arch/ive/ief (2000 - 2005)

@den, news de marronage culturelle
by Gilles Martin Friday September 29, 2000 at 12:48 AM
gilamaison@skynet.be Rue de Mérode, 165 B-1060 Bruxelles

Cette semaine dans @den… Massilia Sound System, , Jennifer Lopez, Frida Kahlo, des marionnettes birmanes, François Salvaing, Jean Vilar.

INSCRIVEZ-VOUS: gilamaison@skynet.be L'entretien ! Enfin le voilà, l'entretien avec le groupe de ragga marseillais: Massilia Sound System. Nous avions rencontré le groupe le 30 juin dans le cadre du festival 'Couleur café'. Massilia venait de sortir son dernier album: " 3968 CR 13", un vrai petit bijou qu'on vous conseille de découvrir. En attendant, nous vous laissons avec le ' Commando Fada'… @den: Vous avez beaucoup de liens avec la population de Marseille? Massilia: Individuellement, on participe à des tas d'activités. Le groupe anime des repas de quartiers, des concours de boules… @den: Pour vous, la culture populaire, cette culture même très simple qui peut exister dans les quartiers, n'est pas méprisable. Une partie de pétanque sur une place, c’est important! Il y a toute une vie sociale qui s'articule autour de faits qui peuvent sembler banals. Massilia: Bien sûr. Nous, on recherche une situation culturelle qui soit normale. En France, la situation culturelle est anormale. Normalement dans la culture, il y a deux entrées, une entrée 'élitiste', l'entrée savante en quelque sorte et une entrée populaire. Ces deux entrées viennent constamment se nourrir l’une de l’autre. Cela crée quelque chose de vivant. En France, depuis à peu près deux, trois siècles, pour des tas de raisons qui sont liées à l’état français, il n’existe plus cette entrée populaire, c’est-à-dire qu’il n’y a plus qu’une entrée permise, l’entrée élitiste .Ce qui engendre une espèce de sclérose. La culture française est totalement sclérosée car il n’y a pas cette double entrée. Il n’y a pas ce jeu de contradictions. @den: Actuellement, le folklore est perçu comme quelque chose de ringard, de mort. Massilia: Le folklore n’existe plus, notre société a été défolklorisée. Notre travail est là: inventer et recréer les premiers pas vers un retour au folklore. Ce sont seulement les premiers pas car le folklore est quelque chose de très large. Tu ne peux pas vouloir être un chanteur folklorique si tu n’es pas implanté dans une communauté à activité folklorique. C’est très long à mettre en place. @den: Ce n’est pas un peu exagéré de dire qu’il n’y a plus rien? Massilia: C'est vrai que des bribes survivent. Le stade vélodrome à Marseille par exemple ! (1) Il existe encore quelques bribes de culture, je veux dire par là qu'il existe encore quelques espaces où le peuple peut prendre la parole. Mais c’est tout à fait en pointillé. La déculturation est vraiment envahissante. (1) Le stade vélodrome est le stade de foot de la ville. C'est là que se déroule 'l'épopée' de l'OM, c'est-à-dire l'Olympique de Marseille. Vous en voulez encore ? Ce que vous venez de lire ne représente qu'un court extrait de l'entretien réalisé le 30 juin. On s'en doute, Massilia a encore beaucoup de choses à nous dire. Le reste de l'entretien sera disponible en intégralité sur le site dans le courant de la semaine. On y bosse. C'est aussi une bonne occasion de réactiver le site qui est complètement mort. Un p'tit mail vous avertira… Les brèves. Pauvre Frida Kahlo ! C'est avec consternation que nous vous apprenons que la vie de la peintre communiste Frida Kahlo va être mis en film par l'industrie hollywoodienne. Hollywood, peu soucieux de l'engagement politique de la peintre, va se ruer sur l'aspect romantique de la relation de Kahlo avec les hommes et en particulier avec son mari de peintre: Diego Rivera. Cela donne la nausée de voir une industrie à fric exploiter la vie d'artistes qui se sont battus pour améliorer le sort des exploités. Pourtant, le