arch/ive/ief (2000 - 2005)

Le vrai problème : le sionisme américain
by Edward Saïd Sunday December 10, 2000 at 11:24 AM

"Le vrai problème : le sionisme américain" a été publié en trois parties dans Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien anglophone) entre le 21 septembre et le 8 novembre 2000. Edward Saïd est professeur de littérature comparée à la Columbia University. Depuis longtemps engagé dans la lutte pour la reconnaissance des droits du peuple palestinien, il a démissionné en 1991 du Conseil national palestinien.

PREMIERE PARTIE

Ceci est un premier article d'une série consacrée au rôle malcompris et mal perçu du sionisme américain dans la question de la Palestine. De mon point de vue, le rôle des groupes et des associations sionistes, très bien organisés, aux Etats-Unis, n'a pas été suffisamment pris en considération tout au long de la période du "processus de paix", négligence que je trouve stupéfiante, étant donné que la politique palestinienne a consisté, essentiellement, à remettre notre sort entre les mains des Etats-Unis, sans aucune conscience stratégique de la manière avec laquelle la politique américaine est réellement dominée - si ce n'est entièrement contrôlée - par une petite minorité de personnes dont les opinions sur la paix au Moyen-Orient sont, à bien des égards, encore plus extrémistes que celles du Likoud israélien.
Laissez-moi donner un petit exemple. Il y a un mois, le journal israélien Ha'Aretz a envoyé un de ses éditorialistes en vue, Ari Shavit, pour plusieurs jours d'entretien avec moi ; un bon compte-rendu de cette longue conversation a été publié sous la forme d'une interview avec questions et réponses, dans le supplément au numéro du 18 août, pratiquement in extenso, et sans censure. J'ai formulé mes vues de manière parfaitement candide, en insistant davantage sur le droit au retour, sur les événements de 1948 et sur les responsabilités d'Israël dans tout ça. J'ai été (agréablement) surpris de constater que mes opinions ont été exposées exactement comme je les ai formulées, sans la moindre tentation de sensationnalisme de la part du journaliste, dont la courtoisie et l'absence d'agressivité ne s'étaient jamais démenties.
Une semaine après l'interview, vint une réponse, celle de Meron Benvenisti, ancien adjoint au maire de Jérusalem à l'époque de Teddy Kollek. Elle était outrageusement personnelle, pleine d'insultes et d'accusations scandaleuses à l'égard de ma famille et de moi-même. Mais il n'a jamais dénié qu'il existât un peuple palestinien, ou que nous ayons été expulsés (hors de la Palestine) en 1948. En substance, il disait : "nous les avons vaincus, pourquoi devrions-nous nous sentir coupables ?" La semaine suivante, je répondais à Benvenisti dans les colonnes du même journal, Ha'Aretz : là encore, aucune coupure. Je rappelais aux lecteurs israéliens que Benvenisti était responsable de la destruction (et sans doute était-il au courant du massacre de plusieurs Palestiniens) du quartier des Maghrébins (à Jérusalem : Haret al-Magharibah), en 1967, qui entraîna pour des centaines de Palestiniens la perte de leur logement, pulvérisé par les bulldozers israéliens. Mais je n'avais pas à rappeler à Benvenisti ou aux lecteurs du Ha'Aretz que nous existions en tant que peuple et que nous avions au moins le droit de débattre de notre droit au retour. C'était (pour eux) une évidence.
Deux choses. L'une, c'est que l'ensemble de cette interview n'aurait jamais pu paraître dans un journal américain, et certainement pas dans l'un quelconque des journaux des Juifs-Américains. Si ces journaux m'avaient interviewé, les questions auraient été agressives, se seraient voulues destabilisantes, insultantes, du type : "pourquoi avez-vous prêté main-forte au terrorisme, pourquoi ne voulez-vous pas reconnaître Israël, Hajj Amin (al-Huseïny, mufti de Jérusalem, NdT) n'était-il pas un nazi ?, etc..." La deuxième, c'est qu'un sioniste israélien de droite, comme Benvenisti, quelque soit la détestation qu'il puisse concevoir pour mes idées ou ma personne, ne niera jamais qu'il y ait un peuple palestinien, qui a été forcé à partir en 1948. Un américain sioniste maintiendrait, lui, longtemps, qu'il n'y a eu aucune conquête ou bien, comme Joan Peters l'a prétendu dans un ouvrage publié en 1948, aujourd'hui épuisé en librairie et pratiquement tombé dans l'oubli, intitulé "Depuis la nuit des temps" (cet ouvrage a raflé tous les prix littéraires juifs l'année de sa parution aux Etats-Unis), qu'il n'y avait pas de Palestiniens en Palestine avant 1948 (!)...
Tout Israélien admet sur-le-champ et sait parfaitement bien que l'ensemble d'Israël était autrefois la Palestine, que (chose reconnue ouvertement par Dayan en 1976) chaque ville ou chaque village israélien portait autrefois un nom arabe. Et Benvenisti dit ouvertement : ""nous" avons vaincu (et conquis)", alors quoi ? Pourquoi nous sentir coupables d'avoir vaincu ?" Le discours sioniste américain n'est jamais aussi direct et honnête : il faut toujours qu'il tourne autour du pot, qu'il fasse fleurir le désert, qu'il vante la démocratie israélienne, etc... en occultant totalement les faits, essentiels, survenus en 1948, que pratiquement tout Israélien a vécu en direct. Pour les Américains, il s'agit presque d'imaginations, de mythes, non de réalités. Les partisans américains d'Israël sont si loin de la réalité, tellement pris dans les contradictions de la culpabilité de la diaspora (en effet, que signifie être sioniste et ne pas émigrer en Israël ?) et dans leur triomphalisme de minorité la plus parvenue et la plus puissante des USA, que ce qui (en) émerge est le plus souvent une mixture effrayante de violence perverse à l'encontre des Arabes, une peur et une haine profondes envers eux, qui résulte de leur absence totale de contacts avec eux, à la différence de ce qui se passe pour les Juifs israéliens.
