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Nice 2000 : premier bilan ?
by Alternative Libertaire Bruxells Tuesday December 12, 2000 at 11:18 PM
Relations-Exterieures@Federation-anarchiste.org

Lorsque l'État-casseur et anti-démocratique met le feu au sommet de Nice...

Lorsque l'État-casseur et anti-démocratique

met le feu au sommet de Nice...

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Que s'est-il passé à Nice ? À en croire les déclarations officielles
de nos dirigeants et les récits publiés par les grands média -
toujours prompts à relayer les positions des puissants de ce monde -
la ville de Nice a été livrée, dès la fin de la manifestation du
mercredi 6 décembre jusqu'au soir du jeudi 7, à des bandes armées,
venues pour casser, incendier et piller.
Chirac et Jospin ont évidemment condamné d'une seule voix ces actes
radicalement contraires aux traditions démocratiques de tous nos pays,
ces comportements qui desservent la démocratie, sont indignes de la
personne humaine et desservent aussi les thèses de ceux qui préfèrent
recourir à la violence plutôt que d'utiliser, dans le respect des
autres, leur liberté d'expression et de manifestation.
Jospin a expliqué lors d'une conférence de presse que nous avions
assisté à Nice à deux types de démonstrations très profondément
différentes. D'une part, les syndicalistes et associatifs, pacifiques
et respectueux de la démocratie, sont venus dire qu'ils souhaitaient
que l'Europe soit plus attentive et plus volontariste dans le domaine
social. D'autre part, depuis le jeudi matin, des petits groupes
violents sont venus pour s'efforcer d'interrompre le sommet, ce qui
était à l'évidence au-dessus de leurs forces (source AFP).
Les pouvoirs politiques et médiatiques nous ont depuis longtemps
habitué à cette conception caricaturale et réductrice de la réalité :
d'un côté les bons (ceux qui reconnaissent la légitimité du système et
en défendent la logique jusque dans leurs revendications), de l'autre,
les mauvais (ceux qui contestent le système de façon radicale et
veulent construire une autre société). Les bons sont démocratiques et
pacifiques, comprenez ils ne menacent pas l'ordre des choses et le bon
déroulement de nos affaires. Les mauvais, sont anti-démocratiques,
violents, indignes de la personne humaine, selon les propres termes de
Chirac, comprenez ils ne reconnaissent pas notre pouvoir, nos
institutions et refusent d'être de bons citoyens dociles.
Dans cette vision binaire et mensongère, les institutions sont les
protectrices de la démocratie et de la liberté d'expression, les
opposants du système ne peuvent donc être que des casseurs et des
nuisibles qu'ils faut combattre par tous les moyens, à commencer par
les moyens médiatiques en déformant leurs aspirations et criminalisant
leurs actions pour légitimer la répression.
Ces belles leçons de démocratie, de dignité humaine et de respect de
la liberté d'expression, émanant de nos élites bien-pensantes donnent
la nausée. Comment des institutions faussement démocratiques,
cultivant un profond mépris des aspirations humaines en rupture avec
le système, peuvent-elles se poser en modèle de tolérance et
d'ouverture ? Comment des pouvoirs qui ne réservent que la matraque,
les gaz lacrymogènes et la cellule d'un poste de Police à ceux qui
mettent en question leurs monopoles décisionnels, leur domination et
leurs privilèges, peuvent-ils se poser en apôtres de la non-violence ?
D'où est venue la violence ? D'où sont venus le mépris de la personne
humaine et de sa liberté d'expression ?
Une brève mise en perspective des événements apportent certainement
une autre réponse à ces questions que celle des média, relais
complaisants des sphères dirigeantes.

