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Chronique Palestinienne: Occupation, violences et humiliations au quotidien
by Médecins Sans Frontières (posted by han) Wednesday December 20, 2000 at 09:43 PM

Plus de deux mois après le début de l'Intifada d'Al-Aqsa, la réalité quotidienne des populations civiles confrontées à la violence est extrêmement préoccupante. La répression israélienne prend des allures de punition collective et les moyens militaires utilisés sont ceux habituellement déployés dans les situations de guerre conventionnelle, et non contre des civils.

CHRONIQUE PALESTINIENNE :

Occupation, violences et humiliations au quotidien

 

 

 

 

Un rapport de Médecins Sans Frontières

Témoignages recueillis par les équipes présentes dans les Territoires de Palestine

 

Décembre 2000

 

 

 

CHRONIQUE PALESTINIENNE :

Occupation, violences et humiliations au quotidien

 

 

Plus de deux mois après le début de l’Intifada d’Al-Aqsa, la réalité quotidienne des populations civiles confrontées à la violence est extrêmement préoccupante. La violence de l’occupation israélienne, le piège dans lequel est prise la population palestinienne, la disproportion des moyens employés ont de lourdes conséquences pour les civils qui les subissent. La répression israélienne prend des allures de punition collective et les moyens militaires utilisés sont ceux habituellement déployés dans les situations de guerre conventionnelle, et non contre des civils.

 

Le blocus économique imposé par Israël aux territoires palestiniens fragilise encore une structure sociale déjà précaire et souligne l’extrême dépendance dans laquelle sont maintenues les familles palestiniennes.

De fait, les conditions de vie quotidienne de ces familles ne cessent de se dégrader. Les Palestiniens vivent dans la peur permanente des représailles de l’armée israélienne et des colons juifs. Leur frustration à l’égard de l’Autorité Palestinienne augmente. Les familles palestiniennes disposent de moins en moins de revenus pour vivre. Les Palestiniens employés en Israël ne peuvent plus se rendre à leur travail, la circulation des personnes et des biens est régulièrement entravée.

 

Sous prétexte de prévenir des actes terroristes, des maisons palestiniennes, situées à proximité de colonies juives, ou de routes utilisées par les colons, sont rasées, réquisitionnées, en toute impunité ; des familles palestiniennes se voient contraintes de fuir leur foyer en raison de tirs réguliers contre leur village. Les intimidations et les humiliations sont quotidiennes.

 

Les obstacles à l’accès aux soins sont nombreux. Il est devenu difficile de circuler librement ; les contrôles sont fréquents, longs et humiliants. Autant dire que, pour certaines familles, il devient impossible de se rendre dans les structures médicales palestiniennes ou d’avoir accès à un médecin. Pour certains malades, la peur de voir leur maison réquisitionnée ou détruite pendant leur absence est si grande qu’elle les pousse à renoncer à se faire soigner. L’accès aux soins pour la population est dès lors soumis à de nombreux aléas, alors même que la violence exercée contre les familles palestiniennes et le climat de terreur dans lequel elles vivent génèrent des états de stress et de peur panique très intenses, réclamant une prise en charge soutenue.

 

Dans ce nouveau contexte de violence, Médecins Sans Frontières vient d’ouvrir deux nouvelles missions d’assistance en Palestine. L’une dans la bande de Gaza, la deuxième dans la vieille ville d’Hébron.

 

 

Adaptées à un contexte de violence très particulier, ces interventions ont pour spécificité :

1. de rassembler des médecins et des psychologues dans une pratique clinique conjointe, car les événements actuels provoquent à la fois des troubles physiologiques et psychologiques : accentuation des pathologies chroniques ou antérieures par le stress, colère, angoisses, peur “ d’avoir été empoisonné ”, troubles du sommeil ou de l’alimentation… La consultation médicale permet de détecter et de soigner les troubles physiologiques. Parallèlement, le psychologue peut commencer un travail thérapeutique permettant aux patients d’exprimer leur peur, de traiter leurs traumatismes et de réduire leur stress.

 

2. d’être axées sur des visites à domicile, car les entraves opposées à la circulation des personnes ainsi que la terreur ressentie par les patients les empêchent le plus souvent de se déplacer pour consulter.

 

3. de s’adresser en priorité aux personnes (adultes et enfants) les plus exposées, c’est-à-dire celles qui vivent à proximité de lieux d’affrontements, de zones bombardées, de colonies juives ou de camps militaires israéliens.

 

Ce document présente les observations des équipes de Médecins Sans Frontières en Palestine recueillies depuis novembre 2000, lors de leurs premières visites dans les familles. Les extraits du journal de bord de l’équipe de Gaza, et le témoignage de l’anesthésiste qui a travaillé dans l’hôpital de Qalqylia en Cisjordanie décrivent, tous deux, les conditions de vie quotidienne des familles palestiniennes, entre violences, peur, intimidations et humiliations. Ils soulignent également les contraintes imposées au travail des équipes médicales.

 

 


 

JOURNAL DE BORD DE L’EQUIPE PSYCHO-MEDICALE MSF

GAZA, NOVEMBRE-DECEMBRE 2000

 

 

Dimanche 12/11/00

 

Visite dans le quartier Salah’edine à Rafah.

Première famille

Nous retournons voir un petit garçon de 8 ans qui présente des troubles depuis la destruction de l’étage de la maison où il dormait avec ses frères. Il est un peu mieux que lors de notre précédente visite, mais reste encore fragile. Il dit tout le temps qu’il a peur, il est anxieux. Sa famille le trouve changé, il n’est plus comme avant, il a perdu sa gaieté, il est inquiet.

On entend des tirs qui passent au dessus de la maison.

Nous parlons avec lui et son frère aîné (l’enfant ne veut pas rester tout seul avec nous), nous l’aidons à exprimer ce qu’il ressent et à raconter lui-même ce qu’il a vécu durant cette attaque de la maison.

 

Deuxième famille.

Dans cette rue très exposée, nous voyons une maison criblée d’impacts de tirs, et nous demandons aux personnes qui sont là dans la rue si des gens habitent ici. La maison est occupée par un couple plus très jeune, sans enfants. Le mari est un ancien professeur d’anglais de collège. Ils nous invitent à entrer et se montrent très enclins à nous parler. Ils vivent dans un stress permanent depuis le début de l’intifada, ils sont juste en face du poste militaire israélien, à portée de tir. Les balles ont traversé le salon à plusieurs reprises, juste là où nous sommes assis en train de discuter (!). Ils vivent désormais repliés dans la pièce du fond, sortent par la porte de derrière pour aller voir leurs voisins, mais ne s’éloignent pas, de peur qu’en leur absence un incendie ne se déclare.

Ils ne dorment plus, ne mangent plus ou très peu car plus rien ne passe, le monsieur âgé de 58 ans se plaint de douleurs articulaires et musculaires, la dame âgée de 37 ans se plaint surtout de la peur qui ne la quitte pas. Ils nous racontent tout cela avec pourtant un certain humour et remercient Dieu de ne pas avoir d’enfants, sinon ils seraient certainement plus mal, vu le sort réservé aux jeunes en ce moment.

Toutefois, derrière cet humour de surface, on devine une sourde angoisse qui filtre à travers des propos très amers contre l’Autorité palestinienne “ qui s’en est mis plein les poches, et en qui on ne peut avoir confiance ”. Ils se sentent isolés, sans appui, abandonnés et livrés à un grand pessimisme.