Ainsi, pour le sioniste américain, les Arabes ne sont pas des êtres vivants, mais des incarnations de tout ce qui peut être démonisé et méprisé, plus spécialement : le terrorisme et l'antisémitisme. J'ai reçu, dernièrement, une lettre d'un de mes anciens étudiants, quelqu'un qui a bénéficié de la meilleure éducation possible aux Etats-Unis : il peut, malgré ça, avoir le culot de me demander, en toute honnêteté et courtoisie, pourquoi, en tant que Palestinien, est-ce que je laisse un nazi comme Hajji Amin (Al-Huseïni) déterminer mon programme politique ? "Avant Hajj Amin", argue-t-il, "Jérusalem n'avait aucune importance, pour les Arabes. Mais il était tellement diabolique qu'il en a fait un problème important pour les Arabes, juste pour frustrer les aspirations sionistes, qui ont toujours tenu Jérusalem pour quelque chose de capital". Ce n'est pas le raisonnement de quiconque a vécu avec les Arabes et sait un tout petit peu de choses concrètes à leur sujet. C'est le discours d'une personne qui produit un discours construit et qui est animé d'une idéologie qui considère les Arabes seulement d'un point de vue négatif, comme la personnification de passions antisémites violentes. Et qui, en conséquence, doivent être combattus et si possible éliminés. Ce ne pas un fruit du hasard si le Dr Baruch Goldstein, meurtrier monstrueux de 29 Palestiniens qui priaient paisiblement à la mosquée d'Hébron, était américain, tout comme l'était le rabbin Meir Kahane. Bien loin d'être des aberrations qui auraient placé leurs partisans dans l'embarras, Kahane et Goldstein sont révérés, de nos jours, par des gens de la même trempe. Beaucoup des colons d'extrême droite les plus zélés, installés sur des terres palestiniennes, qui parlent sans aucun remords de la "Terre d'Israël", comme leur appartenant, qui haïssent et ignorent les propriétaires et les résidents palestiniens qui les entourent, sont eux aussi américains. Les voir arpenter les rues d'Hébron comme si la ville arabe était entièrement à eux est un spectacle qui fait froid dans le dos, dont l'aspect effrayant est encore aggravé par la méfiance et l'agressivité dont ils font montre en permanence envers la majorité arabe.
Je donne ici tous ces éléments de manière à illustrer un point essentiel. Lorsque, après la guerre du Golfe, l'OLP a pris la décision stratégique - déjà prise avant elle par deux pays arabes de majeure importance - de travailler avec le gouvernement américain et, si possible, avec le puissant lobby qui contrôle tout examen de la politique américaine au Moyen-Orient, elle a pris cette décision (comme les deux états arabes qui l'avaient devancée) sur la base d'une profonde ignorance et de suppositions extraordinairement erronées. L'idée, telle que me l'a résumée un diplomate arabe de haut rang peu après 1967, était de se rendre, carrément, et de dire : "nous n'allons pas continuer à nous battre. Nous sommes désireux désormais d'accepter Israël et d'accepter, aussi, le rôle prépondérant des Américains dans notre futur". Il n'y avait aucune raison objective d'adopter une telle position, à l'époque - comme c'est aujourd'hui le cas : la continuation de la lutte par les Arabes, comme ils l'avaient pratiquée historiquement, n'était pas appelée inéluctablement à déboucher sur des défaites ou - a fortiori, un désastre - ultérieures. Mais je suis convaincu que remettre la politique des Arabes entre les mains des Etats-Unis, ce qui revient à dire : entre les mains des principales organisations sionistes, étant donné leur influence dans tous les secteurs aux Etats-Unis, a représenté une faute politique. Cela revenait à leur dire : "nous ne vous combattrons plus, à l'avenir, laissez-nous vous rejoindre... Mais, s'il vous plaît, traitez-nous convenablement". Ce qui était alors espéré, c'était qu'en faisant des concessions et en disant que nous n'étions plus leur ennemi, nous deviendrons leurs amis, nous les Arabes...
Le problème réside dans la disparité de puissance (entre les deux camps) qui n'a absolument pas été réduite. Du point de vue du puissant, quelle différence cela peut-il bien faire si votre faible adversaire met les pouces et dit qu'il n'a plus rien à gagner à l'avenir par la lutte, qu'il vous demande de l'adopter, qu'il veut être votre allié : "essaie juste de me comprendre un peu, et alors, peut-être seras-tu plus juste ?". Une bonne façon de répondre à cette question de manière concrète et pratique, c'est de regarder la manière dont les choses ont tourné dans la compétition pour les sénatoriales à New York, où Hillary Clinton est opposée au Républicain Ric Lazio pour le fauteuil occupé actuellement par Daniel Patrick Monihan (Démocrate), qui prend sa retraite. L'année dernière, Hillary a déclaré qu'elle était en faveur de l'établissement d'un Etat palestinien. Au cours d'une visite non-officielle à Gaza, avec son président de mari, elle a embrassé Soha Arafat. Mais depuis l'ouverture de sa campagne pour les sénatoriales à New York elle bat même les plus extrémistes des sionistes de droite dans sa dévotion totale à Israël et son opposition farouche aux Palestiniens, au point de se déclarer en faveur du transfert de l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem et (ce qui est pire) en réclamant la clémence pour Jonathan Pollard, un espion israélien accusé d'espionnage contre les Etats-Unis, et condamné à la prison à vie. Les candidats républicains opposés à Hillary Clinton ont tenté de l'embarrasser en la dépeignant comme une "philarabe" et en diffusant une photographie où on la voit embrassant Soha Arafat. New York étant la citadelle du pouvoir sioniste, attaquer quelqu'un en lui accolant les qualificatifs de "pro-arabe" ou d' "amie de Soha Arafat" équivaut à la pire des insultes. Tout cela, en dépit du fait qu'Arafat et l'OLP sont déclarés ouvertement alliés des Etats-Unis, qu'ils reçoivent des aides américaines tant militaire que financière, et qu'ils bénéficient des conseils de la CIA sur le plan de la sécurité. Pendant ce temps, la Maison Blanche faisait diffuser une photographie de Lazio et Arafat se serrant les mains, vieille de deux ans. Clairement, on répondait "coup contre coup"...
