arch/ive/ief (2000 - 2005)

Comment ils nous ont radicalisés.
by Lara Erlbaum Wednesday October 18, 2000 at 10:35 PM

« Quand le gouvernement viole les droits d'un peuple, l'insurrection est pour le peuple et pour chaque partie du peuple, le plus sacré et le plus indispensable des devoirs. » Art. 35 Déclaration Universelle des droits de l'Homme, 1948.

Je suis née deux ans après. En ’70.
Depuis, j’ai couru à reculons, après un mythe fini avant que je ne sois née, votre bonne guerre, que vous me racontiez avant de m’endormir.

Quand j’avais six ans, on pouvait encore s’enrouler à trois dans l’écharpe mauve de notre monitrice. Au moins, les années ’70 on sait à quoi ça ressemblait.
Notre groupe, c’était les Yan Pallach. Même que les Victor Jara et les Louise Michel nous appelaient les Pallache, et ça nous énervait.
Puis sont venues les années ’80. Naissance d’un mouvement de jeunesse appelé l’U.P.J.B.-jeunes. La clé des chants autour du feu de camp, sur lequel on cramait nos merguez pendant les eiks. On peut dire merde aux moniteurs, mais interdiction de prononcer le mot Goldorak. Déjà les prémisses de notre antimondialisation, quand on y repense. Mais ça n’avait pas encore dépassé le stade de la révolte.
Il y avait aussi les manifs. Des missiles oui, mais en chocolat. W.T.C.- Gare du Midi.
« Aller défiler Bastille-Nation,
Ca donne une bonne conscience aux cons ». Dixit Renaud. Où c’est qu’on a mis notre flingue ?
Oubliés les Yan Pallach. Désormais, on s’appelle les Grands-Moyens. A l’école, on est confrontés aux autres adolescents. Une anarcho-communiste avec le keffieh noir et blanc et gris, et la petite main jaune au revers du zomblou, ça ne fait pas partie du marché des filles et ça n’intéresse pas les garçons. La mode. Le fric. Et puis chacun pour soi. Et d’après moi le déluge. La fin de l’U.P.J.B.-jeunes. Cependant, alors qu’on n’y croyait plus, à l’Est la révolution fait tomber les murs.
C’est la décennie d’après qu’on s’est mis à parler de mondialisation. A l’époque, on ne disait pas encore mondialisation néo-libérale. Rien que « mondialisation », c’était un gros mot. Un peu comme Goldorak.
L’Europe s’ouvre ses frontières internes. Création de la forteresse Schengen. Fermeture des frontières externes.
Et puis on accroche à sa fenêtre une photo de petite fille pour se donner bonne conscience. Masturbation morbide, disent certains. Puis on défile dans la rue à 100000 derrière une bannière blanche. Blanche comme apolitique.
Viennent les squats. Génération du sans. Sans abri. Sans domicile fixe. Sans travail. Sans papiers. Sans espoir. Sans amour. Loin dans l’infini s’étendent les centres fermés et les barbelés. Retour du mot résistance. Et ça se muscle. Les autopompes. Les charges policières. Les coups. Les gendarmes arrachent les films des photographes, détruisent les pancartes « Ouvrez les yeux, fermez la télé » à coup de talon, éclatent les têtes des jeunes, surtout celles des artistes.
Floraison des centres sociaux. Belgique. Italie. Espagne. Allemagne. Finie la hiérarchie. On est autonomes. Nous sommes tous responsables. On reparle de désobéissance civile. Balayées les manifs autorisées W.T.C.-Gare du Midi. On se réapproprie la rue. Et aussi les toits de l’O.N.E.M., à l’occasion. Finie l’adolescence uniquement destructrice. Place à la création. Vous avez eu votre mythe, on a le nôtre.
A partir du troisième millénaire, quand des décisions se prennent, elles concernent le monde entier. Et du monde entier, on se mobilise à Seattle, à Washington, à Prague, pour manifester sa conscience citoyenne. Place à l’attaque. Mondialisation de la police. Formation du F.B.I. à Scotland Yard. Mitraillettes américaines. Bombes lacrymos allemandes. Tanks de l’armée tchèque. 11000 représentants des forces de l’ordre, dont 5000 soldats. Masques à gaz. On est entre Robocop et Goldorak. Tant mieux. Ca prouve que notre présence représente un danger pour le F.M.I. Et face à eux, les militants deviennent des guerriers. Mais pour une cause aussi belle, on est prêts à en baver un petit peu. Et d’ailleurs, la statue de Yan Pallach nous sourit. Si on est partis à Prague, c’est pas contre le F.M.I. C’est pour nous rencontrer. Découvrir qu’on est pas tout seuls. Qu’en ce moment, des jeunes dans le monde entier vivent la même chose que nous. Rencontrer mille Italiens tellement liés que ça fait chaud au cœur. Echanger des pratiques. Se former. Créer notre nouvelle Internationale. Nous aimer. Décider une fois pour toutes de quitter les autoroutes de la consommation où rien ne peut arriver, pour des sentiers qu’on défriche et qu’on déchiffre ensemble. Et ça change la vie. Notre nouveau siècle a vu naître notre mondialisation. Mettez-nous derrière des barreaux. On y fera des meetings. La prison, elle est dans vos têtes. Nous on est libres et on chante. C’est l’amour à l’état pur. Putain ce qu’elle est belle cette révolution.

Lara Erlbaum