arch/ive/ief (2000 - 2005)

Les Droits fondamentaux au coeur du développement social
by Denis Horman Tuesday November 14, 2000 at 12:58 PM

Le rapport 2000 du Pnud place les droits de l'Homme, en particulier les droits sociaux et économiques, au coeur du développement humain. La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui doit être proclamée au Sommet de Nice, le 07.12 prochain, réduit les droits sociaux à une peau de chagrin. La mobilisation européenne sera au RDV.

Le rapport 2000 du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) place les droits de l'Homme, en particulier les droits sociaux et économiques, au coeur du développement humain. La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui doit être proclamée au Sommet de Nice, le 7 décembre prochain, réduit les droits sociaux à une peau de chagrin. La mobilisation européenne sera au rendez-vous.

" Jusqu'à la dernière décennie, souligne le dernier rapport du programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le développement humain et les droits de l'Homme ont suivi des voies parallèles, tant dans leur conception que dans leur action (...). Mais , aujourd'hui, les deux mouvements convergent dans la pensée et dans l'action, et le fossé entre les priorités du développement humain et celles des droits de l'homme est en train de se combler ".
Axer le développement humain sur les droits de l'homme, cela implique " une refonte radicale des stratégies de développement à tous les niveaux ". Il faut donc, précise le Pnud, passer de l'éradication de la pauvreté vue comme un objectif de développement à l'éradication de la pauvreté considérée comme une question de justice sociale, concrétisant les droits et les responsabilités de tous les acteurs ".
Ainsi donc, les besoins fondamentaux ( un travail, un salaire décent, le logement, la santé, l'éducation...) ne sont pas seulement des "objectifs politiques " auxquels il faudrait tendre selon la conjoncture, les coalitions politiques au pouvoir, mais des droits justiciables. Donc une question de justice sociale, impliquant des responsabilités individuelles et collectives face à l'injustice!
Cela nous change quelque peu du discours de la Banque mondiale qui prône des " politiques sociales " ou des " filets de sécurité " pour les couches extrêmement pauvres. Cette mécanique des filets de sécurité tourne le dos à l'Etat-providence et à l'assurance pour mettre en place une politique d'assistance, de charité publique.
Cela nous éclaire également sur la Charte des droits fondamentaux de l'UE qui ne présente qu'une base minimale, une harmonisation par le bas des traités et des conventions existants, qui gomme, de manière pernicieuse, la notion de droits, se situant ainsi en deçà de la Convention européenne des droits de l'Homme ou encore de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, écrite en 1948.
La démarche, fondée sur les droits de l'Homme, on la rencontre de plus en plus dans les mobilisations sociales. Ainsi, dans les Appels à l'action contre l'Organisation mondiale du commerce, trouve-t-on l'exigence de " subordonner la loi marchande qu'incarne l'OMC au respect de la déclaration universelle des droits de l'Homme et des conventions internationales qui en découlent ". Ainsi, dans l'Appel des Marches européennes contre le chômage, la précarité et les exclusions, retrouve-t-on également cette démarche liée au respect des droits fondamentaux : " A Biarritz et à Nice, avec le monde associatif et syndical, nous nous battrons pour que les droits sociaux soient pris en compte et aient force de loi ".

Des déclarations aux actes...