La réalité, c'est que le discours sioniste est un discours vecteur de pouvoir, et que les Arabes, dans ce discours, sont les objets de ce pouvoir. Les objets méprisés, est-il besoin de le préciser. Ayant remis leur sort entre les mains de ce pouvoir en tant que ses anciens opposants désormais soumis, comment (les Arabes) peuvent-ils imaginer se trouver sur un pied d'égalité avec lui ? De là, le spectacle dégradant et insultant d'Arafat (depuis toujours et pour toujours symbole de l'ennemi dans la mentalité sioniste) utilisé (comme pièce compromettante) dans un duel tout ce qu'il y a de plus local, aux Etats-Unis, entre deux candidats qui sont rentrés dans une surenchère afin de démontrer lequel des deux est plus pro-israélien que l'autre. Notons, d'ailleurs, qu'Hillary Clinton, pas plus que Ric Lazio, ne sont juifs.
Dans mon prochain article, j'examinerai comment la seule stratégie politique possible, pour les politiques arabe et palestinienne aux Etats-Unis, ne consiste ni en un pacte avec les sionistes ici (aux Etats-Unis), ni avec la politique américaine elle-même, mais bien en une campagne massive et mobilisée, en direction de la population américaine, pour le respect des droits humains, civils et politiques des Palestiniens. Tous les autres arrangements, qu'il s'agisse d'Oslo ou de Camp David, sont voués à l'échec tout simplement parce que le discours officiel est entièrement dominé par le sionisme et qu'il n'y existe aucune alternative, à quelques exceptions individuelles près. Par conséquent, tous les accords de paix conclus sur la base d'une alliance avec les Etats-Unis représentent des (signatures d') alliances qui ne font que renforcer le pouvoir sioniste, bien loin de le contrer. Se soumettre bien bas à une politique moyen-orientale contrôlée par les sionistes, comme les Arabes le font désormais depuis presque une génération, n'apportera jamais ni la stabilité sur place, ni l'égalité et la justice aux Etats-Unis.
Toutefois, l'ironie veut qu'une large couche de l'opinion publique américaine soit prête à se montrer critique tant envers Israël qu'envers la politique étrangère américaine. La tragédie, c'est que les Arabes sont trop faibles, trop divisés, trop désorganisés et trop ignorants pour tirer avantage de cette réalité. J'en examinerai les raisons dans mon prochain article, poussé que je suis par l'espoir que nous pouvons tenter d'atteindre une nouvelle génération qui pourrait s'avérer à la fois étonnée et révulsée par la place misérable, dénigrée à laquelle notre peuple et notre culture sont aujourd'hui relégués, et le sentiment constant de perte suscitant à la fois indignation et humiliation que nous en concevons tous.

SECONDE PARTIE

Je dois vous relater un petit incident, qui s'est produit, depuis mon premier article, il y a quinze jours de cela. Martin Indyk, ambassadeur des Etats-Unis en Israël (pour la deuxième fois sous l'administration Clinton), a été brutalement déchu de son agrément de sécurité diplomatique par le Département d'Etat (Affaires Etrangères, aux Etats-Unis, NdT). Le prétexte invoqué étant qu'il aurait utilisé son ordinateur portable (son "sur les genoux", "laptop", comme on dit outre-atlantique, NdT), sans utiliser les mesures de sécurité en vigueur et que, de ce fait, il aurait pu révéler des informations secrètes ou livrer des informations semi-secrètes à des personnes non-habilitées... Résultat : il ne peut plus ni entrer au Département d'Etat, ni en sortir, sans être escorté. Il ne peut pas non plus demeurer en Israël et il doit même, aux dernières nouvelles, subir un interrogatoire poussé.
Peut-être ne saurons-nous jamais ce qui s'est réellement passé. Mais ce qui est public, et n'en a pas moins été totalement occulté par les médias, c'est le scandale que représente la nomination-même de cet Indyk. A la veille de l'intronisation de Clinton, en janvier 1993, on a annoncé que Martin Indyk, né à Londres et citoyen australien, venait d'être naturalisé américain à la demande expresse du président nouvellement élu, mais non encore en charge. Les procédures habituelles n'ont pas été respectées : il s'agissait d'un "abus de pouvoir légal" de l'exécutif, si bien qu'Indyk, à peine naturalisé citoyen américain, put devenir immédiatement membre du personnel du Conseil de Sécurité Nationale, en charge... du Moyen-Orient. Ca, c'était un vrai scandale, pour moi, et non pas ce qui a pu lui arriver par la suite du fait de son je-m'en-foutisme ou de son indiscrétion, ou même de sa complicité dans l'ignorance des codes de conduite officiels. Car, avant de parvenir au coeur-même du gouvernement américain, à un poste suprême et largement couvert par le secret, Indyk était le directeur de l'Institut Washington pour la politique au Moyen-Orient, un "réservoir à idées" (thinktank) pseudo-intellectuel dévoué à la propagande active en faveur d'Israël. Il y a assuré la coordination des travaux avec l'AIPAC (Comité des Affaires Publiques Américano-Israéliennes), le lobby le plus influent - et aussi le plus craint - à Washington. Il convient de noter qu'avant de rentrer dans l'administration Bush, Dennis Ross, consultant au Département d'Etat qui a piloté le "processus de paix" américain, était aussi à l'époque le directeur de l'Institut Washington, si bien que les ponts entre le lobbying israélien et la politique extérieure américaine au Moyen-Orient étaient très bien ancrés, et - osons le mot - très fréquentés.
