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Grève à la TEC et médialynchage
by Frédéric Lévêque Monday October 30, 2000 at 04:40 PM
fredolev@hotmail.com

Le comportement de la presse par rapport à la grève des chauffeurs de la TEC à travers deux exemples.

Acharnée, malhonnête et partisanne, voilà, je pense, comment on pourrait, une fois de plus, décrire la presse traditionnelle par rapport à un conflit social. Le conflit dont je veux parler est bien sûr la longue grève des employés de la TEC, les transports en commun wallons.
Survolez quelques titres et articles de presse, allumez votre télévision, tendez l’oreille vers votre poste de radio et vous vous rendrez compte très facilement du lynchage médiatique, peu subtil, des grévistes.
Les exemples abondent mais je me limiterai à deux journaux de la presse écrite, à savoir La Libre Belgique (LLB) et La Nouvelle Gazette (LNG), pour argumenter de ce que j’affirme ici dessus.

Mercredi 25 octobre, en première page de LNG, un titre annoncait « Faute de bus, il a perdu son emploi ». En effet, selon le gros article (pour LNG) en page 3, Jean-Louis, ouvrier-jardinier à l’Institut bruxellois pour la gestion de l’environnement et habitant de Gilly, a été licencié pour faute grave parce que, selon le communiqué du patron, il serait resté absent plus de dix jours, depuis le 25 septembre – date du début de la grève des TEC. Ce pauvre Jean-Louis ne pouvait plus se rendre en bus à la gare de Charleroi pour prendre quotidiennement son train de 5h35. LNG rapporte alors ses propos : « Je vis seul, je n"ai pas de famille ; donc, je ne pouvais compter sur personne possédant une voiture pour me conduire à la gare ; de plus, je souffre d "une hernie inguinale qui me rend la marche pour ainsi dire impossible » (ces confidences figurent au milieu de l’article en grand, en gras et encadrées).
Franchement, un témoignage aussi misérabiliste, qu’il soit réel ou pas, a de quoi faire couler des larmes de crocodile à bon nombre de lecteurs et à remonter ces derniers contre ces monstres de grévistes, égoïstes et inhumains. C’est vrai, se dirait le lecteur moyen de LNG, comment ont-ils pu faire cela à ce pauvre Jean-Louis qui vit déjà une situation très difficile ? Les travailleurs en grève réclame une augmentation de 10.000 Fb/mois alors que notre carolo, immobilisé par la force des choses, est licencié sans préavis (il avait pourtant prévenu son boss par fax) et ne touchera aucune indemnité de chômage puisque il a reçu son C4 pour faute grave (absences répétées non justifiées).

Emouvant, cette histoire, n’est-ce pas ? Eh bien, cette fable tragi-misérabiliste est fausse. Oh bien sûr, Jean-Louis a bien été malheureusement licencié, mais cela n’a aucun rapport avec la grève. C’est du moins ce que révèle LNG, le lendemain (jeudi 26 octobre 2000), en page 10, dans un démenti relativement discret : « … Sollicité dès mardi (24/10), le Cabinet du ministre bruxellois de l’Environnement, Didier Gosuin, nous a fourni, hier matin, des éléments d"information qui donnent à ce licenciement une tournure nettement moins brutale et abusive. En effet, l"ouvrier en cause, qui bénéficiait en outre d"un accompagnement social assuré par son employeur, n"était à l"évidence pas très assidu à sa besogne. Selon le cabinet Gosuin, il n"avait presté, au cours de l"année 2000, et donc avant son licenciement, que 26% du temps de travail normal : 30, 8% de ses absences étaient injustifiées et 30% étaient couvertes d"un certificat médical. Situation difficile qui justifia aussi des retenues sur salaires. »

Je n’émettrai aucun jugement sur la situation de ce crac de Jean-Louis, car là n’est pas la question. La presse a répandu des imbécilités, et un discret démenti ne répare pas le mal. Surtout que la télévision s’est aussi emparée de cette affaire, et je n’ai guère de souvenir d’un démenti quelconque sur une quelconque affaire dans un JT RTLien ou RTBFien.
Alors, vous me direz, croyant avoir trouver la réplique parfaite : « D"accord, mais l"erreur est humaine, même pour les journalistes ». Croyez-vous vraiment, dans un contexte pareil, dans une ambiance aussi hostile au mouvement des TEC, que c’est une simple erreur ? Je ne parle évidemment pas de complot. Je me rappelle seulement les bobards de la guerre du Golfe et du Kosovo ou encore le conflit des Forges de Clabecq où, à la manière du journaliste de LNG et de Jean-Louis, le curateur libéral Alain Zenner fit son cirque misérable avec son visage ensanglanté face à la presse enchantée de pouvoir enfin charger à boulets rouges contre la « mafia » de celui qu’elle appelait le « pape rouge ».