 

Troisième famille

En face de celle-ci mais tout à fait adossée au poste israélien, une autre maison devant laquelle se tient un homme. Aux fenêtres, des femmes et des enfants. Le monsieur nous invite à entrer, il habite là avec sa famille. Pour entrer chez lui, il faut tourner à l’angle de la maison, là où les jeunes viennent s’affronter. C’est exactement ici que certains ont été blessés et tués. En montant l’escalier, on se baisse en passant devant les ouvertures, impacts de tirs et trous larges comme une main dans les cloisons. Deux étages, deux familles, l’une est partie se réfugier ailleurs. Pendant que nous parlons dans une pièce close et calfeutrée, on entend les tirs tout proches et les gaz commencent à nous piquer les yeux . Les enfants sont calmes et silencieux, ils ont l’air grave, écoutent leur père parler. Ils partent chaque soir avec leur mère dormir ailleurs, le père revient seul dormir ici pour garder la maison (peur de l’incendie toujours). Le jeune de 15 ans ne participe pas aux affrontements, du moins c’est ce qu’il affirme devant son père. Celui-ci a essayé de dissuader les jeunes de venir s’affronter, il n’en peut plus de les voir tomber et aussi que cela se passe si près de chez lui, mais il reconnaît qu’il est impuissant à les empêcher.

 

Khan Yunis

A l’extrémité ouest de la ville, le camp de réfugiés est situé aux abords directs d’une zone de colonies. Il est comme enclavé en son extrémité dans une zone entièrement contrôlée par l’armée israélienne, les dernières maisons sont exposée aux affrontements quotidiens, les immeubles de plusieurs étages qui dominent ces maisons sont criblés d’impact de tirs. Ce sont aujourd’hui des immeubles vides.

Nous rendons visite aux deux familles qui vivent dans les deux maisons les plus exposées car situées au bout de la ruelle, et face aux installations militaires qui sont à peine à 20 mètres.

Les affrontements ont eu lieu ici depuis le début de l’Intifada, et depuis deux jours ils se sont déplacés à 100 mètres d’ici, ce qui n’est pas beaucoup, mais assez pour qu’un peu de calme revienne pour ces familles.

Presque toutes les familles ont quitté ce quartier, au moins pour la nuit.

C’est le père qui parle, il est très anxieux et s’exprime dans une logorrhée abondante. Il a sept enfants de 2 à 14 ans, il craint pour leur vie, pour leur santé, il ne travaille plus, il est très inquiet. Il évoque les drames antérieurs de la guerre pour sa famille : sa fille aînée de huit ans a été tuée en 1993, elle portait un t-shirt à l’effigie de Saddam Hussein le jour où elle a été tuée. Deux de ses frères ont été tués, l’un en 1976 et l’autre en 1991 lors d’affrontements. Il y a quelques jours, sa fille de 7 ans a voulu renverser la télévision alors qu’elle regardait les images de l’Intifada. Il est dans un état de stress permanent, il ne dort plus, il a vu les jeunes blessés, il exprime son impuissance devant les événements. “ Nous, les Palestiniens, nous sommes instruits et intelligents, mais nous n’avons pas de chance, votre visite nous apporte un peu de réconfort ”.

 

Lundi 13/11

 

Erez

Ce village bédouin se trouve face à un lieu où les affrontements sont quotidiens.

 

Nous rencontrons des gens épuisés par la situation. Ils vivent en contrebas de la route, devant eux les installations militaires, derrière eux le quartier de Beit Hanoun. Ils sont en face ou au-dessous des tirs. C’est un camp assez pauvre, les hommes travaillaient presque tous en Israël. Nous nous installons d’abord dans la cour de l’une des maisons pour parler avec les gens qui sont là : des hommes, des femmes et de très jeunes enfants. Ce sont en général des maisons en tôle, certaines sont en dur mais de construction plus que légère. Ils n’ont aucune protection solide, ni vis à vis des tirs, ni vis à vis des gaz. On ne compte pas les impacts de balles qui trouent les “ murs ” de ces habitations. Les installations de l’IDF (Forces de Défense Israéliennes) surplombent le village, ce sont des filets de camouflage, on ne voit pas les soldats, on devine leurs présence et les armes pointées en permanence, une menace invisible mais omniprésente.

Aujourd’hui et pour la première fois depuis le début de l’Intifada, il n’y a pas eu d’affrontements, il est 13 heures, hier à la même heure nous n’aurions pu pénétrer ici, et demain ? Mieux vaut revenir plus tôt dans la journée.

Les gens souffrent des gaz, ils n’arrivent plus à protéger leurs enfants et eux-mêmes depuis l’apparition de ces nouvelles grenades lacrymogènes plus concentrées. Ils se protègent en appliquant des oignons sur le visage, mais cette protection est devenue inefficace.

Un homme raconte qu’il y a eu des jeunes blessés lors des affrontements, ils se sont réfugiés dans le village pour se mettre à l’abri des tirs et trouver du secours, il a vu ces blessés et l’un mort, que l’on a dû traîner sur le sable pour aller jusqu’à l’ambulance. Ils avaient les jambes touchées, il y avait beaucoup de sang, cet homme pense tout le temps à ces jeunes qu’il a vu souffrir devant ses yeux. Il sait que deux d’entre eux ont dû être amputés. Il est envahi par ces images de mort. Ce monsieur nous confiera plus tard d’autres problèmes qui traduisent une grande anxiété, il nous demande de revenir pour qu’il puisse nous parler en privé, ce que nous ferons.

Un autre homme, plus jeune, est désigné par les autres comme très souffrant. “ Hier il était comme fou ” disent-ils. Il raconte comment son père, un homme âgé, a été asphyxié lors d’un jet de gaz, il y a environ un mois, au début de l’Intifada. Le jeune, voyant son père en difficulté, est allé vers lui pour le secourir, ils ont alors été tous deux exposés. Cet homme nous confie qu’il a eu du mal à maîtriser sa peur. Il a transporté son père à l’abri des tirs, celui-ci avait perdu connaissance. Hier cet homme a été pris de panique lors de nouveaux tirs de gaz, il a fait irruption par la fenêtre chez son voisin pour se protéger, lui, sa jeune femme enceinte et ses deux enfants en bas âge. Il a perdu le contrôle de ses nerfs, et sa femme est aujourd’hui alitée, malade.

Nous avons rendu visite à cette jeune femme. Elle présente des troubles consécutifs au stress aigu dont elle a été l’objet, nous pouvons parler avec elle, elle réagit positivement à notre approche. Nous la reverrons demain avec le médecin pour un examen somatique très utile dans ce cas, du fait de symptômes physiques qu’elle présente, puis continuerons à la suivre sur le plan psychologique.

Les inquiétudes exprimées à propos des gaz sont récurrentes, stérilité, maladies qui se déclareront dans vingt ans sont à l’esprit de chacun. Réflexion d’un homme après la visite du médecin auprès de cette femme : ça va mieux pour elle aujourd’hui, mais que va-t-il arriver à son bébé ?

La sensation d’étouffement consécutive à l’inhalation de ces gaz provoque une sensation de mort imminente, aggravée par la croyance en leur nocivité chimique. On ne connaissait pas ces petites bonbonnes, très concentrées et qui libèrent une quantité supérieure de gaz à celles utilisées auparavant. Celles-ci, qui étaient en caoutchouc noir, pouvaient être saisies et relancées au loin ; les nouvelles sont en métal brûlant, tournoyant sur elles-mêmes, impossibles à saisir.

 

Proximité de la colonie Netzarim

Quatre maisons se trouvent sur un même terrain, juste derrière les deux immeubles qui ont été dynamités par l’IDF pour faire place nette (lieu où a été tué le petit Mohamed Dura et son père blessé), à ce carrefour qui mène à la colonie de Netzarim.