Si l'AIPAC a été aussi puissant, durant des années, ce n'est pas seulement à cause du fait qu'il repose sur une population juive bien organisée, ayant beaucoup de relations, très en vue, ayant beaucoup de réussite, et très riche, mais parce qu'il ne s'est heurté, dans une grande mesure, qu'à une résistance fort réduite. L'AIPAC inspire, dans tout le pays, une crainte salutaire et un respect circonspect, mais c'est encore plus vrai à Washington, où en quelques heures, pratiquement la quasi-totalité du Sénat peut recevoir l'injonction de signer une lettre au Président, en faveur d'Israël (et y obtempérer). Qui pourrait se permettre de résister à l'AIPAC sans crainte de voir briser sa carrière au Sénat, ou a fortiori s'y opposer en invoquant, disons, la cause palestinienne, alors que rien de concret ne saurait être offert en compensation de la défense de cette cause à quiconque oserait défier (cette organisation) ? Par le passé, un ou deux sénateurs ont tenu tête ouvertement à l'AIPAC, mais peu après, leur réélection a été bloquée par les principaux comités d'action politique contrôlés par l'AIPAC, et voilà : aussi simple que cela... Le seul sénateur qui ait adopté ce qui ressemble de loin à une sorte de position opposée à l'AIPAC a été un certain James Abu Rezk, mais il ne désirait pas être réélu et a présenté sa démission, en invoquant des raisons personnelles, après la fin de son unique mandat de six ans.
Aux Etats-Unis, il n'y a pas un seul commentateur politique qui soit ouvertement et clairement opposé à Israël. Quelques éditorialistes libéraux, comme Anthony Lewis, du New York Times écrivent de temps en temps une critique des pratiques israéliennes en matière d'occupation, mais rien n'est jamais dit au sujet de 1948 et de l'ensemble du problème de la dépossession originelle des Palestiniens, qui se trouve (pourtant) à la racine de l'existence-même d'Israël et de son attitude depuis sa fondation. Dans un article publié récemment, un ancien haut-fonctionnaire du Département d'Etat, Henry Pracht, a relevé que l'unanimité écrasante de l'opinion publique dans tous les secteurs des médias américains, cinéma, télévision, radio, journaux, hebdomadaires, mensuels, trimestriels et quotidiens : tout le monde, peu ou prou, suit la ligne officielle israélienne, qui est devenue aussi la ligne officielle américaine. Telle est l'identification à laquelle est parvenu le sionisme américain au cours des années écoulées depuis 1967, et qui est exploitée dans la plupart des discours publics relatifs au Moyen-Orient. Ainsi, politique américaine = politique israélienne, excepté pour de trop rares occasions (par exemple, le procès Pollard), lorsqu'Israël dépasse les bornes et présume qu'il a le droit de se servir (dans la bonbonnière) sans demander la permission.
La critique des pratiques israéliennes est, ainsi, strictement limitée à des "sorties" occasionnelles qui sont si rares qu'elles en sont pratiquement littéralement invisibles. Le consensus général est quasi-invincible et tellement puissant qu'il peut être imposé partout en restant dans les limites du consensus socialement admis ("mainstream"= le "lit principal du fleuve"). Ce consensus est fait de vérités inattaquables concernant le fait qu'Israël est une démocratie, ses vertus fondamentales, la modernité et le caractère raisonnable de sa population et de ses politiques. Le rabbin Arthur Hertzberg, un religieux américain libéral respecté, a dit un jour que le sionisme était "la religion séculaire de la communauté juive américaine"... Ceci est confirmé, visiblement, par plusieurs organisations américaines dont le rôle est de réprimer les tendances du public à commettre des infractions, même si de nombreuses autres associations juives animent des hôpitaux, des musées, des centres de recherche pour le bien du pays tout entier. Cette dualité ressemble à un paradoxe insolvable dans lequel des initiatives publiques parmi les plus louables coexistent avec les plus mesquines et les plus inhumaines. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple récent, l'Organisation sioniste américaine (ZOA : Zionist Organisation of America), groupe de zélotes peu nombreux mais forts en gueule, a payé un encart publicitaire dans le New York Times du 10 septembre dernier, s'adressant à Ehud Barak comme s'il se fût agi d'un homme-à-tout-faire des Juifs américains, lui rappelant que les six millions qu'ils représentent dépassent de loin les cinq millions d'Israéliens, qui ont osé, pourtant, prendre l'initiative d'ouvrir des négociations sur Jérusalem... Le communiqué n'était pas seulement sur le ton de l'avertissement, mais presque de la menace, disant en substance que le premier ministre d'Israël avait décidé non-démocratiquement d'entreprendre ce qui était inconcevable ("anathema"), pour les Juifs américains, et que ces derniers étaient extrêmement fâchés par son comportement. On ne sait pas très clairement qui a mandaté cette petite troupe de zélotes teigneux pour faire la leçon au premier ministre d'Israël sur un tel ton, mais l'Organisation sioniste américaine ZOA se sent le droit d'interférer dans les affaires de n'importe qui. Ils écrivent fréquemment (c'est presque devenu une routine) au président de mon université pour lui demander de me licencier ou de me censurer pour un propos que j'ai tenu, comme si les universités étaient des sortes de jardins d'enfants et comme si les professeurs devaient être réprimandés comme des mineurs délinquants. L'année dernière, ils ont monté une campagne pour que je sois viré de mon poste électif en tant que président de l'Association pour les Langues Modernes, dont les 30 000 membres ont été chapitrés comme autant de demeurés. C'est digne du stalinisme le plus préhistorique, mais c'est typique du sionisme américain organisé dans ses pompes et ses oeuvres.
