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Intervention de la Ligue des Droits de l'Homme à l'ONU
by LDH (posted by Fred) Friday December 22, 2000 at 03:55 PM

INTERVENTION DE LA LIGUE DES DROITS DE L'HOMME DE BELGIQUE AU COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS DES NATIONS UNIES (NOVEMBRE 2000)

INTERVENTION DE LA LIGUE DES DROITS DE L’HOMME DE BELGIQUE AU COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS DES NATIONS UNIES (NOVEMBRE 2000)

JULIE LEJEUNE, présidente de la commission droits économiques et sociaux LDH

Mesdames et Messieurs,

C’est au nom de la Ligue francophone belge des droits de l’homme que j’ai le plaisir de prendre la parole devant votre Comité. Je tiens à remercier tout particulièrement la Fédération internationale des Droits de l’Homme en la personne de Eleni Petroula sans qui nous ne serions pas là.
En effet, le gouvernement belge n’a pris aucune mesure visant à faire connaître aux milieux associatifs concernés l’existence de son rapport relatif à l’application du Pacte, sa présentation à Genève et encore moins la possibilité de déposer et de défendre devant votre Comité un contre-rapport.

J’aborderai au cours de cet exposé les cinq points qui nous paraissent mériter toute l’attention que vous voudrez bien leur accorder, étant entendu que le contre-rapport que nous vous avons remis ainsi que la farde de documentation que nous tenons à votre disposition contiennent les compléments
d’information en termes de législation, de doctrine et de jurisprudence sur ces points.

Je commencerai par un rapide commentaire de l’article 23 de la Constitution belge et le problème de son effectivité, puis j’aborderai la question du droit au logement par le biais des réquisitions d’immeubles désaffectés.

Je me permettrai ensuite d’attirer votre attention sur une discrimination lourde qui pèse sur les femmes en matière d’assurance chômage avant d’en venir à deux points relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels des populations étrangères. L’aide sociale aux demandeurs de
régularisation d’une part et l’aide – matérielle ou financière – aux demandeurs d’asile.

1. L’ARTICLE 23 DE LA CONSTITUTION BELGE ET SON EFFECTIVITÉ.

Comme vous le savez, la Belgique s’est dotée, lors de sa dernière révision constitutionnelle (1994) d’un article 23 qui garantit les droits économiques, sociaux et culturels.

Cette disposition délègue au législateur compétent (Régions, Communautés et Etat fédéral, chacun pour la matière relevant de ses compétences) la faculté de
légiférer pour donner un contenu concret aux droits qu’elle énumère, étant entendu que l’article 23 de la Constitution est explicitement dépourvu de tout effet direct.

Dans l’état actuel des choses, nous tenons à souligner qu’aucune disposition légale, ordonnantielle ou décrétale n’a été prise en application de l’article 23. Sa seule potentialité d’effet reste donc indirecte, par le biais du principe de standstill. Toutefois, ce principe reste relativement méconnu tant des plaideurs, qui hésitent à l’utiliser, que des juges, qui répugnent à s’en saisir.
Le malaise qui entoure le concept de standstill entraîne une application différenciée selon les matières envisagées. Ainsi, alors qu’il est très précisément développé en lien avec le droit à l’enseignement, il est (quasi) inexistant en matière de droit au travail.

Deux choses doivent être soulignées ici. D’une part, la consécration générale des droits économiques, sociaux et culturels offerte par l’article 23 voit sa portée restreinte par une référence aux «obligations correspondantes» qui devrait être explicitée clairement par le Gouvernement belge.

D’autre part, le contrôle de la constitutionnalité des lois
s’opère, en l’absence de Cour constitutionnelle au regard des articles 10,11 et 27 de la Constitution (règles répartitrices de compétences et principes généraux d’égalité devant la loi et de non-discrimination). Il
nous paraît certain que permettre à cette Cour de contrôler directement la constitutionnalité des normes par rapport à l’article 23 de la Constitution (indépendamment des principes sus-mentionnés) ne manquerait pas de renforcer significativement l’effectivité de cette disposition qui en
manque.

Nous nous permettons dès lors de vous suggérer d’interroger le gouvernement belge sur ce point.

2. LE DROIT AU LOGEMENT

Nous souhaitons ici vous rappeler la loi « contenant un programme d’urgence pour une société plus solidaire » datée du 12/01/1993, et plus particulièrement son article 27.

Cette disposition donne aux bourgmestre, à la demande du Président du Conseil de l’aide sociale, le pouvoir de réquisitionner des logements inoccupés depuis six mois pour les mettre à le disposition de personnes sans-abri.

Ce texte avait pour double objectif de répondre aux problèmes de logement rencontrés par la population sans-abri du pays d’une part, et d’autre part, de mettre un frein à une pratique de spéculation immobilière qui se fonde justement sur l’inoccupation intentionnelle d’immeuble.

La Ligue belge des droits de l’Homme s’inquiète de ce que cette loi, entrée en vigueur en 1993, soit, 7 ans plus tard, toujours sans aucune application connue et nous vous demandons de relayer cette inquiétude auprès du gouvernement.

3. LE STATUT DE COHABITANT EN MATIERE D’ASSURANCE SOCIALE

Le statut de « cohabitant » constitue une catégorie à part en assurance chômage ainsi qu’en matière d’assurance invalidité instauré dans une période où la conjoncture économique poussait à diminuer les dépenses de la sécurité
sociale.

