arch/ive/ief (2000 - 2005)

Cafer Dereli assassiné par des Loups Gris
by Isabelle Verbiest, Kevin Wolfs, Wendy Wouters Wednesday December 20, 2000 at 01:28 AM

Le 9 décembre, à Rotterdam, Cafer Dereli, jeune communiste turc de 22 ans, a été assassiné par les Loups Gris, une organisation fasciste turque. Cafer résidait à Anvers en tant que réfugié politique mais il s'était rendu à Rotterdam par solidarité avec les grévistes de la faim qui mènent une action contre les conditions de détention inhumaines dans les prisons turques.

Cafer Dereli assassiné par des Loups Gris

Le 9 décembre, à Rotterdam, Cafer Dereli, jeune communiste turc de 22 ans, a été assassiné par les Loups Gris, une organisation fasciste turque. Cafer résidait à Anvers en tant que réfugié politique mais il s’était rendu à Rotterdam par solidarité avec les grévistes de la faim qui mènent une action contre les conditions de détention inhumaines dans les prisons turques. Au cours des derniers jours, des actions de protestation se sont déjà déroulées à Rotterdam et Anvers. Comme si cela ne suffisait pas, la mère de Cafer, qui séjourne dans notre pays, a reçu cette semaine un ordre d’expulsion. Mais elle ne veut pas retourner en Turquie où elle craint pour sa vie.

Isabelle Verbiest, Kevin Wolfs, Wendy Wouters et Peter Mertens

Cafer est mort.Le jeune révolutionnaire vit

Le 25 mai 1936, à Anvers, les jeunes ouvriers Albert Pot et Theo Grijp sont abattus par des fascistes. Le lendemain, les dockers se mettent en grève à l’initiative des communistes. Un mois plus tard, notre pays compte 500.000 grévistes. Le 9 décembre 2000, soit 64 ans plus tard, à Rotterdam, le jeune révolutionnaire Cafer Dereli est assassiné par une milice des Loups Gris fascistes. Ses idées continuent à vivre.

Isabelle Verbiest et Peter Mertens

Cafer avait 22 ans et portait le monde dans son sac à dos. Celui avec lequel il avait fui les geôles turques et dans lequel, traversant l’Allemagne en camion, il avait transporté ses biens les plus précieux: des livres de Marx, et Lénine.

Il a débarqué dans un «pays étranger». Mais les gens ont bien vite adopté son sourire et son optimisme. Il avait entendu parler Roberto D’Orazio à Charleroi et, allez savoir comment, il l’avait compris. Et quand Cafer avait compris quelque chose, les actes suivaient. Aux portes d’Union Minière, à Hoboken, il distribuait des tracts et discutait.

Le 30 juin nous avons tenu notre première réunion de préparation du concert United Against Fascism. Au début, il parlait à peine Néerlandais, mais ça ne l’empêchait pas de distribuer des invitations aux écoles, ni de discuter avec tout le monde de la lutte contre le fascisme.

Son engagement était contagieux. Il savait de quoi il parlait, quand il discutait du fascisme. Il l’avait effectivement vécu de très près.

Il nous parlait du régime en Turquie. Au moyen de journaux turcs et de vidéos, il nous expliquait la barbarie des autorités turques. Les preuves des tortures et des assassinats dont sont victimes chaque jour les détenus politiques de gauche dans les prisons turques nous glaçaient d’effroi et nous révoltaient…

Nous avons appris à déceler en Cafer un caractère en acier trempé. S’il disait qu’il allait quelque part, il y allait. Ca ne le dérangeait jamais de donner un coup de main là où c’était nécessaire ou, tout simplement, de nous soutenir lorsque nous traversions de mauvaises passes.

Lui-même travaillait dans un pitta-bar pour 50 francs de l’heure. Mais rien n’était jamais de trop pour lui, rien n’était jamais un problème. Ainsi, c’était non seulement un camarade, mais aussi un ami. Il ne cherchait pas la reconnaissance individuelle, non, il avait confiance dans le collectif.