Le Rapport du Pnud met, avec beaucoup d'insistance, l'accent sur le lien dialectique entre les droits civils (liberté d'expression, d'association, droit de vote...) et les droits économiques et sociaux.
En effet, si l'arrestation d'un syndicaliste, la fermeture d'un journal ou encore la fraude électorale sont inacceptables, l'analphabétisme et la misère réduisent la démocratie à une façade et fertilisent le terreau des dictatures.
Mais ce lien n'est pas toujours bien perçu : " L'opinion est capable de se révolter, lorsqu'un individu est torturé. Et pourtant, le décès de plus de 30 000 enfants par jour pour des raisons qui auraient, pour l'essentiel, pu être évitées, passent inaperçu ", signale le rapport.
A fortiori, ce lien n'est guère traduit en actes. Le Pnud - et c'est une constance d'un rapport à l'autre- redonne le tableau de l'appauvrissement, des inégalités sociales : 1,2 milliards de personnes vivant avec moins d'un dollar par jour, la moitié de l'humanité avec moins de deux dollars, le sous-emploi qui touche près d'un milliard de personnes, etc.
Certes, ce ne sont pas les Déclarations, les chartes, les conventions sur les droits de l'homme qui manquent: la déclaration universelle des droits de l'homme a été adoptée en...1948. Aujourd'hui, au moins 140 pays ont ratifié cinq des six principaux pactes et conventions sur les droits civiques, politiques, économiques, sociaux et culturels. Plus de 125 pays ont ratifié au moins six des sept principaux textes internationaux sur le travail. Mais, dans la réalité, c'est plutôt la non application et l'absence de sanctions. Il en est ainsi pour les institutions économiques et financières internationales; c'est aussi l'impunité de fait pour les entreprises, les firmes transnationales. " Il n'existe aucun mécanisme permettant de contraindre les entreprises à respecter les règles et les droits de l'homme ", avouait le rapport du Pnud 1999.
Pourtant, souligne le rapport 2000, " la législation est une composante clé des droits de l'homme, et les obligations juridiques à cet égard doivent se refléter dans les politiques, notamment économiques ".
Comment faire avancer les droits de la personne? C'est là que le bât blesse. Certes - et ce n'est pas sans importance -, le Rapport signale que " l'introduction d'une clause sociale ( par des sanctions commerciales) est loin de constituer la panacée pour la protection des droits des travailleurs dans les deux hémisphères "
L'insistance sur les indicateurs, l'analyse et l'identification des violations des droits de l'homme, peut certainement pousser les grands acteurs institutionnels, politiques et privés à rendre des comptes. D'autant que, pour le Pnud, cette démarche mobilisatrice devrait être stimulée par la démocratie participative et organisée, entre autre, par la mise en place d'une commission mondiale sur les droits de l'homme.
Mais l'appel à la bonne volonté des institutions financières internationales, de l'OMC ou encore des grandes entreprises mondiales pour " mettre en oeuvre des politiques favorables aux pauvres et faciliter la réalisation des droits économiques et sociaux " nous laisse quelque peu dubitatif.
Pour faire avancer les droits fondamentaux et le développement social, il est préférable de retenir la leçon de l'Histoire que rappelle d'ailleurs le rapport du Pnud 2000 : " L'Histoire nous enseigne que les hommes (et les femmes, ndlr) ont dû se battre pour les droits qui leur étaient dus. La pierre angulaire de la lutte pour les droits de l'homme a toujours été le militantisme politique et les mouvements populaires - mouvements de libération nationale, mouvements de paysans, mouvements féministes ou encore mouvements en faveur des droits des peuples indigènes. Bien souvent, c'est le désir ardent des hommes de se libérer et de jouir de leurs droits qui a été à l'origine de la lutte. La formalisation, la légalisation et l'institutionnalisation de ces droits ne sont advenues que beaucoup plus tard ".

