arch/ive/ief (2000 - 2005)

De retour de Porto Alegre - Réinventer la démocratie
by Jipy de Ley et Ataulfo Riera Friday November 24, 2000 at 05:19 PM
plantin@skynet.be

Il y a-t-il au monde un lieu où les citoyens sont réellement impliqués dans les processus de décision, dans les orientations politiques, sociales, économiques et culturelles qui les concernent? Du 28 octobre au 4 novembre, une délégation de Socialisme sans Frontières est partie pour Porto Alegre, capitale de l'Etat de Rio Grande Do Sul , en quête d'une réponse.

Nous arrivons à Porto Alegre pendant le deuxième tour des élections municipales. Le candidat du Parti des Travailleurs (PT, voir à la fin de ce texte les "repères"), Tarso Genro, l'emporte avec 63 % contre le candidat populiste Collares. Dimanche-soir, de partout, les gens descendent dans la rue par milliers et se rendent à la Place El Apatur où se tient un meeting de victoire. La place baigne dans une véritable marée de drapeux rouges avec l'étoile PT. Raul Pont (membre de la tendance Démocratie socialiste - voir les "repères" - au sein fu PT et maire sortant), Tarso Genro (nouveau maire) et Olivio Dutra (Président de l'Etat de Rio Grande do Sul) tracent les pistes pour les années à venir: approfondir et radicaliser le processus de démocratie participative et de budget participatif, pour renforcer le combat contre le néolibéralisme globalisé et pour une société égalitaire de justice sociale. Le PT a gagné la mairie de 4 villes supplémentaires au Rio Grande, mais aussi celle de Sao Paulo, deuxième ville du Brésil.

Partager l'expérience

Beaucoup d'entre nous ont lu des articles, des récits, des livres, vu des émissions sur l'expérience de démocratie et de budget participatifs à Porto Alegre (voir les "repères". Aller voir sur place, discuter avec les gens, dans la mairie, dans les quartiers, dans les associations, dans les organisations politiques de gauche, est tout autre chose. Ce qui nous interesse particulièrement lors de ce séjour, ce sont les acquis sociaux du budget participatif en termes de logement, de santé, d'éducation, de mobilité... Ce que nous avons vu est impressionnant (dans un pays classé 76 ème en matière de développement humain...): réinsertion sociale des jeunes et des enfants de la rue (vivant souvent de petite et grande criminalité), des projets d'économie non-capitalistes (par ex. centres de recyclage de déchets), l'attribution légale d'emplacements occupés "illégalement" par des familles sans logement et la construction de 40.000 nouveaux logements en 10 ans dans le cadre du budget participatif, l'eau potable sur 97% du territoire de la ville, la construction de routes et d'infrastructures urbaines accessibles à tous, des transports en commun très accessibles, des soins de santé gratuits pour les personnes sans revenu ou à faible revenu, contraception gratuite et beaucoup d'autres acquis tangibles du budget participatif.

Quand le PT a lancé, en 1989, la politique de démocratie participative et de budget participatif, l'objectif stratégique était de construire la résistance populaire face au néolibéralisme globalisé, dans lequel l'Etat et la sphère publique sont 'abandonnés' au profit quasi exclusif des intérêts des privilégiés qui contrôlent les marchés financiers et les intérêts stratégiques du capitalisme mondialisé. « Il n'est pas étonnant que le 'simple citoyen' ait l'impression que cet Etat est impuissant et ne peut endiguer la montée de la crise sociale avec son cortège de maux, de chômage, de violence etc. Confronté à cet Etat 'incompétent' sourd à ses besoins, mais qui en revanche sait bien puiser dans les richesses, le citoyen devient une proie facile pour l'idéologie néolibérale. Le budget participatif est loin d'être parfait et n'a aucune prétention d'être LA solution à ce dilemme historique.(...) Il faut le voir néanmoins comme une piste de réponse (...) qui se cherche dans la mise en tension de 'société' et 'Etat' en plaçant ce dernier au service des intérêts du peuple ».(...) (1)

Inverser la logique libérale

Dans le processus de démocratie participative, c'est la population, à travers des assemblées générales de quartier et des assemblées générales thématiques, qui décide comment le budget de la ville est géré, combien on dépense et pour quoi. Dans ce processus, les besoins sociaux sont prioritaires.
De plus, ces besoins sociaux ne sont pas déterminés de façon bureaucratique par des fonctionnaires, ce sont les travailleurs(euses), les habitants des bidonvilles et des quartiers, les femmes, les jeunes, les vieillards qui disent ce qu'il y a à faire et à quoi doivent être destinés les moyens budgétaires de la ville. Le Conseil du budget participatif, constitué de 44 personnes élues directement dans les assemblées, est en permanence en contact avec les populations dans les quartiers et fonctionne comme relais permanent entre la population et le gouvernement de la ville.