Quatre familles vivent là (des frères) avec leurs nombreux enfants. Ce sont d’anciens réfugiés, ils ont construit là en 1990. Nous nous installons dans la grande pièce, le sens de notre visite est bien compris. Un seul des pères est présent, deux mères soucieuses pour leurs filles, l’une surtout qui ne cesse de demander à partir d’ici. Les murs, pourtant épais, ne rassurent plus, le récit de cette nuit interminable (explosion des immeubles) se fait à plusieurs voix. “ On a pensé qu’on n’en sortirait pas vivants ”. La jeune fille qui a peur s’exprime, encouragée par sa cousine qui parle plus volontiers. La grand-mère, qui s’est jointe à nous, raconte la terreur qu’elle a ressentie, trouvant refuge sous l’escalier. Elle se demande si elle ne devrait pas prendre des médicaments pour dormir. Au dehors, on entend les chars qui passent et repassent, rappel de l’omniprésence militaire que chacun ici ne peut oublier. Les enfants ne sortent que pour aller à l’école, accompagnés par les parents.

 

Mardi 14/11

 

Nouvelle visite au village d’Eretz

La jeune femme enceinte fait l’objet de cette visite.

Dans une autre maison, on nous demande pour une femme et un enfant. En peu de temps arrivent d’autres femmes avec des enfants en bas âge. La maison ressemble alors à un petit dispensaire improvisé de PMI.

Deux enfants présentent des troubles liés à l’anxiété ; une petite fille de 2 ans qui était propre recommence à faire pipi, un autre enfant plus grand présente les mêmes symptômes. Nous nous entretenons avec les mères et leurs enfants, pour expliquer le lien entre le ressenti de la peur et les régressions qui peuvent survenir en conséquence chez les enfants petits. Il s’agit d’une réaction normale face à une situation anormale. Rassurer, consoler, protéger, entourer, comment faire face quand on a trois ou quatre enfants qui demandent tous cette même attention ? La jeune mère exprime son débordement.

Nous reviendrons dans ce village pour prendre soin de ces familles et les aider à prendre soin de ces tout-petits, qui passent de la maison aux jardins où ils se réfugient lors de chaque affrontements et menaces.

 

Mercredi 15/11

 

Camp de Khan Yunis

Nous visitons cette fois  l’autre partie du camp qui est exposée aux tirs ; la distance qui sépare du poste militaire est infime, et les jeunes ici sont nombreux à venir chaque jour. Plusieurs d’entre eux ont été tués depuis le début des affrontements.

Il est évident que ces gens vivent dans un stress permanent. Il règne une ambiance survoltée, tout le monde veut parler en même temps, la présence du médecin est sollicitée.

Les gens sont dans un état que je qualifierais d’hypomaniaque : des rires, des cris, des enfants très excités, des cailloux (petits) qui volent ici où là. Mais des gens qui sont contents de nous recevoir parmi eux, et de nous expliquer ce qu’ils vivent. Ceux qui le peuvent ne dorment pas ici. Il y a dans chaque maison une pièce calfeutrée pour se protéger des gaz.

Lors de cette première visite, nous voyons aussi des mères inquiètes pour les enfants, un bébé qui ne grossit pas, un enfant qui présente une énurésie.

 

Jeudi 16/11

 

Camp de Khan Yunis

Lors de notre seconde visite, nous avons un long entretien avec la mère d’un bébé âgé de 7 mois, au cours duquel nous approchons la problématique qui relève à la fois de l’anxiété et de la honte d’avoir un bébé qui ne grossit plus depuis trois mois. Cet enfant présente pourtant un développement psychomoteur normal, il interagit et se montre éveillé. C’est surtout l’anxiété de la mère qu’il faut apaiser.

Une autre mère, déjà rencontrée hier, vient nous parler de l’énurésie de son garçon de 5 ans, nous pouvons lui donner quelques conseils et nous adresser au petit, qui hier s’était montré comme un “ petit dur ”.

 

Le grand frère du bébé est un garçon de 11 ans, aux yeux pétillants d’intelligence. Il raconte qu’il connaît le jeune qui a été tué hier (peu de temps après notre visite). Il était dans sa classe. Il revient des funérailles (que nous avons croisées). Il est fier de parler, et il prend un ton presque arrogant pour dire que lui aussi va aux affrontements, qu’il n’a pas peur, et que celui qui n’y va pas après l’école manquerait de courage. Tout le monde y va, ce n’est pas possible de ne pas y aller. Puis il ajoute que le mort, le “ chahid ” (martyr), était “ majnoun ” (fou), qu’il provoquait les soldats israéliens (insultes, sexe exhibé). Selon lui, l’enfant qui a été tué a été visé une première fois, il s’est caché derrière un bloc de béton, puis il a passé sa tête, et là, il a reçu une balle dans le front. Il parle sans tristesse, il cherche à nous impressionner, il ne sera pas dit qu’il a éprouvé de la peur. Une psychologue palestinienne qui m’accompagne est assez troublée par l’expression de ce petit garçon.

 

Les jeunes se rassemblent sur le lieu des affrontements habituels et le lancement de gaz lacrymogènes commencent. Nous ne pouvons pas rester, nous quittons le camp sans pouvoir prévenir les gens qui attendent le médecin, et sans pouvoir prévenir de notre prochaine visite.

Un peu plus loin, nous nous arrêtons et sommes entourées de dizaines de jeunes, surtout des filles qui viennent de s’approcher très près des postes de l’IDF, et ont reçu du gaz: Un petit moment d’hystérie collective qui nous fait mesurer à nouveau l’ambiance très chaude du lieu: “ Pourquoi voulez-vous nous tuer ? ” crie l’une d’elles. La psychologue palestinienne et francophone qui nous accompagne aujourd’hui lui dit que nous sommes français, et que nous sommes venus pour aider. La jeune fille n’écoute pas et dit que c’est pareil. Nous partons donc dans une sorte de confusion, qui nous rend un peu pensifs.

 

Samedi 18/11/00

 

Dans le quartier de Al Muragah

Depuis que le carrefour de Netzarim a été nettoyé, destruction de tous les édifices, arrachage des arbres, les affrontements se produisent au croisement suivant, juste à coté d’une petite mosquée, où stationne en permanence une Jeep de l’IDF. Un ou plusieurs tanks circulent sur la route que les colons empruntent.

Ce samedi matin est calme, les gens se demandent quel est ce calme inhabituel, ils n’ont pas connu cela depuis des jours, surtout depuis la nuit de jeudi, où les bulldozers ont continué leur œuvre de nettoyage. Il y a maintenant de quoi faire passer une route à quatre voies !

Nous allons de maison en maison, pas de présence militaire jusqu’à 15 heures. Nous quitterons le quartier vers 16 heures, après avoir rencontré des gens abattus, sous le choc, visiblement épuisés par des nuits sans sommeil. L’inquiétude est permanente, cela se voit, s’entend, se dit. Une jeune femme, ayant des compétences de secourisme, se propose de nous emmener dans les maisons les plus souffrantes. Elle est très concernée par la souffrance des gens.

Nous identifions au moins 2 personnes ayant besoin d’un soutien individuel : un homme de 27 ans dont la mère est venue nous parler, et une mère de famille, qui habite dans une des maisons longeant la route. Pendant la nuit, la famille a vu le bulldozer arriver sur leur maison, ils l’ont vu s’arrêter à quelques mètres seulement, après avoir défoncé la palissade et le puits qui se trouvait à l’entrée. Cette femme demande de l’aide, elle n’en peut plus.

Une autre famille a vu sa maison se transformer en base de tir, il y a deux semaines. Les militaires israéliens ont investi la maison vide pour s’y installer et tirer. Une des petites filles est visiblement très apeurée (nous reviendrons ultérieurement la voir) car la famille revient juste aujourd’hui se réinstaller dans la maison.

Dans une autre maison, celle du cheikh, juste en face de la mosquée, une jeune femme a fait une fausse couche il y a quelques jours ; sa petite fille de 18 mois est décédée il y a un mois à cause des gaz (elle a été hospitalisée mais n’a pu être sauvée).