Nice et la charte des droits fondamentaux


Déjà approuvée, sous la présidence française, au Sommet de Biarritz (les 13 et 14 octobre 2000), cette charte doit être officiellement proclamée au Sommet de Nice, qui se tiendra les 7 et 8 décembre prochain. Approuvée telle quelle, cette charte pourrait devenir un instrument de régression sociale et démocratique. Elaborée par 63 membres délégués, représentant la Commission européenne, le Parlement européen ainsi que les gouvernements et les parlements nationaux des quinze Etats de l'Union européenne, cette charte du libéralisme ne peut passer, d'autant plus qu'elle pourrait être le préambule d'une future Constitution européenne, primant sur le droit national.
Le droit au travail, le droit à un revenu minimum, le droit à une rémunération équitable, le droit au logement, la liberté des média et leur pluralisme, le droit d'accès aux services d'intérêt général...ne sont pas garantis dans cette charte européenne. Les droits sociaux y sont considérés comme des " objectifs politiques " n'étant pas justiciables. " On ne peut pas faire des promesses qu'on ne pourra pas tenir ", telle fut l'opinion majoritaire des membres de la Convention qui a élaborée la charte.
Le droit au travail est formulé de manière subtile et ambiguë. Il devient " le droit de travailler et d'exercer une profession librement choisie ou acceptée ". Ainsi, les employeurs et les Etats ne seraient plus tenus à faire respecter le libre choix du travail, à des conditions équitables et satisfaisantes, ou encore à garantir un salaire de remplacement en cas de chômage. Ils n'auraient plus d'obligations, si ce n'est de laisser chacun(e) libre de travailler ou de survivre. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les auteurs de la charte situent cet article dans le chapitre intitulé " libertés ". Il ne s'agit pas non plus d'interdire les licenciements, mais d'assurer " une protection contre tout licenciement injustifié ".
La charte renie le droit au revenu vital, à une protection sociale, le droit au logement, tels qu'ils sont pourtant inscrits dans de nombreuses législations nationales. Ici aussi le texte ne manque pas d'ambiguïté: " Afin de lutter contre l'exclusion et la pauvreté, l'Union européenne reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement, destinés à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, selon les modalités établies par le droit communautaire et les législations et pratiques nationales ". Cette dernière phrase n'apporte aucune garantie, puisque les modalités établies par le droit communautaire favorisent les objectifs de libéralisation du marché et les critères drastiques de convergence pour la monnaie unique, en obligeant les Etats à réduire la " générosité " détectée dans les législations et pratiques nationales.
Le texte de la charte rejette la possibilité de définir, au niveau européen, le seuil de revenu en dessous duquel il serait " indécent " de descendre dans les pays de l'Union. Il ouvre la voie à la généralisation du minimalisme, à la distribution en nature, sous forme de nourriture, vêtements, bons d'achats, selon le bon gré des collectivités locales et des associations caritatives. Il laisse le champ libre à des aides limitées seulement à ceux qui sont " tombés " dans un état d'extrême précarité.
De nombreuses législations nationales et internationales ont proclamé le droit à un logement décent et approprié qui implique, par exemple, l'obligation des Etats à programmer des logements sociaux. La charte se limite, là aussi, au droit à une aide au logement dans le cadre de la lutte contre l'exclusion sociale.
Dans la structure de la charte, le chapitre qui aurait du s'intituler " droits sociaux " est précautionneusement appelé " Solidarité ". L'article 34 " sécurité sociale et aide sociale " donne à lui tout seul l'ambiguïté des objectifs : " L'Union reconnaît et respecte le droit d'accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux, assurant une protection dans des cas tels que la maternité, la maladie, les accidents du travail, la dépendance ou la vieillesse, ainsi qu'en cas de pertes d'emploi, selon les modalités établies par le droit communautaire et les législations et pratiques nationales ". Or, les " modalités établies par le droit communautaire " en la matière ont démontré leur volonté de démanteler les systèmes de protection sociale jugés " trop généreux ". Et les recommandations des Grandes Orientations de Politiques Economiques (GOPE) s'acharnent à imposer la réduction des coûts sociaux dans les législations et les pratiques nationales.
Ces fameuses GOPE, prônées par la Commission européenne annonçaient déjà la couleur en 1996: " Pour obtenir les résultats voulus, un élargissement de l'échelle de salaires vers le bas suppose une réduction de 20% à 30% du coût salarial des activités peu qualifiées, comme cela a été le cas par exemple aux Etats-Unis, dans les années 1970 et 1980. En outre, pour être efficace, une telle mesure nécessiterait en Europe une réduction équivalente des allocations de chômage et des prestations sociales afin d'éviter " le piège de la pauvreté ".
Dans la foulée, un des textes, préparés par la présidence française pour la Conférence intergouvernementale de Nice, prévoit l'adoption d'une directive sur " les conditions de perception de rémunération, les limitations au bénéfice des allocations de chômage, ainsi que la définition de la disponibilité des chômeurs pour le marché de l'emploi ". Si une telle directive était adoptée (il n'y aura pas droit de veto), cela représenterait un grand danger pour les travailleurs se retrouvant sans emploi.
La marche mondiale des femmes, qui a réussi à rassembler dans un même mouvement des associations et des organisations de plus de 150 pays, a permis de faire converger à l'échelle de la planète un fort mouvement féministe qui s'oppose à la mondialisation capitaliste, dont les femmes sont les premières victimes. La charte est une véritable provocation à l'égard des droits des femmes : ceux-ci s'y résument pratiquement au " droit de se marier et le droit de fonder une famille selon les lois naturelles qui en régissent l'exercice ". Les immigrés, eux, ont le droit de ne pas être expulsés collectivement.
Cette charte est en retrait sur la Déclaration universelle des droits de l'homme, écrite il y a plus d'un demi-siècle.
En revanche, le document fait la part belle au " droit de propriété " et " la liberté d'entreprendre ". Bref, une charte à l'image de l'Europe libérale !

