arch/ive/ief (2000 - 2005)

Séoul: nouvelle étape dans la lutte contre la mondialisation
by Eric Toussaint (article repris du bimensuel " Friday November 10, 2000 at 05:25 PM

Nouvelle étape de résistance à la mondialisation néo-libérale: les mobilisations à l'occasion du 3e Sommet Asie -Europe (ASEM) qui réunissait les 20 et 21 octobre 2000 à Séoul (Corée du Sud), les chefs d'Etat et de gouvernement de dix pays asiatiques et des quinze membres de l'Union européenne.

Nouvelle étape de résistance à la mondialisation néo-libérale: les mobilisations à l’occasion du 3e Sommet Asie -Europe (ASEM) qui réunissait les 20 et 21 octobre 2000 à Séoul (Corée du Sud), les chefs d’Etat et de gouvernement de dix pays asiatiques et des quinze membres de l’Union européenne.

Prodi, Chirac, Schroeder, Blair et Aznar (la Belgique était représentée par Louis Michel) avaient fait le déplacement pour rencontrer leurs homologues asiatiques afin de finaliser des accords commerciaux dominés par la logique de la déréglementation, de l’ouverture des marchés des économies des pays dits en développement aux marchandises et aux capitaux des pays les plus industrialisés, de la flexibilité du travail, de la liberté complète laissée à tous les détenteurs de capitaux. Pour s’opposer à cette logique que domine la recherche du profit immédiat, syndicats, mouvements étudiants, ONG s’étaient également donné rendez-vous dans la capitale coréenne.

Les travailleurs et les étudiants coréens relèvent la tête

La crise de 1997-98 qui a ébranlé toute l’Asie du Sud-Est a eu des effets particulièrement durs en Corée. Selon les chiffres officiels, 1,8 million d’emplois ont été perdus (les organisations syndicales parlent, elles, de 2, 6 millions d’emplois perdus (1)). Dans les trois dernières années, les mouvements de travailleurs et d’étudiants ont marqué le coup face à l’offensive du gouvernement coréen relayant les exigences du FMI. L’énorme dette des entreprise privées (plus de 100 milliards de $) a été largement reprise en charge par l’Etat. Les grands conglomérats industriels ont été profondément restructurés, une partie de leurs activités ayant été vendue aux multinationales étrangères. Les contrats collectifs ainsi que le Code du Travail ont été profondément modifiés, autorisant dorénavant des licenciements collectifs.
A la différence de la mobilisation à Prague (septembre 2000) où les organisations syndicales étaient largement absentes, l’omniprésence d’une des deux principales confédérations syndicales coréennes donnait le ton. La KCTU (2), forte de 600.000 membres dont 250.000 dans le métal, a participé aux trois forums alternatifs qui se sont déroulés pendant le sommet des chefs d’Etat et a constitué la force principale dans la manifestation qui a réuni 12 à 15.000 personnes (20.000 selon la presse locale !), le 20 octobre.

Dans l’action

Les 18 et 19, s’est déroulé le Forum des Peuples ASEM 2000 sous le titre "Solidarité et action des peuples défiant la globalisation", organisé conjointement par les syndicats, des ONG et des mouvements citoyens d’Europe et d’Asie. Les 25 pays concernés étaient donc représentés par des délégués des mouvements populaires et des syndicats. Les Coréens avaient eux-mêmes sélectionné des thématiques et des campagnes qu’ils considèrent comme centrales telles la campagne contre les politiques du FMI et de la Banque mondiale, celle pour l’annulation de la dette, celle en faveur de la taxe Tobin, celle pour l’amélioration des conditions de travail dans les multinationales du vêtement et du jouet notamment, celle pour la paix et contre le réarmement.
Pour représenter ces campagnes, ils avaient notamment invité d’Europe Attac, le CADTM, la campagne « Vêtements propres », etc. La dimension du genre et la lutte pour l’émancipation des femmes ainsi que la question de la jeunesse occupaient une place centrale dans les travaux. La Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL, 120 millions d’affiliés dans le monde) avait également tenu à être présente.
Des dizaines de représentants des mouvements populaires des Philippines, de Malaisie, d’Indonésie, du Vietnam... ont pu montrer la richesse des résistances à la mondialisation néo-libérale.

La soirée du 19 a constitué la charnière vers la mobilisation. En début de soirée, plusieurs coalitions (PSSP, KOPA...) et le Parti Démocratique du Travail (15.000 membres dont 7.500 ouvriers selon leurs sources) avaient invité Roselyne Vachetta (députée européenne LCR), Pierre Rousset (Attac), Mamadou Diouck (Mouvement des sans papiers - France) et Eric Toussaint (CADTM) à prendre la parole dans une assemblée surchauffée de 350 étudiants. On y a analysé les luttes engagées à Seattle et à Prague et adopté, après débats, une résolution pour la lutte contre la globalisation néo-libérale et l’ajustement structurel. Ce meeting a été suivi d’un rassemblement en plein air dans une des universités publiques auquel ont participé 3 à 4.000 personnes.
La composition du public illustre l’importance de la jonction entre le mouvement étudiant et le mouvement ouvrier. Se côtoyaient plusieurs milliers d’étudiants et une délégation de 500 militants syndicaux de la KCTU auxquels il faut ajouter les 150 invités étrangers. La tonalité de ce rassemblement rappelait les meilleurs moments des luttes de la période 1968 - 1976 en Europe : chants révolutionnaires (l’Internationale a été entonnée à quatre reprises), affirmation de l’internationalisme et de l’opposition au capital, drapeaux rouges, poings levés...

Sachant que tout rassemblement de plus de trois personnes était interdit le lendemain au moment de l’ouverture officielle de l’ASEM, 2.500 étudiants et ouvriers ont veillé toute la nuit dans l’université pour tenter de manifester ensemble avec l’objectif de bloq uer l’arrivée des délégations officielles. Le rapport de forces n’était pas favorable car les autorités avaient mobilisé 29.000 policiers anti-émeute. Après avoir manifesté quelques centaines de mètres la manifestation des étudiants et des ouvriers a dû affronter la violence policière et s’est dispersée en petits groupes.

Le samedi après-midi s’est déroulé un autre rassemblement de 12 à 15.000 personnes (convoqué par les mêmes coalitions et la KTCU) qui s’est poursuivi par une marche sur un parcours de plusieurs kilomètres pour rejoindre le lieu du sommet de l’ASEM.

Eric Toussaint

(1) Voir à ce propos le chapitre « Corée du Sud : Les syndicats face à la mondialisation financière » dans le livre Les peuples entrent en résistance que viennent de publier conjointement Attac-France, le CADTM, le CETIM et Syllepse (octobre 2000, 144p, 180 FEB).
(2) Korean Confederation of Trade Unions (Confédération des syndicats coréens, page web en anglais : http://kctu.org