Ce sont les douze mois à venir qui décideront du sort de la Yougoslavie by Michel Collon Sunday October 08, 2000 at 02:04 PM |
JOURNAL DE BELGRADE - Samedi 7 octobre, 12 heures Les nouvelles importantes se sont succédé hier soir. Celle dont parlent tous les médias internationaux. Milosevic a reconnu la victoire de Kostunica aux présidentielles.
Les nouvelles importantes se sont succédé hier soir. Celle dont parlent tous les médias internationaux. Milosevic a reconnu la victoire de Kostunica aux présidentielles.
Et celle dont ils ne parlent pas mais qui pourrait s'avérer plus importante encore pour les huit mois cruciaux qui viennent. La tentative de l'opposition de débaucher certains parlementaires monténégrins pour former une majorité gouvernementale de rechange a échoué.
Sous réserve de confirmation, le prochain gouvernement yougoslave devrait donc etre formé du SPS, le parti de Milosevic, son allié traditionnel YUL et les députés monténegrins du SNP de Momir Bulatovic. Se retrouverait-on alors dans une situation de double pouvoir? Non, car celui du président est moins important que celui du gouvernement yougoslave, et moins important encore que celui du gouvernement serbe qui dispose de la majorité des budgets.
Kostunica président et Milosevic premier ministre?
Kostunica président et Milosevic premier ministre? Ce scénario surréaliste que nous avions envisagé il y a quelques jours, ce scénario serait le cauchemar de Washington. Et c'est pourquoi l'Óuest est en train de tout faire pour éliminer définitivement de la vie politique Milosevic et son parti.
Depuis Belgrade, j'ai regardé la BBC, CNN et une télé allemande. Toutes présentaient une image caricaturale: un peuple entier uni contre un dictateur. La réalité est différente. Milosevic conserve un soutien important - l'opposition ne conteste pas les résultats des élections parlementaires - et on se trouve plutot face à un pays divisé en deux camps, après des mois de pressions et de campagnes extérieures énormes.
Comme je l'ai écrit hier, les dirigeants de l'opposition ont cherché à créer un "syndrome de Bucarest". Milosevic a tout fait pour éviter d'entrer dans ce piège, il a attendu dans une guerre d'usure, une guerre des nerfs, comme lors de précédents affrontements déclenchés par l'opposition (91 et 96-97) auxquels il avait survécu: "En tout cas, nous ne voulions pas envoyer l'armée et provoquer un bain de sang", m'ont déclaré des responsables gouvernementaux.
N'aurait-il pas mieux valu reconnaître de suite la victoire de Kostunica? Beaucoup, même dans son camp, le pensent: "Les gens ont cru qu'íl allait tenter de manoeuvrer et n'ont pas aimé ca", m'explique Ivana, qui a pourtant voté Milosevic.
Mais au camp Kostunica, on peut adresser une autre question: pourquoi ont-ils refusé le second tour qu'il semblait assuré de gagner? Nous pensons que Washington et les dirigeants de l'opposition ont cherché à provoquer le "syndrome Bucarest" pour tenter déliminer définitivement Milosevic de la scène politique.
Mais s'agit-il seulement de Milosevic? Non. Il s'agit de tout un courant de la société yougoslave qui résiste à la prise de contrôle par les multinationales. Le 17 novembre 98, l'agence officielle britannique Reuter mentionnait un sondage auprès de 300 sociétés selon lequel "la privatisation ne suscite pas l'enthousiasme en Serbie, les travailleurs craignent des licenciements massifs. Aucune compagnie n'a encore été privatisée depuis la nouvelle loi de privatisation adoptée il y a un mois."
En outre, la volonté d'éliminer Milosevic ne concerne pas seulement la Yougoslavie. Pourquoi Milosevic est-il la bête noire de Washington?
"Parce qu'il symbolise la résistance au Nouvel Ordre Mondial et qu'il pourrait donner de mauvaises idées à d'autres forces dans les Balkans, m'explique Ljliljana, fonctionnaire dans un ministère. Aux yeux de Washington, Milosevic est un virus dangereux qui peut contaminer les Balkans."
Clinton et la démonisation des Serbes
A présent, Kostunica se trouve, lui, face à deux problèmes. L'un immédiat: l'incendie du parlement n'a pas été approuvée y compris parmi ses propres supporters. "Même l'Otan avait épargné ce symbole, s'indigne-t-on ici. Hitler avait incendié le Reichstag comme provocation avant la Seconde Guerre mondiale. Et la télévision RTS avait été bombardée par l'Otan: 16 victimes. Les traces sont encore fraiches. C'est indigne."
Deuxième problème: les encombrantes félicitations des Etats-Unis. Hier soir, j'entendais le discours de Bill Clinton. En substance: ""Cette victoire, c’est la notre, c'est la consécration du combat des Etats-Unis depuis dix ans. Nous avons empêché Milosevic de continuer à attaquer la Croatie, la Bosnie et d'autres pays. Avec la manifestation de Belgrade, nous avons mis fin à la menace d'un homme qui avait fait des centaines de milliers de victimes."
Ah oui? Milosevic aurait tué tant de gens? A lui tout seul? Clinton peut être assuré qu'aucun Serbe ne pense ainsi. Pratiquement tous continuent à penser que leur pays a été attaqué par les grandes puissances qui ont soutenu des extrémistes comme Tudjman et Izetbegovic et se sont montrés injustes envers les Serbes. Certains - y compris parmi les électeurs de l'opposition - reprochent même à Milosevic de ne pas avoir été assez ferme jusqu'au bout.
Quoi qu'il en soit, ce discours de Clinton poursuit la démonisation des Serbes présentés comme des monstres car il est évident que s'il y a "des centaines de milliers de victimes", un grand nombre de Serbes sont criminels, et la chasse aux sorcières va commencer avec toute la sélectivité et l'arbitraire dont Washington est capable.
En outre, Washington ne compte nullement rendre justice aux Serbes, par exemple au Kosovo. Bernard Kouchner vient d'annoncer qu'il faudrait rester la-bas une géneration et que les troupes américaines y resteraient "sans doute dix ans."(Washington Times, 30 septembre)
Meme avec Kostunica, les Serbes ne verraient pas la couleur de la paix car les Etats-Unis ont besoin d'une situation de conflit "de basse intensité" permanente. Une situation qui leur permette de maintenir la tension dans une région, et la pression contre un pays. Croire que les USA sont au Kosovo pour rétablir la paix et aider les Albanais, c'est comme croire qu'Hitler était allé occuper la Tchéquoslovaquie pour l'amour des minorités sudètes allemandes. Prétextes, prétextes... Tout ce qui compte pour les grandes puissances, c'est d'occuper des régions stratégiques.
Les douze mois qui viennent, avant les élections en Serbie, seront décisives. La Yougoslavie deviendra-t-elle ou non une colonie du FMI et de l’Otan? S'ils veulent renverser la tendance électorale actuelle - surtout dans la jeunesse - Milosevic et ses alliés auront à mener une politique plus sociale encore, une lutte plus ferme contre les privilèges. Et une stratégie de communication plus efficace, notamment envers les jeunes. Mais les forces progressistes du monde entier auront aussi un rôle à jouer pour démasquer l'action de Washington derrière des élections pas vraiment libres.