Mobilisation
Les enjeux de la Conférence intergouvernementale, qui se tiendra à Nice, les 7 et 8 décembre prochain, sous la présidence de la France - enjeux liés à la dérive libérale, antisociale et antidémocratique de nos gouvernements -impliquent une large mobilisation de tous ceux et celles qui luttent pour une autre Europe. Une Europe sociale, soucieuse d'une réelle répartition des richesses, permettant à chacun(e) de vivre dans la dignité. Une Europe prônant de vrais droits sociaux et non la charité. Une Europe inscrivant dans ses traités le droit au travail, à un revenu décent, à la sécurité d'existence, à la santé, au logement, à la liberté syndicale...Une Europe offrant des services publics bien équipés et gratuits pour les plus démunis. Une Europe qui instaure l'égalité de droit et de fait entre les hommes et les femmes. Une Europe solidaire des peuples du tiers monde et accueillante pour les demandeurs d'asile.
A Nice, dès le 6 décembre, les mouvements sociaux et citoyens seront tous ensemble, au coude à coude, chacun avec ses propres revendications: le mouvement syndical européen, les collectifs ATTAC, les coordinations contre l'OMC et la marchandisation du monde, le réseau des marches européennes, déjà à l'initiative des grandes manifestations à Amsterdam et Cologne, lors des derniers sommets du Conseil européen.
Les Marches européennes seront présentes à Nice, avec une revendication centrale adressée à l'Union européenne, aux gouvernements et au patronat: la mise en place d'un droit à un revenu garanti individuel, sans discrimination d'âge, de sexe ou d'origine. Il s'agit d'imposer , dans chaque pays, des seuils en dessous desquels il n'est pas acceptable de descendre: un revenu garanti individuel, un salaire minimum et un minimum de pension et la reconnaissance du principe " un emploi c'est un droit, un revenu c'est un dû ".
Nice n'est qu'un étape. Le deuxième semestre 2001, ce sera au tour de la Belgique d'occuper la Présidence du Conseil européen des chefs d'Etats et de gouvernements. Les gouvernements, contrairement à une idée reçue, ne sont pas démunis. Ce sont eux qui prennent les décisions engageant notre présent et notre avenir. Ce sont bien les Etats qui se portent au secours du capitalisme, au détriment des droits et des besoins fondamentaux des couches majoritaires des populations.
Nos droits et nos revendications, il nous faut les poser et les imposer sur le terrain social et politique. En commençant par tout faire pour que la Charte libérale de l'Union européenne ne passe pas. En reprenant la parole qui nous a été confisquée par des institutions obsolètes et non démocratiques. En élaborant ensemble une autre charte des droits fondamentaux .

Denis Horman
Cet article a été écrit pour la revue Avancées qui nous a donné l'aimable autorisation de le reproduire.