Une charte à l'image de l'Europe libérale : les droits sociaux bafoués by Yannick BOVY Monday December 04, 2000 at 03:24 PM |
A l'occasion du sommet européen de Nice, les 6, 7 et 8 décembre prochains, doit être officiellement consacrée la dite « Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne ». Ca sonne bien, mais ça va faire mal : ....
Ca sonne bien, mais ça va faire mal : il n’est pas complètement réducteur ni totalement schématique d’estimer qu’en gros, ce dont il est question, c’est de benoîtement passer à la moulinette et en grandes pompes les encombrants droits sociaux que s’obstinent encore à préserver les Etats membres de l’Union.
Défaitisme ringard ? Crypto-paranoïa ? Ce n’est pas l’avis des dizaines de milliers de manifestants attendus à Nice pour s’opposer à ce qu’ils considèrent comme un dangereux instrument de régression sociale et démocratique. Ce n’est pas non plus l’avis de Denis Horman, journaliste économiste à Bruxelles (auteur, notamment, de Commerce international. Une clause sociale pour l’emploi et les droits fondamentaux ?, Editions Luc Pire - Cetim, Bruxelles).
Pourquoi une telle opposition à cette charte ?
Denis Horman : Parce qu’elle risque de réduire les droits sociaux à une peau de chagrin. Le droit au travail, le droit à un revenu minimum, le droit à une rémunération équitable, le droit au logement, la liberté des médias et leur pluralisme, le droit à la santé, à l’éducation, etc., ne sont pas garantis dans cette charte européenne. Les droits sociaux y sont considérés comme des « objectifs politiques », sur le mode « on ne peut pas faire des promesses qu’on ne pourra pas tenir »... Alors que ces besoins fondamentaux ne sont pas des « objectifs » vers lesquels il faudrait tendre en fonction de la conjoncture ou des coalitions politiques au pouvoir, mais des droits justiciables. Il s’agit donc d’une question de justice sociale, impliquant des responsabilités individuelles et collectives face à l’injustice.
Le texte de la charte rejette ainsi, par exemple, la possibilité de définir, au niveau européen, le seuil de revenu en dessous duquel il serait « indécent » de descendre...
DH : Et de ce fait il ouvre la voie à la généralisation du minimalisme, à la distribution en nature sous forme de nourriture, de vêtements ou de bons d’achat (soulignons à ce propos que le gouvernement belge vient de décider d’appliquer cette dernière mesure aux demandeurs d’asile...). Il laisse le champ libre à des aides limitées seulement à ceux qui sont « tombés » dans un état d’extrême précarité. Ce n’est pas un hasard si le chapitre qui aurait dû s’intituler « droits sociaux » est précautionneusement appelé « Solidarité »...
Il faut dénoncer ce type de pratiques et de discours, tout à fait dans la ligne des préceptes de la Banque mondiale, par exemple, qui prône des « politiques sociales » ou des « filets de sécurité » pour les couches extrêmement pauvres. Une mécanique qui tourne le dos à l’Etat Providence et à l’assurance pour mettre en place une politique d’assistance, de charité publique.
Un autre exemple : le droit au travail...
DH : ... Qui devient dans le texte « le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée ». Ainsi, les employeurs et les Etats ne seraient plus tenus de faire respecter le libre choix du travail ou de garantir un salaire de remplacement en cas de chômage. Ils n’auraient plus d’obligations, si ce n’est de laisser chacun(e) libre de travailler ou de survivre...
Et les droits des femmes ?
DH : La charte est une véritable provocation à l’égard des droits des femmes : ceux-ci s’y résument pratiquement au « droit de se marier et de fonder une famille selon les lois naturelles qui en régissent l’exercice » ! Je ne parle même pas des droits des immigrés, qui, eux, ont tout juste le droit de ne pas être expulsés collectivement.
En définitive, la charte renie les droits fondamentaux pourtant inscrits dans de nombreuses législations nationales. C’est d’autant plus dangereux qu’elle pourrait être le préambule d’une future Constitution européenne, primant sur le droit national. Il s’agit d’un recul complet par rapport à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme écrite il y a plus d’un demi-siècle ! En revanche, le document fait la part belle au « droit de propriété » et à la « liberté d’entreprendre ». Bref, une charte à l’image de l’Europe libérale, qui a de quoi cristalliser l’opposition de toutes celles et tous ceux qui participeront au contre-sommet et aux manifestations organisés à Nice dès le 6 décembre...
Propos recueillis par Yannick BOVY
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Info : Outre une grande manifestation européenne prévue le mercredi 6 à 14 h. dans les rues de Nice, à la veille du sommet officiel, ainsi que de multiples activités militantes et festives (forums, débats, rencontres, concerts, spectacles...), une occupation massive et pacifique de la ville et un blocage non-violent des activités du sommet des chefs d’Etat sont au programme.
Contacter le Collectif d’organisation des mobilisations de Nice :
collectifnice2000@wanadoo.fr ou contre-sommet.nice@ras.eu.org
Tél. : 04 93 62 45 44 et 06 70 12 53 10. Adresse: c/o CLAJ-ecs, 31, Avenue du Maréchal Lyautey, 06000 Nice. Les pages consacrés au contre-sommet sur le site d'ATTAC 06:
http://www.local.attac.org/attac06/ContreSommet/index.htm