arch/ive/ief (2000 - 2005)

Palestine: vivre en dignité et liberté. Témoignage poignant d'une jeune Suisse.
by Anne-Marie Saturday October 21, 2000 at 08:39 PM
bdeckers@brutele.be

Une jeune Suisse, Anne Marie, partage depuis de nombreuses années la vie du peuple Palestinien. Elle témoigne de façon poignante des humiliations quotidiennes que les Palestiniens doivent subir sur leur propre territoire occupé.

Le Processus de Paix… Le dialogue… Depuis 7 ans , avec des hauts et des bas, le dialogue existe. Des accords ont été signé. Les choses ont avancé, comme on dit. Et les palestiniens, dans leur grande majorité, comme les israéliens, ont accepté de laisser la place au dialogue plutôt qu’à la violence. Ils ont donné leur confiance aux « grands » et ont attendu, espéré une paix juste avec leurs ennemis devenus des voisins.

7 ans. Qu’y a-t-il de changé aujourd’hui, pour que la violence ait pris le dessus, pour que les voisins soient redevenus des ennemis ?

Rien, ou pas grand chose, justement… 7 ans de dialogue, mais dialogue de sourds. Et quand les oreilles se sont ouvertes, quelques fois, elles se sont refermées bien vite, trop vite pour que les accords signés dans ces moments-là soient mis en œuvre. Un exemple ou 2 : Les colonies qui devaient être rasées sont toujours debout, elles se sont même agrandit et multipliées ; Les territoires qui devaient être rendus sont toujours occupés, et les quelques uns rendus sont entourés de soldats et de colonies, et sont toujours réglementés économiquement par Israël.

Depuis 7 ans, à part la reconnaissance internationale de l’Autorité Palestinienne, qu’y a-t-il de nouveau ? Les palestiniens, le peuple palestinien est toujours écrasé par la botte israélienne. Si le 1er ministre israélien a reconnu, rencontré, serré la main d’Arafat, les soldats et la police israélienne a continué, et continue, à traiter le peuple palestinien comme s’ils n’étaient que des chiens, des moins que rien, quand ce n’est pas comme s’ils n’ont pas le droit d’exister.

Pour montrer à tous qu’ils n’existaient pas, qu’ils ne sont rien pour lui, Sharon est monté sur l’Esplanade des Mosquées. Provocation pure et simple. Le peuple palestinien, jusque-là bafoué individuellement mais reconnu collectivement, n’a pu le supporter. Mais la cause du soulèvement palestinien n’est pas que la venue de Sharon sur ce lieu.

Essayer de vous imaginer la vie d’un palestinien d’aujourd’hui.

Vous êtes né dans la ville X, vous y avez passé votre enfance et votre adolescence. Vous vous êtes marié et avez déménagé pour vivre à une dizaine de km de X. Vous travaillez toujours à X. Tous les matins, pour aller à votre bureau, vous devez passer, et vous arrêter, devant des soldats qui, avec un geste de la tête, vous demandent vos papiers. Certains jours, ils les regardent à peine. D’autre, ils les prennent, s’en vont avec dans leur guérite. Vous ne pouvez qu’attendre. Cela peut durer 1mn ou 2h. Vous ne pouvez jamais savoir à l’avance. Vous commencer à travailler à 08h. A quelle heure partez-vous de chez vous ?

Un jour de fête. Vous devez retrouver votre famille ou des amis dans cette ville X. Votre femme et vos enfants dans la voiture, vous partez. Il y a un embouteillage sur la route. Cela arrive partout, dans tout les pays. Ici, la raison en est le barrage militaire. La plupart des voitures, après le contrôle des papiers, font demi-tour. Vous, vous pouvez passer car, sur vos papiers, il est toujours mentionné que vous habitez à X (ce qui n’est plus vrai, mais vous vous êtes bien gardé de le faire savoir aux autorités). Donc, vous passez. Tiens ? Aujourd’hui, il y a un 2ème barrage, à l’entrée même de la ville. Bizarre. Vous passez encore sans problème. Attendre 1mn ou 2h, pourvu que l’on passe, pas de problème. Vous garez votre voiture pour aller à pied au centre ville où votre famille vous attend et s’inquiète peut-être. Tiens ? Encore un contrôle à l’entrée du centre ville piéton. Heureusement que votre femme et vos enfants sont aussi domiciliés en centre ville. Après 3 barrages, vous arrivez enfin à destination. Trois contrôles fait par des soldats qui ne parlent pas, ou ne veulent pas parler votre langue, qui vous traitent comme un chien.

Fête religieuse ou pas, vous décidez d’aller prier dans votre lieu de culte habituel, Eglise, Mosquée ou Synagogue, selon votre religion. A la port d’entrée de ce lieu, encore des soldats, ou des policiers. Vous donnez votre carte d’identité. Le soldat vous demande votre âge, alors qu’il a sous les yeux votre date de naissance (dans sa langue et non la votre). Mais vous répondez quand même, pourquoi s’énerver ? Vous êtes venu pour prier, non pour discuter avec un soldat. Si vous avez plus de 50 ans, vous rentrez, et priez. Si vous avez moins de 50 ans, vous pouvez prier, Dieu et les soldats, tant que vous voudrez, vous ne pourrez pas rentrer. Aujourd’hui, les jeunes sont interdits dans ce lieu.

