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Discriminations à l'égard des détenus d'origine étrangère (Double Peine)
by La Ligue des Droits de l'Homme (posted by Fre Wednesday November 22, 2000 at 01:52 PM

Voici ce qu'a remis à la presse la Ligue des Droits de l'Homme lors de sa conférence de presse le mardi 14 novembre 2000

DISCRIMINATIONS A L’EGARD DES DETENUS D’ORIGINE ETRANGERE

- La double peine ou le bannissement (condamnation pénale assortie d’une expulsion)
- Les discriminations diverses en terme d’accès à la justice, aux moyens de défense, à la libération conditionnelle, etc.
- Les régimes de « faveurs ministérielles » et autres formes de pouvoirs discrétionnaires qui influent sur le sort de ces détenus-là
- Les questions que cela pose en matière de droits de l’Homme.

Depuis plus d'un an, la LDH est saisie d'un nombre croissant de plaintes émanant d'étrangers établis en Belgique.

Condamnés et ayant purgé leur peine sans congés pénitentiaires ni libérations conditionnelles en raison des mesures d'expulsion envisagées et prises par l'Office des Etrangers, ils sont en outre expulsés à l'échéance de la dite peine vers leur pays qualifié d'origine, mais dont ils n'ont que la nationalité.

En réalité ils n'ont ni contacts ni famille proche dans ce pays, dont ils ne connaissent ni la langue, ni les coutumes et où bien souvent ils ne se sont jamais rendus : il n'y a donc aucune possibilité de réinsertion réelle.

Par contre, leur famille, leur entourage est établi en Belgique : nombre d'entre eux y sont nés ou arrivés en bas âge et y ont effectué leur parcours scolaire, social et culturel.

Leur seule issue est de revenir en Belgique, mais en situation d'illégalité même à l'échéance des dix années prévues par l'article 26 de la loi de 1980, car ils ne sont plus réhabilités dans leurs droits mais doivent obtenir un visa...

La Cour européenne des droits de l'Homme a condamné cette pratique, contraire à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme : la défense de la sécurité nationale et de l'ordre public

Préambule
Nous n’envisagerons pas ici :
- la question des étrangers en détention préventive.
- la question des étrangers détenus uniquement sur base de la loi de 1980.

Le cas type qui est retenu, est celui d'un étranger, en séjour légal ou illégal, qui purge une peine de prison suite à une condamnation par une juridiction pénale et qui, en outre, fait l'objet d'une décision de renvoi ou d'expulsion décidée soit antérieurement à la condamnation pénale, soit ultérieurement.

Principaux problèmes rencontrés :
1. Il est très fréquent que le détenu qui fait l'objet d'une mesure administrative de renvoi ou d'expulsion n'introduise pas de recours contre celle-ci, dans la mesure où il n'en saisit pas toute la portée en raison de l'incarcération qu'il subit. Autrement dit, il n'y a pas beaucoup de sens à ses yeux d'être expulsé alors qu'il est contraint de force à rester en Belgique.

Pour expliquer l'absence de recours, d'autres éléments peuvent être pris en considération : difficultés personnelles liées à la détention et à la condamnation pénale qui génèrent un sentiment de découragement; difficultés pour obtenir une information précise auprès de l'administration pénitentiaire sur le sens exact de la mesure administrative; impossibilité matérielle de rentrer en contact avec l'Office des étrangers, etc.

2. Il se présente régulièrement que la mesure de renvoi ou d'expulsion n'est motivée que par la condamnation pénale qui a été prononcée; Le condamné est expulsé au motif que par l'infraction qu'il a commis il a porté gravement atteinte à l'ordre public;

Ce phénomène est celui qu'on qualifie habituellement de "double peine" ou de "bannissement".

En effet, cette situation, comparée à celle d'un belge qui ferait l'objet de la même condamnation pénale, laisse clairement apparaître que l'étranger est puni deux fois : d'abord par la condamnation pénale, ensuite par l'expulsion qui n'est justifiée que par les faits pour lesquels il a été condamné pénalement.

La double peine est interdite par le principe général de droit "non bis in idem" qui veut qu'on ne peut pas être condamné deux fois pour le même fait. Ce principe est repris à l'article 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à l'article 13 du Code d'instruction criminelle.

3. Le décalage dans le temps entre le prononcé de la mesure administrative de renvoi ou d'expulsion (avant ou début de l'exécution de la peine de prison) et l'exécution de cette même mesure (à la fin de la peine de prison) pose question.

En effet, il est classiquement invoqué qu'une des fonctions de la peine de prison est réduire la dangerosité que présente l'individu condamné.

Or, la mesure administrative de renvoi ou d'expulsion est motivée par la dangerosité que représente l'individu pour l'ordre public. Pour démontrer cette dangerosité, il est d'ailleurs fait état de la condamnation pénale.

