arch/ive/ief (2000 - 2005)

Réfugiés: Attention! Invasion!
by Frédéric Lévêque Thursday November 09, 2000 at 03:05 PM
fredolev@hotmail.com

L'atmosphère actuelle autour de la question des réfugiés est malsaine. Quelques commentaires...

Attention, camarades ! Tous aux abris, l’invasion a commencé. Les Albanais mafieux, les prostituées roumaines, les Roms chapardeurs, les Arabes islamistes, les guerilleros latinos, les triades chinoises,… Ils débarquent tous. Rentrez le linge,fuyez à l’extérieur des villes, ne sortez plus le soir. Les barbares sont de retour. Ils vont s’emparer de notre citadelle assiégée. Ce sont des paresseux et des corrompus qui n’ont pas su profiter des bonnes grâces de l’Occident. Alors, ils débarquent pour nous ravir notre sécurité sociale, piquer nos emplois, violer nos soeurs et agresser nos grands mères… Oh bien sûr, comme le dit le ministre de l’intérieur, Antoine Duquesnes, ce sont aussi de pauvres « malheureux » souvent manipulés par des trafiquants d’êtres humains et des mafias en tout genre. Ces pauvres bougres sont dans la merde, mais au nom de la raison d’Etat, au nom du réalisme et du pragmatisme, ils doivent y rester sinon la population pourrait mal réagir et cela ferait le jeu de l’extrême droite, bien évidemment.

Je sais, c’est un peu simpliste, mais sérieusement, vous n’avez pas l’impression que c’est ce discours qui passe et repasse à travers les déclarations des hommes et femmes en charge du dossier « misère du monde » et surtout à travers leurs actes exécutifs et législatifs.

Après plusieurs années de luttes, marquées évidemment par des hauts et des bas, le bilan du mouvement des sans papiers ou des différents collectifs et asbl luttant contre les déportations et les centres fermés est assez maigre. Le seul petit point positif, c’est que la problématique des sans papiers empoisonne, il est vrai, l’agenda du gouvernement qui aurait sûrement préféré laisser cette question à la discrétion des gendarmes et des fonctionnaires de l’Office des Etrangers qui ont toujours mis beaucoup de zèle pour nettoyer le pays des indésirables chintoks, métèques, bougnouls, ostrogoths, etc. Certains (comme le CIRE) ont vu dans la procédure de régularisation une victoire ; je les crois, aujourd’hui, assez amères par rapport à cette opération de dupes. La fameuse politique équilibrée entre humanité et fermeté du ministre de l’intérieur a fameusement du plomb dans l’aile. Oh bien sûr, pour ce qui concerne les déportations, tout va très bien Madame la marquise. Une bonne vingtaine par jour, qu’elles soient « volontaires » ou « forcées ». Mais le côté « humain » de la politique d’asile, par contre, je crois qu’il n’y a que les mandataires d’Ecolo ou du PS qui arrive à le voir. A ce sujet, l’attitude des écologistes est