Le début des violences

Dés le début de la mobilisation, les besoins élémentaires des
participant-e-s au contre-sommet ont été traités par le mépris. La
préfecture et la municipalité ont refusé de libérer, jusqu'au dernier
moment, des lieux d'hébergement collectifs, des espaces d'expression
et de débat pour les manifestant-e-s. Puis les militant-e-s qui
avaient décidé de revendiquer des trains gratuits pour ce rendre à
Nice ont dû faire face à une répression disproportionnée des forces de
l'ordre. À Paris les manifestant-e-s se sont retrouvé-e-s encerclé-e-s
dans la gare près de 24 h par les CRS. À Bordeaux, à Dijon, au Havre,
les manifestant-e-s ont pu goûter la matraque, avant même d'avoir pu
atteindre Nice, certain-e-s d' entre eux et d'entre elles finissant la
nuit à l'hôpital ou au commissariat.
La tentative de criminalisation des opérations Trains gratuits pour
Nice n'est qu'une manière comme une autre de priver d'expression une
partie du mouvement contestataire en l'empêchant de se déplacer et de
faire entendre sa voix. Alors que 6,5 millions de francs (pris
directement dans la poche des contribuables) ont été dépensés pour
assurer le déplacement et l'hébergement parfois luxueux des invités
officiels du sommet européen (sans parler des cadeaux et repas
raffinés qui leur ont été offerts au frais de la princesse), on refuse
aux chômeurs, précaires, et bas revenus de venir assurer leur propre
représentation à Nice, en les contraignant à payer entre 500 et 800
francs pour le voyage. Que les élites européennes (politiciens,
technocrates et lobbies financiers) se voient offrir la gratuité de
l'avion privé, de la voiture avec chauffeur ou de l'hélicoptère pour
venir décider de l'avenir de millions d'européens à Nice, personne n'y
trouve à redire.
Que des femmes et des hommes, issues des classes les plus basses de
ces populations européennes, revendiquent eux aussi le droit à la
parole et donc le doit de voyager pour aller l'exprimer, ils
deviennent aussitôt de honteux resquilleurs et des délinquants. À
noter que ces resquilleurs et délinquants ont été brutalisés sous le
regard complaisant et même parfois, comme à Dijon ou à Marseille, les
commentaires satisfaits des groupes syndicaux de la CGT et de la CFDT,
heureux de voir les chiens de garde de l'État remettre à sa place la
racaille. La solidarité prolétarienne n'est visiblement plus à l'ordre
du jour des syndicats qui préfèrent sans doute se soucier davantage
des profits non négligeables que leur offre leur parfaite intégration
au système étatiste...
Mais la tolérance et l'ouverture démocratique du pouvoir français ne
devait pas s'arrêter là. Non content d'avoir refoulé violemment les
sans-billets, l'État pris la décision de fermer la frontière italienne
pour empêcher un convoi d'un millier d'Italiens parfaitement en règle
de venir manifester à Nice. Comme disait La Fontaine lorsqu'on veut
noyer son chien, on dit qu'il a la rage.
Ainsi, le convoi transportant des militants de Ya Basta, Tuti
Bianchi, Rifondazione Communista, totalement légal, fut présenté à la
presse comme une horde de dangereux casseurs venue d'Italie et
encerclée pour des raisons légitimes de sécurité. Une manifestation
pour la libre circulation devant le Consulat français de Vintimille
fut immédiatement dispersée par la police et deux personnes ont été
blessées. De même, quelques centaines de manifestants qui étaient
allés occuper la gare de Nice pour exiger l'ouverture de la frontière
aux militants italiens, furent délogés sans ménagement par les CRS.
Finalement les Italiens furent refoulés vers Gênes et Rome. Il faut
noter que la fermeture de la frontière par les autorités françaises
marqua le début des affrontements entre forces de police et
manifestants.
Avant même que le sommet ne débute, le pouvoir français avait déjà,
par sa violence, ses provocations et ses mesures arbitraires,
largement contribué à créer une situation de tension, de ressentiment
et d'humiliation, dans le plus grand respect, cela va de soit, de la
dignité humaine et de la liberté d'expression selon la phraséologie
démagogique de notre chef de l' État.

Quelle démocratie ?