Une autre maison où des impacts de balle sont bien visibles et de taille assez importante : là, la famille est en veille permanente, on attend, on surveille. Le père et le fils (pharmacien) ont l’air solides.

Une autre femme dans une autre maison a fait une fausse couche il y a quatre jours, elle dit qu’elle va bien, qu’elle est forte, qu’elle n’a pas peur des militaires, avec son mari ils se feront rouler dessus par les bulldozers plutôt que de partir !

Au moment où nous partons, nous croisons les jeunes qui vont vers le carrefour des affrontements : “ nous n’avons pas encore commencé ” disent-ils !

 

 

Dimanche 19/11/00

 

Erez, le long de la mer.

Visite de cette zone sous contrôle IDF, à l’extrême nord de la bande de Gaza, où se trouvent les colonies de Alaï Sina et Nevetz Sala.

C’est une zone agricole où les gens vivent entourés par deux implantations israéliennes, il n’y a pas eu d’affrontements mais la peur s’est emparée des agriculteurs dont la majorité ne dort plus ici, ils retournent au camp de la mer d’où ils sont originaires, et ne viennent que pour travailler la journée. Seules quelques familles restent en permanence mais leur sommeil n’est pas tranquille.

Vivent aussi ici des familles bédouines, installées depuis l’arrivée de l’Autorité Palestinienne, disséminées sur cette zone. Elles vivent de manière très traditionnelle et clanique, à la différence de celles que nous avons vues à Erez, plus sédentarisées. Nous avons  visité une de ces familles, particulièrement exposée puisqu’à portée de tir du char et du poste avancé de l’IDF (positionnés à l’entrée de la colonie) que l’on aperçoit à environ 100 mètres. Cette famille se sent extrêmement vulnérable, isolée, démunie : ils voient la nuit tomber avec angoisse et ne dorment pas. Cette région où ils se sont installés il y a six ans (ils venaient du Sud), parce qu’ils aimaient cet endroit, s’est transformée pour eux en cauchemar, ils aspirent à une sécurité inexistante en ce moment. Un des hommes qui nous accueille est asthmatique, ses crises sont plus nombreuses depuis le début des événements.

Nous proposons de revenir le plus tôt possible avec un médecin pour apporter un soutien approprié à cette famille, où nous n’avons vu ni les femmes, ni tous les enfants .

 

 

Lundi 20/11

 

Troisième visite au village Bédouin d’Erez.

Nous devons rencontrer, pour un entretien individuel, un homme de trente-neuf ans, pour des troubles qu’il ressent depuis trois ans, mais qui sont réactivés par la situation actuelle.

Entretien long et approfondi qui révèle un état de stress post-traumatique chez cet homme, relatif à des événements anciens dont certains remontent à son enfance, en relation ou non avec la situation politique. Il ne présente pas un état aigu, mais est en proie à une anxiété aujourd’hui permanente, qui s’exprime sur le versant somatique et psychique.

 

Lundi soir, 18 heures : début des bombardements sur Gaza jusqu’à 20 heures 45.

 

Mardi 21/11/00

 

Nous avions prévu d’aller au sud de la bande de Gaza, pour rencontrer les familles déjà vues le 12/11/00. Parmi eux, un petit garçon déjà rencontré deux fois, mais nous nous trouvons bloqués au barrage de Kusufim, fermé aux Palestiniens. Notre voiture n’est pas équipée pour être suffisamment identifiable, nous renonçons donc pour aujourd’hui.

En raison des bombardements de cette nuit, nous avions aussi prévu de visiter à Deir al Balah (situé avant le point de passage de Kusufim), les familles qui vivent dans la proximité d’une base bombardée.

 

Nous allons vers les trois maisons les plus proches du site bombardé, et sommes reçus par la famille qui y vit. Le père, la mère et les enfants sont là. Les enfants fréquentent peu les écoles ce matin, la nuit a été peu reposante. Après quelques instants arrivent les autres membres de la famille, au total trois frères avec leurs familles habitent ici.

Un petit garçon de neuf ans a présenté durant toute la nuit un état de stress aigu, la famille est partie dans le jardin durant deux bonnes heures, pour se protéger en cas de nouveaux tirs sur la base. Il n’arrivait pas à se calmer, sa mère nous dit qu’il n’a pu la quitter une seconde, faisant des allers et retours incessants aux toilettes ; il n’a pu “ dormir ” dans sa chambre avec ses frères, est resté avec ses parents en priant pour que le jour arrive ; c’est alors qu’il a commencé à se calmer. Ce matin il est présent lors de notre visite, et se dit soulagé ; il pense que ça va aller maintenant.

C’est la première fois qu’il se passe quelque chose dans ce quartier situé au bord de la mer. Il n’y a pas eu d’affrontements ici depuis le début des événements actuels, on est en effet à distance des colonies, et même durant la première Intifada il ne s’est pas passé de choses graves.

Sans relation directe avec les événements de la nuit, notre expertise est sollicitée pour deux membres de cette famille, qui sont tous deux présents : un petit garçon de 7 ans, le plus jeune fils du maître de maison, et un homme de 32 ans, marié et père de famille, l’un des quatre frères vivant ici.

Alors que je demande au plus jeune comment il s’appelle et comment il va, son père répond à sa place en disant qu’il bégaye, que c’est à cause d’un événement traumatisant qu’il a vécu lorsqu’il avait cinq ans : il était seul dans une voiture attendant son père, un énorme chien a surgi, méchant et aboyant, il a tournoyé autour de la voiture, terrorisant l’enfant qui hurlait, jusqu’à ce que son père revienne. Ceci se passait en Arabie Saoudite où vivait alors la famille. Depuis, le jeune garçon parle en bégayant. Aucun soin n’a été donné à cet enfant. Je m’adresse à l’enfant pour l’inviter à s’exprimer sur cet événement, il raconte avec émotion ce qu’il s’est passé, les yeux emplis de larmes, il est très touchant, nous sommes émus. Il est très intelligent, bon élève à l’école et se montre très ouvert à ce que nous pourrions faire pour lui ; il veut bien recevoir des soins. Je pense aux structures palestiniennes et suggère que l’on prenne contact avec elles pour envisager une prise en charge psychologique, le père est d’accord.

Le deuxième patient est un homme qui présente des troubles manifestes ; il a un visage crispé et se tord les doigts de manière compulsive, c’est son frère aîné qui expose sa situation. Il présente d’importantes crises, des états catatoniques, où son corps se raidit, il s’arrache les cheveux, se cogne la tête contre les murs et se frappe ; sa gorge se bloque, il ne peut rien manger en dehors de yaourts, et ne dort pas. Cela a commencé il y a 10 ans. Il présente ces troubles par intermittence, et les frères s’accordent pour dire qu’ils sont augmentés lorsqu’il doit faire face à des problèmes. Ce qui est le cas en ce moment, en raison des événements.

Le jeune homme a été gravement maltraité durant l’Intifada, alors qu’il avait 22 ans : il a été arrêté et battu par l’IDF, les troubles auraient commencé à la suite de ces maltraitances.

Cette description fait évoquer un tableau de PTSD (Post Traumatic Stress Disorder), avec une expression psychotique : les frères n’évoquent pas d’antécédents de troubles avant cette arrestation. Il est le 3ème des quatre frères de cette fratrie, et est très soutenu par eux : il a été soigné en Jordanie et dans un autre pays du Golfe où il voulait faire des études. Il a été consulter partout où cela était possible, à l’hôpital psychiatrique de Gaza, au Gaza Community Mental Health Programme (GCMHP) où il a vu un médecin qui a pris des notes et lui a prescrit un traitement qui lui a fait du bien, mais pas durablement. Il semble que cet homme n’ait pas eu l’occasion de faire une psychothérapie et, s’il est encore temps, il serait intéressant de lui en proposer une. Reste à s’assurer qu’il n’y a effectivement pas de troubles psychotiques sous-jacents chez cet homme.