De même, au cours des derniers mois, divers écrivains et éditeurs juifs de droite (par exemple, Norman Podhoretz, Charles Krauthammer et William Kristol, pour ne mentionner que quelques-uns des propagandistes les plus persifleurs) ont critiqué Israël essentiellement parce que sa politique leur déplaisait, comme s'ils avaient plus de titres que quiconque d'autre à le faire. Leur ton, dans ces articles, et dans d'autres, était effrayant : une mixture peu appétissante d'arrogance éhontée, de prêche morale, et de la forme la plus rébarbative d'hypocrisie, le tout avec un air de totale confiance en soi. Ils supposent qu'avec le soutien des organisations sionistes, qui appuient et encouragent leurs débordements répréhensibles, ils peuvent persévérer dans leurs excès verbaux ahurissants, mais c'est surtout parce que la plupart des Américains sont totalement béotiens dans les problèmes qu'ils abordent ou bien parce qu'ils sont réduits au silence que ces gens peuvent continuer à proférer leurs insanités, dont la plupart ont peu à voir avec les développements réels de la situation politique moyen-orientale. La plupart des Israéliens modérés les considèrent avec dégoût.
Le sionisme américain a désormais atteint un niveau de pure fantasme dans lequel ce qui est bon pour les sionistes américains dans leur apanage et dans leur discours en grande partie complètement déconnecté des réalités, est bon pour l'Amérique et pour Israël, et bon aussi, en toute certitude, pour les Arabes, les Musulmans et les Palestiniens, qui semblent bien n'être guère plus qu'un ramassis de gêneurs négligeables. Quiconque défie ou ose les contester (particulièrement s'il s'agit d'un (ou d'une) Arabe ou Juif (ve) antisioniste) devient l'objet des formes les plus grossières d'agression verbale et de vitupération, toutes plus personnelles, racistes et idéologiques les unes que les autres. Ils sont acharnés, totalement dépourvus de générosité ou de compréhension authentiquement humaine. Dire que leurs diatribes et analyses adoptent un style "vétérotestamentaire", ce serait blasphémer en insultant l'Ancien Testament.
En d'autres termes, une alliance avec eux, telle celle que les Etats arabes et l'OLP ont essayé de mettre sur pied depuis la guerre du Golfe, dénote une ignorance des plus invétérées. Ils sont opposés, de manière viscérale, à tout ce que les Arabes, les Musulmans, et tout particulièrement, les Palestiniens défendent, et ils attendent la meilleure occasion - la première - pour tout faire sauter, plutôt que faire la paix avec eux. Toutefois, il est vrai aussi que la plupart des citoyens ordinaires sont souvent stupéfaits de constater la violence de leur discours, mais ils n'ont pas réellement conscience de ce qu'il y a derrière elle. Lorsque vous parlez avec des Américains qui ne sont ni Juifs, ni Arabes, et qui ne savent rien du Moyen-Orient, vous trouvez chez eux, le plus souvent, une interrogation et une certaine exaspération devant les tartarinades constantes (de ces sionistes extrémistes), comme si l'ensemble du Moyen-Orient était à eux et qu'ils n'avaient qu'à tendre le bras pour s'en emparer. J'en ai déduit que le sionisme, aux Etats-Unis, est non seulement un fantasme construit sur des fondations on ne peut plus branlantes, mais qu'il est impossible de conclure avec lui une quelconque alliance ou d'en attendre de quelconques échanges rationnels. Mais aussi qu'il peut être disqualifié et vaincu.
Je n'ai pas cessé, depuis le milieu des années quatre-vingt, de proposer à la direction de l'OLP et à tout Palestinien ou tout Arabe que j'ai pu rencontrer l'idée que la tentative de l'OLP d'attirer l'attention du président (Clinton, NdT) était totalement illusoire, étant donné que tous les présidents (américains) récents se sont avérés être des sionistes zélés, et que la seule manière d'amener un changement de la politique américaine et de pouvoir réaliser l'autodétermination (palestinienne), c'était d'avoir recours à une large campagne de mobilisation en faveur des droits humains des Palestiniens, campagne qui aurait pour effet de gagner du terrain sur le monopole actuel des sionistes et d'atteindre l'opinion publique américaine. Non-informés, et cependant ouverts à des appels à la justice comme ils le sont, les Américains auraient réagi comme ils l'ont fait pour la campagne de l'ANC contre l'apartheid, qui a fini par aboutir au changement de l'équilibre des forces à l'intérieur même de l'Afrique du Sud. Pour être honnête, je dois mentionner que James Zoghby, alors activiste énergique des droits de l'homme (avant qu'il ne se jette entre les bras d'Arafat, du Gouvernement américain et du Parti démocrate), a été l'un des initiateurs de cette idée. Le fait qu'il l'ait complètement abandonnée indique bien plus à quel point James a changé qu'il ne signifie que cette idée elle-même serait dépassée.
Mais il est également devenu très clair pour moi que l'OLP ne le fera jamais, pour plusieurs raisons. Cela lui demanderait du travail et du dévouement. Cela reviendrait aussi à épouser une philosophie politique qui serait celle d'une organisation réellement démocratique. Ensuite, cela devrait relever d'un mouvement, beaucoup plus que d'une initiative personnelle attribuable au leader actuel. Enfin, cela demanderait une connaissance réelle - et non une connaissance superficielle - de la société américaine. S'ajoute à cela le fait que j'avais acquis la conviction que la mentalité traditionnelle qui n'a jamais cessé de nous maintenir dans une mauvaise position serait très difficile à changer, et le temps m'a, hélas, donné raison. Les accords d'Oslo ont été beaucoup plus l'acceptation dépourvue de toute perspective par les Palestiniens de la suprématie israélo-américaine plus qu'une tentative d'y porter remède.