Rupture

La politique de démocratie participative et de budget participatif s'est étendue à l'ensemble de l'Etat du Rio Grande Do Sul. Cette pratique de démocratie radicale est en soi en rupture avec un monde globalisé qui est gouverné par quelques centaines de multinationales, par des organismes internationaux comme la Banque Mondiale, le FMI, l'OMC ou l'OCDE. Face à cette machine infernale, à cette barbarie mondiale, comme le dit Raul Pont, la question de (l'absence de) la démocratie est une question plus que jamais pertinente comme axe de résistance au néolibéralisme. Partout dans le monde, se sont les citoyen(ne)s mêmes qui sont les meilleurs experts de leurs propres intérêts, des besoins humains, du cadre de vie, des choix économiques, sociaux, politiques, écologiques à faire. Les citoyens qui s'approprient la démocratie et la politique, tout modestement que se soit, au niveau de quelques grandes villes: c'est un point de départ concret et tangible d'une alternative d'ensemble au néolibéralisme.
A Porto Alegre, c'est par le fait qu'après 11 ans d'existence, le système de démocratie participative et de budget participatif a fait ses preuves en termes de gestion (d'une ville de 1,3 million d'habitants!), avant tout par le fait que «ça marche», que cette expérience dispose aujourd'hui d'une légitimité solide dans l'opinion populaire.

Un combat international

Cette légitimité dépasse les frontières de la ville, de l'Etat et du Brésil: elle devient reconnaissance internationale et gagne en valeur universelle. Une dialectique se met en oeuvre entre quelque chose qui a commencé dans un endroit précis et 'le reste du monde (de gauche)' qui suit attentivement cette expérience dans un esprit de solidarité internationale. Cela joue notamment en faveur de la gauche du PT, vrai moteur de la démocratie participative, contre d'éventuels risques de remise en cause par la droite au sein du PT.
A partir de Porto Alegre, un réseau pour la démocratie participative est en oeuvre, un peu partout dans le monde, s'identifiant à l'expérience de Porto Alegre. L'indiscutable force de l'expérience de Porto Alegre réside justement dans le dépassement de la 'propagande générale' et de la simple agitation, dans sa valeur pratique et concrète de mobilisation à une échelle de masse . C'est avant tout de ce point de vue-là que l'expérience de démocratie participative a une valeur universelle face à «l'universalité» du capitalisme mondialisé.

Et ici ?

On ne peut évidement pas «importer» tel quel, en Europe, en Belgique, l'expérience de Porto Alegre et du Rio Grande Do Sul. Il n'y a, pour commencer, pas chez nous un PT de masse comme expression politique des aspirations démoratiques, sociales, politiques de la majorité sociale. Mais, confier le choix des priorités politiques et sociales d'une ville, et les répercussions budgétaires de ces choix, aux citoyens, au lieu de les confier aux seules minorités privilégiées, à leur personnel politique et à leurs technocrates: voilà un vrai choix politique, un choix qui se pose partout ou il y a des citoyens et des villes.
Dans nos 'démocraties' représentatives, il n'y a pas de place pour cette démocratie participative et directe pour des raisons évidentes: une telle démocratie serait tout de suite en contradiction avec les intérêts des minorités privilégiés. En même temps, ceci démontre que la bataille pour la démocratie participative n'est pas un combat 'secondaire', qu'on ne pourrait pas mener ici. Au contraire, c'est une piste qu'il faut privilégier, justement pour s'attaquer aux intérêts capitalistes sacro-saints, pour le renversement des priorités et pour donner la priorité absolue à la satisfaction des besoins et des aspirations de la majorité sociale.
Jipi De Ley

(1) Tarso Genro et Ubiratan De Souza, « Quand les habitants gèrent vraiment leur ville »


Repères:
1. Qu'est ce que le Budget participatif?
C'est dans la ville de Porto Alegre (1,3 millions d'habitants, capitale de l'Etat du Rio Grande do Sul, Brésil) que le Parti des Travailleurs a lancé, en 1989, la politique de démocratie participative et de budget participatif. Le principe? Chaque année, C'est la population qui, au travers d'assemblées générales de quartier et d'assemblées générales thématiques, décide comment le budget de la ville est géré, combien on dépense et pour quoi. Dans le processus de démocratie participative, ce sont les besoins sociaux qui ont toute la priorité.
De plus ces besoins sociaux ne sont pas déterminés de façon bureaucratique par des fonctionnaires, ce sont les travailleur(euse)s, les habitants des bidonvilles et des quartiers, les femmes, les jeunes, les personnes âgées qui disent ce qui est à faire et à quoi doivent être destinés les moyens budgétaires de la ville. Le Conseil du budget participatif, constitué d'une quarantaine de bénévoles élu(e)s par les assemblées de quartiers et par celle des thématiques, est en permanence en contact avec les populations. Depuis 1998, où le PT a gagné les élections au niveau de l'Etat,la politique de démocratie participative et de budget participatif s'est étendue à l'ensemble des villes de l'Etat de Rio Grande do Sul. La démocratie participative n'est évidemment pas le socialisme. Mais ce n'est pas non plus un simple aménagement démocratique du capitalisme qui escamoterait la nécessité de rompre avec les bases mêmes du système capitaliste. Nos camarades brésiliens concoivent la démocratie participative, dans le cadre d'une mondialisation néolibérale qui mine les démocratie bourgeoises classiques, comme un instrument de conscientisation des masse et de rupture avec la logique du système dominant.
Le PT est parfaitement conscient de l'importance de ce processus démocratique en tant que laboratoire d'exrpériences pouvant être utile pour la gauche au niveau international. C'est pourquoi il mène une politique active d'information sur le sujet en organisant notamment des séminaires internationaux.
Le rayonnement de l'expérience de Porto Alegre est également utilisé dans la lutte contre la mondialisation néolibérale: en janvier 2001 se tiendra dans cette ville - en contre-partie au Forum économique mondiale des capitalistes à Davos - un Forum social mondial qui réunira près de 3.000 délégués des mouvements sociaux, associatifs ou syndicaux du monde entier.