 

Quartier de Al Muragah vers Netzarim.

Un jeune homme de 27 ans nous reçoit chez lui, sa mère est présente durant l’entretien. Il explique ce qui lui est arrivé il y a une quinzaine de jours, au retour de son travail quotidien dans un restaurant à Gaza (il rentre tard le soir). Au passage devant la Jeep IDF, il a été arrêté par les militaires de manière musclée, il a reçu des coups de crosse dans les côtes, les militaires lui ont pris ses papiers et lui ont dit d’attendre, puis ils sont partis. Il a eu très peur, du fait de cette attente, et aussi parce qu’étant un ancien détenu (6 mois et demi en 1991 après avoir participé à une manifestation à Gaza), il craignait que ces militaires ne regardent son identité sur un ordinateur. Il se sentait en danger ; l’attente a duré deux heures, pendant lesquelles il est allé discuter avec des jeunes qui se trouvaient à quelques pas. Au retour de la Jeep, il a récupéré ses papiers et a été invité fermement à rentrer chez lui, sans violence physique toutefois.

Depuis, il ne peut plus se rendre à son travail, se sent extrêmement fatigué, asthénique, angoissé, malade (en particulier, il a mal à la gorge). Il éprouve de l’inquiétude en permanence, n’arrive pas à penser, parle peu, n’arrive pas à se détendre.

Il doit retourner travailler car lui seul travaille en ce moment (ses frères sont sans travail puisque employés en Israël). Le père a été tué dans un accident en 98.

Il est très inquiet aussi parce qu’après sa libération de prison, il a mis quatre ans à se remettre, grâce à l’aide de sa mère : ce qu’il vient de subir réactive sa fragilité d’alors, il craint de rechuter. Il est jeune marié depuis deux mois, ceci est aussi un facteur d’inquiétude que l’on devine; il est dans cette période de sa vie où il doit assumer de nouvelles responsabilités vis à vis de sa jeune épouse, ce que le stress actuel vient peut-être compromettre. Il ne peut répondre à ses questions, elle se rend bien compte qu’il ne va pas bien,  mais il ne lui parle pas de ce qu’il a.

 

Mercredi 22/11/00

 

Impossible toujours d’aller à Rafah ni à Khan Yunis. Depuis les derniers attentats dans la région de Rafah, l’armée israélienne a coupé de fait la bande de Gaza en deux et contrôle de façon stricte la circulation entre le nord et le sud. Il est actuellement impossible pour nous de rejoindre le sud de la région.

 

 

Nous retournons à Al Muragah.

Nous rencontrons une femme d’une quarantaine d’années qui est visiblement épuisée, en proie à un inquiétude persistante depuis le premier jour des événements. La maison (percée à différents endroits par des tirs) est située au bord de la route qui conduit à la colonie de Netzarim, dans la bande de 70 mètres où il est interdit de construire de plus haut qu’un étage. La maison de cette famille est de construction légère mais tout de même en dur, et de plusieurs pièces. Notre patiente est dans un état d’asthénie profonde, de stress sévère, elle ne dort plus et mange peu, son regard est douloureux, elle exprime son épuisement. Elle ne dort que lorsqu’ils vont quelquefois dans la famille, mais c’est le moins souvent possible, car ils n’osent pas quitter la maison de peur qu’elle soit détruite, même si l’une de ses filles, celle qui a 10 ans, demande souvent à partir de la maison.

“ Que deviendront les enfants si je meurs ? ” Nous l’écoutons et la soutenons longuement, et prévoyons une autre visite.

 

Autre visite dans une maison voisine. La jeune mère est venu nous chercher chez la famille précédente.

Nous trouvons cette jeune femme seule avec trois enfants en bas âge dans une baraque en tôle : elle dit que son mari est parti depuis les premiers jours des affrontements, il aurait déclaré qu’il ne pouvait rester ici, que c’était trop dangereux, qu’il avait peur. Il n’a pas réapparu depuis.

Le petit garçon de 18 mois a une énorme brûlure sur les fesses ; il est tombé sur le feu il y a deux jours, alors que des gaz lacrymogènes venaient d’être lancés dans la maison ; tout le monde a été aveuglé. Elle est allée au dispensaire pour les soins et doit y retourner tous les jours pour changer le pansement moyennant 2 nis qu’elle n’a plus. Cas social et familial, que faire ?

En discutant avec les voisines présentes, l’une pense que son mari est traumatisé, que c’est pour cela qu’il est parti en abandonnant sa famille. Puisqu’il a été vu dans le quartier, nous proposons de lui faire passer le message que nous reviendrons ici dimanche, il faudrait essayer de parler avec lui.

 

Une autre mère nous sollicite pour son fils de neuf ans, énurétique depuis les événements : nous proposons de le voir lors de notre prochaine visite.

 

Gaza city

Visite dans le quartier où est tombé la roquette “par erreur”. C’est dans le Beach Camp, pas très loin de chez nous, les gens voyaient passer les roquettes au dessus d’eux, tirées de la mer, et soudain l’une est tombée au milieu des maisons dans une minuscule ruelle. Une maison a été très endommagée, dans plusieurs autres une partie du toit en tôle a été soufflée, une jeune fille a été blessée par un éclat dans l’abdomen. Un père nous demande de voir son fils de 9 ans qui ne parvient pas à se remettre depuis deux jours. Nous parlons avec l’enfant sur la terrasse de la maison voisine, il exprime sa peur et ce qu’il a ressenti, il sent que ça va un peu mieux qu’hier mais n’arrive pas à penser à autre chose, il est un peu timide et réservé, son père le rassure autant qu’il le peut, malgré son désarroi devant sa maison qu’il ne sait pas avec quel argent réparer. La  police palestinienne est venue juste après les bombardements pour rassurer les gens.

Jeudi 23/11/00

 

Visite au centre des femmes de Nuseirat

Nuseirat est un camp où il n’y a pas d’affrontements, par contre les jeunes vont s’affronter à Netzarim et Kfar Darom. Nous avons rencontré certains d’entre eux, en train de dessiner et de monter une pièce de marionnettes. Discussion très intéressante, où ces jeunes de quinze ans, mais qui en paraissent moins, nous font part de leur détermination à aller “ défendre leur peuple ”, envers et contre tout, en cachette de leurs parents, au mépris de l’avis de l’animateur (un jeune de 22 ans qui a reçu deux balles dans la jambe lors d’affrontements) qui leur conseille de ne pas y aller. Ils n’ont pas peur, ils “ entendent les balles arriver et les évitent ”, ils vont chercher les blessés, ils ne pensent pas au danger. Ceux qui parlent ne laissent paraître aucun doute quant à leur détermination, ils sont fiers de ce qu’ils font. Ce sont des gamins attachants, sympathiques. Celui qui a dessiné les événements a réuni sur un seul dessin tous les éléments de la situation : les arbres arrachés, les bombardements, un martyr, les tanks, les colonies, les maisons détruites, les gens qui s’enfuient. Il voudrait que son dessin soit vu par le monde entier.

 

Samedi 25/11/2000

 

Nous pouvons enfin aller à Rafah.

 

A la faveur de ce samedi de Shabbat, nous espérons que le passage de Kussufim sera plus facile (pas de passage de colons ce jour), et nous avons prévu toutes les éventualités : voiture blanche avec identification MSF, drapeau, conduite par un expatrié ; une seconde voiture, jaune, est conduite par un chauffeur palestinien.