En tous les cas, toute alliance ou tout compromis avec Israël dans les circonstances actuelles, avec une politique américaine totalement dominée par le sionisme américain, serait promis(e) en gros aux mêmes résultats pour les Arabes, en général et les Palestiniens, en particulier. Israël doit dominer, les préoccupations d'Israël sont premières, l'injustice systémique d'Israël se poursuivra. A moins que l'on ne s'occupe du sionisme américain et qu'on ne le force à changer - ce qui n'est pas si difficile que cela en a l'air, comme j'essaierai de le démontrer dans mon prochain article - les résultats seront les mêmes : déconvenue et discrédit pour nous, les Arabes.

TROISIEME PARTIE

Les événements de ces quatre dernières semaines, en Palestine, ont été un triomphe quasi-total pour les sionisme, aux Etats-Unis, pour la première fois depuis la ré-émergence moderne du mouvement national palestinien à la fin des années soixante. Les discours, tant politique que public, ont à tel point fait d'Israël la victime des affrontements actuels qu'en dépit du fait que 140 Palestiniens aient perdu la vie (à la date de l'article NdT) et que 5 000 blessés graves palestiniens aient été recensés, c'est en permanence d'une fable intitulée "violence palestinienne" qui aurait interrompu le cours tranquille et régulier du "processus de paix" qu'il est question.
Nous sommes désormais en présence d'une petite litanie de phrases que tout éditorialiste soit répète "verbatim" (telles quelles), soit prend pour argent comptant : ces phrases-slogans ont été gravées dans les tympans, les esprits et les mémoires en guise de guide pour les égarés, de manuel ou de machine à dupliquer des phrases qui encombrent l'atmosphère depuis au moins un mois maintenant. Je pourrais citer la plupart de ces phrases par coeur : Barak a offert plus de concessions à Camp David qu'aucun premier ministre israélien ne l'avait jamais fait (90 % des territoires et souveraineté partielle sur Jérusalem-Est) ; Arafat s'est montré lâche, il lui a manqué le courage nécessaire pour accepter les offres d'Israël permettant de mettre un terme au conflit ; la violence palestinienne, orchestrée par Arafat, a menacé Israël (toutes sortes de variantes pour cette dernière assertion, allant du désir d'éliminer Israël de la carte, l'antisémitisme, une rage suicidaire motivée par le désir de passer à la télévision, en mettant les enfants en première ligne afin que ce soient eux qui deviennent des martyrs (!), prouvant qu'une vieille "haine" des Juifs est le vrai mobile des Palestiniens ; Arafat est un leader déconsidéré, qui laisse son peuple attaquer les Juifs et qui les incite même à le faire en libérant des terroristes (emprisonnés) et en laissant publier des livres scolaires qui dénient à Israël le droit à l'existence...
J'oublie certainement une ou deux formules, mais l'image générale est qu'Israël est à tel point cerné de barbares lanceurs de pierres que même les missiles, les tanks et les mitrailleuses héliportées qui ont été utilisés par les Israéliens de manière à "résister" à la violence (palestinienne) réussissent à grand-peine à contenir une force terrifiante. Les injonctions de Bill Clinton (rabâchées consciencieusement, tel un perroquet, par sa Secrétaire d'Etat (Madeleine Albright, NdT)) aux Palestiniens de "se retirer" poussent le bouchon un peu loin dans la suggestion que ce serait les Palestiniens qui empiéteraient sur le territoire israélien, et non le contraire...
Il faut aussi noter que la sionisation des médias a été si efficace qu'aucune carte n'a été publiée ou montrée à la télévision qui aurait pu rappeler aux téléspectateurs ou aux lecteurs américains - dont l'ignorance tant en géographie qu'en histoire est notoire - que les colonies, les implantations, les routes et les barrages israéliens zèbrent littéralement le territoire palestinien, à Gaza comme en Cisjordanie. Plus, comme cela avait déjà été le cas, à Beyrouth, en 1982, les Palestiniens sont soumis à un véritable siège israélien, y compris Arafat et ses hommes. Complètement oublié aussi - encore eût-il fallu qu'il ait été compris - le système des zones A, B et C qui permet à l'occupation militaire de 40 % de la superficie de la bande de Gaza et à 60 % de celle de la Cisjordanie de se perpétuer, occupation à laquelle les accords d'Oslo n'avaient jamais envisagé de mettre un terme, ils n'envisageaient d'ailleurs même pas de lui apporter une quelconque modification.
Comme l'absence de toute référence géographique dans ce conflit de nature essentiellement géographique le laisse prévoir, le vide résultant est un élément fondamental dès lors que les images qui sont montrées ou décrites (par les médias) le sont en l'absence de tout contexte. Je pense que l'omission de tout contexte géographique par les médias sionisés était délibérée, à l'origine, et qu'elle est désormais devenue systématique. Ceci a permis à des commentateurs-maison, tels que Thomas Friedman, de passer en contrebande ses câbles d'une manière éhontée, en se répandant sur l'équité américaine, la souplesse et la générosité israéliennes, et son propre pragmatisme personnel, grâce auquel il descend en flammes les leaders arabes et assomme ses lecteurs qui bâillent d'ennui. Ceci a pour effet, non seulement de permettre à la notion complètement ahurissante de l'agression palestinienne contre Israël de prévaloir, mais aussi de déshumaniser encore un peu plus les Palestiniens, d'en faire des bêtes sans conscience, agissant sans raison. Aussi ne faut-il pas être étonné, lorsque les chiffres des morts et des blessés sont cités, si on ne précise pas de nationalités : ceci laisse entendre aux Américains que les souffrances sont divisées à parts égales entre les "belligérants", ce qui a pour effet d'augmenter la souffrance des Juifs et de diminuer d'autant, voire d'éliminer complètement les sentiments des Arabes, sauf, évidemment, leur rage. La rage et ses dérivés restent ainsi les seules émotions palestiniennes, elles en deviennent même, pour le coup, la caractéristique. Ceci explique la violence, et véritablement, la réifie, si bien qu'Israël en arrive à représenter un Etat normal, démocratique, à jamais cerné par la rage et la violence. Aucun autre processus ne saurait expliquer logiquement la confrontation opposant des lanceurs de pierres à la vaillante "défense" israélienne.
