Bréviaire du tartufe by Safet Kryemadhi Thursday September 14, 2000 at 06:15 PM |
La quatrième de couverture de « Monopoly, l'OTAN à la conquête du monde », indique que l'auteur Michel Collon est journaliste à Solidaire, sans préciser que cette publication est l'organe du Parti du Travail de Belgique (PTB), formation farouchement stalinienne.
La quatrième de couverture de « Monopoly, l’OTAN à la conquête du monde », indique que l’auteur Michel Collon est journaliste à Solidaire, sans préciser que cette publication est l’organe du Parti du Travail de Belgique (PTB), formation farouchement stalinienne.
Ce rappel est nécessaire considérant la prétention de ce livre à dénoncer, au nom d’une vérité absolue, la désinformation qui a accompagné la guerre contre la Serbie. La première vérité à rappeler, c’est donc le soutien explicite apporté par Solidaire au gouvernement pluraliste de Milosevic (staliniens, royalistes et fascistes) durant la campagne de l’OTAN. Tout au long des guerres yougoslaves, le PTB et Michel Collon plaidèrent d’ailleurs en défense de la Serbie, allant jusqu’à justifier le massacre de Srebrenica en juillet 95. « Monopoly » ne s’inscrit donc pas dans la lignée des textes classiques dénonçant la propagande de guerre (dont le célèbre « Du Témoignage » écrit par Norton Cru en 1929 sur la guerre 14-18). C’est une œuvre militante délégitimant la lutte des albanais, niant l’existence d’une quelconque oppression à leur encontre et prompte à dénoncer leur refus d’être moins égaux que la minorité serbe au Kosovo. C’est aussi un patchwork de citations commentées doctement (« tout à fait exact », « notez bien », « nous les mettons au défi », « faux », « trompeur », « honteux ») par un prétendu arbitre des élégances journalistiques. La méthode s’est libérée de toute rigueur. Il faut atteindre la Vérité et pour ce noble but tous les moyens sont bons. Or, « le chemin de la vérité fait partie de la vérité aussi bien que le résultat. Il faut que la recherche de la vérité soit elle-même vraie » (Marx). Collon nous grêle de données en vrac où l’exact, le partiel, le mensonger, le sous-entendu s’assemblent dans une confusion qui fait système. Mais quelques informations vraies ne font pas la vérité d’une thèse, puisqu’aussi bien le « vrai est un moment du faux » (Debord). Surtout rien n’est dit de la propagande serbe. Alignant les titres de presse comme arguments d’autorité, il n’indique ni leur orientation politique ni la confidentialité ou non de leur diffusion. Ainsi de Balkans infos, au racisme anti-albanais affiché, dont le caricaturiste de service plaisante vulgairement du viol d’une fillette albanaise par un GI, croquant un soldat avouant penaud : « Je croyais qu’elle était serbe ». Insultant la mémoire des morts, Michel Collon, décrète vivants le courageux avocat albanais Bajram Kelmendi et ses deux fils sauvagement assassinés par des miliciens (p.43). Peut-être pensait-il à Fehmi Agani, adjoint de Rugova qu’on a dit mort puis retrouvé vivant jusqu’à son assassinat effectif un mois plus tard. Coupures de presse manquantes ou indifférence envers les victimes albanaises ? Le zèle à disculper les milices serbes le dispute à la volonté d’affirmer l’existence d’un grand complot dans l’information. Collon a même rencontré des Albanais heureux de vivre sous la loi serbe au point de serbiser leur nom (p. 85). Poutine aussi a son Tchétchène. Heureusement il y a la parole de Milosevic qui, seule, semble vraie (pp. 66-67) et peu importe si ce politique retors dit tout et son contraire. Le Kosovo imaginé par Collon ressemble furieusement à la ferme des animaux d’Orwell : les travailleurs ont les mêmes droits même si « sur le marché de l’emploi les serbes étaient défavorisés » (p.87). Voilà pourquoi sur les 15.000 ouvriers des mines de Trepca seuls 10% étaient albanais en 1998 alors qu’ils représentaient 80% des effectifs 10 ans plus tôt (proportion presque identique à la répartition des nationalités au Kosovo). A vouloir trop en faire, Collon trébuche ainsi à de multiples reprises. Qu’importe, pour ce parfait manuel de la négation, la parole de l’ennemi est toujours fausse. Sans peur du ridicule l’auteur propose de retirer la documentation adéquate auprès de l’ambassade de Yougoslavie (p.191).
