arch/ive/ief (2000 - 2005)

Politique d'asile de la Belgique : Secrets et mensonges
by A.M. Tuesday November 07, 2000 at 05:27 PM

Novembre 2000 : Le centre de transit 127 de Zaventem est à nouveau plein comme un œuf…

Les réfugiés s’entassent à vingt dans des chambres en tôles installées provisoirement depuis 6 ou 7 ans, je ne sais plus, sur la piste d’atterrissage de l’aéroport. Pas de lit pour tout le monde. Les moins chanceux dorment par terre. Pour pouvoir dormir, il faut des médicaments. Trop de bruit, trop de promiscuité, trop d’espoir inutile. Des enfants sont là, mêlés aux adultes. Ils sourient au passage: ils ne comprennent pas. L’angoisse sue de tous les visages en attente. Pourtant, ici c’est une zone d’attente humanisée. Merci au Ministre. Des fleurs poussent derrières les barbelés. Tant pis pour elles. Le vent est glacial, il fait craquer les grillages comme dans un mauvais film d’horreur. Il cogne sur les préfabriqués. C’est le seul à cogner encore : le centre 127 est inaccessible. On ne le voit même pas de la chaussée.

Quand leur interrogatoire par le CGRA est terminé, les détenus du centre 127 sont immédiatement transférés vers d’autres centres de rétention pour faire de la place. Certains croient que l’heure de leur expulsion a sonné. Mais ils ne sont envoyés qu’à Bruges -si on peut dire- dans un autre endroit très sympathique où passer l’automne. Quand ils arrivent dans cette ancienne prison ‘réaffectée’ en centre pour illégaux, ils sont immédiatement enfermés dans une cellule d’isolement. L’isolement, c’est sans raison. Seulement parce qu’ils sont là, qu’ils sont en trop partout et que toute le monde -ou presque- s’en fout. Qui ose prétendre sans rire qu’on peut ‘humaniser’ la détention arbitraire de ceux qui se présentent aux frontières ? Qui ose prétendre aussi que les mêmes individus que ceux qui maintiennent ainsi des réfugiés en prison vont changer la procédure d’asile pour la rendre plus humaine? C’est un vaste mensonge relayé par la presse docile. La procédure, ils vont la rendre plus rapide et plus antidémocratique encore. Tout le monde le sait dans leurs clubs de décideurs.

Leur but, c’est qu’il n’y ait plus de procédure et plus d’aile du tout. Ils profitent de ce que les gens oublient ou ne comprennent pas pour remettre au goût du jour des règles mortelles pour le droit d’asile et les réfugiés. C’est notamment le cas des listes de ‘pays sûrs’. Ce genre de listes a déjà existé sous une autre forme dans la loi belge mais le résultat était le même puisque des réfugiés se voyaient refuser l’asile uniquement parce qu’ils venaient de certains pays comme le Ghana, le Pakistan ou le Nigeria… C’était la ‘règle des 2X5%’ votée le 18 juillet 1991. A l’époque, le Conseil d ‘Etat l’avait condamnée et la Cour d’arbitrage l’avait même annulée à la demande du MRAX, de la Ligue des Droits de l’Homme et d’Amnesty. Ce qui était illégal il a y huit ans va devenir légal par un nouveau tour de magie dans la mémoire collective.

Car il se trouve toujours des larbins pour dire que tout cela c’est dans l’intérêt des réfugiés. Et puisque, comme chacun le sait, les poules préfèrent les cages et les Indiens, les réserves, les réfugiés, eux, ce sont les villages préfabriqués privatisés en tôle, les rétentions à la frontière, les colis de nourriture et les procédures d’asile accélérées qu’ils aiment. C’est un fait scientifique rappelé très judicieusement par les experts du gouvernement belge qui s’apprêtent à convaincre ceux qui le voudront bien que cet agréable projet de vie dans de multiples cages est voté dans l’intérêt…des réfugiés eux-mêmes. Comme pour les poules d’ailleurs. Armand Farrachi nous rappelle dans son livre « Les Poules préfèrent les cages », édité chez Albin Michel (2000) que ces oiseaux n’ont de toute façon plus aucun milieu naturel susceptible de les accueillir. Les réfugiés, eux, n’ont plus de pays pour vivre. Quant aux Indiens, on ne se pose plus la question, même si l’Indien Lakota, Léonard Peletier, nous appelle à l’aide depuis 25 ans du fond de sa prison américaine (il y a une manifestation le 2 décembre à Paris pour sa libération et celle de Mumia).