Pas un mot sur les démolitions de maisons, les expropriations de terres, les arrestations illégales, la torture, etc... Rien n'est cité au sujet de ce qui est (à l'exception de l'occupation de la Corée par les Japonais) la plus longue occupation militaire de l'histoire moderne, rien non plus au sujet des résolutions de l'ONU, rien sur les souffrance d'un peuple entier et la dureté d'un autre. Oubliés la catastrophe de 1948, le nettoyage ethnique et ses massacres, la dévastation de Qibya, de Kafr Qassem, de Sabra et Shatila, les longues années de gouvernement militaire imposé aux citoyens non-juifs, pour ne rien dire de leur oppression continuelle en tant que minorité persécutée de 20% de la population de l'Etat juif. Ariel Sharon, dans le meilleur des cas, est un provocateur, et non un criminel de guerre. Ehud Barak est un homme d'état, jamais le bourreau de Beyrouth. Le terrorisme est toujours inscrit au crédit des Palestiniens, et l'auto-défense à celui d'Israël, dans une sorte de grand livre de comptabilité.
Ce que Friedman et les "peaceniks" pro-israéliens se gardent de mentionner, lorsqu'ils célèbrent la générosité inouïe de Barak, c'est sa réelle substance. On se garde de nous rappeler que son engagement à un troisième retrait (d'environ 12% des territoires), à Wye Plantation, il y a 18 mois, n'a jamais été honoré. Quelle valeur pourraient donc avoir de telles "concessions" ? On nous dit que Barak envisageait de rendre 90% des territoires occupés. Ce qu'on ne nous dit pas, en revanche, c'est qu'il s'agit de 90% des territoires extérieurs à ce qu'Israël n'a aucune intention de rendre. Le grand Jérusalem représente plus de 30 % de la Cisjordanie ; de vastes colonies promises à l'annexion représentent 15 % supplémentaires ; les routes militaires occupent une superficie qui reste encore à déterminer. Ainsi, une fois tout ceci déduit, 90 % du restant ne représentent pas grand-chose.
Ainsi, pour Jérusalem : la concession israélienne était essentiellement de consentir à ouvrir des discussions et peut-être - peut-être, seulement - d'offrir une autorité conjointe sur l'esplanade des Mosquées (Al-Haram al-Sharif). La malhonnêteté, qui coupe le souffle, là-dedans, c'est que la totalité de Jérusalem-Ouest (principalement arabe, en 1948) avait déjà été concédée par Arafat, plus la majorité de Jérusalem-Est, qui a connu une expansion urbaine énorme. Encore un détail : les tirs palestiniens, avec des armes légères, contre Gilo sont généralement présentés comme de la violence gratuite, alors que personne ne rappelle que Gilo est lui-même un quartier installé sur des terres confisquées au quartier de Beit Jala, d'où proviennent les tirs mentionnés. De plus, Beit Jala a subi un bombardement complètement disproportionné, infligé par des hélicoptères israéliens utilisant des missiles pour détruire des maisons d'habitation.
J'ai procédé à un suivi des principaux journaux. Continûment, depuis le 28 septembre, le New York Times, le Washington Post, le Wall Street Journal, le Los Angeles Times et le Boston Globe ont comporté quotidiennement, en moyenne, trois tribunes libres. A l'exception, peut-être, de deux ou trois articles écrits d'un point de vue pro-palestinien dans le Los Angeles Times, de deux autres (l'un, écrit par une juriste israélienne, Alegra Pacheco, l'autre par un journaliste libéral jordanien pro-Oslo, Rami Khoury), dans le New York Times, tous les articles - (en y incluant ceux écrits par des éditorialistes réguliers comme Friedman, William Safire, Charles Krauthammer et assimilés), ont été favorables à Israël, au processus de paix sponsorisé par les Etats-Unis, et à l'idée que la violence palestinienne, le manque de coopération d'Arafat, le fondamentalisme islamique étaient les coupables. Les auteurs (de ces articles) étaient d'anciens militaires américains, des officiels civils, des apologistes et des officiels d'Israël, des experts et autres spécialistes de "réservoirs à idées" (think tanks) des officiels de lobbies et d'organisations pro-israéliens. Autrement dit, la couverture du consensus admis (mainstream) a été réalisée en supposant qu'aucune position palestinienne, arabe, ou islamique sur des sujets tels que les tactiques de terreur employées par Israël à l'encontre des civils, le colonialisme de peuplement ou l'occupation militaire, n'existait ou ne méritait d'être entendue. Ceci est sans précédent dans les annales de l'histoire du journalisme aux Etats-Unis, et reflète bien une mentalité sioniste qui fait d'Israël la norme en matière de comportement humain, et qui, par conséquent, élimine d'une telle catégorisation l'existence de 300 millions d'Arabes et de 1,2 milliards de Musulmans. A long terme, il s'agit pour les Sionistes d'une position suicidaire, mais l'arrogance que leur donne leur position de pouvoir semble faire que cette idée n'a apparemment encore effleuré personne.
