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Pourquoi un Forum Social Mondial
by Noam Chomsky Monday November 27, 2000 at 02:19 PM

Le Brésil se prépare à recevoir les mouvements populaires du monde entier qui se rencontreront à Porto Alegre (RS) à la fin de janvier pour le premier Forum Social Mondial.

Que représente un tel événement en ce début de changement de millénaire ? Depuis la Seconde guerre mondiale (1939-1945), l’intégration de l’économie internationale, la "globalisation" s’est approfondie. (…)

Dans la période d’après-guerre, l’intégration est passée par deux phases

De la période de Bretton Woods jusqu’au début des années 70, où les taux de croissance étaient réguliers et que s’exerçait un contrôle sur les mouvements de capitaux;
La période depuis le démantèlement du système de Bretton Woods. Ces deux phases sont totalement différentes.
Pour de bons motifs, nombre d’économistes nomment la première phase comme "l’âge d’or " du capitalisme industriel et la seconde phase comme les "années difficiles" comme le confirme une nette détérioration des indices macroéconomiques dans le monde entier (taux de croissance, productivité, investissement), en plus d’une inégalité sociale croissante.

La seconde phase est habituellement connue comme celle de la "globalisation " Cette phase est liée aux ainsi nommées politiques néolibérales : les politiques d’ajustement structurel, le "réformes " en accord avec le " consensus de Washington ". Ces politiques sont appliquées dans la majorité des pays du Tiers Monde et depuis 1990, elles furent aussi implantées dans les " économies de transition " de l’Est européen. Une autre version de ces mêmes politiques sont destinées aux pays industriellement avancés, plus significativement aux États-Unis et au Royaume Uni.

Mercantilisme des grandes entreprises

Aux États-Unis, le pays le plus riche de la planète, les salaires de la majorité des travailleurs-euses ont été gelés ou baissés, les heures de travail ont augmentées radicalement pendant que les bénéfices sociaux et le système de sécurité publique ont été réduits. Durant " l’âge d’or ", les indicateurs sociaux suivaient le PIB. À partir de la moitié des années 70, ces indicateurs ont baissé régulièrement, faisant faire un saut en arrière aux indices de plus de 40 ans.

La globalisation contemporaine est décrite comme une expansion du " libre commerce " mais un tel terme est mensonger. La majeure partie du commerce mondial est, de fait, opéré centralement par des contrats entre grandes entreprises. De plus, il y a une fort tendance à la formation d’oligopoles et d’alliances stratégiques entre grandes entreprises dans de nombreux secteurs de l’économie. Ce processus peut s’appuyer sur un important appui de l’État afin de socialiser les risques et les coûts des entreprises. Cette caractéristique a marqué l’économie américaine durant les dernières décennies.

Les accords internationaux de " libre commerce " combinent étroitement la libéralisation et le protectionnisme dans de nombreux secteurs stratégiques comme dans le cas de l’industrie pharmaceutique, permettant que des méga-entreprises ramassent des profits énormes par un monopole sur les prix des médicaments qui ont été développés avec une contribution substantielle du secteur public. Une autre caractéristique des ainsi nommées " années difficiles " a été l’énorme expansion du volume de circulation du capital spéculatif à court terme, ce qui limite considérablement les possibilités de planification des gouvernements et conséquemment restreint la souveraineté populaire à l’intérieur des systèmes politiques démocratiques.

Aujourd’hui, la configuration du " commerce " est très différente de celle antérieure à la Première guerre. Une grande partie du commerce consiste en un flux d’entreprises entre les pays riches et ceci est contrôlé par les grandes entreprises. Ces pratiques, en plus de la constante menace des entreprises de transférer leur production d’un pays à un autre, représentent une arme puissante contre les travailleurs et contre la démocratie elle-même. Le système émergeant peut être caractérisé comme étant celui d’un " mercantilisme de grandes entreprises " où les décisions sur les rapports sociaux, économiques et politiques sont de plus en plus concentrés dans des institutions privées sans aucun mécanisme de contrôle social.

On peut espérer que cette seconde phase de la période d’après-guerre déchaînera des protestations importantes et l’opposition publique dans le monde entier. Le Forum Social Mondial fournit une occasion sans précédent pour l’unification des forces populaires de différents secteurs, des pays riches et des pays pauvres, afin de développer des alternatives constructives de défense de la vaste majorité de la population mondiale qui souffre des attaques constantes contre les droits humains fondamentaux. C’est aussi une importante opportunité d’affaiblir la concentration illégitime du pouvoir et d’étendre le champ de la justice et de la liberté.
Noam Chomsky
Servicio Informativo alaiamlatina
(traduction: La Gauche)