Pour ce qui est de La Libre Belgique, jJe n’ai que rarement l’occasion de la feuilleter. Et c’est tant mieux ! Car ce vendredi 27 octobre, La LB a décidé de s’en prendre violemment et malhonnêtement aux grévistes. Ainsi, la première page annonçait-elle une grande révélation : « Le salaire des chauffeurs des TEC n"est pas si médiocre que ça ». On voyait déjà où le journaliste et sa rédaction voulaient en venir … On comprenait encore mieux en lisant leur prose…
« Pour justifier leur revendication d’une augmentation de salaire de 10.000 francs nets par mois, les chauffeurs de bus, principalement ceux de Charleroi, avancent la différence de traitement entre eux et leurs collègues de De Lijn » (transports en commun flamands) , c’est alors que P.Lawson, en journaliste conscienceux et objectif, nous fait une analyse comparative des salaires entre un chauffeur du nord et un du sud pour démontrer, aux yeux de ce que certains appellent l’opinion publique, que la grève des TEC est illégitime à plus d’un titre parce que ceux-ci gagneraient plus que leurs homologues flamands.
Ainsi, outre déjà les erreurs que l’on retrouve dans le tableau (un travailleur avec 14 ans d’ancienneté gagnerait moins qu’un autre avec trois ans d’ancienneté), on constate que pour arriver au total du salaire net d’un travailleur de la TEC, le journaliste additionne des primes (de dimanche, de samedi (10%) et de service interrompu (coupé)) que le chauffeur ne peut accumuler. Ce qui conduit évidemment à surestimer le total net. Ensuite, le journaliste compare lemontant en chèques repas que reçoit un travailleur de la TEC (3.240 FB) et un de De Lijn (1.512 FB). Autre grossière erreur : les 3.240 FB, c’est pour 18 jours alors que les 1.512 FB, c’est pour 11 jours. Tout cela n’est pas précisé. Le calcul est donc faux à plus d’un titre.

Mais, le journaliste ne se limite pas à ce calcul fallacieux. Dans un éditorial enflammé contre les grévistes, Lawson nous affirme que le conflit serait toujours dans l’impasse, entre autres, du fait de leur « intransigeance ». Le journaliste se demande aussi, par exemple, « s’ils se soucient du sacrifice qu’ils imposent aux usagers obligés d’opter pour le système D pour leur déplacement ». Il continue en prétendant que l’ « attitude » des grévistes « frise le ridicule ». Vous voyez bien, ce n’est guère différent du ton adopter par les autres médias. La seule originalité de la LB est de s’en prendre aussi au gouvernement wallon. PSC dans l’opposition oblige… Pour finir son torchon d’édito, Lawson écrit : « il ne fait aucun doute que le mouvement est à bout de souffle au point que les chauffeurs aient recours aux banques alimentaires pour nourrir leurs familles. » Et oui, c’est vrai, des grévistes s’adressent à ce type d’organisme pour remplir leur estomac. Je crois personnellement quez c’est eux qui font un sacrifice. Se priver ainsi pendant plus d’un mois de son salaire n’est pas facile, même s’il y a une caisse de solidarité.
Il ne faut pas être devin pour deviner q’un conflit aussi long dans un service public aussi important ennuie considérablement les usagers. C’est normal mais est-ce que la presse, pour autant ; doit s’acharner à inciter la population à se braquer contre les chauffeurs - grévistes. Il semble que ce Philippe Lawson n’essaie pas de comprendre pourquoi les grèves se répètent à n’en plus finir dans les transports publics wallons. Tout ce qu’il sait faire est de les insulter et leur dire que « le jusqu"au boutisme n"a jamais payé » (titre de l’éditorial ). Moi, pourtant, on m’a toujours appris à me battre jusqu’au bout pour ce que je crois, on m’a toujours enseigné à ne pas baisser les bras.

Mais quoiqu’il en soit, cette grève a une signification importante dans un contexte où « les choses vont bien pour la Belgique » (déclaration du premier ministre le 17 octobre). Les grévistes sont remarquablement déterminés face au comportement ouvertement patronal du PS et face à la bureaucratie syndicale hostile à tout conflit qu’elle ne contrôle pas à sa guise. il n’y a guère de solidarité avec ce mouvement et pourtant elle serait nécessaire car une victoire des TEC serait une brèche ouverte pour tous les autres secteurs. « Car on le sait depuis le 17 octobre : les fameuses marges budgétaires ont fondu comme neige au soleil. S"enfermer dans ce carcan (de la norme salariale), c"est accepter que la crise continue pour les travailleurs alors qu"elle est finie pour les patrons. Il faut au contraire, tous ensemble, faire sauter le carcan, aller prendre l"argent là où il est. Les TEC montrent la voie ! » (La Gauche n°20, 13/10/00)

Aussi, sur Independent Media Center - Belgium
Appel à la solidarité avec les TEC-Charleroi
Texte paru du Comité de solidarité avec les TEC-Charleroi suivi d'un appel à la solidarité avec les grévistes.
A la fin de cet appel, se trouve un numéro de compte sur lequel il est possible de soutenir financièrement les travailleurs de la TEC.

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