pire reste à venir. C'est la pop star Jennifer Lopez qui interprétera le rôle de Frida. Un peu comme si on avait demandé à Louis de Funès d'interpréter Picasso. De la dialectique du tourisme. Le festival de marionnettes de Charleville-Mézières rassemble cette année plus de 200 troupes. Le moment fort du festival: les marionnettes de la troupe birmane de Mandalay. Bonne excuse pour donner la parole à Elisabeth de Otter, anthropologue spécialiste de la Birmanie. Elle nous parle de cette culture des marionnettistes faisant partie intégrante de la culture populaire birmane: " Les troupes étaient en voie de disparition. Le développement du tourisme les a sauvées. C'est le cas du Théâtre de Mandalay, installé il y a moins de dix ans à proximité du palais royal. Par un effet de retour, l'intérêt du public birman a été relancé. Même les tournées dans les villages ont repris. Le seul théâtre authentique, (…), le Yok taï thabin, se donne avec un orchestre complet, des chanteurs pour les rôles principaux et six à huit manipulateurs. Les marionnettistes qui vont dans les hôtels et les restaurants se contentent d'une cassette enregistrée. De ce point de vue, le tourisme appauvrit la marionnette." (1) Cet entretien a le mérite de souligner la dynamique dialectique qu'un phénomène comme le tourisme peut impulser dans une culture populaire. Les artistes locaux répondent aux besoins d'exotisme des touristes. Ainsi, une forme d'arts populaires peut résister à l'uniformisation imposée par la mondialisation. Bien. Mais dans un souci d'efficacité ou de rationalité économique, l'artiste local appauvrit 'son' art. Tel est le gros danger actuel. La plupart des productions artistiques sensées nous faire découvrir les cultures du monde, nous présentent des productions émasculées où seule la forme semble nous évoquer un ailleurs. L'absence de fond nous empêche de remettre en cause nos clichés et stéréotypes exotiques. La culture du monde n'est plus qu'une marchandise de plus. (1) Le Monde du 22/09/2000, p35 Fin de Parti. François Salvaing était journaliste. Membre du Parti Communiste Français, il raconte dans un livre (1) son désarroi face à un parti qui était devenu si puissant et si influent et qui, aujourd'hui, semble se dissoudre dans la social-démocratie la plus banale: " Mon fils était à Madagascar le jour de la finale du championnat d'Europe entre la France et l'Italie. Le malheureux, il est dans un village perdu, il n'y a pas d'électricité, alors à trois, ils prennent un taxi brousse, trois heures de tapecul pour accéder à un téléviseur, et où est le téléviseur ? A l'évêché ! Il regarde la finale avec l'évêque et les séminaristes malgaches qui sont tous pour l'Italie. Pourquoi ? Deux raisons: un, le Vatican, deux, 45000 morts en 1945.(2) (…) Il y a des choses que je n'accepterai jamais à cause de ce rapport-là au monde. C'est présent dans le livre, et j'y insiste, parce que dans mon rapport au Parti, c'est décisif. Pour moi, le Parti est fini le jour où on demande à Marie-George Buffet (3) si elle restera au gouvernement en cas d'opération au sol, au Kosovo, et qu'elle répond oui." (4) (1) François Salvaing, Parti, Stock (2) 8 Mai 45, La France et ses colonies fêtent la victoire sur le fascisme. Les peuples des colonies françaises en profitent pour mettre à l'ordre du jour la question de l'indépendance. La France des droits de l'homme sortira le bâton. De l'Algérie à Madagascar, le sang coulera. (3) Buffet est ministre des sports au sein du gouvernement Jospin. Elle est aussi membre du PCF. (4) Libération du 07/09/2000. Courrier des lecteurs. A boire et à manger cette semaine dans le courrier… Emmanuel Rubinlicht: "Merci pour le souffle de liberté et d'intelligence que transporte @den." Bernadette Mottart: "Le "contenu" d'@den me rappelle les graffiti sur les murs de la cour de