assez effarante. Rappelez-vous leur programme (« Débloquez la société » - le programme politique d’Ecolo – 1999): la suppression des centres fermés ; un moratoire sur les expulsions ; le rétablissement de l’aide sociale pour les demandeurs d’asile en cours de procédure; les mêmes droits sociaux fondamentaux pour les réfugiés, les candidats-réfugiés et les Belges ; une mesure ponctuelle de régularisation linéaire et non personnalisée pour les étrangers en situation illégale se trouvant en Belgique depuis au moins 5 ans, etc. Leur bilan est plutôt maigrichon. C’est vrai que leurs homologues flamands d’Agalev ne les aident pas beaucoup sur la question des réfugiés. Mais là ne se trouve pas l’excuse. Il n’y en a d’ailleurs aucune. Il serait compréhensible qu’Ecolo ne provoque pas de réelle crise gouvernementale s’ils obtenaient des avancées dans d’autres domaines, le problème des sans papiers n’étant nullement rentable électoralement, au contraire,… mais depuis bientôt un an et demi, ils se font rabattre le cacquet. Ils sont écrasés par le rapport de force au sein de l’arc-en-ciel et, malgré tout, Isabelle Durant arrive à garder son sourire. Pour faire une comparaison plus qu’hasardeuse avec cette situation, je dirais que les écologistes se comportent comme une femme battue. Ils prennent des coups sur la gueule à n’en plus finir, mais il n’y a rien à faire, ils restent au foyer par amour (du pouvoir). Je sais que cette comparaison imagée est un peu tirée par les cheveux, mais bon…
Je n’affirme pas catégoriquement que la présence des verts dans le gouvernement fédéral ne sert à rien. Ce qui m’inquiète plus, c’est qu’ils sont engagés dans un processus nauséabond de mise à mort du droit d’asile, entendu au sens de la Convention de Genève, et de stigmatisation des étrangers. Les nouvelles mesures adoptées par le gouvernement sont proprement scandaleuses. Rappelez-vous en 1996, lors de l’adoption de la loi (raciste) Vande Lanotte, les néo-nazis du Vlaams Blok avaient chaudement félicité le gouvernement Dehaene II en disant : « Nous avons un programme en 70 points sur l’immigration, vous venez d’en réaliser 12, nous comptons sur vous pour les autres. » Le gouvernement actuel semble vouloir relever progressivement ce défi. Le cordon sanitaire autour des Blokkers est peut-être encore réel sur la forme, mais leurs idées ont déjà été largement répandues dans la dite opinion publique. Les partis politiques traditionnels n’utilisent bien sûr pas les termes haineux des fascistes, ils ne s’expriment pas ainsi. Là est justement toute la finesse. Mais le gouvernement « arc-en-ciel », par toutes les nouvelles mesures qu’il est en train d’adopter, fait passer, à mon avis, ce discours légitimant une fois de plus les thèses du parti des Dewinter, Annemans et co.