Alors que le sommet de Nice débutait, le jeudi 6 décembre, par
l'adoption d'une Charte des droits fondamentaux (sans aucune valeur
juridique contraignante) signée à la sauvette par les chefs d'États
européens, des affrontements se déroulaient tout autour de
l'Acropolis, palais des congrès transformé pour l'occasion en bunker
et protégé par 15.000 gardiens du temple (Brigades Anti-Criminalité,
GIGN, policiers anti-émeutes et gardes mobiles, flics en civil, etc.).
Pourquoi des affrontements ? Parce que, malheureusement, lorsque la
démocratie n'est plus qu'un système de domination, de spoliation et de
manipulation en douceur, il faut s'attendre à ce que le besoin d'une
autre société s'exprime par les passages qui lui restes : la
désobéissance civile, la contestation active et concrète
d'institutions qui ne représentent qu'elles-mêmes et ceux qui en
tirent profits et privilèges divers.
Que cette désobéissance et cette contestation soient violentes ou
non-violentes ne change rien pour le pouvoir qui les percevra toujours
comme des violences répréhensibles. Pour l'État, toute insoumission,
toute remise en question de sa légitimité est violence et justifie une
violence en retour. Dès lors que vous allez au-delà du simple refus de
principe pour mettre en acte votre refus et, par exemple, tenter de
bloquer le fonctionnement d'une institution. Même si vous le faite
pacifiquement, sans haine et sans chercher à blesser qui que ce soit,
attendez-vous à subir le sort des casseurs. Pour l'État, renverser des
barrières métalliques, bloquer la circulation, tenter de passer un
barrage de CRS, sont déjà des actes inadmissibles qui doivent être
réprimés. Il en va de la crédibilité du pouvoir et de sa survie.
Si les manifestants du mercredi 6 décembre étaient, en grande
majorité (et dans la partie syndicale du cortège en tout cas), venus
réclamer une amélioration de la Charte des droits fondamentaux et sa
proclamation comme loi contraignante, ceux qui étaient restés le jeudi
étaient nombreux à contester plus fondamentalement la légitimité même
du texte et des institutions devant la proclamer.
Parmi eux, les libertaires entendaient dénoncer l'imposture d'une
Charte sensée régir la vie de milliers de gens, mais élaborée sans eux
et malgré eux par des autorités autoproclamées. Ne nous y trompons
pas, si les États ont associé de façon purement formelle quelques
représentants associatifs à la rédaction de la Charte, il ne s'agit
que d'un os à ronger citoyenniste, concédé aux ONG's et autres
associations de la "société civile" pour leur donner une illusion de
participation démocratique.
Les libertaires étaient venus clamer leur refus de cette illusion :
les institutions européennes ne sont pas démocratiques.
Le Parlement européen, seule instance européenne élue, n'a qu'une
fonction consultative sans réelle influence sur les décisions. Le
véritable pouvoir est détenu par la Commission européenne. Cet
ensemble de fonctionnaires, associés à différents cabinets d'experts,
économistes et industriels, liés à des lobbies économiques et
financiers, élabore (à l'abri de toute vigilance et de tout contrôle
populaires) les orientations de l'Union européenne. En dernier lieu,
les décisions reviennent au Conseil de l'UE. Ce Conseil entérine
généralement les choix politiques préconisés par la Commission. Au
cours de ce processus, la population européenne n'est jamais associée
au pouvoir de décision, jamais consultée sur les orientations et n'a
évidemment aucun droit de regard. Si la Commission européenne
travaille dans l'opacité la plus totale, les débats du Conseil de
L'union ne brillent pas davantage par leur transparence. En effet, à