La semaine dernière, chacun d’entre nous a dû prendre congé de Cafer. Notre peine est grande, notre colère l’est encore plus. Lui, qui a fui le fascisme en Turquie, s’est fait assassiner par des fascistes dans un pays étranger. Pendant toute une semaine, la question du pourquoi nous a hanté l’esprit. Cafer n’a pas été tué par hasard, mais parce qu’il était communiste. Cafer est mort, mais le jeune révolutionnaire n’est pas mort. Il continue à vivre en chacun de nous. Il nous avait même appris quelques mots en turc. «Hoshakal, Cafer...» Cafer, nous poursuivrons ton combat.

Adieu à un ami cher

La mort de Cafer nous a tous profondément touchés. Nous voulions le saluer une dernière fois et c’est pourquoi, le 13 décembre, un groupe de jeunes du PTB d’Anvers s’est rendu à Rotterdam. Nous avons rendu visite aux grévistes de la faim. Là-bas, nous avons ressenti à la fois sérénité et colère.

Kevin Wolfs

A l’entrée de la tente des grévistes de la faim, une banderole: «Grève de la faim en solidarité avec les détenus politiques de Turquie.» Dans la tente, c’est le silence, ainsi qu’un sentiment de morale révolutionnaire. La perte de leur ami les rend plus que jamais décidés à poursuivre la lutte. Déjà trois semaines qu’ils sont en grève de la faim. Nous échangeons quelques mots puis nous nous rendons au funérarium, nous voulons voir la dépouille de Cafer. La petite salle qui jouxte la chambre où Cafer est exposé est remplie de monde. Je me demande si j’ai vraiment envie de le voir, maintenant qu’il est mort. Mais je veux dire adieu à un ami cher. J’entre, je me penche sur le cercueil. Il est là, l’air étonnamment paisible, malgré ce qui s’est passé. Il a le visage souriant. Une femme pleure: il est mort trop jeune. La soeur de Cafer l’embrasse une dernière fois en pleurant. C’est un moment pénible, nous sommes là avec notre ami mort, assassiné par le fascisme. Cafer laisse derrière lui une mère, une soeur, un frère.

Un camarade turc nous fait voir le corps de Cafer afin que nous le gardions toujours en mémoire. La sérénité fait place à la colère. Cafer a le corps entièrement couvert d’hématomes et nous voyons la blessure refermée à hauteur du coeur. Lors de l’autopsie, on l’a également ouvert du cou au bas-ventre. Devoir découvrir un ami, un camarade, dans cet état. Cela nous attriste et attise notre colère contre tout ce système et le fascisme qu’il engendre.

Autour de la trace bleue sur son front, nous voyons une marque rouge. La couleur des travailleurs, la couleur de leur sang quand ils luttent pour la liberté.

Quand le préposé des pompes funèbres veut refermer le cercueil, nous lui demandons d’attendre: des amis d’Anvers doivent encore venir. Pas de problème pour lui, mais bien pour la police qui est aussi sur place et veut apposer les scellés sur le cercueil. Même ici, les tracasseries continuent. Tout le monde proteste. Le cercueil reste ouvert jusqu’à ce que l’autre groupe ait salué la dépouille. Cafer sera enterré en Turquie, dans son village, là où il avait toujours eu l’intention de retourner.

Plus tard dans la soirée, il y a une manifestation. Deux cent personnes se rendent sur les lieux où Cafer a été assassiné, à cent mètres de la tente. Nous crions:

«Fascisme assassin, justice pour Cafer!»

Ce fut la semaine la plus dure de toute ma vie. Mais cela nous révolte. Nous poursuivrons la lutte jusqu’au bout.

Cafer, tu vas nous manquer, nous ne t’oublierons jamais.