Car l ’autre thèse de l’ouvrage veut que l’OTAN soit l’ennemi et avec elle les USA qui, dans une vision paranoïaque du monde, comploteraient partout et toujours aux fins d’exercer un empire universel. Aujourd’hui l’anti-américanisme est bien le nouveau socialisme des imbéciles. Michel Collon et le PTB dont il est la voix ne sont pas contre les empires. Ils sont contre l’empire américain. Ceci éclaire le peu de cas fait des Tchétchènes, dont la déportation de 1944 serait la juste punition d’une cinquième colonne (p.132), des Tibétains et des Ouïgours dont l’oppression nationale ne serait qu’une invention au service des Américains (p.153). 20 ans plus tôt le PTB soutenait les USA contre l’impérialisme russe, diplomatie chinoise oblige…
Il y a de l’ effroi à décoder cet argumentaire autiste à l’appui d’une logique folle qui épargne les puissants au nom d’une lutte contre de plus puissants. L’ouvrage n’en appelle pas à l’émancipation des hommes de tous les pouvoirs, mais à se soumettre au pouvoir d’un parti détenteur de la vérité, du bien, du sens de l’histoire, de la juste hiérarchie des peuples. En cela, le stalinisme qui développe une pensée pauvre, réduisant la complexité du monde à des oppositions binaires, est un fascisme. « Monopoly » en est une expression. Ce monument de malhonnêteté intellectuelle doit donc être lu au crible de la critique historique. Afin que de tels petits procureurs des média ne président jamais de vrais tribunaux populaires...
Qui est le tartufe dans cette histoire ? by Michel Collon Wednesday January 03, 2001 at 05:39 PM |
Vos lecteurs ont pu lire un article de Monsieur Kryedhami, sous le titre « Bréviaire du tartufe » qui prétendait rendre compte de mon dernier livre «Monopoly - L'Otan à la conquête du monde» (1). En réalité, cet article ne dit rien sur les thèses que je défends et sur aucun des éléments nouveaux apportés par le livre. Seulement des insultes, des étiquetages pour faire peur et des amalgames avec des gens ou des textes que je désapprouve. C'est bien pourquoi le Journal du mardi avait refusé de publier ce texte
Vos lecteurs peuvent-ils faire confiance à cet article ? Lorsqu'on polémique, la première règle de la déontologie journalistique n'est-elle pas de commencer par exposer la thèse de "l'autre" avant d'essayer de la réfuter ?
On peut relire attentivement votre article, nulle part le lecteur n'y trouvera mention de ma thèse. Que Bill Clinton ait lui-même exposé que «la guerre du Kosovo» avait pour but de «permettre aux Etats-Unis de vendre dans le monde entier», qu'un proche conseiller d'Albright ait confirmé qu'il s'agissait d'une guerre au service des multinationales en écrivant : «Pour que la globalisation marche, l'Amérique ne doit pas craindre d'agir comme la superpuissance omnipotente qu'elle est. La main invisible du marché ne fonctionnera jamais sans un poing caché. McDonalds ne peut être prospère sans McDonnel Douglas, le constructeur de l'avion F-15», qu'en outre l'Otan s'apprête à installer aussi ses bases dans le Caucase en y excitant à nouveau des conflits locaux au lieu de les apaiser, tout cela vos lecteurs n'ont-ils pas le droit de le savoir ? Pourquoi Kryemadhi le cache-t-il ?
Que craint-il ? Que le public se rende compte qu'effectivement il a été mené en bateau, comme dans les guerres précédentes, par la propagande des Etats-Unis et de l'Otan ? J'apporte une démonstration précise et rigoureuse de ces médiamensonges à la Timisoara. Notamment sur l'affaire de Racak.
A ce jour, ni l'Otan, ni les médias critiqués (dont Le Soir) n'ont pu réfuter cette démonstration. Au contraire, des commentateurs nullement "extrémistes" comme l'agence américaine de droite Stratfor ou Reporters sans Frontières ou le vice-président allemand des observateurs de l'OSCE ont admis que cette guerre avait été à nouveau un festival de désinformation. Ces derniers jours encore: le Corriere della Sera et le Berliner Zeitung. Et CNN a dû reconnaître avoir employé et payé des militaires US pour «produire de l'information sur le Kosovo».