Finalement le check-point ouvre à 10 heures, il est un peu lent à passer car le passage est étroit et il y a du monde, piétons, voitures, camions... etc.

Aller à Rafah après une semaine d’intensification des affrontements relève d’une priorité que nous avions identifiée sans pouvoir la réaliser faute de liberté de circuler. Nous trouvons dans le quartier Salaheddine des gens épuisés, menacés, effondrés tant la situation s’est aggravée pour eux, du fait des tirs incessants qui sévissent dans ce quartier.

Le professeur d’anglais exprime sans retenue sa colère, son désespoir: il est dans un état d’agitation extrême, sa femme plus réservée nous fait part de son épuisement au cours d’un long entretien que j’ai avec elle, ce qui l’apaise et la rassure. Elle affirme que nos visites sont nécessaires et réconfortantes. Un cousin de son mari, homme âgé d’une cinquantaine d’années, a été tué il y a trois jours en rentrant de la prière, il a reçu en pleine tête un tir, à environ trois cent mètres du point d’affrontements.

Plus aucun humour dans les propos, mais de la colère et de la peur.

Le père de famille de la maison d’en face est lui aussi bouleversé, il a les traits tirés, il parle avec emportement, on a l’impression qu’il va pleurer à chaque fin de phrase, il exprime son épuisement. Il a replié sa famille dans un garage au rez-de-chaussée de la maison. Nous avons un entretien avec sa femme, elle fait face mais avec de fortes angoisses pour les enfants. Nous sommes dans la maison quand éclatent des tirs violents (des photographes viennent d’arriver et les jeunes veulent leur montrer ce dont ils sont capables !). Riposte immédiate de l’IDF, avec des tirs bruyants: ce sont des tirs destinés à faire du bruit comme de vrais tirs, pour faire peur donc, sorte de sommation avant les tirs à balles réelles. Pour nous qui ne sommes pas habitués, c’est assez impressionnant.

Nous revoyons ensuite le petit garçon, qui va mieux (paradoxalement) : nous le voyons dans la voiture MSF pour être au calme et surtout parce que sa maison envahie de gaz lacrymogènes qui viennent d’être lancés ; on ne peut plus respirer. Il est content de ce dispositif et les autres gamins l’envient. Il se sent protégé maintenant, du fait que lui et sa famille vont dormir ailleurs.

Il y a dans ce quartier environ 25 familles exposées et 8 familles très exposées.

Nous retournerons à Rafah et trouverons un endroit pour recevoir nos patients au calme dans le bus MSF, car il n’est pas possible de procurer un soin et un soutien dans ces maisons trop exposées, et où nous nous mettons nous-mêmes en état de stress !

 

Dimanche 26/11/2000

 

Nous avons rendez-vous à El Muragah avec un patient. Il nous attend car il a bien été prévenu de notre passage. Nous trouvons un homme anxieux et gêné de nous expliquer sa situation : c’est lui qui a quitté sa maison à cause de la peur ; il montre deux trous fait par des balles dans la palissade qui entoure sa maison. Il s’est caché pour se protéger, puis est parti chez ses parents, à 1,5 km de là, pris de panique ; il a décidé de ne pas rester une minute de plus dans cet enfer. Ce jour là, sa femme et ses enfants n’étaient pas là. Il est donc parti seul. Désormais sa femme se retrouve seule avec les enfants là bas.

Depuis, il vit à côté de chez son frère. La situation lui est insupportable depuis les événements ; de plus, il a perdu son travail et n’a plus d’argent. Notre visite le soulage, il souhaite notre aide, il se sent coupable, il a besoin d’appui. Sa femme est partie avec ses enfants ce matin pour l’enterrement de son père (un homme âgé mort de vieillesse hier) ; au fond ce sera peut-être l’occasion pour elle de se reposer ; elle nous a dit que ses parents habitent vers Karni, dans un endroit calme.

Nous retournerons le voir quand sa femme sera revenue, pour essayer de les aider à trouver une solution acceptable pour tous. Il dit qu’il a des cauchemars, qu’il ne dort plus, il parait assez désemparé.

 

Nous passons ensuite voir une patiente que nous suivons pour la prévenir que nous reviendrons avec le médecin après-demain : elle est très faible, presque inquiétante, dit ne plus pouvoir s’occuper des enfants, paraît au bout de ses forces. Elle dit qu’elle ne peut se reposer que chez elle malgré la situation. Chez sa soeur, à deux km de là, où elle va de temps en temps, les enfants (nombreux) se disputent car ils sont énervés, l’espace est tout petit, c’est presque pire. Je propose que nous voyons aussi son mari (il rentre à 15 heures de son travail) qui, dit-elle, “ a peur la nuit, plus que moi ”.

 

Nous prenons au cours de l’entretien des nouvelles des familles vivant dans les maison proches de la mosquée : nous voyons plusieurs personnes, et particulièrement des femmes qui se sont regroupées pour s’épauler. Discussion animée et riche ; chacune s’exprime et fait part de ses recettes pour lutter contre la peur (massages aux huiles sur les articulations douloureuses, relaxation), ce qui fait rire l’une d’elles qui trouve que c’est un peu dépassé comme médecine !

Un char de l’IDF est là , stationné au bord de la route, on entend au loin des coups de feu de temps à autre ; le calme est relatif mais réel par rapport à ce qui se passe chaque après midi à partir de 15 ou 16 heures, et pendant  la nuit. Harcèlement, “ guerre psychologique ” ? Oui, sans aucun doute.

 

Dernière visite à la maison d’une autre famille ; des tirs importants ont été fait contre leur maison, celle qui est la plus haute (de nombreux et très gros impacts sont visibles) : les enfants sont à l’école, nous reviendrons un autre jour après 13h30, pour les rencontrer.

 

Je m’aperçois que je n’ai pas écrit dans mes notes cette phrase si souvent entendue, en particulier de la part de gens âgés : “ ils vont tous nous tuer, on va tous mourir ”.

Nous entendons aussi l’espoir exprimé par nos patients que nous témoignerons de ce que nous voyons et entendons, tant il est clair que les Palestiniens se sentent abandonnés et oubliés. “ Est-ce que les gens chez vous savent ce que nous supportons ? ”.

 

Jeudi 30/11/2000

 

Nous voyons une détérioration de la situation de jour en jour dans les quartiers à proximité des colonies ; de plus en plus de familles sont affectées, maisons occupées, criblées de balles, détruites, des familles sous tente ou réfugiées chez d'autres parents sans l'espoir de revoir leur biens réquisitionnés, les animaux des fermes sauvagement tués... La peur s'installe au quotidien dans ces quartiers ou villages isolés. Certains demeurent inaccessibles à toute assistance humanitaire dans des garanties de sécurité acceptables (Mawassi, Swidi).

Nos visites régulières auprès de ces familles nous permettent de mesurer l'escalade dans le conflit. Les Palestiniens vivent dans la peur des représailles de l'armée israélienne.

La liberté de mouvement à l'intérieur de la Bande de Gaza est entravée par les restrictions israéliennes. L'unique point de passage autorisé entre le Nord et le Sud est la route de campagne passant par le carrefour de Kussufim. La route habituelle à quatre voies, reliant les villes du Sud à celles du Nord, a été coupée à la hauteur de Deir El Balah, parce qu’elle longe à distance la colonie de Kfar Darom.

Les colonies sont devenues des places fortes, ou chaque homme à droit au port d'arme, légalement accepté par l'armée israélienne. Les militaires des Forces de défense israéliennes (IDF) protégeant les colonies profitent du soutien logistique et moral des colons. Il n 'y a aucune comparaison possible avec la population civile palestinienne, qui veille dans sa grande majorité à ne pas s'associer aux opérations militaires palestiniennes, par peur des représailles.