Photo - Devant le consulat turc à Wilrijk (Anvers), plus de cent personnes se sont rassemblées le vendredi 15 décembre en mémoire de Cafer Dereli. (Photo Solidaire)

Entretien avec le docteur Elly Van Reusel de People’s Rights Watch

«La Turquie construit des oubliettes modernes»

Elly Van Reusel est médecin. Elle a un dégoût absolu de l’injustice et cela fait d’elle un véritable médecin sans frontières. Elle a déjà effectué deux missions en Turquie et collabore à l’organisation des droits de l’homme People’s Rights Watch. Elle suit de très près la situation dans les prisons turques.

Peter Mertens

Elly Van Reusel. Le 20 octobre, 816 détenus politiques de 18 prisons ont entamé une grève de la faim. Deux cents ont décidé de la poursuivre juqu’à satisfaction de leurs exigences. Cela a donné une nouvelle impulsion à la lutte contre les fameuses cellules d’isolement dans les prisons turques.

La lutte est menée sur un large front, en Turquie: outre les partis communistes, y participent aussi le barreau des avocats, l’ÖDP, les mouvements kurdes et les membres des familles des détenus politiques (TAYAD).

Aujourd’hui, on a atteint les 60 jours de grève. Lors de la précédente action, en 1996, 12 grévistes étaient décédés entre le 61e et le 68e jour de grève de la faim.

Des régimes d’exception dans les prisons existent dans plusieurs pays. En Espagne, il y a le FIES (Fichage des internés sous surveillance spéciale), aux USA, les Control Units et en France, les Quartiers d’Isolement. Qu’est-ce qui rend la situation turque si spéciale?

Elly Van Reusel. L’application de ces régimes d’isolement à grande échelle. La Turquie a reçu plusieurs réprimandes de la part du Parlement européen en raison de la situation déplorable de ses prisons. Et c’est précisément ces arguments qu’elle utilise pour construire des oubliettes de luxe, des cellules d’isolement à l’américaine: 23 heures d’isolement sur 24 et, si on ne se tient pas tranquille, on supprime aussi la petite heure qui reste.

Je l’ai moi-même remarqué en Turquie: souvent, les prisonniers sont battus et torturés durant leur arrestation ou leur transport. Pour l’instant, ils peuvent encore marteler les portes ensemble, réclamer un médecin ou prendre plus facilement contact avec l’extérieur. Et ils peuvent digérer tout cela collectivement et s’insuffler mutuellement du courage. Avec ces oubliettes modernes, l’Etat turc veut empêcher cela. Le ministre turc de l’Intérieur, Hikmet Sami Türk, l’a dit: «Nous allons isoler les prisonniers politiques comme du poisson mis au sec.» Pas besoin de dessin, non?

Vous avez également accusé le gouvernement turc de la responsabilité de l’assassinat.

Elly Van Reusel. Dans onze villes européennes, dont Bruxelles, Rotterdam, Cologne, Londres et Rome, il y a des actions de solidarité. Le samedi de l’assassinat de Cafer, toutes les actions de solidarité ont été agressées par les Loups Gris. Ce n’est pas un hasard! L’aile politique des Loups Gris, le MHP d’extrême droite, siège au gouvernement turc. Le gouvernement turc est donc coresponsable. C’est comme si le Vlaams Blok était au gouvernement et que le VMO attaquait partout les opposants. Dans ce cas, le gouvernement serait coresponsable, non? Certainement si tout cela se fait impunément.

People’s Rights Watch poursuit son action de pétition de soutien aux grévistes de la faim et pour la fermeture des cellules d’isolement, l’arrêt des tortures, l’accès libre aux prisons pour les médecins et les avocats sans présence de militaires, la suppression des tribunaux militaires (DGM) et la suppression des lois antiterroristes.

Qu’en est-il de la responsabilité du gouvernement belge?

