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Un cadavre dans le placard de Verhofstadt
by Daniel Liebmann Friday October 27, 2000 at 12:56 PM
daniel.liebmann@skynet.be

Article sur la mort d'un réfugié albanais au centre 127 bis de Steenokerzeel. Article paru dans le bimensuel "La Gauche".

STEENOKKERZEEL
Un cadavre dans le placard de Verhofstadt

Dans la nuit du 12 au 13 octobre, 9 sans-papiers albanais ont tenté de s’échapper du centre 127bis. Les autorités belges ignorent où sont passés quatre d’entre eux. Quatre autres ont renoncé à la liberté pour appeler les gardiens au secours: le neuvième évadé était gravement blessé.
Un gardien a fait remarquer qu’il ne fallait pas faire bouger Ferri Xhedvet, car on risquait d’aggraver une blessure ou de rendre une fracture irréparable. Mais les gendarmes ont eu une autre idée: passer les menottes au blessé et le tirer par les pieds vers un cachot. C’est au cachot que mourra Ferri Xhevet. Des fonctionnaires de l’État belge ont activement accéléré la mort d’un homme. Le Ministre de l’Intérieur les couvre.

Les versions officielles successives ne tiennent pas la route. Le 13 octobre à 14h, Pascal Smet (SP, responsable des expulsions pour le cabinet Duquesne) annonçait à la VRT que Ferri était mort dans l’ambulance. Plus tard, il s’avérera que l’homme a agonisé dans sa cellule et n’a jamais été placé dans une ambulance. Dans le même style, Duquesne s’est mis à commenter les résultat de l’autopsie, selon laquelle il n’y avait aucune lésion décelable, avant que tous les tests n’aient été analysés. Le témoignage des co-détenus et des gardiens attestent cependant que tout le monde était au courant de ce que Ferri appelait à l’aide. Les députés venus inspecter les lieux le 13 octobre ont même vu du sang dans la cellule.

Les autorités ont fait tout leur possible, dit le ministre. C’est vrai, mais dans quel sens? Pour masquer la vérité. En pleine nuit, Pascal Smet, Stéphane Schewebach (PS, directeur tout puissant de l’Office des Étrangers) et des hauts gradés de la gendarmerie se réunissaient au 127bis pour définir leur stratégie après avoir visionné les cassettes vidéos de l’évasion. La direction du 127bis a pris toutes les dispositions pour que la presse ne soit au courant de rien: aucun détenu n’aura accès au téléphone avant plusieurs jours. C’est par une fuite interne que l’opinion publique sera informée, et c’est ce qui obligera Duquesne et Smet à improviser des déclarations publiques mal ficelées, pour une affaire qui en principe n’aurait pas dû devenir publique donc politique. Les dispositifs de rétention de l’information sont bien rôdes. La porte-parole de la gendarmerie, Els Cleenput, s’est même fendue d’un communiqué maison enjoignant les journalistes à répéter les “informations” du parquet plutôt que de citer d’autres sources. Il fallait à tout prix délégitimer la parole des députés, porte-voix des détenus témoins des faits!

Un sérieuse enquête serait pourtant nécessaire. En effet, chaque jour le gouvernement belge procède à 20 expulsions par avion, à l’aéroport de Zaventem. Pour atteindre un tel chiffre, il faut une équipe formée à rude école. La gendarmerie de Zaventem est sa propre école. Elle développe des techniques que les skinheads ne désavoueraient pas. Ligoter un homme blessé et le tirer par les pieds pour l’amener dans un cachot: il faut du sang froid pour le faire!
La commission de l’intérieur du sénat a été avertie en 1998 par le Bureau Central de Renseignement (BCR) de la présence importante de militants d’extrême-droite dans l’équipe de Zaventem (en charge également du centre fermé). Cette information publique n’a pas été démentie ni suivie d’effet, même après le meurtre de Semira Adamu et le marquage d’un numéro à l’avant-bras des 74 Tsiganes déportés vers la Slovaquie, toujours par les gendarmes de Zaventem.
Cette équipe et ceux qui l’organisent, jusqu’aux ministres de l’intérieur successifs sont jusqu’à ce jour impunis parce que leurs méthodes sont la conséquence de la politique du gouvernement en matière d’asile et d’immigration: ils expulsent. Ca ne se passe jamais doucement ces choses-là.

Le silence de Verhofstadt sur cette affaire, dans son discours de rentrée, contraste avec les larmes de crocodiles versées par l’équipe Dehaene-Tobback après l’assassinat de Semira Adamu. Cette fois, le temps n’est plus celui des émotions: il faut une politique ferme et sans bavure. Donc: tout nier et perfectionner encore la politique d’expulsion. Les mesures annoncées par le Premier Ministre donnent froid dans le dos. Nous y reviendrons dans un prochain numéro.


Daniel Liebmann