Nice comme ailleurs, les négociations n'ont aucun témoin. Les média et
les ONG's, n'ont aucun droit de regard sur les débats des chefs
d'États et représentants des pays européens, qui se déroulent à
huis-clos.
Comme durant la Guerre du Golfe, les journalistes accrédités sont
tenus à l'écart dans une salle de presse, située à l'extérieur de
l'Acropolis, où un porte-parole vient leur apporter une information
pré-sélectionnée. Les médias n'ont ainsi aucun moyen de savoir ce qui
se passe exactement à l'intérieur de la salle des débats.
Les ONG's sont également exclues du centre. À Nice, l'Observatoire de
la mondialisation et d'autres associations qui avaient fait la demande
pour assister aux négociations se sont heurtées à un refus
catégorique. Que penser d'une démocratie qui se fait sans les peuples,
sans même leur donner le droit de savoir en quels termes l'on décide
de leur sort ? Est-ce que ce sont les manifestants qui sont une menace
pour la démocratie et la dignité humaine ou les pouvoirs qui
accaparent, par la force et le mensonge, les mécanismes de débat et de
choix, dans l'opacité la plus totale ?
Les libertaires refusent de participer à une telle mascarade, ils
refusent que les institutions étatiques et les lobbies financiers
confisquent à leur profit un droit élémentaire entres tous : le droit
de décider soi-même de sa propre vie, le droit de décider de la
société dans laquelle l'on veut vivre, de décider de ses valeurs et de
ses orientations.
Les libertaires ne reconnaissent aucune autorité à cette pseudo
démocratie. Pour eux la démocratie ne peut être que la prise en main
directe et naturelle (non politicienne, non électoraliste et
représentative) des processus de réflexion et de choix par les
intéressés eux-mêmes. La revendication du droit de construire une
autre société, de choisir son propre destin, de ne pas subir la
domination d'institutions sans valeurs est, évidemment, inacceptable
pour le pouvoir.
À Nice, comme ailleurs, les gaz et les matraques étaient là pour le
rappeler. Une fois de plus, l'État-casseur, casseur d'espérance,
casseur de liberté, casseur de vie, s'est manifesté dans l'impunité la
plus totale.
Ce jeudi 7 décembre, au petit matin, environ 3.000 CRS faisaient face
aux quelques 4.000 manifestants venus cerner le Palais des congrès.
Ces contestataires radicaux (essentiellement les anarchistes de la
Fédération Anarchiste et anarcho-syndicalistes de la CNT française ou
de la CGT espagnole, des militants de No Pasaran, d'Alternative
libertaire, de la LCR et d'autres groupes d'extrême gauche français,
italiens ou anglais, des autonomistes catalans, sardes, basques...
mais aussi des militants des associations anti-mondialisation comme
ATTAC, des syndicalistes de SUD, des militants d'AC ! et des Marches
européennes des chômeurs/euses et précaires) ont tenté l'encerclement
du centre Acropolis. Un petit millier d'entre eux ont convergé de
l'ouest, à partir de la gare centrale. Le gros des troupes (prêt de
3.000 personnes) s'était donné rendez-vous sur une place du quartier
Saint-Roch proche du gymnase Leyrit, à l'est du lieu où se déroulait
le sommet. Lorsque les manifestants des deux cortèges ont tenté de
s'installer devant plusieurs barrages tenus par les forces de l'ordre
pour perturber le début des débats (dans l'esprit du blocage de l'OMC
à Seattle et celui de la Banque Mondiale et du FMI à Prague), ils ont
été immédiatement repoussés à coups de gaz lacrymogènes et chargés
s'ils persistaient à vouloir s'approcher des barrières. Dans d'autres
lieux de Nice, quelques tentatives de manifestation et de blocage de
grandes artères de la ville ont eu la même réponse systématique en
retour : charges et lacrymo.