Elly Van Reusel. Cafer a fui le fascisme turc. Ses assassins sont venus jusqu’à Rotterdam. Pourtant, la famille Deleri n’a pas le statut de réfugié politique. En Turquie, on est en train d’arrêter les membres de la famille Deleri. En Belgique, l’Office des Etrangers ordonne l’expulsion de sa maman, de sa soeur et de son petit frère. Ce qui veut dire les livrer aux Loups Gris. Un meurtre n’a-t-il pas suffi?

 

Alors que son fils vient à peine d’être assassiné...

La mère de Cafer menacée d’expulsion

La famille Deleri habite au Kiel: sa mère Aynur, sa soeur Melek (11 ans) et son petit frère Emre (6 ans). Vendredi, comme si leur chagrin n’était pas assez grand, ils ont également reçu un ordre d’expulsion de la part de l’Office des Etrangers.

«Mais nous ne partirons pas tant qu’on n’aura pas élucidé l’assassinat de Cafer.»

Erik Vanobberghen

Vous ne pouvez pas enterrer Cafer?

Aynur. Tous ceux qui s’appellent Deleri sont arrêtés, aujourd’hui, en Turquie. L’oncle de Cafer, qui est venu de Konya à Istanbul pour prendre livraison du corps, a été arrêté.

Même l’ambulancier qui a transféré la dépouille de l’aéroport à l’Hôpital universitaire d’Istanbul a été arrêté un peu plus tard. Cafer voulait retourner à Konya, mais les autorités turques ne veulent pas rendre le corps. Elles veulent que j’aille là-bas en personne. Mais comment puis-je m’y rendre si tous les membres de la famille sont arrêtés? Comment puis-je y aller quand il y a des Loup Gris dans la police? Comment puis-je aller là-bas si je ne puis plus rentrer en Belgique? C’est terrible, ça, que nous ne puissions l’enterrer!

Et aujourd’hui, précisément, vous avez reçu un ordre d’expulsion?

Aynur. Naguère, j’ai été mariée à un Belge, mais il est parti. C’est pour cette raison que, par la suite, le mariage a été déclaré nul et que nous recevons aujourd’hui cet ordre d’expulsion. Mais nous ne nous en irons pas. Il faut d’abord que les assassins soient arrêtés. Au besoin, nous irons en grève de la faim.

Solidarité avec les grévistes de la faim turcs

En Turquie, qui veut devenir membre de l’Union européenne, il y a, en ce moment, environ 11.000 prisonniers politiques. Depuis le 20 octobre 2000, plus de 800 détenus politiques de gauche ont entamé une grève de la faim. Ils protestent ainsi contre l’instauration des cellules d’isolement (type F). Ces mesures augmentent naturellement les risques de tortures et de disparitions. Les grévistes de la faim demandent la fermeture de ces cellules, la suppression des lois d’exception et un traitement qui soit digne d’êtres humains. Les prisonniers politiques sont soutenus par l’organisation de défense des droits de l’homme Tayad (organisation des familles des prisonniers politiques).

PETITION

• Nous témoignons de notre solidarité avec les grévistes de la faim dans les prisons turques.

• Nous demandons au gouvernement turc de fermer immédiatement les cellules d’isolement et de traiter les détenus de façon humaine.

• Nous demandons au gouvernement belge et au Parlement européen d’intervenir auprès du gouvernement turc afin que celui-ci prenne en compte les revendications des grévistes de la faim.

Nom

Organisation

Adresse

Signature

A renvoyer à People’s Rights Watch, c/o Emmanuel Leclercq, 112 , 1050 Bruxelles. Tel: 02/644.59.04, fax: 02/644.59.03, e-mail: prwatch@hotmail.com

 

Photo - Deux cents personnes ont protesté à Rotterdam contre l’assassinat de Cafer. (Photo Solidaire)

Photo - Aynur, la maman, lors de la commémoration à Wilrijk: «Cafer voulait être enterré à Konya, mais les autorités turques ne veulent pas rendre le corps. Elles veulent que j’aille là-bas. Mais comment puis-je y aller si tous les membres de la famille sont arrêtés?» (Photo Solidaire)