1. Qu'est ce que le Parti des Travailleurs?
Le Parti des Travailleurs (PT) est né à la fin des années '70, sous la dictature militaire alors au pouvoir au Brésil. Formé en 1979, il est officiellement fondé en 1980 à partir d'un large regroupement de militants syndicalistes, d'organisations de gauche et d'extrême-gauche.
Avec plus de 600.000 membres et des centaines de milliers de sympathisants, le PT excerce une influence énorme dans le mouvements syndicat (le syndicat principal, la CUT, syndicat socialiste de classe), les mouvements sociaux et poplaires, paysans et urbains. Le célèbre Chico Mendès, défenseur de la forêt amazonienne et des collecteurs de caoutchouc et assassiné par les grands propritéraires terriens, était l'un des fondateurs et dirigeant historique du PT.
En Amérique latine, le PT est la plus importante expérience de construction d'un parti de masse indépendant de la bourgeoisie. Sous la dictature militaire, il a toujours mené une politique indépendante face aux oppositions libérales bourgeoises, leur disputant l'hégémonie dans la lutte pour les conquêtes démocratiques. Le PT a également un poids électoral non négligeable. Aux élections présidentielles de 1994, son candidat, Luis Ingacio "Lula" Da Silva avait obtenu 22% des voix. Lors des récentes élections municipales, (du 29 octobre) le PT a gagné des centaines de villes. Dont 5 des 11 capitales des Etats fédérés qui constituent le Brésil: Porto Alegre, Bélèn, Recife, Goiana et Sao Paulo, la plus grande ville du continent et la capitale économique du pays. A Porto Alegré, où le PT a lancé depuis 1989 la politique du budget participatif, le candidat PT à la mairie, Tarso Genro, l'a emporté haut la main avec 63% des voix.
Programmatiquement, le PT se définit comme un parti qui lutte contre le capitalisme pour instaurer une société socialiste et pour le pouvoir des travailleurs. Certains comparent le PT aux vieux partis sociaux-démocrates d'avant la guerre de 14-18 à l'époque où ces partis voulaient encore "réformer" le capitalisme dans un sens socialiste. Mais il existe des différences de taille. Outre son implication militante constante dans les mouvements sociaux et sa politique qui tente de combiner la lutte "parlementaire" et celle "dans la rue" sans subordonner cette dernière à la première, la différence réside également dans son fonctionnement interne. Il existe ainsi au sein du PT le droit dit "de tendance". Ce fonctionnement démocratique interne permet ainsi à des tendances politiques diverses de se constituer publiquement et de défendre leur plateforme lors des congrès du parti. Il existe ainsi des tendances nettement réformistes et "droitières", tout comme des tendances clairement révolutionnaires, telle que la tendance Démocratie socialiste - section brésilienne de la IVe Internationale).
Ataulfo Riera
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Le Forum Social Mondial se tiendra dans la capitale de la démocratie participative, Porto Alegre

INVITATION A UNE RENCONTRE
ET UN DEBAT avec
Miguel Rossetto (Parti des Travailleurs, PT), vice-gouverneur de l’Etat de Rio Grande Do Sul (Brésil)
en visite en Belgique pour présenter (entre autres au Parlement Européen) le Forum Social Mondial (‘contre-Davos’) qui se tiendra à Porto Alegre du 25 au 28 janvier 2001 et rassemblera des associations, des réseaux, des ONG, des collectifs en lutte contre le néolibéralisme à l’échelle mondiale.

Mercredi 29 novembre 2000, à 19 heures, à la CSC, 19, Rue Pletinckx (salle Dom Helder Camara)
(prises de parole par des membres d’une délégation belge de retour de Porto Alegre (Vincent Decroly, député Ecolo, Jipi De Ley, SSF,...), par des représentants d’ATTAC, par des membres de la CSC également de retour de Porto Alegre,...

PAF.: 100 fr.
Info: 0479/76.66.32. 02/285.70.18. 02/523.40.23.


et bé
by @narcat Friday November 24, 2000 at 05:35 PM

Et une cuillère de participatif pour faire avaler le chaudron de capitalisme...

@