Si tous préfèrent les cages, tant mieux car c’est là qu’ils sont en sécurité. Dehors, il y a des renards qui mangent les poules et des mafieux qui taxent l’argent du CPAS. Donc pour éviter ces dysfonctionnements, les réfugiés qui ne trouveront pas de place dans les cages ne recevront plus d’argent du CPAS (Centre Public d’Action Sociale) mais seulement de la nourriture venue de quelques fournisseurs patentés de malbouffe. Ainsi le veut le Ministre Vande Lanotte. Et le tour est joué. Dommage pour ceux qui ne mangent pas de ce pain-là car ils ne mangeront rien. Au moins, ils ne seront pas manger par les mafieux…etc. C’est toujours ça de pris aux méchants. Car c’est bien connu, ceux qui sont gentils avec les réfugiés, ce sont ceux du gouvernement et les plus gentils des gentils ce sont ceux de l’Office des Etrangers mais les encore plus gentils des plus gentils, ce sont les gendarmes. La preuve : ils empêchent les réfugiés de sortir des cages où ils sont en sécurité. Au nom de cette sacro sainte sécurité, le directeur d’un centre de rétention, genre Steennokkerzeel ou 127, et ses acolytes peuvent notamment, en toute légalité, fouiller les courriers et les colis des réfugiés, interdire les visites de leur famille (spécialement au centre 127), couper certains contacts téléphoniques, fouiller les visiteurs, leur refuser l’accès du centre, limiter l’accès des prisonniers aux médias, les enfermer dans des cellules d’isolement, leur passer les menottes aux poignets et/ou aux chevilles… (voir l’arrêté royal du 4 mai 1999). Les centres de rétention sont donc les endroits les plus sûrs de Belgique. Pas une lime à ongle ne traîne, pas un tract subversif, pas une idée contraire.

Alors, de là, pour les fabricants de cage à prétendre que la meilleure solution pour les poules, les Indiens et les réfugiés, c’est la cage, il y a une logique certaine. Mais, de là, pour les autres à les croire, il y a une marge tout aussi certaine. Mais qui sait ? Peut-être doutons-nous sans savoir. Les experts eux savent que libres, les poules, les Indiens et les réfugiés sont carrément en danger de mort. D’ailleurs (voir toujours le même livre) quand elles sortent de leur cage, les poules pètent les plombs. Elles ne supportent plus de courir dans la verte campagne. Elles tombent raides terrassées par la crise cardiaque ou l’hyper ventilation. L’air libre tue. La liberté aussi. Pour les réfugiés, on le sait, c’est dangereux de s’évader d’un centre de rétention : on peut mourir d’une maladie congénitale à 25 ans. Donc restons s‘il vous plait dans nos cages. Les réfugiés dans les leurs et nous dans les nôtres. Pas de désordre. Contrôlons les migrations des oiseaux, des Indiens et des réfugiés. Ne courrons pas sur la plage fouettés par le vent, ne marchons pas dans les forêts profondes, ne laissons pas échapper nos pensées libres de nos fronts courbés. Consommons leurs inepties pour finir vieux mais en sécurité dans leurs asiles hygiéniques. Chacun dans son pays-frontière, chacun dans sa sécurité dite sociale, son parc d’attraction, son centre commercial. La sécurité sera garantie. L’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Quand elle pousse encore….

A.M.