Et il ne faut guère s’étonner, dans l’atmosphère actuelle, qu’une partie de la presse « collabore » sans états d’âmes à accroître le sentiment d’invasion. Ainsi, le vendredi 27 octobre, La Libre Belgique annonçait « une hausse explosive des demandes » d’asile. Le même jour, Christian Du Brulle, dans Le Soir, titrait également un article par « Les demandes d’asile ont explosé, cette année ». Etrange tout de même que ces chiffres, il paraît affolants, sont annoncés publiquement en même temps que l’adoption par le gouvernement des nouvelles mesures du ministre de l’intégration sociale, Johan Vande Lanotte, à savoir la privatisation des centres d’accueil pour réfugiés et le remplacement de l’aide sociale financière par une aide matérielle.
A ces mesures, Luc De Smet, commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, réagit très positivement. « Je ne peux qu’applaudir. C’est un signal très clair à l’attention de ceux qui tentent de s’incruster en Belgique pour obtenir des allocations. » (La Libre Belgique, 27/10/00). Pour ce monsieur, la situation serait critique actuellement. Il ne parle évidemment pas des sans papiers en attente d’une éventuelle régularisation et qui doivent survivre sans aide sociale, il ne parle pas non plus des prisonniers des centres fermés, il parle sûrement encore moins de la vingtaine d’étrangers que l’Etat belge déporte chaque jour. Il parle, en fait, des demandes d’asiles qui augmenteraient de manière incontrôlée. Selon Le Soir, ces chiffres « donnent le vertige ». Ainsi, les demandes auraient « explosé » en 1999 : plus 60% par rapport à l’année précédente. « De 22.126 en 1998, on est passé à 35.476 l’an dernier, explique Luc Desmet. Et, pour cette année, nos prévisions ne sont guères optimistes. Pour les neufs premiers mois, nous en sommes déjà à plus de 28.000 demandes. En décembre, nous aurons franchi le cap des 37.000. » (La Libre Belgique, 27/10/00)
Et alors, où est la catastrophe ? « Depuis sa création, le 1er février 1988, le Commissariat général a enregistré 216.753 demandes d’asile. Fin septembre 2000, 174.550 (80,5 %) dossiers avaient été définitivement clôturés par les instances responsables de l’asile (Office des Etrangers, Commissariat général et Commission permanente de recours des réfugiés). Au total, 14.718 demandeurs ont effectivement reçu le statut de réfugiés politiques, soit un taux de reconnaissance de 8,4%. » (LBB, 27/10/00). On ne peut donc guère, en effet, parler d’invasion … 14.718 réponses positives depuis douze ans. On est loin d’accueillir toute la misère du monde.
Mais c’est un fait, il y a de plus en plus de demandes. Les migrations internationales évoluent et augmentent chaque année. Les gouvernements et leurs saintes institutions internationales, puisqu’ils savent tout mieux que nous, ont pour rôle de trouver des solutions ou du moins d’améliorer le sort des migrants. En Belgique, surtout après le Sommet de Tampere, on nous promet la mise en place d’une politique européenne de l’asile. Mais en attendant, l’Etat veut encore donner l’illusion qu’il contrôle ses frontières. La démonstration du ministre de l’intérieur aux frontières avec ses flics et ses radars, en janvier dernier, lors des trois semaines de dépôt des dossiers de régularisation, a frisé le ridicule d’un pouvoir politique propageant l’illusion d’une maîtrise totale de la situation. C’est une grave erreur de faire passer ce type de message. « L’émigration ne peut se comprendre simplement comme produit de décisions individuels face aux problèmes internes des pays d’origine. » Même si la misère et les conflits internes à ces pays jouent un rôle certain. L’émigration « peut être vue aussi comme effet de la globalisation de l’économie et de la culture, celle qui a produit une espèce de toile d’araignée de causes et d’effets, de communication et d’exploitation, entre des sociétés qui, antérieurement, vivaient plus isolées » (« Para los que no llegaron… un sueno hecho cenizas – Migrantes y deportados en la frontera Guatemala-Mexico », pagina 20). En effet, ne nous répètent-on pas que le monde est un village? les nouveaux moyens de communication, la plus grande « facilité » de voyager, la liberté de circulation pour les capitaux et les marchandises font partie du processus de globalisation économique néolibérale actuel. Un processus que nous vantent ceux qui mettent en place les politiques d’asile et les non politiques d’immigration, un processus qui accroît, si l’on se réfère, par exemple, au dernier rapport du PNUD, les inégalités et la pauvreté et de manière indirecte les conflits. Alors, messieurs les larbins des grands intérêts financiers et industriels, assumez un peu vos choix. Et assumez aussi le fait que l’Europe est un continent d’émigration et d’immigration depuis longtemps. Il faut accepter cela positivement quelles que soient les raisons pour lesquelles des gens quittent leurs pays pour venir ici. Il n’y a pas de réfugiés économiques ou des réfugiés politiques, il n’y en a pas des vrais ou des faux, il y a juste des gens, des cons, des voleurs, des « assistés », des croyants et des non-croyants, des gravement malades, des familles, des vieux, des gosses, des libéraux, des conservateurs, des communistes, des jemenfoutistes, des intellos, des analphabètes, des beaux, des laids, des sympas, des colériques, des opportunistes, des sportifs, des artistes, des stakhanovistes, des homos, des bis, des hétéros, des fans de Britney Spears, etc. Bien sûr que toutes les personnes demandant l’asile ne sont pas directement en danger de mort ou persécutées au point de devoir quitter leur pays. Antoine Duquesnes a admis récemment que l’immigration zéro était une mystification. Qu’il assume dés lors ses parole dans la pratique plutôt que de s’enfoncer dans une logique toujours plus répressive, toujours plus méprisante, toujours plus dangereuse.