arch/ive/ief (2000 - 2005)

la caravane anticapitaliste à Bruxelles
by Germain Thonne Thursday November 09, 2000 at 08:35 PM

Répondant à l'invitation de Bruxellois rencontrés derrière les barreaux à Prague, la caravane anti-capitaliste a prolongé sa tournée de trois jours dans la capitale des lobbies. Pendant ces trois journées, les Français de la caravane ont participé à une manifestation anti-FMI, présenté des vidéos, animé des discussions, joué, dans une école et en rue, un spectacle démontant les mécanismes du néo-libéralisme, soutenu une action directe culinaire anti-fast-food.

Non, le terme caravane ne désigne pas systématiquement ce véhicule de déportation déplaçant le confort mesquin des masses laborieuses vers des lieux sans surprises où les gentils travailleurs vont temporairement tromper leur misère ordinaire. A mille bornes de cette domesticité aseptisée et remorquable, la caravane anti-capitaliste traîne quelques véhicules précaires ayant transbahuté pendant deux mois, aux six coins de l'Hexagone, une douzaine d'activistes en herbe issus de divers lieux alternatifs tels que Longo Maï ou le squat des Tanneries de Dijon. Ces forces vives itinérantes semblent bien décidées à établir un réseau entre les différentes forces activistes francophones. Après avoir rencontré des Bruxellois dans les cellules praguoises, nos caravaniers ont prolongé leur tournée de trois jours au coeur de l'Europe marchande.
Pour la première fois, la caravane y présentait son spectacle instructif et jubilatoire dans un établissement scolaire. Précédé d'explications, suivi de discussion, le "Grand jeu de la mondialisation" y a révélé ses prodigieuses potentialités éducatives, face à la curiosité insoupçonnée d'élèves que seule une absence de perspectives politiques exitantes réduit à un aquoibonnisme convenu. Quelques heures plus tard, la caravane rejoignait, devant le siège de la Banque Mondiale, une protestation contre la criminalisation des mouvements sociaux. La petite manifestation, dansée et mise en musique, traduisait assez justement la situation puisque face à la soixantaine de protestataires se trouvaient alignés une centaine de policiers. Le quartier administratif, situé entre la rue de la Loi et la chaussée de Louvain, permit aux membres de la caravane de découvrir un des sordides symboles de l'architecture anarcho-Brazilienne propre à Bruxelles, dont le projet d'Heron city se voudrait être une des ultimes expressions. Le soir, au cinéma Nova, la caravane clôture l'Open screen par la projection de vidéos sur Seattle et Prague. Le lendemain soir, dans un habitat réapproprié grossièrement nommé squat, d'autres vidéos sont présentées, suivies de discussions sur les modes d'action directe et leur indispensable pendant : la construction d'alternatives viables. Quelques membres du C.S.T. (le collectif sans ticket) présentent à leur tour une vidéo de la mémorable Street Party bruxelloise du 22 septembre. S'en suivent des échanges de vues et de pratiques, des prises de contacts et autres rendez-vous.

Des tartes et des jeux
La journée de samedi constitua assurément l'apogée du sŽjour. Le théâtre des opérations s'ouvrit dès 14h00 sur les terrasse du boulevard de Waterloo, entre les portes de Namur et Louise. C'est en effet dans cette zone intensément quadrillée par la Marchandise sous toutes ses formes que la caravane re-présenta son espèce de Tiersmondopoly. Il fallut un brio exemplaire pour concurrencer les animations commerciales liées à la fête d'Halloween. Heureusement, à côté de l'espace de jeu se tenait une bouffe sauvage, éminement outrageuse par le seul fait de sa gratuité et de sa convivialité. Détail notable: les agents d'ambiance en place, quelque peu cuisinés par les organisateurs, n'ont pas jugé utile d'avertir les forces de l'ordre. Les mets et tracts savoureux entièrement distribués, table, sonorisation et jeu rangés, deux policiers surgissent et tentent mollement de trouver le responsable, s'en prenant à un badaud qui poursuivait paisiblement une discussion, tarte en main.
Le séjour caravanesque s'est clôturé par une soirée de soutien aux contestataires praguois croupissant depuis un mois dans les geôles tchèques. Les hôtes bruxellois sont parvenu à imposer, pour le bonheur de tous, des danses (macédonniennes), des musiques (Mr Bangles, Chapi chapo) et des élixirs (Rochefort 8, cocktail néo-flamand "Dazazu"). Cette saine extase in-situ n'a pas paru déplaire aux divers participants (dans la caisse "prix libre" à l'entrée, on enregistrera même un billet de 500 francs).
Ces trois journées, riches en émulation séditieuse, en appellent tout naturellement d'autres.