Quelques leçons
de la mobilisation
niçoise...

La volonté ferme du pouvoir d'empêcher la réédition d'un Seattle à
Nice et son mépris affiché pour la contestation radicale a provoqué la
transformation de la manifestation de blocage en combats de rues. Les
déclarations du Préfet des Alpes Maritimes étaient d'ailleurs sans
ambiguïté : il était hors de question de laisser s'exprimer une
résistance active à l'occasion du sommet.
Il apparaît assez clairement que la réaction disproportionnée des
forces de polices avait pour objectif d'effrayer et de démobiliser les
manifestant-e-s qui s'étaient fixé-e-s comme objectif d'occuper la
ville par des actions démonstratives afin d'affirmer leur refus des
dogmes du capitalisme ultra libéral, de la domination financière et d'
une Europe sécuritaire et xénophobe.
Le résultat ne se fit pas attendre. En milieu de matinée la
manifestation en tant que telle était quasiment dispersée et des
affrontements entre la police et des petits groupes d'autonomes
commençaient. Les quelques centaines de manifestants non démobilisés
se sont éparpillés dans les rues adjacentes de l'Acropolis, dans le
quartier Est et le quartier Sud du Port de Nice où ils ont brisé
plusieurs vitrines (une agence immobilière, une compagnie
d'assurances, trois concessionnaires automobiles) et ont incendié une
agence de la BNP située rue Barla. À noter qu'aucun petit commerçant
n'a eu de vitrine cassée et qu'il n'y a pas eu de pillage (seul le
braquage d'une boulangerie a été répertorié sans qu'il soit possible
d'établir un lien quelconque avec les manifestants).
Pendant ce temps, quelques centaines de militants qui s'étaient
repliés au gymnase Leyrit se sont rendus à la caserne de gendarmerie,
située à 200 mètres, pour obtenir la libération d'un camarade italien
qui avait été interpellé. Là aussi, la réaction policière fut
immédiates et, en plus des gaz, un canon à eau fut appelé en renfort.
Après cet épisode, et les arrestations qui suivirent, une grande
partie des manifestants décida de quitter Nice et de rentrer le soir
même.
Au-delà du débat sur les modes d'actions consistant à s'attaquer
directement à des symboles du capitalisme, comme la BNP (débat qui est
loin d'être clos) et au-delà des excès et débordements stériles qui se
produisent inévitablement lors de ce type de manifestation, il est
clair que l'attitude méprisante et humiliante du pouvoir, dés le début
de la mobilisation et avant même que les manifestations ne commencent
à Nice, a très largement contribué à créer un climat explosif.
Le fait de présenter de façon systématique à la population, avec
l'appui des média, les mobilisations radicales comme des actions
destructrices sans dessein et sans ambition autre que la casse ne peut
que faire le lit des confrontations violentes. D'un côté, le pouvoir
doit comprendre qu'il ne se débarrassera pas, par le recours simpliste
à la brutalité policière et à la démagogie sécuritaire, du mouvement
d'opposition radical. D'un autre côté, les libertaires (qui sont la
principale cible de la campagne de désinformation et de
criminalisation) doivent s'efforcer, au-delà des actions ponctuelles
et restreintes comme celle de Nice, de lutter contre cette campagne en
allant toujours plus au contact de la population, afin d'expliquer
leur démarche et leur projet de société, afin de se faire mieux
connaître et peut-être un jour reconnaître comme une authentique force
de proposition constructive.
Avant d'être un crieur de slogans et un tagger de banque, le militant
libertaire est un chercheur, en lui-même et dans sa pratique
quotidienne, l'explorateur d'une autre société. Plus que jamais, la
créativité militante doit tout mettre en œuvre pour éviter
l'enfermement du mouvement libertaire dans le ghetto où les pouvoirs
cherchent à l'enfermer pour le couper de la population et le
neutraliser.
Trop souvent, les militant-e-s se parlent à eux-mêmes, fonctionnent
dans une logique interne, hermétique pour le non-militant. Ils se
satisfont d'actions qui ont un sens pour eux-mêmes sans trop se
soucier de savoir si ces actions ont un sens pour l'homme de la rue.
Ils ne cherchent pas assez à se faire comprendre de la population, à
gagner sa sympathie, voire son soutien. Qu'a-t-il été fait pour
expliquer aux habitants de Nice les enjeux d'une mobilisation
contestataire d'envergure et, au sein de cette mobilisation globale,
les enjeux d'une désobéissance d'esprit libertaire ? Qu'a-t-il été
fait pour préparer les gens à ce qui allait se produire, et
éventuellement chercher à les associer aux manifestations, à les
impliquer, même à un faible niveau.
Le jeudi, un grand nombre de Niçois étaient cloîtrés chez eux,
victimes de leur peur, de leurs préjugés et de la propagande
officielle qui visait à susciter une atmosphère menaçante (en faisant
fermer certaines écoles, par exemple). Quels moyens nous donnons-nous
(et nous donnerons-nous dans l'avenir) de faire reculer ces préjugés
et les effets de cette propagande, de préparer un terrain favorable à
l'accueil de nos actions ? Il ne s'agit pas de faire des reproches à
qui que ce soit (et surtout pas à celles et à ceux qui se sont
dévoué-e-s selon leurs possibilités à l'organisation du contre-sommet)
mais d'être lucide sur le fait que ce ne sont pas quelques graffitis
et autocollants qui apporteront du sens à des actes trop souvent
perçus (à tord ou à raison selon les cas) comme des défoulements
inquiétants ou le signe d'un refus sans dimension créatrice
discernable.
Que le mouvement radical soit minoritaire est normal, qu'il soit
isolé est par contre dangereux. Soyons lucide sur le fait qu'une
grande partie de la stratégie du pouvoir est contenue dans cet
isolement. La dénonciation des manœuvres écœurantes de l'État ne
suffira pas à nous sortir de cette ornière.
Le mouvement libertaire doit aussi se remettre en question de façon
permanente pour progresser dans ses pratiques, ses analyses et faire
ses preuves.

Thierry Morales

thierry.morales@free.fr

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