Aux 3 premiers barrages, vous avez été contrôlé parce que votre peau, vos yeux, votre visage disent votre origine, vous avez dû attendre le bon vouloir des soldats parce que vos papiers disent votre nationalité. Le 4ème, c’est à cause de votre religion.

Quatre barrages, c’est à dire, pour le pays, des barrages partout, sur toutes les routes, dans toutes les rues. Cela n’arrive pas tous les jours, et il y a toujours une raison : soit une fête religieuse importante de l’occupant, soit une fête importante pour l’occupé, soit un « problème » survenu la veille dans le pays. Pas tous les jours, mais assez régulièrement.

Au bout de 7 ans de négociations, d’espoir de pouvoir vivre libre et respecté comme un être humain, que ressentiriez-vous ? Ces soldats que vous voyez tous les matins, à tous les coins de rues, ils portent le même uniforme que le soldat qui a tué votre frère, que celui qui vous a jeté en prison parce que vous aviez une pierre dans la main, que celui qui vous a torturé.

Mais cela, si vous n’avez pas pu le pardonner, vous vous êtes efforcé de l’oublier pendant ces 7 longues années. Et vous en êtes même arrivé à la condition que vous pourriez, que vous deviez, vivre en bon voisinage et même avoir des amis avec ce peuple qui vous écrase. A une condition.
Vous devinez laquelle ?
La visite de Sharon a fait déborder le vase qui s’est rempli pendant ces 7 ans. On ne peut pas vivre indéfiniment en se disant « plus tard, je pourrais vivre ». Ou alors, au moins, il faut des signes que ce « plus tard » arrivera un jour, si ce n’est pour soi-même, au moins pour ses enfants.
Malgré l’effort qui leur a fallu pour accepter ce dialogue contre nature, pour oublier les souffrances, pour espérer que le processus de Paix leur rende la vie (car on ne peut appeler « vie » ce qu’ils vivent), rien, pas un signe ne leur a été donné pour faire survivre cet espoir fragile.

Alors, ils ont repris leurs pierres. Face à la 4ème armée du monde. Qui, comme elle le dit si bien, ne fait que se défendre. Donne des avertissements à coup de roquettes.
Pour certains (je dis bien « certains » et pas tous, tout le monde à ses extrémistes, mais en général, ces gens-là sont arrêtés, ou punis pour leur forfaits ; ici, ils sont quelques fois arrêtés, jamais punis) ce n’est pas assez, ils ne sont pas assez bien « défendus ». Alors, ils sortent en bande, avec bâtons et fusils, dans les quartiers habités par les palestiniens. Pour tout casser, et tirer…
Les palestiniens, eux, jettent des pierres. Sur des soldats. Certains d’entre eux ont très certainement envie de les jeter sur les israéliens, tout le monde a ses extrémistes. Et les israéliens ont très peur des attentats. Mais, pour l’instant, 2 soldats ont été tué. Ils ont même été massacrés par la foule. Que faisaient-ils dans un territoire autonome ? S’ils n’étaient pas là pour tuer, ils étaient en route, ou des espions. Le risque d’être un soldat, ou un espion, c’est de se faire tuer. Cela n’enlève rien de l’horreur de leur mort.
Mais les faits sont là : plus de 100 morts, dont des enfants et plus de 3000 blessés d’un côté, 2 soldats massacrés de l’autre.

Qui se défend ? Qui attaque ?

J’ai entendu un chrétien européen dire que les palestiniens devaient apprendre à pardonner.
Pardonner ? Je suis persuadée que les palestiniens sont prêts à pardonner. A condition qu’Israël reconnaisse ses fautes, arrête le massacre et l’humiliation de leur peuple.
Pourriez-vous, vous personnellement, pardonner à vos bourreaux alors qu’ils sont en train de vous torturer ? Pardonner à une armée qui est en train de lancer des bombes sur une ville où vous avez votre famille, des amis ? Pardonner par anticipation à ceux qui, vous le savez, peuvent vous tuer demain, ou vous jeter en prison sans raison après-demain ? Pardonner une injustice et une souffrance passée, présente ET future ?
Je ne crois pas qu’un seul être humain puisse le faire. Pardonner quand l’injustice est commise et passée, c’est difficile, mais possible. Pardonner quand le bourreau reconnaît sa faute et demande pardon, c’est difficile, mais possible. Mais pardonner à un bourreau qui est train de torturer, et qui, non seulement ne reconnaît pas son acte barbare, mais se plaint d’être attaqué par celui qu’il torture ?
Non, ne demandez pas aux palestiniens de pardonner. Demandez, d’abord, à Israël de reconnaître son Histoire, et donc ses fautes envers les palestiniens. De reconnaître les palestiniens en tant qu’êtres humains vivants sur cette terre depuis des générations. De reconnaître que Jérusalem n’est pas seulement Sacrée pour les juifs, mais qu’elle est aussi Sainte pour les chrétiens et les musulmans. De reconnaître le droit de vivre en liberté ET en égalité TOUS les humains vivant dans cette ville et sur cette terre.
Alors, les palestiniens pourront pardonner.