 

Lundi 04/12/2000

 

Au carrefour de Kussufim, les bulldozers ont continué leur travail et détruit ce qu'il pouvait rester de végétation. Sur le chemin, le trafic a été stoppé par deux chars qui barraient la route. Une sommation a fait reculer les voitures qui essayaient de s'avancer.

 

A Khan Yunis, la situation paraît s'être stabilisée. Les habitants sont encore très choqués malgré l'accalmie. Tous quittent le quartier à la fin du jeûne et, après avoir mangé (chacun mange chez soi afin de ne pas être une charge supplémentaire pour la famille qui l'accueille), pour aller se réfugier dans le centre ville. Il faut dire que toutes les maisons présentent des traces de balles et des trouées. Les parents nous décrivent des scènes de panique assez pénibles : les tirs commencent et ils sont obligés de quitter leur maison, les enfants pleurent et crient. Tout le monde se précipite dans les petites ruelles pour trouver abri ailleurs. Certains parents paraissent très démoralisés, résignés, n'espérant plus rien. D'autres clament qu'ils ne peuvent aller se battre à cause des enfants. Tous souffrent d'un sentiment d'insécurité.

Selon ce que l’on comprend, l’armée israélienne paraît vouloir faire partir un certain nombre de familles de chez elles, ceci afin d'occuper leurs maisons.

 

J’ai été interpellé par une dame suivie des ses enfants. Elle nous a montré l'un d'eux en disant qu'il avait des problèmes et qu'il fallait s'occuper de lui. J'ai suivi cette dame et ai vu l'enfant en entretien. Il a 10 ans, et m'a alors expliqué qu'il était tous les jours pris de panique à la même heure., après avoir été victime de tirs et de bombardements alors qu'il se trouvait chez lui. Il répète, chaque jour à la même heure, la frayeur qu'il a éprouvée à ce moment-là ; il pleure, tremble et crie pour qu'on l'emmène chez son grand-père.

Son père, qui nous rejoindra par la suite, nous confirme que son fils ne peut se remettre de cette peur. Ne sachant quoi faire, il lui donne des calmants, le force à rester à la maison et à manger. Je lui conseille d'être patient et de respecter la peur de son fils qui doit décider de lui-même s'il veut rester à la maison. J'ai promis à cet enfant de revenir le voir.

 

Nous avons également rencontré la directrice et les institutrices de l’école de Netzarim, qui ont bien besoin d'une écoute et de conseils. Alors que nous parlons avec elles, une rafale est tirée ; j'ai cru que mon coeur allait lâcher. Les enfant, ainsi qu'elles-mêmes, vivent cela tous les jours. Je ne sais pas comment ils font. Je crois en tout cas, à voir la réaction des institutrices, qu'elles ne s'y font pas !

 

Mercredi 6/12/2000

 

Rafah. La rue rappelle Beyrouth ou Kaboul. Des familles s’accrochent à ces ruines, vivant dans la terreur. Où aller ? Alors elles restent. Avec la peur au ventre. En priant qu’un bulldozer ne vienne pas raser leur maison.

 

Nous passons dans la zone sous contrôle israélien pour visiter un bidonville de réfugiés bédouins qui n‘ont pas vu un médecin depuis des mois. Nous sommes toujours en “ Territoire Autonome de Palestine ” mais, du fait de la proximité des colonies israéliennes, le camp se trouve coupé du reste du monde. Les colonies ressemblent à des îlots de prospérité, retranchées derrière des clôtures électrifiées ou d’immenses murs de béton, avec des miradors, des caméras de surveillance, protégées par des tanks, des dirigeables fixés au sol qui assurent la surveillance et, en mer, par des vedettes militaires. Les murs de béton sont formés de blocs déplaçables.

Dans la bande de Gaza, quelques cinq mille colons israéliens, protégés par des milliers de militaires, contrôlent quarante pour cent d’un territoire d’un million d’habitants.

On nous indique la colonie de Qfariom : il y a là un couple avec deux enfants, une vingtaine de militaires et des chiens. Parfois, les chiens sortent et mordent des enfants palestiniens. Autour de ce camps retranché, une population vivant dans la terreur et la misère. Les Palestiniens servent de main d’œuvre bon marché dans les plantations israéliennes. Les routes empruntées par les Israéliens sont interdites aux Palestiniens. L’axe principal de la zone est formé de deux routes parallèles. Chaque communauté a donc ses bus, ses taxis, ses écoles. Séparation totale des deux communautés.

 

Nous sommes allés dans le quartier de Rafah nommé al Brasil. Là, nous avons constaté que des familles palestiniennes ont été exposées aux tirs de l'IDF. Accolé à la frontière, ce quartier s'est vu pris entre deux feux : l'un se situant le long de la frontière et nourri par un char, l'autre au niveau de Salah Ad Din où se trouve un mirador de l’armée israélienne. L'appartement de la famille que nous visitons est ainsi transpercé de part en part, les tirs venant de deux côtés à la fois. Seule la cuisine n'est pas touchée. Lorsque je rencontre cette famille, aucun des membres n'ose avouer sa peur. On me montre le plus petit, en m'expliquant qu'il est devenu peureux et qu'on ne le comprend plus. C'est en discutant plus avant que chacun avouera sa peur, même ce grand frère qui dit ne plus avoir senti ses jambes pendant les tirs. Le petit, lui, a frôlé la mort lorsqu'une balle est passée entre lui et son frère. Depuis, il ne supporte même plus le bruit des chars et veut se réfugier chez son oncle pour dormir. Il dit que là-bas il ne se sent pas non plus en sécurité, mais qu'il peut dormir. Trois des quatre frères parlent de leur peur. La quatrième affirme ne pas ressentir de peur. J'explique à la famille que chacun possède son propre seuil de résistance et qu'il faut respecter la peur de chacun. Je crois que, pour la première fois, les membres de cette famille ont pu extérioriser, devant les autres, des sentiments qui jusque là étaient restés inavouables.

Il me semble qu'ici chaque membre de la famille essaie de vaincre sa peur et de résister à l'envie de fuir qui serait vue comme une preuve de lâcheté ; le devoir de la famille est de garder la maison. L’un se défend de toute émotion, un autre veut devenir militaire, un troisième veut partir aux USA. Tous sont obligés de rester dans cette maison reportant en quelque sorte leur frayeur sur le plus petit, dont la peur, étrangère alors à chacun, devient incompréhensible. C'est la première fois que je vois aussi nettement ce phénomène familial.

Un autre phénomène semble se présenter. Malgré l'accalmie il semble que beaucoup de personnes ont du mal à se détendre et à reprendre une vie normale. Peut-être y a-t-il ici les prémisses de l'installation du trauma. Si tel est le cas, nous devrions observer bientôt une symptomatologie de ce type. J'attends de recueillir davantage de témoignages pour me faire une idée sur la question. Mais dès à présent, on peut dire que l'humeur, malgré l'évolution rapide de la situation, reste morose. La peur est encore dans tous les esprits et même dans tous les corps.

 

 

 

TEMOIGNAGE D’UN ANESTHESISTE MSF

QALQILIA, LE 15 NOVEMBRE 2000

 

Le Croissant Rouge Palestinien nous a amené aux Urgences un "chebab" de 15 ans, mourant d'une plaie par balle au niveau de l'abdomen. L'Intifada était pour lui la seule manière de se construire un futur, elle en a fait un martyr.

Comme lui, tous les jours, arrivent à l'hôpital des adolescents et de jeunes adultes, blessés au cours des affrontements avec l'armée israélienne au niveau des "check points" ou barrages militaires. Le nombre de victimes augmente (autant de blessés et de morts lors des derniers quinze jours que pendant tout le mois d'octobre) ; mais surtout, l'utilisation par Tsahal de balles réelles à la place des balles caoutchouc s'intensifie : parmi les victimes de l'Intifada admises à l'hôpital, 40% présentent des plaies par balles réelles.