récréation, vers mes 14 ans." Pierre-Yves Andri: "Au sujet de votre journal, le qualificatif "culturel" ne me semble pas très approprié, et le ton adolescent, engagé et sulfureux m'agace, même si vos intentions sont belles." La réponse d'@den… "@den est assez con de dire que la révolte n'a pas d'âge." Amusant qu'en deux courriers n'ayant aucun lien entre eux, apparaisse le thème de l'adolescence. @den ferait penser aux graffitis puérils ou à la crise de puberté. Ces remarques ne m'étonnent pas. Dans notre monde plein d'indulgence, on tolère la révolte quand elle est le fait de gosses. "Laissons-les s'amuser !" pensent-ils, le cul dans leur fauteuil. Pour ceux qui se veulent de vrais adultes, la révolte contre l'ordre établi est une affaire hormonale. On retrouve ces arguments pathétiques à la limite de la biologie de comptoir dans cette phrase célèbre qui emmerde tous les militants du monde: " Etre engagé à vingt ans, c'est bien mais celui qui l'est encore à cinquante est un fou." @den est assez con de dire que la révolte n'a pas d'âge. Si ce sentiment mûrit, c'est dans l'élaboration et dans le questionnement de la révolution. La révolte, c'est bien, faire la révolution c'est mieux. Tel est le réel chemin que doit prendre l'adolescent révolté. Tous le reste est pourrissement de l'esprit. La révolution n'est pas pour demain ? Sûrement, mais à nous de nous interroger sur les champs du possible. Nous savons que nous marchons à tâtons vers ce train qui fonce dans la nuit. Que personne ne prenne nos maladresses pour des gestes d'adolescents attardés. Ceux qui, pétris de certitudes, nous regardent avec mépris, ne sont qu'amertumes. Et après tout, l'adolescence est merveilleuse et nous savons comme Rimbaud qu' "On n'est pas sérieux, quand on a 17 ans et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade." A propos du poujadisme de gauche…suite et fin. Si cela peut t'être utile, je t'envoie une bonne définition du poujadisme de gauche :" Attitude militante clanique, voire sectaire, camouflée sous les dehors de l'intervention sociale, expression d'une nouvelle intolérance. " Anne Cremer Les archives. Nous avons retrouvé cette phrase de Jean Vilar qui l'utilisait à propos du théâtre. Bien entendu, elle va comme un gant à ce que nous tentons de faire avec @den: " Nous avons trois obligations à remplir: provoquer et aiguiser l'esprit critique du travailleur, être un lieu privilégié de la réflexion et si possible de la connaissance, convaincre enfin." A la semaine prochaine… Gilles Martin, gilamaison@skynet.be @den, édition du 24/09/2000, n°27, tirage: 2161 adresses électroniques. Ce que veut @den, en guise de manifeste. Le 'marron', cet esclave qui à l'époque de la servitude, brisait ses chaînes pour fuir l'ordre établi, et bien, le nègre marron m'a pris à la gorge. Et ce mot que je cherchais pour dire ma révolte de l'ordre culturel et de l'ordre tout court, ce mot qui souligne à merveille ce refus qu'on voudrait balancer à la gueule de ceux qui nous macdonaldisent, qui disneyisent, qui nous transforment en clochards de la culture, je le trouvais sur cette "île inquiète"(1): le marronage ! Aujourd'hui, en Occident, la chaîne n'emprisonne plus l'esclave au pied. Les chaînes de notre servitude sont aussi posées dans notre cerveau. Combien de Français, de Belges abrutis par Jean-Pierre Foucault ? A quoi rêvent encore les hommes écrasés par la Loterie Nationale et les rubriques zodiacales de je ne sais quel canard boiteux ? Pourquoi cet océan de verroteries ??? Le marronage m'apprend à vouloir casser mes chaînes et à prendre le maquis de la contre-culture. C'est là qu'est le vrai but d'@den car marronage signifie subversion et transgression d'un ordre contraire. En conséquence, je vous invite à partir dans la montagne bouter l'incendie de notre inaliénable révolte. Gilles Martin (1) La Martinique.