La mentalité que je viens de décrire est réellement renversante et l'on pourrait, s'il ne s'agissait tout simplement d'une distorsion pratique aussi bien que réelle de la réalité, évoquer aisément une forme particulière de dérangement mental. Mais elle correspond très exactement à la politique israélienne officielle, qui consiste à ne pas considérer les Palestiniens comme un peuple ayant une histoire de dépossession dont Israël est, dans une large mesure, directement responsable, mais comme une nuisance périodique contre laquelle la force, et surtout pas la compréhension ni un réel compromis, est la seule réponse possible. Quoi que ce soit d'autre serait littéralement impensable. Cette cécité étonnante est aggravée, aux Etats-Unis, par le fait que ni les Arabes, ni les Musulmans ne font l'objet d'une grande curiosité, sauf en tant que têtes de Turcs pour tout aspirant-politicien (comme je l'ai indiqué dans un précédent article). Il y a quelques jours de cela, Hillary Clinton a annoncé, dans un mise en scène d'une hypocrisie des plus abjectes, qu'elle allait rendre 50 000 dollars de dons reçus d'une association de Musulmans américains parce que, a-t-elle déclaré, ils encourageaient le terrorisme : il s'agit-là, bien sûr, d'un mensonge éhonté, le groupe en cause ayant seulement déclaré qu'il soutenait la résistance des Palestiniens face à Israël dans la crise actuelle, ce qui ne représente pas, en soi, une position malencontreuse, mais ce qui est criminalisé, dans le système américain uniquement parce qu'un sionisme totalitaire exige que toute critique - je dis bien : toute - de ce qu'Israël fait est tout bonnement intolérable et considéré comme de l'antisémitisme à l'état pur. Et cela, malgré le fait que (là encore, littéralement) le monde entier a critiqué les politiques israéliennes d'occupation militaire, de violence disproportionnée, d'état de siège imposé aux Palestiniens. En Amérique, vous devez vous abstenir de tout forme de critique, car, sinon, vous êtes pourchassé en votre qualité d'antisémite méritant l'opprobre le plus sévère.
Une autre particularité du sionisme américain, qui est un système de pensée antithétique et de distorsion Orwellienne, est qu'il est impardonnable de parler de violence juive, ou d'actions menées par les Juifs lorsqu'il s'agit d'Israël, même si tout ce que fait Israël est fait au nom du peuple juif, pour et par un Etat juif. Le fait que cet Etat est mal-nommé, étant donné que vingt pour cent de sa population ne sont pas des Juifs, n'est jamais mentionné, et ceci est à prendre en compte également, dans le hiatus étonnant, entièrement délibéré entre ce que les médias nomment les "Arabes israéliens" et les "Palestiniens" : aucun lecteur ou aucun téléspectateur ne peut censément savoir qu'il s'agit du même peuple, en réalité divisé par la politique sioniste, ni que les deux communautés représentent le résultat de la politique israélienne : apartheid, dans un cas ; occupation militaire et nettoyage ethnique, de l'autre.
Enfin, le sionisme américain a fait de toute discussion sérieuse au sujet d'Israël, de loin l'Etat qui reçoit le plus d'aide aux pays étrangers accordée par les Etats-Unis, ou au sujet de son passé et de son futur, des tabous qui ne sauraient être brisés sous aucun prétexte. Qualifier cela de dernier tabou dans le discours public américain, n'est absolument pas exagéré. L'avortement, l'homosexualité, la peine de mort, même le sacro-saint budget de l'armée ont été discutés avec une certaine liberté (mais, toujours, dans certaines limites). Le drapeau américain peut être brûlé en public, alors que le traitement infligé sans discontinuer par Israël aux Palestiniens depuis 52 ans est virtuellement inimaginable, comme s'il s'agissait d'un roman n'ayant pas reçu l'imprimatur.
Ce consensus serait peut-être tolérable s'il ne hissait pas le châtiment continu et la déshumanisation du peuple palestinien au rang d'une authentique vertu. Il n'y a tout simplement pas d'autre peuple, dans le monde d'aujourd'hui, dont le massacre (montré) sur les écrans de télévision semble être considéré par la plupart des téléspectateurs américains comme acceptable, en tant que punition bien méritée. C'est le cas des Palestiniens dont les morts quotidiennes, durant le mois écoulé, sont mises sous la rubrique "la violence des deux côtés", comme si les pierres et les frondes des jeunes gens poussés à bout par l'injustice et la répression représentaient un délit majeur plutôt qu'une résistance courageuse opposée au sort avilissant que leur réservent non seulement les soldats israéliens armés par les Etats-Unis, mais aussi par processus de paix prévu pour les parquer dans des bantoustans et des réserves dignes d'animaux.
Que les partisans d'Israël aient pu comploter, sept ans durant, pour finir par produire un document destiné essentiellement à enfermer un peuple comme des internés dans un asile ou une prison : voilà quel est le vrai crime. Quant à présenter cela comme une paix et non comme la pure et simple désolation que cela a toujours été depuis le début, voilà qui dépasse mes capacités à le comprendre ou à le décrire autrement que par les termes d'immoralité débridée. Ce qui est pire que tout, c'est que le mur protégeant le discours américain sur Israël est si blindé qu'aucune question ne peut être adressée aux cerveaux qui ont produit Oslo et qui ont continué à vendre leur schéma au monde entier, sept ans durant, en le faisant passer pour la paix. On ne sait pas ce qui est plus pernicieux, la mentalité qui pense que les Palestiniens n'ont même pas le droit d'exprimer un sentiment d'injustice (ils sont trop primitifs pour cela) ou celle qui continue, d'une manière impavide, à fomenter leur futur esclavage.
Si c'était là tout, ce serait déjà trop. Mais notre statut misérable, d'après la cosmogonie imposée par le sionisme américain, est aggravé par l'absence d'une quelconque institution ici (aux Etats-Unis, NdT) ou dans le monde arabe, qui soit prête et capable de produire une alternative. J'ai bien peur que la couverture (médiatique) des manifestants qui lancent des pierres à Bethlehem, Gaza, Ramallah, Naplouse et Hébron risque fort de ne pas être prise en compte de manière adéquate par une direction palestinienne paniquée, incapable de se retirer ou d'aller de l'avant. C'est on ne peut plus regrettable.