Du fait de la jeunesse des participants, de leur manque d'organisation, de la légèreté de leur équipement, ces affrontements tiennent plus de l'émeute que de la guérilla urbaine ; comment justifier alors le recours aux balles réelles ? Le gouvernement israélien invoque la légitime défense. La définition de celle-ci précise que l'intensité de la riposte doit être adaptée à la gravité de l'agression. Alors, légitime défense, quand les armes de gros calibre répondent aux frondes ? Légitime défense, quand un certain nombre de blessés reçus à l'hôpital présentent des orifices d'entrée de projectiles au niveau des parties postérieures du corps, signe qu'ils ont été atteints alors qu'ils fuyaient les combats ? Légitime défense, quand deux personnes ont été touchées dans leur appartement, situé au voisinage de la zone d'affrontement ?

Les chiffres d'activités relevés au cours de mon séjour (10 jours au total) à l'hôpital de Qalqilia montrent une augmentation du nombre des blessés liés aux affrontements de l'Intifada au cours de la première quinzaine de novembre par rapport au mois précédent (51 en octobre, 49 sur les quinze premiers jours de novembre). Parmi ces patients admis aux Urgences, 39% viennent pour des lésions dues à des balles réelles (55% présentaient des blessures secondaires à l’utilisation de balles en caoutchouc).

Les Palestiniens rencontrés à Qalqilia, plus qu'une assistance sous forme de personnel ou de matériel, m'ont demandé de témoigner, auprès de ma famille, mes amis, mes collègues, de ce que j'avais vu chez eux. Je poursuis donc ici ma mission.

 

 

Philippe TRINH-DUC, Anesthésiste.

 

Bande de Gaza : Médecins Sans Frontières

ouvre une mission de soutien médical et psychologique

 

Paris, le 13 novembre 2000

 

Pour faire face aux traumatismes des populations les plus exposées aux violences Médecins Sans Frontières a ouvert au mois de novembre 2000 une mission de soutien médical et psychologique à Gaza.

 

Médecins Sans Frontières a ouvert à Gaza, dimanche 13 novembre, un programme mobile de soutien médical et psychologique destiné aux personnes les plus exposées vivant à proximité des lieux d’affrontements, des colonies et des camps militaires et souffrant de troubles liés à des épisodes de violence, en particulier les enfants de moins de douze ans.

Le bouclage des territoires et les contrôles permanents, les difficultés de se déplacer, le spectacle d’affrontements ou d’épisodes violents  ainsi que l’exposition quotidienne aux tirs et aux bombardements ont considérablement dégradé les conditions de vie quotidienne des familles habitant la bande de Gaza.

“ Cette situation génère des états de stress psychologique aigu qui nécessite une prise en charge rapide et spécifique. La situation présente est pour tous, plus grave et plus traumatisante que la première Intifada ”, explique le Dr Christian Lachal, psychiatre.

 “ Nous sommes allés voir une jeune femme enceinte de trois mois ”, raconte ainsi le Dr Pierre-Pascal Vandini. “ Des grenades de gaz lacrymogène avaient été lancées à l’intérieur même de sa maison. La famille a pris peur, a été prise de panique ne pouvant plus respirer, et est sortie par la fenêtre : elle, son mari et leurs deux enfants. Lors de la première consultation, elle était incapable de se lever, elle craignait de rester paralysée et elle s’inquiétait pour le bébé qu’elle portait. ”

 

De tels événements provoquent à la fois des troubles physiologiques (paralysies partielles et temporaires) et psychologiques : colère, angoisse, peur d’avoir été empoisonné, troubles de la nutrition… La consultation médicale permet de détecter et de soigner les troubles physiologiques. Parallèlement le psychologue peut commencer un travail thérapeutique permettant aux patients d’exprimer leur peur, de traiter leurs traumatismes et de réduire leur stress. Ainsi, cette jeune femme qui n’ose pas sortir de chez elle, de crainte de retrouver sa maison détruite sera suivie et soutenue régulièrement par une équipe mobile composée d’un psychologue et d’un médecin.

 

Les équipes de Médecins Sans Frontières sont présentes en Cisjordanie depuis 1994. Elles ont été renforcées depuis le début des affrontements, en octobre dernier .Les programmes se sont d’abord orientés  vers un soutien aux équipes chirurgicales palestiniennes( donation de kits chirurgicaux) pour les aider à faire face à un afflux massif de blessés, leur prise en charge médicale étant bien assurée.  Devant la gravité des traumatismes subis par la population dans les zones soumises à la violence, la prise en charge psychologique des familles a été identifiée comme une urgence. Actuellement, 10 volontaires de l’association sont présents en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

 

 

 

Cisjordanie - Hébron : Médecins Sans Frontières constate

un état sanitaire préoccupant et des entraves aux activités médicales

 

Paris, 7 décembre 2000

 

Constatant les obstacles croissants à l’accès aux soins dans la vieille ville d’Hébron, en Cisjordanie, Médecins Sans Frontières y a mis en place des équipes mobiles composées de médecins et de psychologues. Axé sur des visites à domicile, ce travail a mis en évidence une dégradation de la santé de la population palestinienne pendant ces deux derniers mois.

 

La vieille ville d’Hébron se trouve depuis le 28 septembre sous couvre-feu permanent, allégé quelques heures par jour seulement. La plupart des habitants hésitent à quitter leur maison, soit en raison du couvre-feu, soit par peur des contrôles militaires, peur de la réquisition ou de la destruction de leurs biens. Ils se rendent donc à l’hôpital ou chez le médecin avec d’extrêmes difficultés.

 

L’aide médicale, publique ou privée, est officiellement autorisée mais, dans les faits, les obstacles (contrôles, barrages, intimidations) sont si nombreux que la présence de médecins dans la vieille ville est irrégulière.

 

Dans cette zone sous contrôle israélien, qui compte 40 000 habitants, résident 400 colons protégés par 1 500 soldats ; “ il n’y a presque personne dans les rues. L’impression est celle d’une ville fantôme ”, explique le Dr Etcheverry. “ Le 28 novembre, nous avons franchi cinq barrages militaires avant d’atteindre un quartier proche du tombeau d’Abraham. Nous venions donner des médicaments à une personne qui souffrait d’asthme et n’avait pas de quoi se soigner. Quand nous avons frappé à la porte, les gens avaient peur de nous ouvrir ”.

 

“ Dans une famille, ajoute le Dr Vandini, nous avons trouvé un jeune homme qui avait eu les poignets cassés lors d’un contrôle de police, une adolescente de 15 ans qui se plaignait d’une paralysie récente du bras et un enfant de 5 ans, épileptique non suivi. Dans une autre, nous avons rencontré une personne diabétique de 60 ans, qui présente aujourd’hui des complications rares et graves.

Ces exemples montrent que les familles n’ont quasiment plus de recours pour se faire soigner lorsque un nouvel épisode de maladie survient. Ils mettent aussi en évidence un manque de soins chronique pour cette population ”.

 

Les consultations médicales et psychologiques à domicile visent à répondre aux besoins de médecine générale mais aussi à traiter les états de stress aigu et à prévenir la constitution de syndrome de stress post-traumatique (PTSD). Elles concernent également les villages du district environnant, souvent isolés par des barrages militaires. Un programme similaire a été ouvert le 20 novembre dernier dans la bande de Gaza.

 

Les équipes de Médecins Sans Frontières sont présentes en Cisjordanie depuis 1994. Elles ont été renforcées depuis le début des affrontements. Actuellement, 13 volontaires de l'association sont présents en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.