Cette catégorie a été créée par un acte de l’exécutif (Arrêté royal du 24/12/1980) et non par un acte du pouvoir législatif comme la loi du 29/06/1981 l’impose clairement dans son article 33.

Cette catégorie est caractérisée par le fait que l’indemnité de l’assuré en cas de survenance des risques est diminuée du seul fait de l’existence du revenu, professionnel ou de remplacement, de la / des personne(s) avec lesquelles il vit.

Trois points sont à soulever :

l’instauration de la catégorie des cohabitants nous paraît violer l’article 9 du Pacte ou à tout le mois le principe de standstill qui le garantit ;
discriminatoire à l’égard des femmes, cette catégorie viole les article 2 par. 2 et 3 du Pacte ;
et surtout, à cause des ruptures familiales qu’elle provoque, cette catégorie nous paraît encore contrevenir à l’article 10 du Pacte.

Nous attirons votre attention sur le fait que cette catégorie de chômeurs est victime d’une double discrimination .

une discrimination directe d’une part du fait que tous les travailleurs ayant cotisé de la même manière, les indemnités allouées lors de la survenance du risque sont réduites s’il y a cohabitation, voire même supprimées :
Cette suppression constitue une réelle mort sociale car l’assuré perd également ses autres droits de sécurité sociale.
Une discrimination indirecte mais très lourde, d’autre part, fondée sur le sexe, du fait que cette catégorie est à 69,4 % composée de femmes.

Dans ces conditions, nous plaidons pour une suppression de la catégorie des cohabitants.

4. LE DROIT A L’AIDE SOCIALE DES DEMANDEURS DE RÉGULARISATION.

C’est également sur une discrimination que je me permettrai
d’attirer votre attention dans ce chapitre.

Depuis le mois de janvier 2000, la Belgique connaît sa première opération de régularisation de sans-papiers. Toutefois, les personnes ayant choisi d’introduire une demande de régularisation de leur séjour sont placées
dans une situation juridiquement ambigüe.

En effet :

d’une part, ces personnes sont légalement tolérées sur le territoire belge (article 14 de la loi sur les régularisation qui prévoit qu’il ne sera pas procédé à l’éloignement du territoire tant que le Ministre n’aura pas statué sur la demande de régularisation) pendant la durée
d’examen de leur dossier ;
d’autre part, aucune forme d’aide sociale ne leur est accordée, exception faite de l’aide médicale urgente.

Il en résulte une discrimination entre deux catégories d’étrangers autorisés à demeurer sur le territoire selon la disposition légale qui fonde ce droit.

Les retards alarmant constatés dans le traitement des dossiers ainsi que le fait que parmi les victimes du choix du gouvernement figurent les enfants dont les parents ont demandé la régularisation de leur séjour rend cette
discrimination d’autant plus inacceptable que la population est de ce fait prise en otage.

Nous suggérons à votre Comité d’interpeller le gouvernement belge sur ce point qui pose tant la question de l’Etat de droit que celle de la cohérence gouvernementale.

5. LE DROIT À L’AIDE SOCIALE DES DEMANDEURS D’ASILE.

Le gouvernement vient de présenter les lignes de forces de sa réforme de la procédure d’asile.

C’est un élément en particulier, parmi ces nombreuses mesures, que nous souhaitons soumettre à votre attention.

Jusqu’ici, à son arrivée sur le territoire et jusqu’à ce
qu’il soit statué en dernier ressort sur sa demande, le candidat réfugié recevait de la part des Centres publics d’aide sociale une aide financière (d’un montant équivalent au minimum d’existence).

Aujourd’hui, il a été décidé de supprimer l’octroi de cette aide financière pendant la durée de la procédure au profit d’une aide matérielle (fonction hôtelière, accompagnement psycho-social et juridique, animation et soins médicaux).

La Ligue des droits de l’Homme de Belgique s’inscrit radicalement en faux contre cette mesure archaïque qui, remplaçant le droit à la sécurité d’existence par la charité nous fait faire de la sorte un bond d’un siècle en arrière.

Privé de toute autonomie, totalement infantilisé, le demandeur d’asile sera placé dans l’impossibilité de préparer une nouvelle existence dans la société qui l’accueillera si le droit de séjour lui est accordé.

En outre, le procédé qui consiste à sanctionner les victimes au nom des pratiques infâmes de ceux qui les exploitent ne se justifie pas ; c’est le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine qui est ici refusé à une
population entière et effectivement vulnérable.

(fin de la présentation de Julie Lejeune)


Déclaration universelle des droits de l'Homme (1948)

Article 22
Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa
personnalité, grâce à l'effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l'organisation et des ressources de chaque pays.


Article 23
1. Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. 2. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour
un travail égal.3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu'à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s'il y a lieu, par tous autres moyens de
protection sociale.4. Toute personne a le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.


Article 24
Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques.


Article 25
1. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.
2. La maternité et l'enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciales. Tous les enfants, qu'ils soient nés dans le mariage ou hors mariage, jouissent de la même protection sociale.


Article 26
1. Toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental.
L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite.
2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des
Nations Unies pour le maintien de la paix.
3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants.


Article 27
1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. 2. Chacun a droit à la protection des intérêts
moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur.

Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966)

Article 6
1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit au travail, qui comprend le droit qu'a toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté, et prendront des mesures appropriées pour sauvegarder ce droit. (...)

Contact presse: Dan Van Raemdonck, président LDH 0478296428