En juin dernier, le Cercle des Etudiants en Journalisme de l'ULB avait organisé un débat sur ces questions de médiamensonges entre Monsieur Jamie Shea, Olivier Corten (professeur à l'ULB) et moi-même. De l'avis général, ce débat a tourné à la confusion du porte-parole de l'Otan. Pourquoi Kryemadhi le cache-t-il ?
Dommage que vous ayez refusé un débat sérieux !
La place légalement impartie au droit de réponse ne permet pas d'apporter les informations nécessaires pour réfuter tous ces mensonges. Je vous avais d'ailleurs proposé d'organiser dans vos colonnes un débat plus sérieux entre les deux thèses, pour permettre à vos lecteurs de se faire leur opinion. Dommage que vous l'ayez refusé.
Je regrette aussi que votre introduction, au nom de la revue, en rajoute une couche avec imprudence. Vous insinuez en effet que ma thèse consisterait à «réviser à la baisse les crimes des milices serbes commis avant l'intervention occidentale. Cette focalisation sur les chiffres a le plus souvent pour effet (recherché ?) d'éluder le débat sur la nature du crime et sur son auteur.» Etonnant procédé puisque votre rédactrice en chef a reconnu que cette introduction avait été écrite sans avoir lu mon livre !
Et je répète que telle n'est pas ma thèse. Dans Monopoly, j'écris : «Le conflit du Kosovo était une guerre entre deux armées. Des deux côtés, on n'y est pas allé avec le dos de la cuiller. Dès le début 1998, l'UCK a systématiquement exécuté non seulement des policiers et des civils serbes, mais aussi des membres d'autres minorités : tziganes, turques, etc. Et aussi des Albanais modérés, accusés de «collaborer» parce qu'ils souhaitaient coexister avec les Serbes. L'armée et la police yougoslaves ont riposté avec des méthodes brutales et parfois même très brutales. De nombreux villages que l'UCK avait transformés en places fortes ont été attaqués et, à cette occasion des civils chassés et parfois tués afin de priver l'UCK de ses soutiens.» (p. 42-43). Page 78, je cite un général indien et d'autres observateurs de l'OSCE, pour qui la tactique de l'UCK consistait bien à provoquer les Serbes pour faire escalader le conflit et justifier l'intervention de l'Otan. Dans une interview à un journal allemand, le dirigeant de l'UCK, Monsieur Thaci, l'a lui-même confirmé.
Cette thèse, vous pouvez la discuter, mais vous ne pouvez faire croire à vos lecteurs qu'il s'agit seulement d'une question de réviser des chiffres. Cela manque de bonne foi.
L'auteur de votre article essaie à tout prix de maintenir le schéma de pensée des «bons Albanais et des méchants Serbes». Je pense que la réalité est plus complexe. Il y avait et il y a des extrémistes des deux côtés, et toutes les nationalités se retrouvent victimes de ce drame. La question est : dans quel intérêt les grandes puissances ont-elles soutenu certains de ces extrémistes ?
Comment expliquez-vous le fait que, début 98, l'envoyé spécial des Etats-Unis, Robert Gelbard, ait affirmé à trois reprises que l'UCK était «des terroristes» et que trois mois plus tard, c'étaient devenus des «combattants de la liberté» dont l'Otan allait devenir la force aérienne ? Comment expliquez-vous cette miraculeuse transformation ?
Pourquoi cacher à vos lecteurs que l'armée de l'UCK assassinait non seulement des policiers et civils serbes, mais aussi des civils albanais opposés à ses vues ? Comme elle continue d'ailleurs à le faire aujourd'hui, pratiquant une purification ethnique impitoyable dont j'ai encore été témoin sur place il y a quelques semaines. Et surtout pourquoi cacher à vos lecteurs le fait que les services secrets allemands aient fourni des armes clandestinement à cette UCK dès le début 98 pour exciter le conflit ? Comme ils l'avaient fait d'ailleurs pour le dirigeant croate Franjo Tudjman avant la guerre de 1991. Il est apparemment plus facile à la Revue Nouvelle de réfuter une thèse qui n'est pas la mienne que d'ouvrir un sain débat sur les motivations et les conséquences des ingérences occidentales dans les Balkans et ailleurs dans le monde.
Il me faudra donc suggérer la lecture de mon livre à quiconque veut savoir comment l'Otan a manipulé l'opinion. Pour éviter de se faire piéger à la prochaine guerre.
Michel Collon
(1) EPO, Bruxelles, 246 p. 2000.