affirme que le droit d’asile est un droit sacro-saint mais, d’autre part, il le réduit pratiquement à une réglementation sur l’immigration. Il ne peut être nié que l’abus de l’asile prend des proportions sérieuses (nous sommes bien placés pour en témoigner). Cependant, il faut rappeler que 10% des demandeurs d’asile sont reconnus réfugiés et méritent une protection (ici encore nous pouvons fournir des témoignages criants). Imposer à ces « vrais » réfugiés de fournir l’itinéraire précis par lequel ils ont fui (dans l’hypothèse où ils sont en mesure de le faire) affaiblit leur droit de demander la protection, droit pourtant garanti par le droit tant international que national.
Du point de vue des droits de l’homme, cela équivaut à « jeter le bébé avec l’eau du bain ». On ne peut, en conséquence, s’empêcher de penser que le renforcement de mesures dissuasives (dont la problématique de l’itinéraire ne fournit qu’un exemple) rend l’accès effectif à la procédure d’asile très difficile pour les réfugiés.

2. En ce qui concerne le statut de la future Administration Fédérale de l’Asile (AFA), selon la note du Conseil des Ministres du 10 novembre 2000, cette administration « prend ses décisions sur base de directives générales du Ministre qui, en principe, n’intervient pas dans les dossiers individuels ».
L’indépendance actuelle du CGRA nous a toujours semblé une bonne garantie d’impartialité des décisions ; à supposer qu’il soit justifié de la supprimer, il paraît fondamental de définir clairement les contours des éventuelles interventions ministérielles dans la mission de l’AFA.

Jusqu’à présent, le travail tel qu’il est conçu au CGRA permet à chaque agent de travailler dans un climat de responsabilisation qui implique une spécialisation géographique et un travail de recherche et d’information continu au sein d’une structure garantissant l’homogénéité de la jurisprudence. Cette conception de travail est d’ailleurs préconisée par le Plan Copernic. Le personnel actuel a été engagé et formé dans ce sens et puise, dans cette manière de procéder, la motivation nécessaire à un travail de qualité.

Dès lors, il apparaît primordial de fixer clairement les critères précis d’établissement d’éventuelles directives, de même que l’objet de celles-ci, et d’établir des garanties permettant que ces dernières ne soient en rien motivées par des considérations politiques ou diplomatiques mais répondent à des conditions objectives. Dans le cas contraire, bon nombre d’agents actuels ne trouveraient plus de sens au travail effectué. Le risque de « brain drain » prendrait toute sa signification. Par ailleurs, la diminution qualitative éventuelle des premières décisions compliquerait le travail des juridictions et retarderait l’ensemble de la procédure.

3. Le projet de loi crée en outre une sorte de droit d’asile accéléré. Nul ne peut y voir d’inconvénient à condition que les garanties juridiques propres à un Etat de droit soient respectées. Les délais prévus dans le projet (tant au niveau des recours introduits par les candidats réfugiés qu’au niveau du traitement par les instances d’asile) sont toutefois considérés par les observateurs avertis comme illusoires. Par ailleurs, la question se pose de savoir si les délais de traitement seront dans la pratique contraignants ou uniquement indicatifs. Si l’intention est de rendre ces délais impératifs, il faut être conscient que d’énormes moyens devront être mobilisés, afin, entre autres, de procéder à une audition de chaque demandeur d’asile. Dans le cas contraire, la procédure d’asile serait parfois menacée par la pression importante de l’impératif de « productivité », ce qui aboutirait ni plus ni moins à un simulacre de procédure. En outre, la multiplication des instances chargées de l’asile due à leur délocalisation risque d’accroître la charge de travail des services administratifs. Dans cette hypothèse, il sera certainement problématique de respecter les délais prévus.

4. La pratique du CGRA dans les dossiers individuels auxquels il est confronté démontre que bon nombre de demandeurs d’asile ont besoin d’une protection internationale subsidiaire et adéquate qui permettrait de suppléer aux limites de la protection de la Convention de Genève. L’accord gouvernemental prévoyait la création d’un statut B ou humanitaire, rencontrant dès lors d’une part les préoccupations humanitaires qui ne sont pas du ressort de la procédure d’asile telle qu’elle est définie actuellement et d’autre part, la prise de position en ce sens de la Commission.

Nous sommes donc surpris de constater que le projet actuel ne prévoit nullement la création d’une protection alternative, ce qui nous paraît regrettable. Le personnel des futures instances d’asile sera dès lors encore régulièrement confronté à des personnes présentant un besoin criant de protection sans toutefois, dans l’état actuel de la loi, pouvoir la leur accorder.


Le personnel du CGRA

CC Mesdames et Messieurs les membres des Commissions de l’Intérieur de la Chambre et du Sénat,

Monsieur le Délégué du HCR à Bruxelles,

Monsieur Luc De Smet, Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides,

Monsieur Xavier De Beys, Commissaire adjoint.