Les schémas d'Antidoxa
En prévision de ces trois jours d'intense activité contestataire, les organisateurs locaux avaient été invités à l'émission politique Antidoxa, diffusée chaque jeudi de 12h à 13h30 sur 101.9 FM. La semaine suivante, ce sera au tour d'un membre de la caravane d'y prendre la parole. L'émission Antidoxa défend généreusement toutes les causes sociales et écologiques. Toutefois, la manière d'envisager la lutte n'est pas exempte de reproche. Dispenser une critique des gouvernants et des financiers n'est certes pas inutile, mais le risque est de rejeter la responsabilité uniquement sur de lointaines institutions peuplées d'affreux requins et, à l'inverse, de défendre aveuglément des groupes sociaux correspondant rarement aux idéaux qu'on y projette: sans-papiers, grévistes, de préférence s'ils sont ouvriers. Or il n'est pas garanti que ces groupes soient acquis aux idéaux collectivistes de leurs zélateurs. Si l'on admet que les étrangers sont comme nous, pourquoi ne compterait-on pas parmi eux autant d'égoïstes fascinés par la marchandise qu'ici? De même il n'est pas facile de s'avouer que les grévistes du TEC, par exemple, ne réclament rien d'autre que le droit de surconsommer davantage encore, comme de s'acheter une nouvelle voiture dans laquelle ils pourront enfin rouler seul. On a l'impression que la critique - toujours bienvenue - d'Antidoxa est sous-tendue par des schémas manichéens pas forcément pertinents. Ce qui manque, peut-être, c'est une critique du mode de vie ultra-consumériste qu'a adopté presque toute la classe ouvrière (de même que l'aristocratie ou la grande bourgeoisie, s'empiffrant des mêmes pizzas surgelées). Dès lors, la réduction de l'humanité au statut de consommateur conforme ne devrait-t-elle pas nous préoccuper davantage?

Le grand jeu de la mondialisation
Le grand jeu de la mondialisation dénonce en premier lieu le rôle délétère que tiennent les institutions monétaires internationales (BM, FMI, AMI). Une des qualités essentielles du grand jeu de la mondialisation néo-libérale mis en sc�ne par la caravane, c'est qu'il allie fun et fond, jubilation et critique. En effet, les principaux rapports de force régissant actuellement l'humanité y sont malicieusement incarnés ou symbolisés. On trouve ainsi Mr et Mme Occidental, Mr et Mme En-voie-de-développement, le Néo-libéralisme dans sa forme clairement répressive (incarnée par un policier brutal armé jusqu'aux dents) mais aussi sous sa forme plus courante chez nous, où sa nature nihiliste s'épanouit derri�re un masque charmeur et léger : la réclame, le shopping, le fast-food, la télévision; autrement dit, ces instances de propagande banalisŽes qui, lÕair de rien, imposent une sorte de tyrannie de la futilité à même de transformer l'humanité en une masse consumériste amorphe et irresponsable. Ainsi, est nettement mis en évidence le lien causal existant entre les dégradations environnementales et la surconsommation aveugle et sans conscience des nantis. De même, la responsabilité du consommateur occidental dans la mise au travail du Tiers monde apparaît enfin dans toute sa scandaleuse évidence. Cette suite de saynètes est couverte par un bonimenteur déblatérant des propos cruellement lucides sur un ton cynique et coloré, au rythme enjoué de génériques de feuilletons américains. Cette intarissable logorrhée, qui envahit à flux tendu l'espace public, parodie à peine l'univers d'omissions dorées qu'impose la Marchandise à nos existences. Pourtant, ce monde dÕillusion vole parfois en éclats. C'est le cas lorsque le boss annonce simultanément l'augmentation des bénéfices de l'entreprise et le licenciement de Mr et Mme Occidental, qui en perdent leurs portables.
Recommandé pour tous les humains de 7 à 77 ans.