Lorsqu'on arrive en fin de peine ou lorsqu'une libération conditionnelle ou provisoire peut être envisagée favorablement par l'administration pénitentiaire, la dangerosité du condamné est censée être moindre, sinon nulle, par rapport au moment de la condamnation.

Le détenu étranger ne dispose cependant d'aucun recours pour faire valoir l'effet de l'écoulement du temps sur la dangerosité qui a motivé la mesure de renvoi ou d'expulsion. Autrement dit, il pourrait faire l'objet de cette mesure administrative alors qu'il ne présente plus aucun caractère dangereux qui est pourtant le seul élément sur lequel repose la motivation de la mesure.

4. Le fait de faire l'objet d'une mesure de renvoi ou d'expulsion place le détenu étranger dans une situation discriminatoire par rapport au détenu belge ou au détenu étranger qui ne fait pas l'objet d'une telle mesure. En effet, en raison de la législation et de la réglementation applicable, le détenu étranger doit généralement purger une plus grande partie de sa peine et son éventuelle libération anticipée est soumise à des conditions différentes et souvent plus sévères.

On peut notamment relever les éléments suivants à travers les situations qui ont fait l'objet d'une présentation par Maître NEVE et Maître SAROLEA :

a) Comme il ne peut plus séjourner légalement sur le territoire, le détenu étranger ne peut pas faire l'objet de congé, voire même de sortie spéciale accordée par l'administration pénitentiaire.

Ce point est particulièrement important car il prive de facto le détenu de toute possibilité de libération conditionnelle car l'évaluation des congés et des sorties est généralement jugée comme un élément incontournable par les différentes instances qui sont amenées à statuer.

b) Ne pouvant plus séjourner sur le territoire, le Conseil d'Etat a estimé que le détenu ne pouvait pas bénéficier de la loi sur la libération conditionnelle au motif que, devant quitter le territoire national, le respect des conditions auxquelles la libération est assortie ne pouvait pas s'exécuter.

En conséquence, le détenu est placé dans une zone de non droit, contrairement à l'esprit qui a animé la réforme de la libération conditionnelle réalisée par les lois des 5 et 18 mars 1998. Soit il fera l'objet d'une mesure administrative de libération provisoire en vue d'éloignement laissée à l'entière discrétion du Ministre de la Justice. Soit il devra purger sa peine jusqu'à son terme.

Ce régime de "faveurs" ministérielle est à l'origine de pratiques prétoriennes du Ministre de la Justice qui s'apparentent à des libérations sous conditions déguisées. C'est ainsi que, dans certains cas, le Ministre a indiqué au détenu ou à son conseil qu'il accorderait la libération provisoire en vue d'éloignement après le payement d'une partie des dommages et intérêts que le détenu a été condamné à payer à la partie civile et dont il fixe le montant.

Ce régime de "faveurs" permet également au Ministre de la Justice de décider en toute discrétion de la révocation éventuelle de la libération provisoire. Aucun critère précis n'est déterminé.

Cette situation crée une discrimination entre Belges et Etrangers, par rapport aux garanties que prévoit notre système pénal et par rapport au régime des peines en vigueur.

Lorsque ces Etrangers sont des ressortissants de l'Union européenne, une telle discrimination est contraire au droit communautaire, et elle est au surplus de nature à dissuader les citoyens de l'Union européenne à exercer la liberté de circulation que le traité CE leur reconnaît. La solution de cette question pourrait passer par une meilleure coopération entre les états membres de l'UE en matière pénale, ainsi que le traité sur l'Union européenne le prévoit.

Lorsque ces Etrangers ne sont pas citoyens de l'Union européenne, la différence de traitements dont ils sont victimes - puisque le bénéfice de la loi sur la libération conditionnelle leur est en fait refusé - peut s'analyser comme une discrimination dans la jouissance du droit à la liberté que garantit la Convention européenne des droits de l'Homme.

c) Le détenu étranger faisant l'objet d'une mesure de renvoi ou d'expulsion séjourne en réalité illégalement sur le territoire.

En conséquence, certains détenus ont introduit une demande de régularisation.

Tant qu'une décision de la Commission de régularisation n'est pas intervenue, ils ne peuvent légalement pas faire l'objet d'un renvoi ou d'une expulsion.

Il est donc possible pour eux de séjourner en Belgique s'ils sont libérés conditionnellement.

Cependant, il semble que l'administration pénitentiaire n'accepte pas de considérer que cette demande de régularisation soit suffisante pour réellement considérer que la loi sur la libération conditionnelle leur soit applicable. Elle prétexte généralement l'absence d'indications claires de la part de l'Office des étrangers.